Les bailleurs de fonds internationaux, notamment la France et les
États-Unis, ainsi que la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest
font pression pour que les élections présidentielles au Mali se tiennent au
mois de juillet.
Certains affirment cependant que cela risquerait
d’entraîner des divisions dans le Nord, ce qui
déstabiliserait encore davantage
cette région, mettrait en péril les négociations en cours concernant Kidal et
ralentirait le processus de réconciliation et de dialogue. IRIN a interrogé des
analystes, des citoyens militants et de futurs électeurs sur leur vision de la
situation.
Tiébilé Dramé, qui s'est retiré de la compétition pour ne pas cautionner cette farce électorale. (photo malijet.com) |
Les raisons pour lesquelles certains observateurs
extérieurs font pression pour la tenue d’élections sont évidentes, a dit Jamie Bouverie
dans un article d’Africa Report : la France a besoin de mettre en place une
autorité légitime pour pouvoir déclarer résolu le problème du Mali, les
États-Unis doivent pouvoir se baser sur une autorité élue démocratiquement pour
relancer leurs aides et leurs investissements et les Nations Unies ont besoin
d’un partenaire légitime pour la MINUSMA, leur mission de stabilisation.
« La tenue
d’élections est la seule solution réaliste », a dit Paul Melly, chercheur
associé pour le groupe de réflexion Chatham House. « En l’absence de
rétablissement de structures démocratiques, le pays ne pourrait obtenir de
l’aide de l’étranger et pourrait difficilement coopérer avec d’autres pays. »
Certains Maliens sont du même avis. Maimouna
Dagnoko, commerçante à Bamako, a dit à IRIN : « le gouvernement doit faire tout
ce qu’il peut pour que ces élections aient lieu en juillet. C’est le seul moyen
pour nous de mettre en place une autorité légitime pour prendre la situation en
main. Plus le gouvernement de transition est maintenu, plus nous sombrons. »
Or, si tous admettent la nécessité d’un processus
électoral, nombreux sont ceux qui craignent que le faire de manière précipitée
puisse déstabiliser davantage le Mali. Les violences intercommunautaires, les
attentats suicides et les bombes en bordure de route sont récurrents dans le
Nord. Or la France prévoit de réduire ses effectifs militaires à 1 000 hommes
(contre 4 000 en avril) d’ici juillet, ce qui entraînerait selon certains un
vide sécuritaire. Le déploiement total de la MINUSMA est prévu pour cette
période, mais cela prendra un certain temps.
« Ce qui rend la tenue d’élection hautement
difficile, c’est la situation dans le Nord — pas seulement à Kidal, qui
monopolise l’attention, mais également à Ménaka, Gao et Tombouctou, dont la
situation n’a pas encore été résolue », a dit Yvan Guichaoua. Ce maître de conférences
en politique internationale à l’université d’East Anglia a notamment mentionné
les exactions qui se poursuivent contre les personnes à la peau claire dans certaines
zones du Nord et les violences intercommunautaires entre le Mouvement national
pour la libération de l’Azawad (MNLA) et les combattants arabes à Ber (région
de Tombouctou) et Anefis (région de Kidal). « La défiance est toujours très
forte entre les communautés. Rappelez-vous le pacte national de 1992, qui était
ambitieux, mais avait été suivi par trois nouvelles années de violences
communautaires ».
La question de Kidal reste controversée : cette
semaine, les troupes maliennes se sont emparées d’Anefis, à mi-chemin entre Gao
et Kidal, dans le cadre d’une offensive militaire visant supposément à
reprendre le contrôle de la région de Kidal des mains du MNLA. Cette offensive
aura entravé les négociations menées actuellement sous les auspices du Burkina
Faso entre le MNLA, le Haut Conseil de l’Azawad (dont les membres sont issus du
MNLA et d’Ansar Dine) et les autorités maliennes.
Les « règles
du jeu » restent les mêmes
Selon M. Guichaoua, le problème est que bien que le
paysage politique ait légèrement évolué depuis le coup d’État militaire de mars
2012, dans l’ensemble, les nouveaux venus ne paraissent pas chercher davantage
que leurs prédécesseurs à résoudre les problèmes de fond du pays. « Les
parrains de la politique malienne sont toujours de la partie, les règles du jeu
n’ont pas changé », a-t-il dit à IRIN.
Les élections doivent marquer un nouveau
commencement et non une fin, a-t-il ajouté. Un scrutin réalisé de manière
précipitée ne permettra pas de résoudre les problèmes d’aliénation dans le
Nord, de l’effondrement de l’État, de l’incapacité à assurer des services
essentiels de qualité, notamment en matière de santé et d’éducation, et de
l’impunité des auteurs de violences commises récemment et dans les conflits
antérieurs concernant le Nord.
Vérité et
réconciliation
Tous les analystes interrogés par IRIN ont souligné
l’importance de la réconciliation et du dialogue à l’échelle communautaire et
nationale. « Pendant plusieurs générations, les tensions entre les Touaregs
nomades et les autres groupes ethniques ont ouvert des plaies profondes qui
pourront seulement se refermer grâce à un processus de vérité et réconciliation
», ont dit les universitaires Greg Mann et Bruce Whitehouse dans un article
publié en mars. « Ce processus ne devrait pas se limiter aux évènements du
Nord-Mali, mais devrait également inclure les méfaits commis dans l’ensemble du
pays, y compris par le gouvernement précédent et par les soldats qui l’ont
renversé il y a un an. »
Or, selon M. Guichaoua, la Commission dialogue et
réconciliation, bien que déjà sur pied, ne fonctionne cependant pas encore à
plein régime et son mandat est trop vaste. Qui plus est, plusieurs communautés,
dont les Bella et celles qui sont représentées par le COREN (groupe nord-malien
appelant à une unité dans la rébellion) ne la reconnaissent pas.
Selon
M. Guichaoua, le risque serait qu’aucun homme politique, une fois élu, ne
veuille adopter un programme transformateur susceptible de déstabiliser son
pouvoir.
La plupart
des Maliens du Sud en ont assez des rebellions touarègues et sont peu
enthousiastes à l’idée d’un nouveau processus de réconciliation, a dit Baz
Lecocq, maître de conférence en histoire à l’université de Ghent.
Les programmes de vérité et réconciliation au Mali
ont rarement été une réussite, il existe donc peu de modèles sur lesquels se
baser. La semaine dernière, des experts réunis à l’École des études orientales
et africaines de Londres, ont discuté d’une tentative de réconciliation qui
avait abouti en 1996 à Bourem, dans la région de Gao. Les chefs de plusieurs
communautés avaient alors fait force commune pour mettre fin à la défiance
mutuelle et à la violence. Selon un analyste, il existe cependant peu
d’exemples actuels, mis à part le dialogue entrepris à l’échelle communautaire
dans les camps de réfugiés burkinabés. « Mais ce n’est pas parce qu’il n’existe
pas actuellement d’approche ascendante claire qu’il devrait y en avoir une
descendante », a dit M. Guichaoua, « il est peu probable qu’une telle démarche
soit productive à long terme ».
Légitimité
Pour certains, les élections sont le seul moyen de
restaurer une quelconque légitimité au Mali. « Les élections ne vont pas tout
résoudre [...], mais une absence de processus démocratique ne rendra pas les
choses plus aisées non plus », a dit M. Melly de Chatham House.
Cela fait longtemps que les élus ont des problèmes
de légitimité, que ce soit dans le sud ou dans le nord du Mali, où le taux de
participation aux élections n’est que de 40 pour cent, a expliqué Gregory Mann,
maître de conférence en études africaines à l’université de Columbia, dans une
conversation sur un blog avec les universitaires et spécialistes du Mali Bruce
Whitehouse, Baz Lecocq et Bruce Hall. Le soutien aux responsables politiques
est par ailleurs encore plus faible lorsque l’État est incapable d’assurer les
services essentiels à la population.
«
On a tendance à considérer cela comme un problème entre Bamako et Kidal [...],
mais ce qui semble bien plus problématique pour l’avenir, c’est l’effondrement
des services de santé et le fait que l’État se soit complètement discrédité et
que ses infrastructures aient été détruites en 2012 », a dit Bruce Hall, maître
de conférence en histoire africaine à l’université Duke, aux États-Unis.
M. Guichaoua estime que les diplomates internationaux
et les autorités locales devraient se méfier de leur manque de crédibilité. «
Soit vous êtes légitime, soit vous ne l’êtes pas [...] Que se passera-t-il si
un candidat battu tente d’enflammer la situation en arguant que les élections
ont été manipulées ou truquées ? Il faut faire les choses sérieusement si l’on
ne veut pas en payer le prix plus tard. »
« Le profond attachement envers les élections de la
part de la communauté internationale a déjà conduit à des échecs [M. Guichaoua
a mentionné le cas de la République démocratique du Congo] Pourquoi ne pas
attendre un peu ? [...] Nous avons été confrontés à une crise terrible ces 15
derniers mois et cela pourrait être une expérience révélatrice. Si on laisse
les choses se faire comme à l’habitude, quelle sera la prochaine crise ? »
Logistique
Outre les questions de sécurité et de paix durable,
personne ne sait si la tenue d’élections en juillet est vraiment réalisable. Ce
n’est pas le mois idéal, car il marquera le début du ramadan et les pluies
empêcheront de nombreux électeurs ruraux de se rendre aux urnes. Les éleveurs
pastoraux du Nord pourraient d’ailleurs utiliser cela comme un argument contre
la légitimité du scrutin. « Même dans les meilleures circonstances, juillet est
un mois épouvantable pour des élections au Mali », a dit Baz Lecocq.
Dans les villages du Nord, la plupart des votes se
font dans des isoloirs mobiles, qui seraient probablement bloqués par les
pluies. « Si vous voulez une faible participation électorale, organisez des
élections en juillet », a-t-il dit en rappelant que c’est ce qui s’est produit
par le passé.
Selon
M. Guichaoua, il est par ailleurs essentiel de trouver une manière de permettre
aux 174 129 réfugiés au Burkina Faso, au Niger et en Mauritanie de participer
au scrutin, sans oublier les nombreux réfugiés non enregistrés qui tentent de
s’en sortir dans les capitales comme Ouagadougou, Niamey et Nouakchott. «
Comment peut-on identifier ces personnes ? », s’est-il interrogé.
Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les
réfugiés (HCR) a affirmé dans un communiqué qu’il permettra aux autorités
maliennes de procéder à une inscription des habitants des camps sur les listes
électorales à titre volontaire.
Youssouf Kampo, membre de la commission électorale
nationale indépendant, est optimiste : « Nous sommes en pleins préparatifs
[...] Le matériel est déjà sur place, sauf dans certains secteurs de Tombouctou
et de Gao où il a été détruit. Isoloirs, urnes, encre et autres sont en place.
Je pense que nous allons être prêts à temps. »
Gal Siaka Sangaré, membre de la Délégation générale
aux élections (DGE), a dit à IRIN que cet organe gouvernemental faisait des
progrès dans l’inscription biométrique des électeurs, malgré quelques problèmes
techniques. « Nous devons nous en tenir à la date du 28 juillet et prier Dieu
pour que tout se passe bien », a-t-il dit.
aj/ob/cb-ld/amz
DAKAR/BAMAKO, 10 juin 2013 (IRIN)
Source : maliactu.net 10 juin 2013
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire