samedi 30 juin 2012

L'HOUPHOUETO-OUATTARISME ET LA CULTURE

Empruntons à Alpha Blondy le titre de son worst-seller pour un rire jaune culturel. Sommes-nous condamnés à demeurer dans le débraillé ? Notre culture est-elle devenue incapable de s’affranchir du dévergondage ? Pour avoir souffert l’Etat-Zouglou, devons-nous absolument nous farcir l’Etat-Yagba ? Il semble bien que oui, hélas ! Une continuité culturelle apparaît de plus en plus nette entre les deux moments de la Seconde République.

Le manque de retenue et l’indécence culturelle façon zouglou a désormais fait place à sa nuance yagba. L’entrée dans la yagba dimension, où l’on nous traîne contre notre gré, apparaîtra aux yeux des historiens  de l’art du futur comme un cas de continuum de style entre cycles politiques qui dément les proclamations des thuriféraires du changement. Pour dire comme l’autre, en matière de culture, le changement, ce n’est pas maintenant ! En dehors du caractère de servilité extravertie du second, Zouglou et Yagba sont des frères siamois. Si nous le disons, il s’agit de le prouver. Voici donc trois cas où le débraillé se donne à voir dans toute sa nudité obscène.

QUAND ON IGNORE LA CULTURE
Il y a inculture de la part d’un Etat à considérer que les obsèques d’une personnalité telle que Zadi Zaourou relève de la stricte sphère privée familiale. Comment comprendre que les funérailles de l’homme de culture le plus important d’un pays n’aient fait l’objet d’aucune célébration officielle ? Quel responsable de ce pays peut être pris au sérieux s’il prétend ignorer la stature de monument culturel vivant qu’avait atteint Zadi Zaourou. Malheureusement, nous ne sommes pas au Japon. Nous ne sommes pas non plus au Sénégal, pays qui a su honorer Jules Bocandé.
Pour la postérité et pour la jeunesse ivoirienne, énumérons les apports de Zadi qui devaient obliger les  autorités à déclarer ses obsèques, funérailles nationales, avec cérémonie officielle et drapeaux en berne. Eminent universitaire, le Pr Zadi a formé des centaines d’étudiants et fait presque deux dizaines de docteurs ès lettres. Dans le cadre de ses recherches en linguistique et en stylistique, il a parachevé les fonctions du langage établis par Roman Jakobson, en y ajoutant la fonction rythmique, afin d’en faire un outil véritablement universel d’étude des faits langagiers. Comme dramaturge, Zadi est l’auteur ivoirien le  plus traduit. Ses pièces majeures, La termitière, La guerre des femmes, ont été représentées sur nombre de grandes scènes du monde. En tant qu’artiste, Zadi a exhumé l’instrument traditionnel qu’est l’arc musical  et en a fait don à la musique ivoirienne moderne.
Et l’on peut ajouter à ce legs, même si ce n’est pas un épisode dont il était spécialement fier, qu’il fut ministre de la culture. Conscience politique lucide, il fut le seul leader à appeler à voter « non » au référendum constitutionnel de 2000, en raison de la nature belligène du projet de constitution.
Pour toutes ces contributions, l’Etat de Côte d’Ivoire à une dette morale envers Zadi. Dette dont il a décidé  de ne point s’acquitter.

QUAND LA CULTURE S’ETALE
Ce qui est indécent et manque totalement de retenue, c’est une jeune Ivoirienne, presque nue, vautrée à quatre patte sur une estrade, et donnant à la planète entière, via la machine à abrutir, le spectacle d’une chute d’anthologie. Au fait, que dit la loi sur la diffusion de l’image de post-adolescentes court vêtues ? Ce qui est également obscène, ce sont ces Bac + 1 ou 2 pathétiques qui ânonnent, toute honte bue, des laïus d’une débilité confondante qu’on leur a fait mémoriser. On ne sait s’il faut rire (jaune) ou pleurer, lorsque cestuy-là tire pour toute leçon de cette infamie : « c’est un jeu et il faut prendre cela comme tel ». On ne peut pas plus ruiner les luttes des associations pour l’égalité des genres.
Toutefois, aux yeux de ceux qui organisent cette foire aux « oies », nous sommes ici à l’apogée du fait culturel ivoirien. L’aréopage, la retransmission en direct de l’événement et l’unanimisme de la presse leur donnent raison. De même que millions, villa et véhicule, sous lesquels croulent les lauréates. Ces gens-là croient être quittes avec notre culture quand ils ont fait se dandiner ces donzelles sur les rythmes de l’Alloukou, de l’Abodan et du Yatchanan. Il y a tout de même des limites dans la folklorisation de sa propre (?) culture. Réjouis-toi peuple de Côte d’Ivoire, voici tes ambassadrices qui seront le trait d’union entre tes peuples en inimitié.
Triste, que tout cela !
Hors ça, n’avions-nous pas critiqué cette « ménagerie », du temps béni de l’opposition ? Yagba dimension, on vous dit. Ce qui est enfin cocasse – mais qui ne nous a pas fait rire du tout –, c’est quand l’un des montreurs de foire tance le public « réfractaire qui riait et embêtait les jeunes filles chaque fois qu’elles commençaient à ouvrir la bouche ». Sans doute pour chercher de l’air, pauvres perches dans leur bocal de verre. Soyons sérieux une seconde. A quoi sert au juste ce cirque ? A créer du temps de cerveau disponible pour MTN. Ci-git la culture ivoirienne. Quatre fers à l’air…

QUAND ON ALIÈNE LA CULTURE
Nous sommes au-delà de toute outrance dans la retenue lorsqu’on octroie à un saltimbanque (montreur de numéros de divertissement) dont l’encre sur le diplôme n’a pas encore eu le temps de sécher, un salaire de 131 millions Cfa afin qu’il fasse son stage à la tête de notre sélection nationale.
Les arguties de ceux qui ont pris cette ubuesque décision ajoutent l’injure à l’indécence. Deux aspects de cette veulerie choquent particulièrement : le mépris de soi-même qui consiste à inculquer à notre jeunesse que n’importe quel novice blanc est supérieur à tout spécialiste expérimenté ivoirien et la morgue de ceux qui jettent à la face de la nation pillée qu’ils n’ont de compte à rendre à personne et dédaignent d’infirmer ou de confirmer l’insolence de cette rémunération. N’avons-nous rien de mieux à faire avec les maigres ressources dont nous disposons ?
Quand on cesse d’être déculturé ou simplet, et qu’on pose les vraies questions d’un peuple ayant subi la colonisation, dont plus de la moitié vit avec moins de six cent francs par jour et qui a l’un des taux de mortalité infantile les plus élevés au monde, on se doit de penser juste. Et de reconnaître que le football,  primaire outil d’aliénation culturelle, ne contribue en rien au progrès d’une nation et la FIFA, qui organise ces exhibitions puériles pour lesquels nous payons à de simples montreurs d’ours ces sommes indécentes, une association privée c’est-à-dire un club d’amis. Comment une société fait-elle pour passer directement des balbutiements à la décadence ?

QUAND LA CULTURE AGONISE
Nous nous apprêtions à conclure cette sortie en admonestant ceux qui traînent ainsi notre culture dans la fange et en les invitant à prendre pour modèles les pairs de Zadi, quand nous avons eu la malencontreuse idée d’écouter « La semaine en revue » de ce samedi 9 juin sur Onuci fm. Voici ce qu’on pouvait y entendre  : « Nous sommes des pays mondialisés. (…) Il ne faut pas se voiler la face. Nos Etats sont faibles et ce n’est pas par des attitudes souverainistes ou nationalistes hors de saison qu’on peut régler nos problèmes. Il nous faut faire appel à l’aide internationale. (…) Quand un pays ne peut pas défendre sa souveraineté, l’Onu a un devoir d’ingérence ». N’en jetez plus…
Ces propos (retranscris de mémoire) sont du Pr Niamkey Koffi. Ci-devant porte-parole de l’ex-président M. Henri K. Bédié. Quand on sait que M. Niamkey a le grade de professeur titulaire de chaire, qu’il a pour spécialité la philosophie, qu’il conseille une des deux ou trois personnalités qui décident des grandes  orientations pour notre pays, on ne peut qu’avoir froid dans le dos. Et commencer à faire son deuil sur l’indépendance réelle (économique et militaire) de notre pays. Passons sur les faux concepts comme « pays mondialisés » ou « devoir d’ingérence » et jaugeons la mentalité qui sous-tend ces propos. Seule une conscience vaincue peut tenir un tel discours. Pour la lavandière qui n’est pas philosophe pour un sou et qui n’a jamais fait de politique, son gros bon sens lui dit que lorsqu’on est faible, on cherche à devenir fort et  non à appeler le tout venant au secours.
On peut légitimement se demander pourquoi le Pr Niamkey continue de faire de la politique ? Puisqu’il avoue n’avoir aucune capacité à peser sur les adversités. Que fera-t-il si ceux sur qui il compte ne peuvent pas ou refusent de l’aider ? Ou pire ( ?) décident de revenir le coloniser ?
Quand une « pensée » devient à ce point pansue et atteint ce niveau de vide, la culture n’est plus ignorée ni ne trébuche, elle trépasse. Comment être crédible à critiquer des néobachelières qui ne cherchent qu’à être belles et à se taire quand le sommet de « l’intelligentsia » étale une « pensée » aussi flasque ? Nous comprenons (enfin) pourquoi la fermeture des universités n’a provoqué aucun tollé. Puissent-elles rester  fermées mille ans !

Dr Abdoulaye Sylla, Université de Cocody.

source : L’éléphant déchaîné 26 - 28 juin 2012
(Titre original : « Yagba dimension »)


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Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenances diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens et que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la «crise ivoirienne ».

jeudi 28 juin 2012

« Depuis la nuit des temps, ce pays est habité par des peuples qui s'identifient à lui... »

L’élaboration et l’adoption d'un nouveau code électoral en Côte d'Ivoire ont suscité beaucoup de réactions dans les états-majors des partis politiques et dans la presse. L'ampleur des commentaires dans la presse internationale démontre, s'il en était encore besoin, l'importance de la Côte d'Ivoire dans la sous-région ouest-africaine. Ces commentaires, pour ceux qui sont hostiles au texte, procèdent d'une situation sociologique propre à la Côte d'Ivoire : pays longtemps ouvert aux étrangers et ayant tout partagé avec ceux-ci, l'ajustement de  ses normes juridiques tendant à conférer le pouvoir politique à ses authentiques fils et filles uniquement s'accepte  difficilement.


OUVERTURE

Cependant, à lire avec intelligence l'histoire de la Côte d'Ivoire et à observer avec perspicacité la vie politique de ce pays, on comprend aisément que, pour réussir, le successeur de Félix Houphouët devait consolider les bases de l'Etat de droit tout en appliquant une politique pour les Ivoiriens, avec les Ivoiriens. Cela, d'autant plus que la trop large ouverture dont les étrangers avaient bénéficié dans les structures de décisions de l'Etat était devenue de moins en moins tolérable par les nationaux, ce qui, à terme, pouvait entraîner des fissures au niveau du tissu social.


INSERTION

Nous ne disons pas qu'intégrer les étrangers à la vie de la nation est une mauvaise chose en soi. La  Côte d'Ivoire est un pays qui a fait de l'accueil et de l'insertion des ressortissants des pays limitrophes un principe et une pratique d'actions politiques uniques, c’est l'exercice de la souveraineté. Et, sur ce point n'est pas besoin d'être expert en science politique pour savoir qu'à terme, le peuple de Côte d’Ivoire pourrait exprimer de façon plus ou moins violente sa désapprobation d'une politique qui l'en spolierait au profit d'un certain idéal d'intégration régionale aussi lointaine qu'incertaine. 

Dans chaque pays du monde, dans chaque société humaine, les règles définissent les principes selon lesquels le pouvoir politique s'exerce. L'idée selon laquelle le territoire actuel de Côte d'Ivoire est essentiellement habité par des peuples qui viennent d'ailleurs est historiquement et sociologiquement irrecevable tout comme se demander qui est véritablement Ivoirien et qui ne l’est pas est idiot. Depuis la nuit des temps, ce pays est habité par des peuples qui s'identifient à lui.

Il est vrai que le renouvellement du peuplement d'un espace socio-géographique étant une constante historique universelle, les peuples ivoiriens se sont enrichis au fil du temps d'apports extérieurs. Ces peuples séculaires, quels que soient les liens qui les unissent avec les autres nations ou les autres pays de la sous-région, ont une identité politique sui generis née du régime et de sa fin en 1960.


IDENTITE

Les différents peuples de Côte d'Ivoire, qui vivent sous le même régime administratif et politique depuis l'indépendance, ont développé un sens [communautaire propre, une synergie et une dynamique socio-historiques spécifiques. Il existe aujourd'hui une identité nationale ivoirienne qui, bien qu'en devenir, s'affirme de plus en plus. Juridiquement, tous ceux qui s'étalent établis dans ce territoire avant l'indépendance devraient pouvoir être considérés comme Ivoiriens de souche, au même titre que les autochtones, s'ils ne se sont pas réclamés d'une autre nationalité. Un tel principe, très simple en apparence, ne s'applique pourtant dans aucun pays d'Afrique où les peuples présentent tant de traits culturels communs.

Deux pays si intimement liés que le Congo et le Zaïre par l’exemple n'admettraient pas, d'avoir chacun pour président un ressortissant de l'un ou de l'autre, ou même un de leurs propres nationaux qui se serait affiché sous la nationalité de l'autre.

A part la position d'une certaine frange de l'opposition ivoirienne qui procède d'une logique de contestation permanente, toutes les critiques formulées contre le nouveau code électoral s’appuient sur un point – il ne sert à rien de s'en cacher : l'exclusion de l'éventuelle candidature d'Alassane Ouattara à l'élection présidentielle. On a beau faire savoir à tous ceux qui attribuent cette intention aux autorités ivoiriennes que la loi est impersonnelle et que l’on me saurait la concevoir en pensant à un seul individu, leur certitude ne s’ébranle pas. Mais pourquoi veut-on, nécessairement qu’Alassane Ouattara soit président de la Côte d'Ivoire, pays auquel il ne s’est identifié qu'au milieu des années quatre-vingt, alors qu'y étant né, il pouvait en être un fils naturel, même s'il existe des doutes sur l'origine de son père.

Article non signé.
Titre original : « Plaidoyer pour un nouveau code électoral ».
Source : Fraternité Matin 17 août 1995 


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Le cercle victor biaka boda


mercredi 27 juin 2012

Le facilitateur était un cheval de Troie...

Sur un discours de B. Compaoré au lendemain du sommet de Paris sur la crise ivoirienne.
 
Au moment où les fantoches actuellement au pouvoir à Abidjan multiplient les provocations verbales contre certains des pays voisins qui accueillent nos compatriotes exilés, et alors que des régions entières de notre pays sont en voie de burkinabéisation forcée, c’est l’occasion de se rappeler le rôle que le Burkina Faso et son président jouèrent dans la longue série d’actes subversifs qui, de 2002 à 2011, ont préparé et permis finalement l’installation d’Alassane Ouattara à la présidence de la République de Côte d’Ivoire. Ce rôle, Blaise Compaoré l’a revendiqué avec cynisme dans un discours où il ne cachait pas sa fierté d’avoir été associé par Jacques Chirac et Dominique de Villepin à leur entreprise de reconquête de la Côte d’Ivoire pour y restaurer l’houphouéto-foccartisme. Nous sommes au tout début de l’année 2003. Celui qui jouera, hélas ! avec l’accord de nos dirigeants au plus haut niveau, les arbitres entre nous et les bandes armées houphouéto-ouatarristes était déjà, en fait, le « cheval de Troie » de ces dernières.
Facilitateur !
Ainsi l’appelait-on depuis l’accord politique de Ouagadougou (APO), ce marché de dupes. S’il a jamais facilité quelque chose, c’est seulement la victoire des ouattaristes et des Français sur les défenseurs de la souveraineté du peuple ivoirien.


M. Amondji

@@@@ 

« Lorsque les Burkinabè ont des droits à défendre en Côte d'Ivoire, je les connais. Je suis sûr qu'ils ne vont jamais reculer, quel que soit le risque. »
Blaise Compaoré


« Chers compatriotes, en cette journée mémorable de rassemblement des patriotes du Burkina Faso, de rassemblement de l'ensemble du peuple du Burkina Faso pour la préservation de ses droits et de sa dignité, je voudrais simplement vous dire un grand merci. Pour la mobilisation de ce soir et aussi pour la qualité de nos convictions depuis bientôt quatre ans. Lorsque de Tabou nous avons vu arriver au Burkina Faso, des hommes et des femmes spoliés, expropriés, nous avons compris à l'époque que c'était un signal dangereux pour le Burkina Faso et pour la stabilité de la sous-région. Car toutes les conventions internationales, tous les accords bilatéraux et sous-régionaux indiquent que notre peuple pouvait aller librement vivre dans les pays de la communauté sous-régionale. Notre peuple devait résider sous la protection des autorités gouvernementales de la sous-région. Malheureusement, le signal de Tabou a été l'indicateur de ce qui devait arriver par la suite. Nous sommes aujourd'hui obligés de dire notre compassion à ces milliers de victimes qui sont rentrées de Côte d'Ivoire. Je voudrais vous remercier également pour la résistance, pour le refus que nous avons pu sentir au niveau de la population du Burkina Faso. Par rapport à ces exactions, ces négations de la dignité et des droits fondamentaux des Burkinabè en terre ivoirienne, aux présidents Henri Konan Bédié, Robert Guéi et Laurent Gbagbo nous leur avons toujours dit que lorsqu'ils exproprient des populations, lorsqu'ils organisent des élections en écartant des candidats, ou falsifient les listes électorales, ils ne pouvaient que conduire la Côte d'Ivoire à l'instabilité. Ils ne pouvaient qu'entraîner des conflits dommageables pour leur pays. Malheureusement, nous n'avons pas été écouté et ce qui devait arriver arriva. Les quatre derniers mois, nous avons subi à l'intérieur comme pour les compatriotes de Côte d'Ivoire, des épreuves difficiles. Des mensonges ont été annoncés et proclamés. Des accusations de toutes sortes, car le Burkina Faso semblait être le seul pays qui n'avait pas le droit de défendre ses droits sur cette terre d'Afrique, dans ce monde. Ensemble nous avons dit non. Nos ancêtres, depuis au moins dix siècles se sont toujours dressés contre l'injustice, contre la négation de leur dignité. C'est pourquoi nous avons refusé d'entériner ce qui a été fait. C'est pourquoi nous avons rejeté cela et c'est ce qui nous a conduit à toujours formuler des revendications, pour l'intérêt de la sous-région, de respecter partout les droits des Burkinabè. Je dois vous dire qu'en revenant de Paris nous avons été réconfortés par l'écoute qui a été faite de nos revendications et de nos aspirations. Nous pouvons dire que nous avons été comblés pour la Côte d'Ivoire à travers les accords de Marcoussis. Vous avez suivi, l'identification nationale a été rétablie dans ses droits. L'équité va être rétablie. Les Ivoiriens seront égaux devant les bureaux de vote au moment des élections. La sécurisation des personnes et des biens en Côte d'Ivoire sera une réalité. C'est vous dire donc que nous sommes comblés pour la Côte d'Ivoire mais aussi pour le Burkina Faso, car nous aurons sur cette terre de Côte d'Ivoire, la stabilité. Nous aurons la possibilité de maintenir ces liens de fraternité et d'amitié avec le peuple de Côte d'Ivoire. Nous aurons l'opportunité d'œuvrer pour la prospérité de la Côte d'Ivoire et celle du Burkina Faso. C'est pourquoi, nous devons soutenir cet accord et nous espérons que notre message sera reçu de l'autre côté afin qu'ensemble, nous puissions mettre en œuvre les dispositions de cet accord historique qui va régler ce conflit en Côte d'Ivoire et permettre la réconciliation pour les populations ivoiriennes. Je voudrais en cette soirée vous dire toute ma gratitude pour cette mobilisation. Et surtout pour la mobilisation de tous les instants que nous avons pu voir à travers le pays ces cinq derniers mois. Les uns et les autres ont compris que nous avons des droits à défendre sur cette terre de Côte d'Ivoire. Lorsque les Burkinabè ont des droits à défendre en Côte d'Ivoire, je les connais. Je suis sûr qu'ils ne vont jamais reculer, quel que soit le risque. Nous pensons que cette leçon doit servir à d'autres gouvernements pour comprendre que jamais le Burkina Faso ne reculera devant la défense de ses intérêts. Nous sommes nés et nous avons trouvé ces valeurs de rejet de l'injustice, de défense ferme de nos droits et ce n'est pas à notre génération de faillir face à ces engagements. Des engagements pris par nos ancêtres qui nous ont précédés sur cette terre. Nous sommes vigilants et nous resterons vigilants. Il y a des accords qui sont signés et parfois ne sont pas respectés. Mais nous sommes heureux de constater que la Communauté internationale a été avec nous à Paris pour mettre un Comité international de suivi qui va veiller à l'application stricte de cet accord. L'essentiel pour nous est de renouveler notre amitié et notre fraternité au peuple de Côte d'ivoire et toujours indiquer aux dirigeants de Côte d'ivoire que nous sommes pour l'amitié, la fraternité tant que ces valeurs soutiennent le respect de notre dignité et de nos droits. Nous vous remercions pour cette soirée historique, pour ce rappel que vous avez pu faire de notre engagement à rester toujours unis, toujours mobilisés lorsqu'il s'agit des intérêts nationaux de notre pays. Je crois que votre message ira au-delà du Burkina Faso pour indiquer à tout un chacun que le Burkina a besoin de respect aujourd'hui, et aura besoin de respect demain. »

LA DEUXIÈME GUEGUERRE DE L'IVOIRITE

Le parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci) joue avec les nerfs du RDR en maintenant ses réticences qui portent cette fois sur le foncier rural. Alors que la plaie de ses froides attaques sur le découpage électoral ont du mal à se cicatriser, le chef de l’Etat et son clan font grise mine et encaissent le coup. Ils risquent d’être groggy. Car la question foncière fait transparaître, en arrière-plan, la guerre de l’ivoirité. Ce concept créé par les têtes fortes du Pdci, y compris par ceux qui semblaient avoir fait allégeance depuis le 11 avril à Ouattara, et assumé politiquement par Henri Konan Bédié fut le point d’orgue du long face à face violent entre les deux hommes durant de nombreuses années. La réconciliation intéressée et forcée par ailleurs par Jacques Chirac, l’ancien président français, aura donc vécu. La terre, c’est sans doute ce qui reste quand on a tout perdu. Le parti soixantenaire freine surtout des quatre fers parce que le chef de l’Etat n’a vraiment pas l’air de penser aux planteurs ivoiriens. Déjà en visite d’Etat à l’Ouest, il avait prévenu que le règlement de cette question nécessitait la prise de décisions difficiles. Et selon les journaux proches du Rhdp, ces décisions difficiles ont pour finalité de rendre les ressortissants de la Cedeao propriétaires, là où la loi de 98 n’en faisait que de simples locataires. Signe qu’on n’est plus vraiment loin, le journal Le Nouveau Réveil, d’ordinaire plus proche de Ouattara quand il s’agit de parler des problèmes du Rhdp, a estimé hier dans un billet intitulé « foncier rural, 1er couac », que l’idée d’ériger des campements en villages, pour faire au forceps des allogènes des propriétaires terriens, est dangereuse. « Laissez ça ! », signe le billetiste, indiquant par ailleurs que : « Non, messieurs, ce n’est pas bon ».
Et si le Pdci se la joue nationaliste sur la question, c’est parce que l’avenir des paysans baoulés, déployés par grappes entières sur les terres de l’Ouest où ils ont de vastes plantations de café et de cacao, se joue. Depuis l’arrivée d’Alassane Ouattara, marquée par une pacification de l’Ouest par des ressortissants étrangers qui se sont organisés en milices pour détrousser les autochtones, les planteurs baoulés ont aussi fait les frais de la ratonnade en dépit des alliances politiques. Des ressortissants de la Cedeao accourent ainsi à l’Ouest en rendant réels les risques d’une déplanification sociale dans cette partie de notre pays. Le vote d’une loi sur le foncier rural en contradiction flagrante avec la loi de 1998 qui fut adoptée, après une tournée de tous les partis ivoiriens, ne viendrait donner qu’un surplus de force à cette colonisation étrangère.
En attendant que cette guerre traverse les lignes et les amitiés politiques, d’ores et déjà les journaux des deux camps s’y prennent au collet. Nord-Sud, qui est proche de Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale en délicatesse actuellement en France, a déjà objecté que c’est cette ivoirité du Pdci, en l’occurrence, qui fut à l’origine de la guerre en Côte d’Ivoire. Le chef de l’Etat, lui, ne semble pas vouloir reconsidérer sa position. Même si le séminaire gouvernemental n’a pas encore fait connaître ses réformes, préférant, signe des difficultés évoquées plus tôt, prendre son temps, Ouattara est visiblement à l’épreuve. Aux yeux de Blaise Compaoré, il représentait un gage pour la protection des minorités burkinabés installées, pour la plupart, dans les zones de la boucle du cacao où certains d’entre eux ont fait fortune. Cette protection de l’Etat ivoirien permet par ailleurs au parrain burkinabé de forcer une ouverture sur la richesse fondamentale du pays. Avec cette caution de l’Etat ivoirien, l’Etat burkinabé se déploie jusqu’au cœur de la boucle du cacao.
Cela dit, cette deuxième guerre de l’ivoirité arrive au moment où les rôles ne sont plus les mêmes. Henri Konan Bédié n’est plus président de la République de Côte d’Ivoire et semble plus préoccupé par son seul avenir politique à la tête du Pdci. Quant à Alassane Ouattara, qui s’est fait baptiser la victime idéale de l’ivoirité, il est désormais à la tête du pays avec tous les droits. Et au lieu du traditionnel ménage à trois, le Rhdp règne sur la vie politique nationale où il a pris d’assaut l’assemblée nationale. N’ayant plus d’arbitre, la guerre des deux faux alliés risque d’être meurtrière, au propre comme au figuré. A demain, n’est-ce pas ?

Joseph Titi
(Source : Connectionivoirienne.net 27 juin 2012. Titre original : « La guerre de l’ivoirité ».)


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samedi 23 juin 2012

SCRUTIN PRESIDENTIELLE DE 2010

LA VÉRITÉ SUR LES RESULTATS du 2e TOUR


La proclamation des résultats provisoires par le président de la CEI a été émaillée de faits insolites, y compris des atrocités commises dans le Nord par les Forces nouvelles, qui n’ont nullement retenu l’attention de la communauté internationale. Parmi ces faits, qu’il soit permis de rappeler brièvement les trois principaux .

D’abord, l’auteur de la proclamation, en tant que délibération n’est pas la CEI, faute de consensus, mais M. Youssouf Bakayoko, tout seul, qui n’engage que lui. Car les textes fondateurs de la CEI disent que les résultats de l’élection présidentielle se proclament au sein de la CEI et non ailleurs. En outre, une circulaire du président de la CEI datée du 27 novembre dit que la proclamation des résultats du second tour se fait non seulement à la CEI mais en présence de tous les commissaires de la CEI, des représentants des deux candidats et des officiels.

Ensuite, le lieu de la proclamation n’est pas le siège de la CEI, mais l’hôtel du Golf, le quartier général de l’ex-Premier ministre, Alassane Dramane Ouattara, l’un des candidats à l’élection présidentielle, celui des rebelles et aussi du Premier ministre, Guillaume Soro, Secrétaire général des Forces nouvelles, c’est-à-dire la rébellion armée.

Enfin, le destinataire de la proclamation n’est pas le peuple ivoirien, mais les ambassadeurs de France et des Etats-Unis, assistés du représentant du facilitateur du dialogue inter-ivoirien (Burkina Faso) et ce devant les médias français, à l’exclusion des médias ivoiriens.

Le quatrième fait, tout aussi insolite, se rapporte à l’objet même de la proclamation, c’est-à-dire les résultats provisoires des élections du second tour du scrutin. Il s’agit plus précisément du taux de participation qui, curieusement, a été majoré.

Le président de la CEI a annoncé 81% lors de sa proclamation du Golf alors que le taux de 70% faisait l’unanimité de tous au lendemain du scrutin, d’où une majoration de près de 11%.


I – 81% de taux de participation annoncé par le président de la CEI au Golf hôtel

- Les résultats provisoires, tels que délibérés et proclamés par le président de la CEI, s’établissent comme suit :

§ - Suffrage exprimé : Alassane Dramane Ouattara : 2.483.164 voix, soit 54, 10% ; Laurent Gbagbo : 2.107.055 soit 45, 90%.

§ - Taux de participation : 81%. Ce taux, qui avoisine presque celui du 1er tour du scrutin (83%), est bel et bien celui que Youssouf Bakayoko a communiqué à la communauté internationale, réduite aux ambassadeurs de France et des Etats unis assistés du représentant du facilitateur du dialogue inter-ivoirien (Burkina Faso).

- La réaction de Choï, Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU, en sa qualité de certificateur, ne s’est pas fait attendre. Après avoir dénié les résultats définitifs proclamés par le Conseil constitutionnel et pris partie pour la CEI en charge de la proclamation des résultats provisoires, il a en effet déclaré :

« Même si toutes les réclamations déposées par la Majorité présidentielle auprès du Conseil constitutionnel étaient prises en compte en nombre de procès-verbaux, et donc de votes, le résultat du second tour de l’élection présidentielle tel que proclamé par le président de la CEI le 2 décembre ne changerait pas, confirmant le candidat Alassane Ouattara vainqueur de l’élection présidentielle ».


II – 70 % de taux de participation faisant l’unanimité de tous au lendemain du scrutin

Dès le lendemain du scrutin, toutes les structures impliquées dans le processus électoral ainsi que les observateurs et experts ont reconnu la baisse du taux de participation par rapport au 1er tour. Et tous se sont accordés sur un taux avoisinant les 70%. Qu’il soit permis de mentionner quelques déclarations :

- Le ministre Soumahoro Amadou, 1er vice-président de la CEI chargé des opérations électorales, représentant le Rassemblement des républicains (RDR), parti d’Alassane Dramane Ouattara, le jour même du scrutin, constate la faible mobilisation et en donne l’explication suivante : « … comme le droit de vote n’est pas une obligation dans notre pays, naturellement chacun l’exerce dans la mesure de sa conscience civique ». Le lendemain lundi 29 novembre, au Journal télévisé de 13heure, avec le journaliste Thomas Bahinchi, il annonce que le taux de participation est faible cette fois-ci comparé à celui du premier tour. Cela dit, a-t-il ajouté, il se situe entre 60 et 70%.

- Le président de la CEI, Monsieur Youssouf Bakayoko lui-même, reconnaît également le même jour les faits : « On note simplement une faiblesse. Je ne peux pas donner de chiffres. » (http://www.afrik.com/article21376.html) ;

- Le site lequotidien.sn, par Mamadou DIALLO, relève : «Contrairement au premier tour où le taux de participation était de 83 %, les électeurs ne se sont pas déplacés en masse pour le second tour. Une baisse du taux de participation confirmée par le président de la CEI. ».

- Gérard Latortue, le chef de la Délégation des observateurs de la Francophonie, déclarait le 29 novembre 2010 « que même si le taux de participation au second tour était inférieur à celui du premier, il pourrait avoisiner les 70 pour cent ».

Il faut noter, à ce stade, trois circonstances importantes. La première, c’est que Gérard Latortue est un observateur occidental et non Africain et donc « crédible », conformément aux critères de Choï. La seconde circonstance, c’est que le Représentant de l’OIF s’est exprimé au siège de l’ONUCI et en présence de Choï. Celui-ci n’a apporté aucun démenti.

La troisième donnée, c’est que le taux de 70%, annoncé par Gérard Latortue, a été rapporté par un communiqué officiel de l’ONUCI.

- France24 publie le 29 novembre sur son site : « La Commission électorale indépendante (CEI) ivoirienne a annoncé hier que le taux de participation au second tour de la présidentielle, qui opposait dimanche le chef de l’Etat sortant Laurent Gbagbo à l’ex-Premier ministre Alassane Dramane Ouattara (ADO), s’élevait à 70 % environ des 5,7 millions d’électeurs inscrits sur les listes électorales. Un chiffre plus faible qu’au premier tour, au cours duquel 83 % des électeurs inscrits s’étaient rués dans les bureaux de vote. »,

- observers.africa24.com et africahit.com reprennent l’information précitée en ces termes: « La Commission électorale indépendante (CEI) ivoirienne a annoncé ce lundi que le taux de participation au second tour de la présidentielle s’élève à 70 % environ des 5,7 millions d’électeurs inscrits sur les listes électorales ».


III – 11% de majoration du taux de participation


De tout ce qui précède, il résulte une majoration du taux de participation de 11%. Ce qui correspond à un gonflement de plus de 500.000 voix.

Cette majoration subite suscite un certain nombre de questions dont les suivantes :

- N’est-ce pas pour masquer la supercherie et attribuer des voix supplémentaires au candidat de la CEI, Alassane Dramane Ouattara ?

- N’est-ce pas la raison pour laquelle l’on a procédé à un résultat global plutôt qu’à un résultat détaillé, sinon département par département, à tout le moins région par région ?

- N’est-ce pas pour les mêmes raisons que, dès le lundi 29 novembre, les membres de la CEI ont communiqué, selon le site Lesgrandesoreilles.com, aux chancelleries les résultats ? Ceux-ci donnaient Alassane Dramane Ouattara vainqueur avec plus de 53% des suffrages, alors même que la CEI avait à peine commencé ses délibérations. Il n’est pas inutile de préciser que le site en question appartient à Jean Paul Ney, ancien locataire de la MACA pour tentative de déstabilisation, en complicité avec feu Ibrahim Coulibaly dit IB.

- N’est-ce pas pour occulter un fort taux d’abstention préjudiciable à Alassane Dramane Ouattara, bénéficiaire présumé du report de voix du candidat malheureux Henri Konan Bédié que l’on a procédé à cette majoration de 11% ?

- N’est-ce pas ce qui explique la volte-face du Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU qui a soutenu que, quel que soit le cas de figure, Alassane Dramane Ouattara est vainqueur ?


René Pierre D., président du Collectif des juristes pour la sauvegarde de la légalité républicaine.

(Sources : Notre Voie 21/6/2012)



EN MARAUDE DANS LE WEB


Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenances diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens et que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la «crise ivoirienne ».

Le cercle victor biaka boda

vendredi 22 juin 2012

L'INVASION

« Il n’est pas possible de se taire », a dit Roger Garaudy. Nous empruntons cette phrase du célèbre philosophe marxiste pour traduire le devoir de mémoire sur l’occupation des terres de l’Ouest wê. Oublions la crise politique. Oublions la question du prétendu bradage volontaire des terres par les autochtones paresseux, adeptes de gains faciles, cliché collé à tort ou souventes fois à raison aux populations de l’Ouest wê. Essayons de prouver ici, sans faux fuyant, que l’occupation des terres de l’Ouest wê, à l’allure d’expropriation systématique à la faveur de la guerre postélectorale, a une histoire. Selon notre humble constat, cette occupation a été progressivement planifiée, subtilement exécutée jusqu’à la surprise impuissante et générale des autochtones.
Sans aucune prétention d’une relation historique exhaustive de cette colonisation, il nous importe, en tant qu’observateur critique, de relever certaines causes du drame foncier de ce peuple.
C’est à partir des années 1980 que l’évolution des rapports autochtone-allogène s’est progressivement dégradée. Mais qu’en est-il de l’antériorité de ceux-ci ? La région de l’Ouest en effet, comme toutes les autres de notre pays, a accueilli des allogènes de la sous-région africaine. L’Ouest en particulier a toujours été une région plus ouverte du fait de sa culture qui fait de l’étranger un « envoyé de Dieu ». Au cours de nombreuses années, le brassage des peuples a été tel que la cohabitation ne souffrait d’aucune anomalie. Les allogènes respectaient les us et coutumes du tuteur. Ils faisaient leurs champs de maïs avec de l’élevage dont ils avaient le secret. Ce climat de paix va être détérioré par l’afflux non seulement d’autres allogènes mais aussi et surtout de compatriotes du centre et du nord de la Côte d’Ivoire.

Au nom de « la démocratie interne » du Pdci

A la fin des années 1970 à 1980, on peut le dire, le Pdci, parti unique d’alors, va s’obliger à ce qu’il a appelé « la démocratie interne ». Certainement des signes précurseurs du discours de La Baule et des effets du vent de l’Est de la démocratisation et du multipartisme. En effet aux nominations des hommes politiques vont se substituer des compétitions entre candidats du même parti et ce, dans toutes les régions. Ainsi des leaders politiques Wê, pour la plupart rejetés par la population qui aspirait au changement, vont entreprendre l’ouverture de la région à certaines populations du V baoulé et militants inconditionnels du Pdci. Leur installation se fait dans des forets parfois classées, voire sur des terres que ces barons se sont abusivement attribuées. Et ce, pour constituer un bétail électoral, au mépris ou par ignorance des risques à moyen et long terme d’inévitables conflits fonciers du fait de l’exploitation à grande échelle, entre les autochtones et les nouveaux venus.
A la faveur de la construction du barrage de Kossou à Yamoussoukro, décidée par le Président Houphouët, cette population militante est aisément arrachée à l’espace que va occuper cet ouvrage. C’est un déguerpissement massif des populations Baoulé, d’allogènes burkinabé et malien qu’ont provoqué les travaux de ce barrage. Alors ces déplacés trouvent un accueil auprès des leaders politiques de l’Ouest wê pour un intérêt politique immédiat pour les uns et économique pour les autres.

L’installation abusive des allogènes et allochtones

Ces populations allogènes et allochtones sont donc installées soit dans des forêts classées avec l’onction des barons, soit sur de grandes superficies accaparées par ces politiques parfois au détriment des propriétaires coutumiers. Il a été donné de voir par exemple des villages V1 V3 V4…. Qui ont été créés dont les densités dépassent celles des populations d’origine. Le village cosmopolite de Dibobli à Duékoué illustre bien cette situation. Sans compter la multiplication des résidents de beaucoup de villages d’accueil par dix ou par vingt. Ainsi par petites colonies financées d’avance, des villages satellites sont nés, absorbant littéralement les autochtones. Pis, pour légitimer l’installation abusive de ces populations par les hommes politiques d’alors, un slogan politique a été inspiré par le Président Houphouët selon lequel « la terre appartenait à celui qui la mettait en valeur ». Un slogan pour préparer les envahisseurs à l’exploitation. Ce, sans se soucier des propriétaires des terres déclarées ainsi sans maître et, bien entendu, pour voire étouffer quelques velléités de contestations possibles.
Rappelons également que toutes les autorités administratives militaires et paramilitaires affectées à dessein à la tête des circonscriptions et départements wê (préfet, sous-préfet, commandant de Brigade, commissaires de police…) étaient toutes acquises au respect et à l’application de ce slogan politique. Un slogan ayant force de loi pour le bien-être et pour la protection des allochtones Baoulé d’abord et dont profiteront ensuite tous les autres allogènes ou étrangers. Les populations allogènes, témoins de quelques différends fonciers entre autochtones et allochtones n’ont pas cherché longtemps pour réaliser la perméabilité et la permissivité du peuple Wê dont on peut aisément abuser. Car la résolution dubitative de ces conflits par les autorités manifestement aux dépens des autochtones (certainement en application du fameux slogan loi) ne pouvait avoir comme conséquence que cette déconsidération. Exemple le conflit foncier Baoulé et Guéré à Fengolo à Duékoué en 1995.

La terre et le cacao

La deuxième série de raisons du déferlement des populations étrangères dans l’Ouest forestier réside également dans deux situations : l’absence des terres d’une part et d’autre part dans le vieillissement des plantations de l’ancienne boucle du cacao ivoirien (Régions de Dimbokro, Bongouanou, Agnibilékrou et Abengourou). La dépréciation de la qualité du cacao de cette partie du pays a en effet provoqué la recherche des terres neuves qu’offre l’Ouest wê. Les chocolatiers ont organisé, à travers des intermédiaires ou des groupes financiers, les Burkinabè jugés « grands travailleurs », en souvenir des premières plantations industrielles du pays. Ces allogènes, en majorité Burkinabè, envahissent donc toutes les régions avec de grands moyens en vue de la production du meilleur cacao sur les terres de ces « fêtards et paresseux » de l’Ouest en général et Wê en particulier. Les premiers allogènes, les chefs de familles en tête, s’intégraient facilement. Mais les nouveaux bailleurs et chefs d’exploitation mettent en avant des manœuvres analphabètes, qui le plus souvent, ont un réel problème de communication avec les propriétaires coutumiers. Notons par ailleurs que les conflits fonciers du Sud-Ouest ivoirien (Tabou, Grabo et autre) ont fait migrer certains allogènes dans le désormais « no man’s land » wê livré à la prédation généralisée des terres et des populations.
Tous ces mouvements migratoires et anarchiques vers l’Ouest se sont déroulés par vagues et par périodes, en de différents endroits. Ce, au point que toute la population dans toute sa diversité, ne s’est rendu compte du drame que lorsque la cote d’alerte fut dangereusement atteinte dès les années 1990-1995. Pis cette situation déplorable pour le peuple Wê est généralement favorisée par la culture du terroir. En effet l’organisation politique et sociale wê n’a pas prévu de notion de chefferies de terres au pouvoir véritable sur la population. Ceci ajouté au culte de tout étranger propre aux peuples Krou comme les Wê. Ces deux éléments non moins négligeables ont aidé à la vulnérabilité de ce peuple quant à la pénétration des populations étrangères préparées et financées. Des foules qui n’ont pas eu de peine à s’accaparer progressivement tout le patrimoine foncier wê.

Rôle des pouvoirs politiques et financiers
Qu’ont fait les cadres et les structures de développement de la région pour enrayer le mal ? En effet la sonnette d’alarme a été tirée, à leur façon par des associations de cadres et travailleurs de villages ou de département. Mais que peut réussir une association de travailleurs qui peine à assurer son fonctionnement régulier, réduite aux membres dispersés sur le territoire national face à une gigantesque opération constante suscitée sur le terrain par des pouvoirs politiques et groupes de pression financiers ? Surtout avec une administration corruptible ; parfois dépassée par l’ampleur de la crise ou même mise dans le contexte ? Quel rapport fiable peut-on en effet attendre, d’une autorité administrative qui, dès sa prise de fonction, reçoit sa part du gâteau ? Une libéralité d’une grande plantation d’hévéa clé en main par exemple. Cette razzia dans l’occupation des terres par de nouveaux exploitants va impacter profondément les relations entre les autochtones et les premiers allogènes avec qui ils entretenaient pendant longtemps de bonnes relations. Selon un cadre de la région, « Dans les années 1965-70-75 en effet, pour ceux de notre génération, l’intégration des allogènes fut telle qu’ils acceptaient d’habiter avec leurs tuteurs qui , à leur tour, le leur rendaient bien en baptisant par exemple les nouveaux nés allogènes de nom wê ».
Mieux, ces premiers allogènes, dans les rapports de confiance réciproques avec les populations d’accueil, prenaient une part active aux constructions d’infrastructures sociales (écoles, centre de santé villageois…), voire aux activités socio-culturelles comme les funérailles. En tout, une réelle symbiose qui ne présageait en rien d’un retournement de comportement à 180 degrés pour déboucher aujourd’hui sur une guerre par l’intrusion de nouveaux venus parmi lesquels des compatriotes ivoiriens.

Mise en place culturelle du bassin d’immigration
A partir des années 1980, les nouveaux seigneurs allogènes et allochtones, plus organisés et plus nantis pour la mission d’occupation des terres, corrompent leurs frères ou partenaires trouvés sur place par leurs nouvelles méthodes. Dorénavant, en lieu et place du métayage, les anciens allogènes exigent des terres pour des cultures pérennes. Tous finissent par se liguer contre les autochtones hospitaliers. Pire, ces anciens qui connaissaient mieux la culture wê deviennent des indics les plus zélés dans la recherche des meilleurs moyens de mettre en œuvre le massacre de leurs anciens tuteurs. Contrairement aux premières volontés d’intégration des premiers allogènes, les allochtones imités par tous les autres se replient sur eux, avec création de villages aux dénominations « kro ou dougou » au détriment de la culture d’accueil qui donne les « bly, golo, zon… » comme dénominations. Voilà un des tableaux alarmants non exhaustifs d’un peuple à cause de son patrimoine. Un peuple qui a commis le crime d’être sur des terres riches et fertiles sans certainement compter un sous-sol prometteur selon des études. Un peuple à la merci d’organisations de certains compatriotes Ivoiriens et d’étrangers, victime de tirs groupés sans défense dont les velléités sporadiques, disparates de résistance ou de revendication sont combattues sur plusieurs plans: Au plan données démographiques certaines contrées donnent aujourd’hui 25 allogènes pour 02 autochtones ; parfois 28 villages satellites d’allogènes pour un village d’accueil. Au plan administratif, l’administration, conditionnée par la situation et mise dans le contexte, ne peut qu’observer impuissante cette réalité explosive. Militairement, tous les allogènes et allochtones se sont tous dotés d’armes, même de guerre, au vu et au su des autorités (si certaines n’en assurent pas la dotation) pour parer à toute éventualité. Sur le plan matériel et financier, que peut réaliser une population rurale à la machette contre des exploitations cautionnées et financées avec de grands moyens matériels pour défricher en un coup des hectares de forêts ? Avec en outre la construction des infrastructures sociales (écoles, centres de santé…) en plein cœur des forets au profit de la population étrangère.
Résultats: des agglomérations, heureusement de fortune pour certaines, plus étendues que les villages autochtones, sont élevées. Des allogènes et allochtones regardant désormais le peuple d’accueil submergé de haut, vivant en autarcie, n’attendaient qu’une occasion pour parachever l’expropriation définitive des propriétaires coutumiers de leurs terres. De graves difficultés de cohabitation se posent. Du fagot de bois de chauffe naît un conflit entre autochtone et allogène ; interdiction est faite aux jeunes autochtones d’une simple pêche ordinaire dans les eaux aux environs des plantations d’allogènes et d’allochtones ivoiriens. Comme une espèce de conspiration les mêmes règles et méthodes s’appliquent de Kouibli à Toulepleu, de Duekoué à Tai comme d’ailleurs à Gagnoa, Tabou, Divo….

Rôle de l’ex-rébellion dans l’implantation des allogènes et allochtones
La guerre née de la crise politique a servi dès lors d’aubaine. La connaissance du terrain ? En dépit d’une résistance des Wê, puisée dans les tripes, la rébellion, s’appuyant en effet sur ces alliés naturels, les allogènes de la sous région dont les burkinabés, a eu la tâche facile. D’où l’ampleur des massacres frisant un génocide du peuple, prétextant de son soutien politique réel ou supposé au Président Gbagbo. Ainsi en plus de leur nombre croissant, des lobbys financiers, les allogènes et allochtones désormais armés pour la circonstance, n’ont plus qu’à parachever la spoliation totale des Wê. Et cela, soit en élargissant les espaces déjà exploités, soit en récupérant tout simplement les terres des autochtones massacrés ou exilés. Plus grave, des forêts classées sont littéralement investies par des seigneurs de guerre comme butin suivi de massacre des populations et villages autochtones environnants. L’occupation et l’exploitation du patrimoine du Mont Péko de 300 hectares entre Duekoué et Bangolo par des combattants pour la plupart burkinabé en est une parfaite illustration. La crise politique s’est ainsi superposée au conflit foncier contre le peuple Wê. D’où la perpétuation des crimes contre les autochtones favorisée par la victoire militaire de la rébellion dans ce pays ces temps-ci. Aujourd’hui encore les traques et expropriations illégales continuent. Les Wê ou Guéré rimant désormais comme objet de génocide en campagne mais aussi miliciens pro Gbagbo à traquer dans les villes. Rappelons que la loi sur le foncier rural votée à l’unanimité des Députés n’aura connu aucun début d’exécution réelle sur le terrain à cause des pressions politiques voire diplomatiques contre cette loi. Or cette loi a le mérite de régler un pan de la souveraineté de ce pays, c’est-à-dire la question de la terre. Ce texte restera sans application effective, restée en suspens dans les crises politico-militaires que continue de connaître la Côte d’Ivoire. Une situation qui n’arrange que les bandes armées et leur mentor, les allogènes et allochtones qui ne demandent pas mieux pour la pérennisation de leurs acquis. Devoir de mémoire, ainsi se dessine notre regard, une contribution quoique anecdotique à l’intelligibilité de l’odyssée de ce peuple. Un tableau dramatique pour lequel des solutions politiques courageuses doivent être attendues de la part du pouvoir si on peut considérer que ce peuple a aussi le droit de vivre sur sa terre acquise et non conquise ; qu’il fait partie intégrante de cette patrie et doit avoir droit à la protection comme tous les autres citoyens. Lui refuser cette dignité sera de lui ouvrir la possibilité de réaliser son autonomie, par tous les moyens tôt ou tard comme les exemples foisonnent de par le monde. Aux cadres, fils et filles Wê, une réelle prise de conscience de la tragédie de leur peuple ne doit fléchir pour sa survie y compris la leur. Il est temps de se départir du sentiment pervers de culpabilité selon lequel seuls la paresse et le gain facile ont poussé tout ce peuple à sa propre destruction en bradant son patrimoine naturel aux étrangers et s’y résigner. C’est une explication simpliste qui ne tient absolument pas toute la route au crible d’une réflexion approfondie de cette question. L’analyse ne les dédouane cependant pas de la bêtise de leur culture et de la légèreté de leur organisation socio-politique à repenser. Mais que valent les contrats de vente de terre par des jeunes de 20 ans des plantations qui les ont vu naître sans que ces acheteurs véreux ne prennent même la petite précaution de se présenter au chef du village ? Que dire d’une cession de terre d’un hectare défriché contre toute attente à cinq à la surprise du propriétaire coutumier ? Que valent des contrats de ventes arrachés avec la kalache sur la tempe ? Que valent des contrats de vente avec quelqu’un d’autre que le propriétaire coutumier, si ce n’est du brigandage ?

La détermination du peuple Wê

Toute la Nation ivoirienne est interpellée au fond de sa conscience sur le fait que d’une part les fameuses ventes des terres par les autochtones eux-mêmes sont nulles devant la loi et que d’autre part les « vraies » ventes qui se sont passées réellement, quoique condamnables, restent en réalité résiduelles pour expliquer l’ampleur de cette grossière arnaque. C’est en réalité un piège grossier tendu à un peuple pour le spolier de sa terre. Ce, par des populations à culture de chefferies de terre aux pouvoirs réels et sacrés. Quelle méchanceté ! Quelle hypocrisie !
Le peuple Wê dans son ensemble doit garder à l’esprit la réalité suivante. La vie d’un peuple doit être comparée à l’évolution d’un individu. Ce chemin n’est jamais linéaire et comporte des péripéties qui forgent le destin pourvu que des leçons véritables soient absolument tirées. Cette tragédie aujourd’hui banalisée du fait de sa récurrence, faite de tueries, de persécutions voire de génocide, quelles qu’en soient les causes (politiques ou et foncières) doit pouvoir donner au peuple du ressort, de nouveaux étalons de valeurs sociales ou sociétales au risque de disparaître. Si la terre est convoitée à mort, au prix de tueries voire de génocide du peuple propriétaire, c’est qu’elle a de la valeur. Le peuple doit intégrer cette autre dimension dans sa gestion socio-politique. C’est un rendez-vous avec l’histoire que ce peuple doit honorer. A la lumière de la protestation du Comité de sauvegarde du patrimoine foncier wê, de l’indignation du Front populaire ivoirien (Fpi) et des voix qui s’élèvent ici et là pour condamner le drame du peuple Wê, nous comprenons mieux le célèbre philosophe marxiste Roger Garaudy quand il dit « il n’est vraiment plus possible de se taire ». Comment se taire devant ces horreurs et cette prédation contre un peuple pacifique qu’on veut faire disparaître pour le sol que lui a octroyé le Créateur de l’univers, à cause de son engagement politique derrière un leader en qui il se reconnaît ? Comment, sous les yeux de tous, de la communauté nationale et internationale, peut-on laisser disparaître un peuple qu’on spolie de ses terres ? Il n’est plus possible de se taire. Bien plus, il est absolument urgent d’agir ici et maintenant pour arrêter cette vaine tentative d’extermination du peuple Wê. Car comme une digue de sable ne peut longtemps empêcher un fleuve qui coule vers son horizon, le peuple Wê, en dépit de sa fragilité apparente, est déterminé à rebondir pour triompher des écueils.

Germain Séhoué
(Titre original : Patrimoine foncier: Sous les yeux du monde, on exproprie les populations de l'Ouest)
Source : civox.net 22 juin 2012
 

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mercredi 20 juin 2012

De quoi Alassane Ouattara est-il le vrai nom ?

L’affaire Ouattara (1990-1993) et la crise de l’houphouéto-foccartisme

2e partie

« Tels furent les derniers soins du Roi, telles les dernières actions de sa prévoyance, tels les derniers coups de sa puissance, ou plutôt de sa déplorable faiblesse, et des suites honteuses de sa vie : état bien misérable, qui abandonnait son successeur et son royaume à l’ambition à découvert et sans bornes de qui n’aurait jamais dû y être seulement connu, et qui exposait l’Etat aux divisions les plus funestes, (…). Voilà au moins de quoi la mémoire du Roi ne peut être lavée devant Dieu ni devant les hommes. » Duc de Saint Simon.

« Notre combat n'a rien à voir avec lui puisqu'il n'a pas suffisamment de courage pour dire que notre combat est juste. »

7 décembre 1993 - 11 avril 2011. Pas moins de dix-huit ans, dont dix ou onze de guerre civile ouverte ou larvée, auront donc été nécessaires à Alassane Ouattara pour recueillir les fruits de son coup de dé du 7 décembre 1993. Encore n’est-il arrivé à ses fins qu’avec la complicité – pas vraiment volontaire sans doute – de celui contre qui il avait joué ce jour-là ; et grâce aussi à l’appui massif des moyens aériens conjoints de la France et de l’Onu… Mais, le plus remarquable, c’est que tout au long de cette aventure à suspense, ce sont toujours d’autres gens qui allèrent au charbon, ou qui tirèrent les marrons du feu, pendant que l’intéressé lui-même « épiait son destin à l’abri des palissades », attendant pour apparaître que tout danger fût écarté. Ce qui lui attira, en 2002, cette remarque perfide de Guillaume Soro à qui on demandait si son mouvement avait des rapports avec Ouattara : « Notre combat n'a rien à voir avec lui puisqu'il n'a pas suffisamment de courage pour dire que notre combat est juste. » (Afrique express N° 257, 17 octobre 2002). Ainsi en fut-il jusqu’au 11 avril 2011 inclus, où, aux dires de l’ambassadeur Jean-Marc Simon pour une fois digne de foi, il ne dut sa victoire qu’à l’ingérence massive des troupes françaises sur l’ordre de son ami Nicolas Sarkozy : « Quand les Frci ont tenté de s’approcher de la résidence de Laurent Gbagbo, elles se sont heurtées à une résistance extrêmement forte parce qu’il y avait des mouvements absolument démentiels autour de la résidence et sur tous les carrefours de Cocody, si bien que les FRCI se sont retrouvées en difficultés. Au petit matin, elles ne parvenaient pas à franchir les lignes après avoir essuyé de nombreuses pertes en matériel, mais aussi en vies humaines. C’est donc à ce moment là que des décisions ont été prises d’en finir avec cette tragédie qui menait le pays vers une véritable guerre civile. Et donc l’intervention de la force Licorne s’est faite à ce moment-là pour ouvrir les axes et permettre aux FRCI d’avancer vers la résidence de Cocody. Et donc l’ordre a été donné de déployer la forces Licorne dans Cocody » (Rfi 11 avril 2012). Soit dit en passant, voilà qui devrait clore définitivement le débat sur le point de savoir qui, de la France et de ses « tirailleurs sénégalais » rebaptisés Frci, a capturé Laurent Gbagbo et ses compagnons.  

« Ouattara, c’est la dernière chance pour la Côte d’Ivoire, me disait-on alors au siège du FMI. »

Le premier de ces défricheurs fut Houphouët lui-même, avec dans les reins, détail important, l’épée des « instances financières internationales » représentées en l’occurrence par le directeur général du Fmi… « J’étais à la résidence du chef de l’Etat, le mercredi 23 mai 1990, dans la salle attenante au grand salon où se tenait le conseil des ministres. Ouattara y présentait ce qui allait devenir, pour la presse, le plan Ouattara. Il avait obtenu des bailleurs de fonds de ne pas procéder à une réduction globale des salaires (ce qui du même coup calmait la rue où les manifestations des syndicats s’étaient multipliées). C’était la fin d’un plan d’austérité mal négocié par le gouvernement et la mise en œuvre, au 1er juin 1990, d’un plan de rigueur. Ouattara, c’est la dernière chance pour la Côte d’Ivoire, me disait-on alors au siège du FMI. Il faut qu’il réussisse. Il a la bénédiction du Fonds. Tout ce que l’on espère, c’est qu’il n’y ait pas de problèmes politiques qui viennent se mettre en travers de ses efforts » (Michel Camdessus, cité par Jean-Pierre Béjot, La Dépêche diplomatique 14 juillet 2003).

Le deuxième fut Georges Kobina Djéni, dit Djéni Kobina, le fondateur visible du Rassemblement des républicains (Rdr). En fait, Djéni n’était pas un homme seul et peut-être même n’était-il que le prête-nom d’une nébuleuse comprenant des personnages bien plus considérables que lui, tels Philippe Yacé et Marcel Jacques Gross. Yacé, qui ruminait depuis 1980 son dépit d’avoir perdu au profit de Bédié ses espérances de succéder à Houphouët, croyait tenir enfin l’occasion de sa revanche. Gross était la doublure de Yacé, son Guy Nairay si vous voulez, depuis plus de vingt-cinq ans (Voir La Lettre du Continent n° 397 du 04 janvier 2001). En 1994, lors de la scission du Pdci ayant donné naissance au Rassemblement des républicains, M.J. Gross était l’un des pères fondateurs de ce parti. Depuis 1999, avec le titre de Directeur de cabinet associé [il est mentionné sous ce titre, mais sans son nom, dans un discours de Ouattara (lepatriote.ci 09 janvier 2002) – mais en se gardant bien d’y apparaître au grand jour –, il forme dans l’ombre du président du Rdr une sorte de tandem avec Marcel Amon Tanoh, un neveu de Philippe Yacé, aujourd’hui Directeur de cabinet en titre d’A. Ouattara, mais qui semble n’être que le masque de Gross. Il est à noter toutefois que, dans la dernière mouture de l’organigramme du RDR visible sur le site de ce parti, le nom et le titre de J.-M. Gross ont disparu sans qu’on puisse en savoir le pourquoi. Peut-être l’homme a-t-il changé de râtelier… Si on en croit Jeune Afrique (17 septembre 2010), « Pour préparer la campagne présidentielle, Laurent Gbagbo a fait appel au groupe de communication Euro RSCG. […]. Cette cellule de cinq personnes sera dirigée par Marcel Gross, directeur associé de la société, qui connaît bien la Côte d’Ivoire […]. Gross et son équipe sont déjà sur place. Ils interviendront en tant que conseillers techniques en matière de communication politique, d’organisation d’événements et de promotion de l’image du candidat. » Vous avez dit cheval de Troie ?… C’est effectivement la toute première image qui se présente à l’esprit quand on voit comment l’opinion fut littéralement bombardée de sondages hyperfavorables à Laurent Gbagbo, qui ne pouvaient qu’endormir la vigilance de ses partisans tandis que se concoctait dans l’ombre le coup d’Etat électoral destiné à porter Ouattara au pouvoir.

Lamine Diabaté, un ancien ministre d’Etat, fut le troisième à donner son coup de pouce à Ouattara avec son fameux discours d’Odienné en 1995, où, après leur avoir dit que le Pdci les avait trahis et les méprisait, il appela ses « parents Malinké » à reprendre leurs fusils pour parachever la conquête de cette terre que leurs ancêtres avaient commencée sous la conduite des colonisateurs français : « Ils ont organisé une campagne de dénigrement : ils ont injurié Alassane, son père, sa mère et nous. Mais ils ne nous connaissent pas. Parce que c’est avec des fusils et des balles que nos grands-parents ont conquis cette terre. Ils ne nous font pas peur ». C’est un épisode sur lequel les partisans de Ouattara, dont beaucoup appartiennent au Pdci, observent une discrétion qui n’a d’égale que la rouerie avec laquelle Lamine Diabaté excitait ses « frères » contre Bédié.    

L’entrée en scène du nouvel homme providentiel

Pour la période qui nous intéresse (1990-1993), c’est Houphouët qui joua le rôle décisif. Après le chahut dont il fit l’objet début mars 1990, il avait perdu tout son crédit auprès de ses soutiens habituels, qui songèrent même alors à l’écarter du pouvoir, estimant son maintient dangereux pour l’avenir de son régime : « Les partenaires étrangers de la Côte d’Ivoire pressent avec une insistance croissante le président Mitterrand d’intervenir auprès du Vieux pour le convaincre de prendre sa retraite. Le pape Jean-Paul II lui a également suggéré de suivre l’exemple de son autre modèle, George Washington : prendre du recul, se retirer à Yamoussoukro et ne plus “intervenir dans les affaires de l’Etat que comme dernier recours”. » (Siradiou Diallo, Jeune Afrique Plus N°2, septembre-octobre 1989). Mais, devant la difficulté de le remplacer dans le rôle « d’homme de la France » où il avait tant excellé, on préféra lui procurer les moyens – financiers et sécuritaires – de se maintenir sur son trône, tout en le poussant vigoureusement à céder une part substantielle de ses immenses pouvoirs à un Premier ministre, qui serait aussi le véritable chef du gouvernement. Pour des raisons évidentes, vu le contexte politique et social, ce Premier ministre ne pouvait pas être l’un des agents français qui, tel Antoine Césaréo, le bâtisseur de basiliques, en faisaient déjà fonction sans en avoir le titre. Pour autant, et conformément à une pratique à laquelle Houphouët n’avait jamais dérogé en 30 ans de règne, il n’était pas non plus question de prendre le titulaire de la nouvelle charge parmi les hommes politiques ou les hauts fonctionnaires ivoiriens proprement dit. Au demeurant, les plus dévoués à Houphouët et à son système étaient discrédités autant que lui-même, et on ne pouvait pas être assuré d’une fidélité sans faille de la part des tièdes. Quant à choisir quelqu’un qui avait été noté à un moment de sa vie comme contestataire, c’était totalement exclu. Aussi bien, le but n’était pas de réformer le système comme tous les Ivoiriens le souhaitaient, mais seulement de le maintenir à flot jusqu’à ce que l’accalmie ayant succédé à la tempête, il puisse continuer tel qu’il avait toujours fonctionné depuis 1963. Le choix se porta sur Alassane Ouattara. « Le président [Houphouët] se résolut finalement à nommer Alassane Ouattara comme Premier ministre. Les raisons de ce choix furent multiples, la compétence de ce dernier se doublant d’une vraisemblable intrigue de sérail. Cette nomination tenait aussi au fait que la nationalité de M. Ouattara, élément qui indifférait à Houphouët, ne lui permettait pas d’intervenir dans la succession organisée par l’article 11 de la constitution, qui désignait le président de l’Assemblée Nationale » (Dutheil de la Rochère, Marchés tropicaux, 5 janvier 2001). Gouverneur de la Bceao, un poste traditionnellement réservé à la Côte d’Ivoire, Ouattara était l’élu idéal : il était « Ivoirien », mais il n’avait jamais été mêlé à l’histoire politique compliquée de « son » pays. Pour mémoire, notons que pour le poste de gouverneur de la Bceao, Ouattara avait déjà été préféré à un « Ivoirien de souche », qui le prit si mal que le fidèle Alliali dut s’entremettre pour éviter le pire : « A la mort du gouverneur de la Beceao Abdoulaye Fadiga, le choix d’Houphouët-Boigny s’est porté sur Alassane Ouattara pour lui succéder. Un autre cadre ivoirien de l’institution ayant longtemps travaillé avec Fadiga, Charles Konan Banny, pouvait lui aussi prétendre aux fonctions de gouverneur. En tant que leur aîné et ancien administrateur de la banque centrale j’ai reçu ensemble Alassane Ouattara et Charles Konan Banny et leur ai prodigué d’utiles conseils pour une collaboration franche et amicale. » (Disciple d’Houphouët-Boigny ; p. 115)

L’entrée en scène du nouvel homme providentiel se fit en deux temps. D’abord, il fut seulement appelé pour une tâche ponctuelle limitée dans le temps, avec un statut quelque peu bizarre sans doute, mais, bah ! qui eût songé à s’en formaliser du moment que son travail devait bénéficier au pays ?

Le 18 avril 1990, un mois après l’abandon du plan d’austérité de Moïse Koumoué Koffi sous la pression de la rue, un décret du président de la République créait un comité interministériel de coordination et de relance économique (Cicpsre). A la surprise générale, le gouverneur de la Bceao était chargé de la présidence de ce comité. Il n’était pas membre du gouvernement, mais le gouvernement se trouvait de facto placé sous son autorité. Dans son livre de souvenirs, Camille Alliali raconte sa propre surprise et comment il tenta, en vain, de mettre son patron en garde contre une telle innovation : « Je lui ai fait observer qu’il n’était pas habituel qu’une personnalité qui n’était pas membre du gouvernement puisse être nommée à la tête d’un comité composé de ministres. Il a perçu la difficulté et m’a fait savoir qu’il m’enverrait le secrétaire général du gouvernement pour qu’ensemble nous trouvions la forme à donner à cette mission. Je n’ai vu arriver ni le secrétaire général du gouvernement ni autre collaborateur du président… » (Disciple d’Houphouët-Boigny ; p. 114).

Voilà donc Ouattara installé pour cent jour, le temps de tester la vigueur d’éventuels réflexes nationalistes résiduels ayant pu échapper au savant travail de dépossession des Ivoiriens de leurs droits civiques auquel Houphouët s’employa avec zèle tout au long de ses quarante ans d’hégémonie. Pas de réactions de rejet perceptibles mais, au contraire, jusqu’à des leaders de l’opposition prétendument radicale qui faisaient antichambre chez lui ! C’est qu’alors aucun ivoirien n’imaginait qu’il faudrait bientôt compter ce nouveau venu, ce venu d’ailleurs, parmi les candidats à la succession d’Houphouët ni, a fortiori, qu’il s’imposerait si facilement comme le favori de l’épreuve !

Le 7 novembre, un autre décret nommait pour de bon Alassane Ouattara Premier ministre, chef du gouvernement. Entre temps, toujours par la seule volonté d’Houphouët, il avait été élevé au rang de deuxième personnage du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci) auquel il n’avait jamais appartenu.  

Comme un contre-feu destiné à parer à toutes les surprises pouvant émaner soit d’un parlement ingouvernable, soit d’un Pdci devenu imprévisible

Entre le 18 avril et le 7 novembre 1990, la situation intérieure avait subi de profondes modifications. D’une part, fin avril 1990, l’opinion avait imposé au pouvoir les libertés d’opinion, d’expression et d’association, et plusieurs partis politiques indépendants s’étaient déclarés. Début octobre, faute de pouvoir départager les nombreux prétendants en lice, le congrès de l’ancien parti unique s’était séparé sans pourvoir au poste de secrétaire général nouvellement rétabli. En outre, de lourdes incertitudes pesaient sur les résultats des élections législatives annoncées pour la fin novembre. Une cuisante défaite de l’ancien parti unique n’était pas impossible. Les estimations les plus optimistes donnaient en effet pour certaine une entrée massive de l’opposition au parlement avec pour conséquence la transformation de ce qui n’était jusqu’alors qu’une simple chambre d’enregistrement, en un vrai parlement. Menace d’autant plus réelle que, depuis la perte de son monopole, l’ancien parti unique connaissait une grave crise d’identité. Enfin, l’agitation politique et sociale se poursuivait. D’autre part, peu à peu et de manière pour ainsi dire furtive, grâce à ses traditionnels appuis extérieurs, Houphouët avait repris la main. Le 28 octobre, il avait été reconduit par 2.993.806 voix contre 548.441 voix à son unique challenger, Laurent Gbagbo, le candidat du Front populaire ivoirien (Fpi) soutenu par les autres partis de l’opposition radicale. Pour autant,  tout n’était pas encore gagné pour le triomphateur de ce scrutin arrangé. Après l’échec du 9e congrès de l’ancien parti unique, les assises de rattrapage prévues début 1991 ne s’annonçaient pas sous les meilleurs auspices. Notamment, il n’était pas sûr qu’à l’issue de ce congrès extraordinaire, le Pdci continuerait d’être l’instrument docile qu’il était depuis les purges de 1963-1964. Dans de telles conditions, l’élévation de Ouattara et son prépositionnement dans ces deux postes clés peuvent être interprétés comme un contre-feu destiné à parer à toutes les surprises pouvant émaner soit d’un parlement ingouvernable, soit d’un Pdci devenu imprévisible.

Par précaution, Houphouët avait dissous unilatéralement tous les organes statutaires du Pdci avant le congrès. « Au regard de la tension qui montait au Pdci à la veille du congrès ordinaire de ce parti en 1990 et face à une fronde sociale et à l’opposition difficilement maîtrisable, le président Houphouët-Boigny a décidé de reporter le congrès [et de dissoudre] toutes les instances et tous les organes du parti. Il n’y avait donc aucun démembrement du parti et aucun débat n’avait plus lieu en son sein. Tout revenait au nouveau collaborateur qui était à l’époque Alassane Ouattara. Même la question du parti était entre les mains de cet individu que nous ne connaissions vraiment pas exactement. (…). Devenu plus fort que nous, il n’écoutait plus personne et faisait ce qui lui paraissait bon. Face à de telles dérives, nous avons constitué un groupe de cadres du parti pour prendre nos responsabilités en tant qu’anciens. » (Laurent Fologo, Le Temps 19 février 2008). Dissoudre l’appareil du Pdci c’était, d’une part, réduire à l’impuissance ceux qui auraient pu être tentés de s’opposer à la fulgurante ascension de Ouattara en se prévalant des statuts et du règlement intérieur de ce parti et, d’autre part, d’assurer à celui-ci, si l’entreprise était couronnée de succès, une liberté d’action aussi étendue que celle dont il jouissait lui-même. En un mot, c’était garantir la continuité assurée du système houphouéto-foccartien. Ainsi quand le joueur à bout de ressources veut quand même rester dans la partie, il sort son joker…  

« Du point de vue d’Houphouët-Boigny, la distinction entre "étrangers" et "nationaux" n’avait pour ainsi dire légalement pas d’objet. »

Quoique, en principe, Ouattara ne fût pas d’abord destiné à jouer le même rôle que les inamovibles Guy Nairay et Alain Belkiri ou le très mystérieux représentant personnel Ghoulem Berrah ou encore l’entreprenant Antoine Césaréo, il fit son entrée dans le système de la même façon qu’eux, c’est-à-dire par la porte dérobée des secrets et du bon vouloir de l’autocrate. Cette fois cependant, le procédé souleva une sourde réprobation au sein même du Pdci. Le recours à Ouattara ne pouvait pas être justifiée par les mêmes raisons (l’absence de cadres compétents parmi les nationaux) qui avaient servi en leur temps pour justifier le recrutement de tous ces Français qui peuplaient les bureaux de la présidence… En 1990, la Côte d’Ivoire regorgeait de diplômés dont plusieurs dizaines sans doute étaient aptes à ce travail. Mais cette nomination était le gage de la bienveillance des bailleurs de fonds. D’autre part, il ne s’agissait pas simplement d’introduire Ouattara dans l’entourage du chef de l’Etat ;  en le plaçant motu proprio au-dessus des plus hauts dirigeants du Pdci, Houphouët l’installait au centre de la scène où les Ivoiriens jouaient à… « faire la politique ». Les Ivoiriens pouvaient tolérer bien de choses, mais pas qu’on empiète sur leur terrain de jeu !  Rappelez-vous la scène entre Banny et Berrah… Aussi, contre son habitude, Houphouët dut justifier son choix : « J’ai fait venir auprès de moi un jeune compatriote, parce que beaucoup d’entre vous ne le connaissent pas, et on parle déjà d’un étranger, Alassane Ouattara. C’est un originaire de la grande métropole d’alors, Kong. Vous savez, la guerre de Samory n’a pas épargné cette grande cité dont les chefs précisément étaient les Ouattara. On a sauvé les chefs. Mais la ville a été détruite. Et les uns sont allés vers Bobo-Dioulasso, d’autre vers le Ghana et certains vers chez nous. Alassane Ouattara, le gouverneur Ouattara est de ceux qui sont d’ici, chez nous. Sa mère est d’Odienné. Il a des frères députés, on ne les traite pas d’étrangers ; l’un de ses cousins a travaillé pendant huit ans avec moi à la Cedeao, à Lagos, on ne l’a pas taxé d’étranger… Ce sont des gens de l’opposition qui inventent tout cela » (Le Patriote 09 mai 2001). L’ironie de l’histoire, c’est qu’il dut aussi expliquer aux gens de Kong que ce Ouattara était bien un des leurs ! Ce qu’il fit par le truchement de son fidèle Balla Kéita, qui semble s’être acquitté de cette mission sans trop de conviction : « Lorsque le président Houphouët m'a demandé d'aller à Kong, il m'a dit ceci : "Il faut que tu ailles dire aux gens de Kong que son père est de cette région et sa mère de Gbélégban." » (Le Jour 04 août 1999).

Les partisans de Ouattara à l’étranger soutenaient que la preuve que leur champion était un authentique Ivoirien, c’est que Houphouët l’avait appelé pour diriger son gouvernement. C’est l’argument développé par un certain Seyni Loum, se disant avocat de Ouattara : « Quand on regarde le cursus d’Alassane Ouattara, on ne peut pas contester son ivoirité et surtout un élément fondamental, le président Félix Houphouët-Boigny qui est un homme d’Etat à la dimension de l’Afrique et du monde, a choisi un homme comme lui pour être Premier ministre à un moment dur de l’histoire de la Côte d’Ivoire. Qu’on puisse contester l’ivoirité d’un homme à qui il livrait les secrets d’Etat, à qui il a transféré des pouvoirs présidentiels par intérim me semble étonnant. » (Africa International N° 329, novembre 1999). Drôle d’avocat ! Ce n’est pas un plaidoyer, c’est un vrai réquisitoire ! Souvenez-vous de la remarque de l’ancien ambassadeur Dutheil de la Rochère à ce propos, d’ailleurs confirmée par un mot d’Houphouët lui-même au sujet de la paire Nairay-Belkiri, que son mentor Jacques Foccart cite avec gourmandise dans son livre d’entretien avec Philippe Gaillard : « Ces Français me sont utiles. Si j’avais un directeur de cabinet et un secrétaire général ivoiriens, je serais colonisé par les Baoulés ou par d’autres. » (Foccart parle 1 ; pp. 223-224). Enfin, il suffit de rappeler que les deux personnages les plus importants de l’équipe Ouattara après lui-même, le Directeur et le Directeur adjoint de cabinet du Premier ministre, étaient respectivement le Guinéen Sydia Touré et le Béninois Pascal Koupaki, pour que la véritable signification de sa nomination saute aux yeux. Longtemps réputé natif de Dimbokro, en Côte d’Ivoire – comme Ouattara ! –, Sydia Touré devait être parachuté en 1996 Premier ministre de sa vraie patrie. Et c’est seulement alors qu’on découvrit qu’en réalité il était né en Guinée. Cette même année, Pascal Koupaki fut, lui aussi, appelé à de hautes fonctions dans sa vraie patrie. 

Peut-être Alassane Ouattara est-il vraiment né à Dimbokro… Reste que c’est en Haute Volta, actuel Burkina Faso, où son père était à la tête d’une chefferie, qu’il fit toutes ses études primaires et secondaires ; que c’est comme ressortissant de ce même pays qu’il bénéficia d’une bourse des Etats-Unis pour y poursuivre des études supérieures ; enfin, que c’est toujours en tant que Burkinabé qu’il fut recruté au Fmi comme directeur Afrique après avoir été le vice-gouverneur de la Bceao au même titre.

Un autre argument des tenants de l’ivoirité de Ouattara, c’est que l’un de ses frères fut longtemps député à l’Assemblée nationale ivoirienne : « Il a, disait Houphouët, des frères députés, on ne les traite pas d’étrangers ; l’un de ses cousins a travaillé pendant huit ans avec moi à la Cedeao, à Lagos, on ne l’a pas taxé d’étranger ». C’est encore un de ces arguments qui prouvent le contraire de ce qu’on aimerait leur faire dire.  Ecoutons encore C. Alliali : « [Alassane Ouattara] ne m’était pas inconnu. Je l’ai rencontré pour la première fois alors que j’étais ministre d’Etat. (…). Il s’est présenté à moi comme étant le jeune frère de Gaoussou Ouattara, que je connaissais comme militant du Pdci-Rda proche de Ouezzin Coulibaly pendant la période de lutte anticoloniale. » (Disciple d’Houphouët-Boigny, p.115). Cette anecdote confirme que ces Ouattara-là étaient bien des Voltaïques, sinon depuis la séparation de la Haute Volta et de la Côte d’Ivoire en 1947, du moins depuis que Ouezzin Coulibaly en était devenu le vice-président du conseil de gouvernement en 1956. Si Ouezzin Coulibaly n’était pas mort prémaurémént en 1958, Gaoussou Ouattara aurait très certainement poursuivi sa carrière politique à ses côtés, en Haute Volta, et il ne serait jamais devenu député ivoirien. Il y a aussi une anecdote de Bédié qui va dans le même sens : « Gaoussou Ouattara sait bien qu’il est venu me recommander son jeune frère alors que j’étais ambassadeur à washington. Alassane Ouattara commençait ses études à l’Université de Philadelphie. Il bénéficiait d’une bourse américaine qu’il avait obtenue en tant que citoyen de la Haute-Volta, le premier nom du Burkina-faso. » (Fraternité Matin 17-18 juillet 1999)

Après la mort d’Abdoulaye Fadiga, Ouattara devint le gouverneur de la Bceao, une fonction traditionnellement réservée à la Côte d’Ivoire. Mais, sous Houphouët, « réservée à la Côte d’Ivoire » ne voulait surtout pas dire « réservée aux seuls citoyens ivoiriens »… Je ne résiste pas au plaisir de citer à ce propos la thèse ridiculement alambiquée, mais très plausible néanmoins, d’un célèbre ivoirologue : « [Si F. Houphouët-Boigny] fut sans conteste partisan de la balkanisation des Etats africains (…), son nationalisme s’accorda avec l’idée que le territoire ivoirien devait être le pôle d’attraction des populations africaines voisines, et que le peuple qui le constituait devait se réinventer au gré de ce nécessaire cosmopolitisme. (…) dans la mesure où, du point de vue d’Houphouët-Boigny, le peuple n’était pas véritablement souverain et qu’il lui appartenait au contraire de le façonner à sa manière, la question (…) de la distinction entre "étrangers" et "nationaux" n’avait pour ainsi dire légalement pas d’objet. » (Jean-Pierre Dozon, Politique africaine n° 78, juin 2000). Dans de telles conditions, il y avait fort peu de chances que Ouattara fût le choix d’Houphouët s’il avait eu plus d’attaches avec la Côte d’Ivoire profonde que Sydia Touré, Pascal Koupaki, Ghoulem Berrah, Alain Belkiri, Guy Nairay ou Antoine Césaréo.  

« Nous l’avons choisi en raison de la place qu’il occupe dans le cœur, dans la raison de ceux qui ont eu, à l’étranger, à travailler avec lui. »

La manière un peu cavalière dont il fut associé aux immenses pouvoirs d’Houphouët ne suffit pas pour expliquer comment ni pourquoi Ouattara s’est cru tout désigné pour les exercer à titre personnel lorsque celui-ci disparaîtrait ? Avant d’accepter de venir présider le Cicpsre, il avait négocié, et obtenu, la possibilité d’un éventuel retour à la Bceao au cas où Houphouët eût mis prématurément fin à sa mission. Ses émoluments de gouverneur de la banque centrale continuèrent à lui être versés tout le temps qu’il fut Premier ministre (La dépêche diplomatique, 14 juillet 2003). Après son installation dans cette fonction, il resta longtemps sans nourrir d’ambitions particulières – ouvertement du moins. On sait, par exemple, qu’il menaça à plusieurs reprises de démissionner. Il ne changea de posture qu’après son mariage avec la veuve Folloroux, qui avait, comme on sait, la haute main sur tous les biens immobiliers d’Houphouët, et dont un chroniqueur dira en 1993 : « Elle est lucide sur le plan politique et sait ce qu’elle veut pour elle et pour son mari. » (Jeune Afrique économique N° 173, novembre 1993). Ce mariage semble avoir agi sur Alassane Ouattara comme une sorte de potion magique qui lui assurait un avantage décisif sur Henri Konan Bédié, alors président de l’Assemblée nationale et, en cette qualité, dauphin constitutionnel. Celui qui, lors de son arrivée à la tête du Cicpsre donnait parfois l’impression de marcher sur des œufs, devint soudain ce chevalier sans peur qui osait déclarer publiquement son envie d’être président de la République de Côte d’Ivoire, et sa ferme volonté de renverser la constitution et les lois, s’il fallait absolument en passer par là pour réaliser son rêve. C’était le 1er octobre 1992, à la télévision, une question banale :
– Cela vous dirait-il d’être candidat lors de l’élection présidentielle prévue en 1995 ?
– Pourquoi pas ?
Et voilà comment tout a commencé. Jusqu’alors, « les élus Pdci se gardaient bien d'attaquer Alassane Ouattara sur sa politique. « II était alors considéré comme l'homme du Président. Il leur inspirait de la crainte. Les bouches se sont ouvertes quand le Premier ministre a indiqué lors d'un débat télévisé, le 1er octobre [1992], qu'il n'excluait pas de se présenter à l'élection présidentielle de 1995. » (Francis Wodié, cité par Stéphane Dupont, Jeune Afrique économique avril 1993). En fait les élus Pdci auraient dû découvrir le pot aux roses bien avant cette scène télévisée s’ils lisaient la presse afro-parisienne. Dès les premiers jours de l’année 1992, la mise sur orbite de Ouattara avait commencé par le truchement de certains journalistes bien connus pour leur tropisme françafricain. « (…) Pressé par les uns et par les autres, écrit par exemple Ziad Limam, le chef de l'Etat ira plus loin. Sacrifiant, les uns après les autres, certains de ses anciens lieutenants, il cédera à un Premier ministre flambant neuf, Alassane Ouattara, ancien fonctionnaire au FMI, ex-gouverneur de la BCEAO, qui prenait le contrôle des caisses  de l'Etat, la quasi-totalité de ses pouvoirs économiques et financiers. En Afrique, ce genre de mesure est plus que symbolique. C’est un passage de témoin. » Et il poursuit : « (…) quand Houphouët quittera-t-il le pouvoir ? (…) Alassane Ouattara peut-il lui succéder ? Personne ne connaît réellement les intentions des deux hommes. Mais leurs destins sont désormais liés. Pour durer, le Président a besoin de son Premier ministre. Et plus longtemps le chef de l'Etat restera en place, plus le « PM » pourra s'installer au cœur de la vie politique ivoirienne... » (Jeune Afrique 9-16 janvier 1992).

Ainsi, tandis qu’en Côte d’Ivoire même Ouattara était encore le seul à soutenir publiquement sa propre candidature, à l’étranger au contraire – et notamment en France, mais aussi au Sénégal et au Gabon –, il était déjà perçu comme le futur successeur rêvé d’Houphouët. Vers la même époque, un propos d’Houphouët vient corroborer ce constat : « M. Ouattara (…) a fait ses preuves pendant la période difficile que nous avons connue en 1990, dans une commission provisoire qu’il présidait et qui était chargée d’assainir la situation économique et financière du pays. Nous l’avons choisi en raison de la place qu’il occupe dans le cœur, dans la raison de ceux qui ont eu, à l’étranger, à travailler avec lui. » (Fraternité Matin 09 décembre 1991). Dans la bouche du vieux fantoche qui sait sa fin proche, et qui semble enfin résigné à l’idée de perdre aussi le pouvoir, cette parole revêt une importance particulière. Confessant que ce Premier ministre n’était pas son choix, mais le choix de l’étranger, Houphouët nous dit d’une certaine manière de quoi Alassane Ouattara est le vrai nom.
Marcel Amondji