Elle y prônait
une « politique de conviction »
contre la « politique de
consensus » en vigueur dans les rangs des conservateurs. La
démocratie, disait-elle, « suppose
l’alternative politique et un contre-gouvernement prêt à prendre en main les rênes
du pays […] Aucun grand parti ne peut survivre sur des bases qui ne soient pas
celles d’une ferme conviction de ce qu’il veut faire ». Elle
ajoutait : « Il n’est pas de
politique qui vaille en dehors des réalités ».
Cette
interrogation (« Qu’est-ce qui ne
marche pas en politique ? ») et ces propos thatchériens me
reviennent en mémoire alors que la Côte d’Ivoire est confrontée à l’émergence
d’une nouvelle crise politique.
Les élections
régionales couplées, déjà reportées, viennent de se dérouler de la façon la
plus indescriptible qui soit. Impréparation, faible participation, confusion…
et, tout naturellement, en fin de parcours, affrontements violents dans
plusieurs villes du pays. Un K.O. annoncé pour le parti au pouvoir, le RDR, et
un chaos avéré pour la République de Côte d’Ivoire qui n’avait pas besoin de
cela.
Deux ans après
avoir prêté serment (6 mai 2011), Alassane D. Ouattara se trouve, une fois
encore, confronté à la réalité politique et sociale de son pays alors qu’il ne
semble s’intéresser qu’à une virtualité économique (l’émergence en 2020) à
laquelle l’encouragent, hélas, ses partenaires mondiaux et les institutions
internationales qui l’ont formaté.
« Il n’est pas de politique qui vaille en dehors
des réalités ». Quand donc
ADO va-t-il les prendre en compte ? En novembre 1988, à Washington, alors
qu’il se préparait à quitter le FMI pour le gouvernorat de la BCEAO, il me
disait que « les bonnes politiques
économiques, ce sont des recettes de bonne femme, des choses très
simples » et que pour les mettre en œuvre il fallait « un assainissement préalable du
terrain ». O.K. pour l’économie, c’est son job. Mais en matière
politique, le « libéral »
qu’il est (ce que je ne suis pas, loin de là) devrait relire Thatcher qui a des
« recettes de bonne femme »
qui pourraient lui permettre de ne pas être dégagé en touche avant
l’heure : « Aucun grand parti
ne peut survivre sur des bases qui ne soient pas celles d’une ferme conviction
de ce qu’il veut faire ».
Or, le RDR ne
semble vouloir rien faire d’autre que d’avoir le pouvoir pour quelques-uns de
ses « grottos ». ADO en a pris les rênes à l’été 1999 – cela fait
quand même pas loin de quatorze ans – et ce parti n’a, depuis, cessé de se « déconstruire ». Le RDR
accède au pouvoir après avoir raté le coche à de multiples reprises et, après
deux années d’exercice, ne semble pas en mesure d’être un pôle de mobilisation
de la vie politique de la droite libérale ivoirienne. L’impréparation se
doublerait-elle d’incompétence ?
Le RDR, c’est
le maschmallow de la vie politique ivoirienne. Aucune consistance ; goût
factice. Amadou Soumahoro, son secrétaire général par intérim depuis le 14
juillet 2011, en a été le secrétaire général adjoint de 2005 à 2011 (il aurait
été battu, ce week-end, à Séguéla). On se demande ce qu’il a
« foutu » toutes ces années. Et quels sont les conseils distillés en
2011-2012 à Ouattara (il était son conseiller spécial en charge des affaires
politiques). Djeni Kobina, fondateur du RDR, et Henriette Dagri Diabaté, qui a
pris sa suite jusqu’à la nomination d’ADO à la présidence du parti le 1er août
1999, avaient une vraie personnalité (même s’ils avaient des insuffisances
organisationnelles). Ce n’étaient pas des maschmallows. Le 4 avril 2013, à la
veille de la campagne pour les régionales, Soumahoro « imaginait »
déjà la victoire de Ouattara « au premier tour » de la
présidentielle… 2015.
« La Côte d’Ivoire, du Nord au Sud, d’Est en
Ouest, est plongée dans le clameurs et les vivats de joie et de bonheur ». Il ajoutait : « Nous devons démontrer que nous sommes prêts pour 2015, en
faisant de ces élections régionales et municipales un succès républicain et
populaire ». Raté.
Le site du RDR
fait état, en lieu et place de sa victoire, « des
violences post-électorales » dans plusieurs villes du pays, précisant
que « l’armée quadrille la ville
d’Abidjan ». Ces élections n’auront pas été « un succès républicain et populaire ». Ce qui serait « républicain et populaire »
(et salutaire pour le RDR) c’est que Soumahoro aille exprimer ailleurs son
incompétence politique. Mais comme me le répétait Balla Keïta : « Si tu es au milieu des crapauds
accroupis, ne demande pas une chaise ».
Les régionales
devaient être l’étape « du
rassemblement et de l’unité pour l’édification d’une Côte d’Ivoire paisible,
réconciliée et prospère » prédisait Soumahoro. Le FPI boycottait le
scrutin ; il ne restait sur la scène politique que le RDR et le PDCI-RDA
et des « indépendants »
parfois instrumentalisés par Soumahoro. Les deux partis s’étaient rassemblés,
au second tour de la présidentielle 2010, pour faire gagner (de justesse)
Ouattara. Une crise post-électorale (déjà) particulièrement meurtrière et deux
années de pouvoir ont eu raison de cette alliance sans que, pour autant, puisse
s’exprimer une opposition viable. Résultat de la « politique de consensus » dénoncée par Thatcher. Qui
exprimait une donnée gastronomique : « Nous
n’avons pas beaucoup "bouffé" pendant dix ans, nous avons, du même
coup, plus d’appétit que d’ordinaire ». Or chacun sait que les « grottos » ivoiriens ne sont pas
anorexiques !
Le pari de
Ouattara c’est : impasse sur la politique (il déteste son « ambiance délétère ») ;
relance de l’économique (ce qu’il pense savoir faire). Du même coup, « les populations voyant leurs
conditions de vie améliorées [vont] massivement renouveler leur confiance au
président » (pronostic de Soumahoro/maschmallow le 4 avril 2013). Sauf
que ça ne marche pas comme cela. Et Toussaint Alain, le communicant du FPI,
peut évoquer une « traversée du
désert électoral ». « Les
Ivoiriens, dit-il, dans leur
ensemble, ont manifesté leur désintérêt aux élections locales, Alassane
Ouattara a été incapable de rassembler les Ivoiriens ».
On peut ne pas
partager l’engagement de Toussaint Alain, on ne peut que partager son
diagnostic. « Même sans opposition
pro-Gbagbo, qui a décidé de boycotter le scrutin, commente Jeune Afrique
sur son site, la Côte d’Ivoire ne peut
visiblement pas organiser un scrutin sans que des violences ne se déclenchent
[…] Ces nombreux incident mettent essentiellement en cause des partisans du RDR
du président Alassane Ouattara et du PDCI de l’ex-chef d’Etat Henri Konan
Bédié ».
La presse
pro-Gbagbo, bien sûr, s’en donne à cœur joie. Mais quelques jours après que le
chef de l’Etat ait décidé de faire l’impasse sur une Assemblée nationale où le
RDR est pourtant majoritaire pour gouverner par ordonnances, ce (double) fiasco
électoral (échec du RDR + échec gouvernemental) annonce des lendemains
difficiles pour Ouattara. Il est temps de se ressaisir et de prendre conscience
que la Côte d’Ivoire 2013 n’est pas celle des « années Houphouët ».
Personne n’a
intérêt à ce que le pays renoue avec une crise politique d’ampleur. « On lui reproche de vouloir créer un
apartheid, un développement séparé pour quelques privilégiés et un statut de
seconde classe pour les masses » disait-on de Thatcher en 1968 qui
finira par imposer « ses convictions »
plutôt que la négociation. C’est ce qu’on dit de Ouattara en 2013. Il est
urgent, en Côte d’Ivoire, de repenser le mode de production politique. Si tant
est qu’il y en ait un.
Jean-Pierre
BEJOT (La Dépêche diplomatique)
Titre original : « Alassane Ouattara rate son nouveau rendez-vous
avec la démocratie »
en maraude dans le web
Sous
cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui
ne seront pas nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu
qu’ils soient en rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et
des Ivoiriens, et aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à
faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise
ivoirienne ».
Source : Lefaso.net
25 avril 2013