LES FRANÇAIS QUI ROULENT POUR L’APARTHEID
Les « petits cadeaux » sud-africains entretiennent l'amitié
ou radioscopie d’un lobby
Même sous la gauche, le lobby
sud-africain se porte bien. Journalistes, politiciens et banquiers cirent à qui
mieux mieux les bottes des hommes de Pretoria. Lesquels, pas chiens, savent
récompenser les « défenseurs de l'Occident». Tout de même, business oblige, les
hommes d’affaires commencent à se méfier.
Une enquête de Frédéric Ploguin et Bernard
Veillet-Lavallée, L'Evénement du jeudi 17 au 23 octobre 1985
« M. Fabius se comporte comme s’il
souhaitait que le chaos s’instaure en Afrique du Sud, oublieux de ce qu’il en
coûterait à l’Occident. »
Voilà
ce qu'on lit dans le numéro 13 (2e trimestre 1985) du Courrier austral parlementaire, une publication influente, et
pourtant très discrète, dans laquelle le gouvernement de Pieter W. Botha
diffuse ses idées vers le monde francophone. Dans le même numéro, un
éditorialiste anonyme appelle les «
modérés et les libéraux » à ne pas céder « au chantage des socialo-communistes ».
Ce
Courrier (ou CAP) dispose d'une réserve de grandes signatures. Jean Cau lui livre des billets
d'humeur. Dans ce numéro, par exemple,
l'écrivain Goncourt revient sur une idée qui le lancine : «
L'homme blanc a honte de sa peau. » Autre collaborateur attitré : Philippe Malaud. Le président du CNI considère d’ailleurs que « les pertes en vies humaines en Afrique du Sud sont le plus souvent le fait de conflits d'origine tribale ou à base de racisme noir ». Si l'on comprend bien, les vrais antiracistes, dans ce pays, seraient les Blancs. Malaud réussit à propager cette thèse époustouflante dans la grande presse. Le Figaro du 18 septembre, par exemple, assure le relais : « L'Afrique du Sud est une démocratie imparfaite mais susceptible d'amélioration... Il n’y a ni camps de concentration, ni déportation de population, ni famine... Les bavures policières, indéniables, sont limitées et sévèrement contrôlées par un système juridique à l’anglo-saxonne. » Signé : Philippe Malaud.
« Nous sommes très importants et
comptons dans nos rangs plusieurs des plus hautes sommités françaises », se vante le professeur Albrecht dans son bureau de
l'avenue de Suffren décoré d'oriflammes
aux couleurs sud-africaines. L'entomologiste est cependant très méfiant : « On ne sait jamais si on ne livre pas nos
secrets à nos ennemis... Et Action
directe vient de faire exploser quatre bombes. » Alors, il ne cède pas
volontiers le bulletin de son association, ACFA-Information. Quels secrets ? Il
s'agit surtout de diatribes contre la désinformation de la presse et de notes
de voyages. Les échanges de jeunes entre la France et la RSA y sont relatés par
le menu, ponctués d'exclamations
redondantes : les réserves d'animaux sont « formidables », l'accueil « extraordinaire
». Bref, c'est « supergénial ».
Entre deux récits, Philippe Malaud (encore lui !) gratifie le lecteur d'un
énième éditorial. Actualité obligeant, il ne peut totalement passer sous
silence les « incidents regrettables » qui se produisent dans les cités
africaines. Mais ces incidents sont «
démesurément grossis dans les médias ».
L'homme blanc a honte de sa peau. » Autre collaborateur attitré : Philippe Malaud. Le président du CNI considère d’ailleurs que « les pertes en vies humaines en Afrique du Sud sont le plus souvent le fait de conflits d'origine tribale ou à base de racisme noir ». Si l'on comprend bien, les vrais antiracistes, dans ce pays, seraient les Blancs. Malaud réussit à propager cette thèse époustouflante dans la grande presse. Le Figaro du 18 septembre, par exemple, assure le relais : « L'Afrique du Sud est une démocratie imparfaite mais susceptible d'amélioration... Il n’y a ni camps de concentration, ni déportation de population, ni famine... Les bavures policières, indéniables, sont limitées et sévèrement contrôlées par un système juridique à l’anglo-saxonne. » Signé : Philippe Malaud.
Jacques Soustelle, lui, décrit dans le Courrier une visite à Soweto, l'immense ghetto noir de
Johannesburg. Il n'y a vu que des réalisations remarquables, et tous les
ingrédients d'une paix sociale. Sans doute a-t-il fait ce « reportage » sous la
conduite des guides « autorisés » que le gouvernement de Pretoria colle à
chacun de ses visiteurs, invités à grands frais. On sait, depuis le scandale
dit du Muldergate (qui avait révélé le versement de fonds secrets par le
ministre de l'Information Connie Mulder à des journaux et à des partis
politiques étrangers), quel soin les autorités sud-africaines mettent à
sélectionner les « informateurs » qu'elles acceptent d'accueillir. Le
contre-reportage que nous publions par ailleurs illustre clairement les
contraintes imposées aux journalistes pour s'assurer de leur « objectivité » ;
une objectivité qui interdit toute enquête approfondie.
Les
visiteurs n'ont jamais la permission de s'écarter de la piste qui leur a été
minutieusement tracée. Lorsque le parlementaire conservateur britannique Lord
Bethell a finalement réussi à rencontrer le leader noir Nelson Mandela au fond
de sa prison de Pollsmoor, le major Fritz Van Sittert, gardien-chef de la
geôle, n’a pas raté une seconde de leur entretien.
Grâce
à l’aimable concours des autorités, le CAP peut obtenir des scoops et publier
des exclusivités sensationnelles. Son « correspondant particulier », qui a
l'humilité de ne pas signer son article, a eu la chance d'interviewer Vusamuzulu Credo
Mutwa.
Vous
ne connaissez pas ? C'est le sorcier d'une tribu zouloue, que le journaliste
présente comme « l'homme
de la paix de Soweto ». La preuve : Mutwa affirme que le suffrage universel
« ne résoudra jamais les problèmes de
l'Afrique du Sud ».
On
aurait pu penser que l'homme de la paix, c'était l'évêque Desmond Tutu. Erreur.
Pour le CAP, Tutu est le « prix Nobel de la subversion ».
Accusation soutenue par Michel Droit
dans le Figaro Magazine du 7
septembre. L'académicien amateur de safaris soupçonne l'évêque de distribuer « des subsides aux manipulateurs de
mitraillettes et poseurs d'explosifs ».
Le
lobby sud-africain paie-t-il bien ses collaborateurs ? La réponse la plus
claire est donnée aux Etats-Unis, pays de la transparence des revenus. La revue
Business Week rapportait le mois
dernier qu'un ancien collaborateur de Reagan, John Sears, gagnait l'équivalent
de 350 000 F par mois pour justifier la politique de l'apartheid dans les
couloirs du Congrès et dans la presse américaine. En France, par contre,
personne ne vous avouera jamais percevoir le moindre centime pour faire l'apologie
du gouvernement de Pretoria et le défendre contre les « agents du KGB ». Le
plus étonnant, c'est que parfois il n'y a même pas de centime. Le lobby
s'appuie sur les hommes d’affaires qui font de juteuses opérations en Afrique
du Sud et, en outre, sur un réseau de relais dévoués. Ce qui n'empêche pas les
menus cadeaux, évidemment.
Le
principal véhicule de cette idéologie en France est donc le CAP. Mais ne le cherchez pas dans les
kiosques. Il s'agit en réalité d'un « bulletin de liaison » réservé aux associations
et aux groupes d'amitié avec l'Afrique du Sud. La rédaction, dont l'adresse est
une boîte postale à Paris, se cache dans de confortables locaux à deux pas de
l'Assemblée nationale. Ce qui facilite les contacts entre le rédacteur en chef Jean Taousson et ses amis
parlementaires (le groupe d'amitié France-Afrique du Sud du Palais Bourbon
était très actif avant d'être dissous par la majorité de gauche, en 1981). Le
plus grand secret est préservé dans les bureaux du CAP derrière un sigle mystérieux, l'ADERI, Association pour le
développement des échanges et des relations internationales, présidée par Léon Delbecque, l'ancien vice-président
du fameux Comité de salut public à Alger et pilier du RPF puis de l'UNR.
Delbecque est considéré comme l'une des charnières des relations économiques
entre la France et l'Afrique du Sud, mais cet homme d'affaires n’est pas facile
à rencontrer.
LES
AFFAIRES VEGETENT
L'accueil,
au siège de l'ADERI, est assez froid. On vous fait remplir une fiche pour
préciser votre nom et l'objet de votre visite; on vous demande par quel biais
vous avez bien pu connaître l'adresse de l'association ; on vous laisse ensuite
poireauter dans l'entrée, puis une dame vient vous annoncer qu'il n'y a
personne. « On vous rappellera. »
C'est
nous qui avons rappelé, dix fois, quinze fois. Finalement, Delbecque se
manifeste. « Je m'occupe, en effet, de
commerce, reconnaît-il, mais au travers de l'ADIAA. » Il s'agit d'une autre
association qui œuvre pour le développement industriel de l'Afrique australe.
Mais depuis 1981, les affaires ne vont plus très bien : « Les PME françaises sont réticentes, et j'ai eu plusieurs fois maille
à partir avec l'ambassade de France. »
Maintenant
que l'essentiel des compétences de l'ADIAA a été transféré à la Chambre de
commerce franco-sud-africaine, Delbecque, qui est âgé de soixante-six ans,
semble avoir passé la main. Ce n'est plus comme au bon vieux temps où sa
société de Promotion industrielle commerciale agricole internationale (PICA)
permettait à cet homme du Nord d'acheter de la laine du côté de Bonne-Espérance
sans la moindre tracasserie. « Les affaires étaient bonnes », se souvient-il
avec mélancolie.
D'autres
gaullistes assistaient Delbecque dans ses fructueuses opérations, notamment son
trésorier Edouard Gaumont, ancien
député RPF né à Cayenne, et Henri
Yrissou, ancien député lui aussi et homme d'affaires qui fut directeur de
cabinet d'Antoine Pinay en 1950.
Antoine
Pinay fut pendant longtemps un pion stratégique de la politique sud-africaine
en France. Il est encore président d'honneur de l'ACFA (un sigle de plus !),
l'association des amis français des communautés sud-africaines, qui aurait reçu
120 000 F de Pretoria lors de sa création en 1978, et dont le président est
Frédéric Oscar Albrecht,
entomologiste au CNRS. Cette association «
fait beaucoup de propagande », avoue sans ambages l'éminent professeur,
monocle ballottant sur le ventre et grand officier de l'Ordre de
Bonne-Espérance, « en reconnaissance de
sa contribution personnelle aux bonnes relations entre l'Afrique du Sud et la
France ».
Albrecht,
qui est allé dix-neuf fois en Afrique du Sud depuis 1947, est navré de la
situation actuelle : « Les Français ne
peuvent pas comprendre ... » Pourquoi ? «
Parce que les journalistes, qui font un métier de haute prostitution, propagent
la désinformation créée de toutes pièces par les Soviétiques et leurs alliés
communistes. » Dommage que ce professeur ne soit pas mieux connu. Car lui,
au moins, « sait réellement ce que
pensent les Noirs, ceux que nous appelons les
Noirs modérés, c'est-à-dire 90%. »
L'amicale
rassemble autour d'Albrecht tous les amis de choc de l'Afrique du Sud. Parmi
les vice-présidents, outre Delbecque et Gaumont déjà cités, le député UDF Albert Brochard, qui était très actif
au groupe parlementaire, et le sénateur UDF Albert Voilquin. Au conseil d'administration figurent les noms que
l'on retrouve dans toutes les études consacrées aux relations
franco-sud-africaines : à commencer par le maire de Toulon, Maurice Arreckx, qui affirmait en 1973
: « Il n'y a ni racisme, ni génocide, ni
quoi que ce soit de ce genre en Afrique du Sud » et, bien sûr,
l'omniprésent Jacques Soustelle.
Le discours type du député Brochard
Le député UDF Albert Brochard est un homme « convaincu que ce qui se fait en Afrique du
Sud va dans le bon sens ». Son idylle avec le pays avait commencé par une
simple prise de contact à l'ambassade, et c'est en 1975 qu'il s'était rendu
pour la première fois dans le pays en tant que parlementaire. Depuis, il y est
invité régulièrement. Il déclare avoir réorganisé le groupe informel d'amitié
de l'Assemblée nationale, qui compterait maintenant soixante-douze membres. Des
impressions qu'il rapporte de Pretoria, il ressort : « Le progrès social est en marche... Si les marxistes
s'implantaient en Afrique du Sud, ils auraient la possibilité d'asphyxier Je
monde occidental… Les métis et les Indiens sont conscients que si les Zoulous
prenaient Je pouvoir, ce serait le génocide des tribus minoritaires... Les
mesures économiques décidées par Fabius vont à l'encontre du but recherché et
la France sera finalement le grand perdant. »
Naturellement, le député des Deux-Sèvres est «
contre » l'apartheid, mais... « il y a l'uranium». Quant
à la presse,
elle « fait de la Désinformation ».
Ces
personnages étaient répertoriés dans une liste de cinquante-deux noms du lobby
politique sud-africain établie en 1980 par Bernard
Taillefer dans le Dernier Rempart (Ed.
Le Sycomore). Il avait aussi le député UDF Jean-Marie
Caro, très attristé par l'annulation d'une tournée des Springboks ; Raymond Bourgine, du CNI, jugeant « intolérable » l'attitude de Valéry
Giscard d'Estaing, pourtant bien modérée ; le député gaulliste Paul Roux, convaincu que l'Afrique du
Sud était « un pays tranquille et
paisible » ; Michel d’Ornano, ancien
ministre et maire UDF de Deauville, et candidat à la coprésidence d'un congrès
avorté du tourisme sud-africain ; et enfin, mais non le moindre, le maire de
Nice Jacques Médecin, très fier
d'avoir jumelé sa ville avec Le Cap.
D'autres,
plus discrets, gardent leur énergie pour agir en coulisse, tels Pierre Messmer et Michel
Debré. Ou encore Charles Pasqua,
qui affichait sans vergogne son soutien aux idées simples défendues par
Pretoria, au « Club de la presse» d'Europe 1 le 15 septembre dernier. Après
l'inévitable bémol contre l'apartheid que tout gaulliste bon teint se doit de
glisser dans la conversation, l'influent sénateur RPR affirmait que : 1. Les
Noirs d'Afrique du Sud ne s'entendent pas entre eux. 2. L'opposition noire est
inspirée par l'Union soviétique. 3. L'Afrique du Sud n'est pas le seul pays à critiquer
pour ses atteintes aux droits de l'homme.
UN
PAYS « SUPERGENIAL »
Philippe
Malaud s’est beaucoup occupé de la visite en France du président Mangope du
Bophutatswana, l'un des bantoustans dont la création contribue à justifier, au
plan géographique, la politique de ségrégation raciale. Faute d'obtenir une
accréditation à Paris, le Bophutatswana a installé une sorte de consulat sous
le couvert d'une société de marketing dont le patron se présente ouvertement
comme « intermédiaire pour les candidats
à l'investissement ».
« Nous sommes les diplomates du secteur
privé », confirme Desmond Colburn,
délégué pour la France de la Fondation sud-africaine, autre officine de représentants
de commerce entre Paris et Pretoria. Depuis que l'ambassadeur de France a été
rappelé par Fabius, le 24 juillet, les « diplomates-businessmen » ne manquent
pas pour perpétuer les bonnes affaires.
«Tout investisseur est un lobbyiste», disait-on avant les mesures de rétorsion décidées
par le gouvernement socialiste. La liste des entreprises ayant des intérêts en
Afrique du Sud est imposante. Elles sont environ cent vingt parmi lesquelles
des groupes gigantesques comme CGEAlsthom
et Total et aussi des firmes plus
modestes comme Tanneries de France et Guy
Laroche. Tous les secteurs ont été prospectes : mines, chemins de fer,
travaux publics, armement. Electrolux,
Motobécane et Moulinex se sont taillé une part du gâteau. En 1981, l'arrivée de la
gauche au pouvoir n'a rien changé, bien au contraire, malgré les sombres
prédictions de la droite. Le nombre des «collaborateurs» dénoncés par le
mouvement anti-apartheid n'a pas diminué. Le commerce entre les deux pays a même
augmenté d'environ 50% au cours des quatre dernières années. Le Pr Albrecht a
donc beau jeu d'asséner l'argument choc de ses amis : « Un boycottage, ce serait 350 000 chômeurs de plus en France. »
Les
banques – nationalisées en tête – sont à la pointe des échanges avec l'Afrique
du Sud, au travers d'opérations peu connues du grand public. Une économiste
allemande, Eva Militz, vient de compiler tous les prêts accordés à Pretoria par
l'Occident au cours des deux dernières années, et a constaté que la France se situe en cinquième position, après la Grande-Bretagne
qui mène le peloton, mais avant les EtatsUnis. La ventilation détaillée de ces
prêts nous apprend par exemple que l'an dernier encore, la Banque française du
commerce extérieur, la Banque nationale
de Paris, Paribas, la Compagnie financière de Suez et le Crédit industriel d'Alsace et de Lorraine
ont participé à un prêt de 83,6 millions de dollars à l'Etat sud-africain au
taux fort charitable de 7,75% ; que le Crédit du Nord a aidé le ministère des PTT de Pretoria ; que
la banque Worms contribue au
développement de l'électrification, etc. Or l'octroi des prêts n'a pas été
interdit par Fabius. Pas encore.
Pourtant,
l'Afrique du Sud n'est plus un aussi bon placement qu'autrefois. Elle vient
même de décider unilatéralement le report du remboursement de sa dette
extérieure, ce qui démontre que les tensions raciales et sociales pèsent
lourdement sur son économie ; et contredit du même coup les rodomontades de la
propagande officielle tendant à faire croire que ce pays est un paradis pour
les investisseurs. Les désinvestissements qui se multiplient, notamment de la
part des entreprises nord-américaines mais aussi des françaises qui ont retiré
323 millions de francs en quatre ans, apportent un démenti cinglant à ces
vantardises.
LE
REVIREMENT DES HOMMES D'AFFAIRES
Parce
que les hommes d'affaires sud-africains eux-mêmes ont perdu confiance dans le
gouvernement Botha. Ils viennent de le prouver avec éclat en allant rencontrer
publiquement les leaders exilés de l'ANC, que Michel Droit et autres continuent
de qualifier de « révolutionnaires
marxistes ». Rarement le langage des businessmen aura été plus éloigné des
discours du pouvoir politique et de ses zélateurs. Les industriels et
négociants sud-africains sont persuadés que les mesures de « libéralisation »
amorcées par Botha sont trop lentes et trop timides, qu'elles n'éteindront pas
le mécontentement des Noirs, et que la poursuite des violences provoquera une
montée en puissance des ultras des deux bords. Et, dans ce cas, adieu les affaires
!
Et
les hommes d'affaires français observent avec intérêt ce revirement : « Nous comprenons cette volonté de prise de
contacts avec l'opposition noire», confesse l'un d'eux, en observant que
d'ici à la fin du siècle, la communauté noire sera encore plus majoritaire (35
millions de « clients » au lieu de 28 actuellement). C'est un marché « à ne pas perdre de vue ».
« La démographie condamne
l'apartheid à long terme », admet
comme à regret Pierre-Jérôme Ullmann,
qui n'a pourtant rien d'un opposant. C'est le vice-président de la Chambre de
commerce franco-sud-africaine et il représente à Johannesburg « un certain nombre d'affaires françaises»,
comme il dit. Cet homme discret est évidemment très mécontent des mesures
édictées par Fabius « parce qu'elles gênent
l'ensemble des sociétés françaises en Afrique du Sud ». Mais il reconnaît
que beaucoup d'autres facteurs de marasme le tourmentent : la sécheresse, la
baisse du prix de l'or, bien sûr, mais aussi « la situation intérieure », et les « incidents »...
Voilà
des inquiétudes que ne partage pas Michel Droit. Dans le Figaro Magazine du 7 septembre,
il notait encore que la « fièvre
révolutionnaire n'est pas si aiguë » en Afrique australe puisque « le calme règne dans les bantoustans ».
L'académicien, qui a été invité à plusieurs reprises là-bas, n'a sans doute pas
eu le temps d'observer la situation de très près.
ON
GRAISSE LA PATTE AUX JOURNALISTES
Il
y a certes des hommes politiques et des journalistes qui restent persuadés, par
intime conviction, que la République Sud-Africaine est la clé de la présence
occidentale sur le continent. Mais tous les propagandistes ne sont pas animés
de la même foi désintéressée.
Gordon
Winter, un ancien agent du BOSS (l'ex-service secret sud-africain), raconte
dans ses mémoires quelques histoires piquantes sur la façon dont les
spécialistes de l'« information objective » mettaient certains journalistes
dans leur poche : « En 1973, le
département de l'information a reçu quatre-vingt-deux visiteurs étrangers, dont
trente-deux étaient des journalistes renommés, parmi lesquels des
français. » Le coût total de l'opération avait alors été évalué à 130
000 livres. Et cela a duré pendant des années. Mieux encore : « Des centaines de journalistes étrangers se
sont laissé graisser la patte, consciemment ou non, ajoutait Winter. Ils ont
reçu des cadeaux pour écrire des articles chaleureux sur l'Afrique du Sud. »
Quand elles ne trouvaient pas de journalistes acceptant de leur prêter leur
plume, les autorités sud-africaines ont fait paraître des publi-reportages (six
pages sur la Namibie dans ParisMatch en 1982), ou bien elles ont eu recours
aux relais de la presse économique (Agence économique et financière, Usine
nouvelle dont le directeur est le sénateur UDF Maurice Blin, Valeurs actuelles, etc.), toujours disposée à
défendre les intérêts des milieux d'affaires. Ou encore, elles faisaient appel
à des personnalités pour vanter les vertus de leur pays. Tel le célèbre
professeur Chris Barnard (dont Winter a révélé qu'il était de mèche avec les
services secrets) expliquant dans Paris-Match : « Je ne vois pas pourquoi les Noirs devraient gouverner pour la seule
raison qu'ils sont plus nombreux... »
(…)
b
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