samedi 30 janvier 2016

LE PROCÈS de L’AMATEURISME de la CPI

Interview de Leslie Varenne[*]

L. Gbagbo et son avocat Emmanuel Altit à l'ouverture du procès ce 28 janvier 2016
(© REUTERS/Peter Dejong/Pool)
Quels sont les enjeux de ce procès ?
Pour la première fois un chef d'état comparaît devant la Cour pénale internationale pour y être jugé pour «crimes contre l'Humanité». C'est donc un enjeu majeur pour la CPI, d'autant plus qu'elle joue sa survie dans ce procès se présentant déjà comme la chronique d'un gâchis annoncé : il risque bien de devenir son propre procès.
Pourquoi ?
Parce que la CPI part d'un postulat faux. Ce n'est pas qu'une crise post-électorale mais bien une guerre qui a eu lieu en 2011 et elle a fait bien plus de 3 000 morts. La Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR), présidée par l'ancien Premier ministre ivoirien Charles Konan Banny, annonce, dans un rapport qui n'a pas été rendu public, un chiffre de 16 000 morts et c'est à mon avis encore très sous-évalué. Le problème, c'est que la CPI n'a pas fait d'enquête sérieuse sur ces événements : on l'a bien vu lorsqu'en mai la procureure a ajouté à l'acte d'accusation des images de violences supposées des «pro-Gbagbo» mais qui avaient été filmées cinq ans auparavant au… Kenya ! C'est dire l'amateurisme de la CPI, constaté aussi ce jeudi lors de l'ouverture du procès…
Le camp d'Alassane Ouattara, l'actuel président ivoirien, a aussi été accusé d'avoir commis des atrocités et tué au moins 800 personnes à Duékoué. Ce procès peut-il se retourner contre lui ?
Tout a été fait pour qu'il ne se retourne pas contre Alassane Ouattara mais Guillaume Soro, ancien Premier ministre et président de l'Assemblée et les autres chefs de guerre pourraient être inquiétés. Cela va aussi dépendre de la défense de Gbagbo, la complexité de l'affaire étant de désigner et trouver les vrais coupables des tueries, des tortures et des viols. Or on ne les aura pas et les victimes ne seront donc pas reconnues ce qui va forcément nourrir du ressentiment chez toutes les parties.
Ce procès peut-il gêner la France ?
Plus personne n'ignore aujourd'hui le rôle qu'a joué le GIGN dans l'arrestation de Gbagbo. Cette arrestation a eu un effet dévastateur sur l'image de la France en Afrique, et cela a offert à Gbagbo une dimension de héros panafricain qu'il n'avait pas auparavant. Le risque, c'est que ce procès soit tellement mal conduit qu'il jette de l'huile sur un feu mal éteint et débouche sur une nouvelle crise majeure, bref que toute réconciliation devienne définitivement impossible en Côte d'Ivoire. Une voie sans issue se dessine déjà : la justice internationale ne pourra pas condamner Gbagbo avec ce qu'elle a entre les mains, qui est beaucoup plus léger que ce qu'elle affirme, mais à l'allure où va la CPI, le procès risque de durer cinq ans, donc le problème du retour de Laurent Gbagbo en Côte d'Ivoire qui pourrait poser des problèmes à Alassane Ouattara, n'est pas encore d'actualité.

Propos recueillis par Pierre Challier


EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».


Source : http://www.ladepeche.fr/ 29 janvier 2016



([*]) - Directrice de l'Institut de veille et d'études des relations internationales et stratégiques (Iveris) ; auteur, notamment, de Abobo-la –guerre : Côte d’Ivoire, terrain de jeu de la France et de l’ONU, Fayard/Mille et une nuits, 2012. 

vendredi 29 janvier 2016

De la fac à l’arène, ou De l’engagement politique au Burkina Faso (un témoignage)*


L'auteur : L. A. Mihyemba OUALI
Le célèbre triptyque de l’Union générale des étudiants voltaïque (UGEV) imposait, ou recommandait, très fortement, aux étudiants voltaïques de se former pour être des « cadres techniquement compétents, politiquement conscients et intégrés aux masses ».
S’agissant des voltaïques qui ont une cinquantaine d’années ou plus, tous ont eu l’opportunité de militer dans l’une ou l’autre des sections de l’UGEV aux fins d’apporter leur contribution à l’éveil des consciences du peuple et de le soutenir dans ses luttes multiformes. Chacun fera son introspection et en tirera les leçons utiles pour lui-même, pour les générations actuelles et futures de Burkinabè.
Pour ma part, et le constat est évident : volontairement ou sous la contrainte, de nombreux étudiants de plusieurs générations ont adhéré ou ont été embrigadés de force dans les sections de l’UGEV. Une minorité a milité avec conviction. La grande armée de ceux qui militaient du bout des lèvres pour ne « pas avoir de problèmes », a, dès le retour au pays, jeté aux orties leur « militantisme », et a tout mis en œuvre pour « devenir quelqu’un » dans les différents régimes jusqu’au 4 août 1983. Très, très peu ont adhéré, milité et lutté au sein des organisations syndicales de travailleurs. A l’avènement de la Révolution démocratique et populaire (RDP) issue du coup d’Etat du Conseil national de la Révolution (CNR), de nombreux cadres se sont souvenus, opportunément, de leur passé de « militants », ont intégré les structures mises en place par le CNR, et certains ont eu un parcours exceptionnel du 4 août 1983 au 31 octobre 2014, et même aujourd’hui.
L’une des spécificités politiques du Burkina Faso, c’est la forte maturité politique de son peuple et de ses élites politiques. Parce que le passé permet de mieux comprendre le présent et d’envisager l’avenir avec sérénité, il est bon de souligner que le cœur du Burkinabè bat à gauche. Peuple travailleur (« la terre des hommes », dixit le général-président Charles de Gaulle), peuple fier, intransigeant sur l’honneur et la dignité (au point de rebaptiser l’ex-Haute Volta en Burkina Faso, c’est-à-dire la Patrie des Hommes Intègres), leur trait commun demeure l’humilité dans la fermeté de la défense des principes, leur recherche continue, perpétuelle de la Justice, de l’Equité, du Développement mieux partagé. De tout cela découle le penchant pour les idées de gauche.
Manifestation à Ouagadougou
Des femmes et des hommes symbolisent le combat long, difficile et non encore achevé des étudiants voltaïques et burkinabè. Le Ve Congrès ordinaire de l’UGEV, tenu en 1978, a reconnu, salué et élevé au rang de héros les camarades Somé Viyara Ernest et Kambiré Hélène. Paix à leurs âmes.
Je salue très respectueusement, la mémoire de feu Batchono Jules, brillant diplomate, militant engagé de l’Association des Etudiants Voltaïques en France (AEVF) section de l’UGEV et de la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France (FEANF). Les générations actuelles et futures de Burkinabè doivent savoir que le grand militant Jules Batchono a été expulsé de… France et interdit de séjour en France pour son  engagement sans faille dans la lutte contre l’impérialisme, le colonialisme et le néo-colonialisme. Les mêmes mesures ont frappé le camarade Etienne Traoré. Oui, le professeur Etienne Traoré, président de Burkina Yirwa. L’histoire du mouvement scolaire et estudiantin de la Haute Volta/Burkina Faso reste et doit être écrite par ceux des responsables vivants et/ou par les historiens et toutes autres personnes douées pour l’écriture, sinon les jeunes n’auront pas tous les repères historiques indispensables pour comprendre la pièce politique qui se joue depuis la création de la FEANF dans les années 50 et singulièrement depuis l’étape très importante du 04 août 1983 et l’accélération historique des 30 et 31 octobre 2014.
Ainsi donc, Etienne Traoré a constitué, et continue de demeurer, l’un des modèles de l’intellectuel patriote engagé. Il soumet sa pensée et ses réflexions à la critique des autres en publiant des écrits à chaque interpellation de l’Histoire. Le doyen Edouard Ouédraogo (« L’Observateur Paalga ») a salué l’une de ses prises de positions dans son dernier ouvrage.
Je salue le courage politique et l’honnêteté intellectuelle du député Lassina Ouattara, élu dans la Province de la Léraba le 29 novembre 2015. Ce jeune frère mérite le respect. Déjà lors des mutineries militaires de 2011, et alors qu’il militait dans le parti au pouvoir, il a fait preuve d’une grande lucidité politique dans l’interview qu’il a accordée à « L’Observateur Paalga », y compris et surtout dans les critiques adressées à son parti. Ensuite, lors des échanges peu amènes avec certains « médiateurs » de la crise de 2014, Lassina Ouattara a encore prouvé sa grande maturité politique. Bon vent à ce jeune frère dont je serai fier de faire la connaissance.
Je ne connais pas Sayouba Traoré. J’écoute, religieusement, ses émissions sur Radio France Internationale (RFI). Il a fait preuve d’un engagement patriotique élevé dans les lettres qu’il a adressées à son « grand frère Blaise Compaoré » pour le convaincre de ne pas toucher à la clause limitative des mandats présidentiels, contenue dans l’article 37 de la Loi fondamentale burkinabè.
A. Diallo « sortant » le « carton rouge à B. Compaoré » lors de la manifestation
de l'opposition au stade du 4-Août. (Ouagadougou, le 31 mai 2014)
Le modèle achevé du technocrate parfait, totalement engagé dans les luttes multiformes de son Peuple durant un demi-siècle, oui, une cinquantaine d’années, c’est Hama Arba Diallo. Parti étudier dans les universités américaines, dans les années 60-70, il en est revenu « communiste », en tous cas pétri d’idées de gauche. Le grand patriote africain qui, toute sa vie, s’est battu pour l’avènement de la Révolution dans son pays nonobstant les appels « à la raison » de l’Américain Bradford Morse, alors Administrateur du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement), a abandonné son poste de D1 à New York pour rentrer en Haute Volta et devenir le premier ministre des Affaires Etrangères du premier gouvernement du CNR. Une année après, lui-même et les autres ministres du Parti Africain de l’Indépendance (PAI) ont été écartés du gouvernement, traqués, arrêtés et détenus. Libérés des geôles révolutionnaires, son engagement patriotique en a été renforcé. En 2006, Arba démissionne de son poste de Secrétaire Exécutif de la Convention des Nations Unies de Lutte contre la Désertification et quitte Bonn pour assumer son mandat de maire élu de Dori, la ville qui l’a vu naître. En matière d’engagement politique, je n’en connais pas beaucoup qui seraient prêts à consentir un tel sacrifice au nom d’un idéal de lutte patriotique.
Nassourou, grâce à la bienveillance de mon ainé Germain Bitiou Nama et de mon jeune frère Newton Ahmed Barry, je t’ai rendu hommage de ton vivant. Dors du sommeil du juste, digne descendant des Diallobe. Et de là où tu nous vois et entends, continue de veiller sur nous et cette Patrie que tu as tant aimée et pour laquelle tu as tout donne.
Faut-il le souligner encore ? A soixante-dix (70) années passées, Arba a été de toutes les Journées Nationales de Protestation, de toutes les marches (il a été gazé), de tous les meetings. Taquin, très fin dans la symbolique, les symboles, ce grand militant du vrai CDP (« Compaoré Doit Partir ! », une de ses trouvailles), a tenté de « sauver » le président du Faso en lui présentant le désormais fameux « carton rouge ». S’il avait accepté de quitter le stade du 04 août lors de ce match de mai 2014, il serait aujourd’hui encore au Burkina Faso. En s’entêtant pour poursuivre un match qui n’était plus le sien, Dieu lui a montré un carton de toutes les couleurs, et le vaillant Peuple burkinabè l’a contraint à quitter le terrain, à sortir du stade, à fuir du Burkina Faso.
L'historien Joseph Ki-Zerbo
Feu le Professeur Joseph Ki-Zerbo constitue un autre exemple de ces hommes exceptionnels. Sa célèbre formule « Nan laara an sara » continue de nous interpeler.
Il n’y a donc aucune antinomie entre être un brillant technocrate et prendre ses responsabilités en ayant un engagement citoyen aux côtés du peuple de manière assumée, connue, reconnue et saluée. Les formes d’un tel engagement patriotique sont multiples : au sein des organisations syndicales, de la société civile, au sein des partis politiques, individuellement même, puisque depuis une loi de 2015, les candidatures indépendantes sont légalement autorisées.
Les exemples susmentionnés témoignent amplement de la nécessité pour l’intellectuel de s’engager aux côtés de son peuple.
Que Dieu nous garde d’être des spectateurs de la vie de notre peuple. Ne soyons pas courageux du courage des autres.
Le ditaniye, l’hymne patriotique du Faso, est plus que clair : la patrie ou la mort nous vaincrons !

Louis Armand Mihyemba OUALI
(*) - Titre original : « Technocratie et engagement politique : Ma part de vérité »

Source : Lefaso.net 26 janvier 2016

mercredi 27 janvier 2016

« Parfois résister c'est rester, parfois résister c'est partir. Par fidélité à soi, à nous. Pour le dernier mot à l'éthique et au droit. »

Christiane Taubira quitte le gouvernement la tête haute
 
©Photo : AFP/KENZO TRIBOUILLARD

Christiane Taubira n'est plus ministre de la Justice. Elle a remis sa démission et sera remplacée par Jean-Jacques Urvoas, un proche de Manuel Valls. Elle a déclaré quitter le gouvernement « sur un désaccord politique majeur ».
François Hollande et Christiane Taubira « ont convenu de la nécessité de mettre fin à ses fonctions au moment où le débat sur la révision constitutionnelle s'ouvre à l'Assemblée nationale, aujourd'hui (mercredi 27 janvier) en Commission des Lois », écrit l'Elysée dans un communiqué.
Mme Taubira « aura mené avec conviction, détermination et talent la réforme de la Justice et joué un rôle majeur dans l'adoption du mariage pour tous », a salué François Hollande.
La démission de la garde des Sceaux a été actée dès samedi, avant même le départ de François Hollande pour une visite officielle en Inde, a-t-on appris mercredi auprès de l'entourage du chef de l'Etat. « Le président de la République, le Premier ministre et la garde des Sceaux en étaient arrivés samedi, avant le départ du chef de l'Etat pour l'Inde, à la conclusion commune et partagée que la cohérence devait conduire à son départ du gouvernement », a-t-on déclaré de même source.
Un désaccord politique majeur
« Parfois résister c'est rester, parfois résister c'est partir. Par fidélité à soi, à nous. Pour le dernier mot à l'éthique et au droit », a réagi Mme Taubira sur Twitter.
L'ex-députée de Guyane s'est dite « fière » de son action Place Vendôme depuis 2012. Elle a notamment fait adopter au parlement la loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe. « La Justice a gagné en solidité et en vitalité. Comme celles et ceux qui s'y dévouent chaque jour, je la rêve invaincue », écrit-elle.
Plus tard dans la journée, la ministre démissionnaire a déclaré lors d'un point presse qu'elle quittait le gouvernement « sur un désaccord politique majeur » concernant la question de la réforme de la déchéance de nationalité.
Évoquant le « péril terroriste », elle a appelé à ne « concéder aucune victoire, ni militaire, ni diplomatique, ni politique, ni symbolique ». « Je choisis d'être fidèle à moi-même, à mes engagements, mes combats et à mon rapport aux autres. Fidèle à nous, à tels que je nous comprends », a-t-elle ajouté.
Fidèle à la tradition, l'ex-ministre s'est fendue d'une citation, ici du poète martiniquais Aimé Césaire, pour qui elle voue une grande admiration.


QUELQUES RÉACTIONS à CHAUD

. Marine Le Pen, présidente du FN, dans un communiqué :
« La démission de Christiane Taubira est une bonne nouvelle pour la France, après une action publique à la tête du ministère de la Justice absolument désastreuse pour notre pays. Le laxisme inouï de sa politique pénale, notamment, a si fortement dégradé notre situation sécuritaire et affaibli l'autorité de l'Etat que cette démission apparaît aujourd'hui comme un soulagement. (...) En outre, madame Taubira incarnait un sectarisme extrêmement violent contre l'opposition démocratique patriote qui ne la rendait pas digne de servir la République. (...) Après les positions personnelles exprimées par l'ex-garde des Sceaux sur la réforme constitutionnelle portant sur la déchéance de nationalité appliquée aux terroristes, il apparaissait inconcevable le maintien à son poste de Mme Taubira dont la présence attentait gravement à la crédibilité de nos institutions politiques. Le mouvement que je préside exprime sa satisfaction et appelle à un changement profond de la politique pénale de la France pour sortir d'un laxisme d'Etat délétère, mis en œuvre aussi bien par l'UMP que par le PS, et que Mme Taubira a poussé à son plus haut degré ».

. Jean-Marie Le Pen :
« Christiane TAUBIRA, grande figure du déclin français : quel autre naufrageur fera pire qu'elle ? »

. Marion Maréchal-Le Pen, députée du Vaucluse :
« La seule justice chez #Taubira : sa démission. »

. Jean-François Copé, ex-président de l'UMP sur Twitter :
« Pour une fois où je n'avais pas demandé sa démission... » (Twitter)

. Christian Jacob, chef de file des députés Les Républicains, à l'Assemblée :
« Cela fait au moins deux ans qu'il n'y avait plus de Garde des Sceaux. (...) Cette majorité est en train d'exploser, de voler en éclats. (...) Déjà qu'il n'y avait pas de ligne politique, maintenant, non seulement il n'y a plus de ligne politique, mais il n'y a plus de majorité ».

. Hervé Mariton, député de la Drôme
« Christiane Taubira ne pouvait pas rester compte tenu de son opposition à la déchéance de nationalité. L'important, pour la suite, est de savoir si son projet d'affaiblissement de la justice pour les mineurs et plus largement de dégradation de la politique pénale seront maintenus ou remballés ».

. Jean-Christophe Lagarde, président de l'UDI, dans un communiqué :
« La démission de Christiane Taubira et la nomination de Jean-Jacques Urvoas à la fonction de garde des sceaux sont deux bonnes nouvelles pour la France. Au-delà de la politique pénale condamnable que conduisait madame Taubira, son opposition publique au projet de loi de révision constitutionnelle, dont elle avait par nature la charge, humiliait le gouvernement français au point que le Premier ministre était réduit à jouer son remplaçant sur les bancs du gouvernement pour le débat qui s'ouvre. Cette situation n'avait que trop duré. »

. François de Rugy :
Dommage que @ChTaubira ne poursuive pas son action au Ministère de la Justice. Nomination @JJUrvoas solide et rigoureux, très bonne chose.

. François Bayrou, président du MoDem, maire de Pau, dans une déclaration à l'AFP :
« Cette démission est la conséquence inéluctable d'un violent affrontement au sein du gouvernement. Mme Taubira affirme ainsi que la fracture est irréparable et cette fracture va se répercuter sur l'ensemble de la gauche. Tout ceci était prévisible et l'incroyable est que ce processus n'ait pas été maîtrisé et que le problème n'ait pas été traité avant. Rédiger le texte à la dernière minute avant le Conseil des ministres prouve l'état d'improvisation dans lequel toutes ces choses sont proposées. Les conséquences politiques seront bien entendu très importantes ».

. Bruno Le Roux, président du groupe PS à l'Assemblée, sur Twitter :
« Respect pour @ChTaubira avec qui j'ai travaillé en amitié et confiance. Même soutien confiant @JJUrvoas de tous les @socialistesAN. »

. Karine Berger, députée des Alpes de Haute-Provence :
« Merci chère @ChTaubira : une garde des sceaux qui a marqué du sceau de l'intelligence et des valeurs ces trois années et demi d'action ».

. Aurélie Filippetti, députée et ancienne ministre :
« Un seul mot : bravo! Hommage au talent immense, au travail et à l'engagement de@ChTaubira qui marquera l'histoire du @justice_gouv »

. La Manif Pour Tous :
« L'héritage de @ChTaubira : société divisée, enfants privés de filiation par #LoiTaubira, essor d'un nouvel esclavage #CirculaireTaubira #GPA ».

Source : Orange avec AFP



Pour notre part, au nom de vous tous, amis lecteurs et sociétaires, à cette femme droite qui, dit-on, aime la poésie, nous dédierons dans cette circonstance ces vers d'un poète de son Amérique, qui tant lui ressemblent.

If We Must Die 

If we must die – let it not be like hogs
Hunted and penned in an inglorious spot,
While round us bark the mad and hungry dogs,
Making their mock at our accursed lot.
If we must die – oh, let us nobly die,
So that our precious blood may not be shed
In vain ; then even the monsters we defy
Shall be constrained to honor us though dead !
Oh, Kinsmen !  We must meet the common foe ;
Though far outnumbered, let us show us brave,
And for their thousand blows deal one deathblow !
What though before us lies the open grave ?
Like men we’ll face the murderous, cowardly pack,
Pressed to the wall, dying, but fighting back ! 
Claude McKay (1889-1948)

mardi 26 janvier 2016

« …la meilleure façon pour la Cour de contribuer à la réalisation de la réconciliation nationale et de l’unité, de la stabilité, du redressement et de la responsabilisation de la Côte d’Ivoire… »



Le texte que vous allez lire circule sur la toile depuis quelques jours, sous l’intitulé suivant : « La lettre des anciens présidents africains à Bensouda ». Tantôt il est attribué à trois ancien chefs d’Etat, tantôt seulement à deux, tantôt à personne… A cause de cette incertitude, nous avons longtemps hésité s’il fallait le publier. Nous nous y sommes finalement décidés parce que, tout compte fait, l’importance de le faire connaître au plus large public possible tient plus à ses qualités intrinsèques, qu’à celles qui découleraient de la qualité ou de l’ancienne fonction de ses auteurs, si distingués qu’ils puissent être. Nous le donnons d’ailleurs sans indication de nom de signataires. Non pas que nous soyons persuadés de façon définitive que ceux qui sont donnés pour tels ne le sont point en réalité, mais parce que, tout bien réfléchi, cela ne nous a pas paru le plus important. Le principal intérêt de ce texte – et il est immense –, c’est en effet ce qu’il nous dit de la « crise ivoirienne », par rapport au procès qui s’ouvre ce 28 janvier, à La Haye. Quels qu’ils soient, ses auteurs ont mérité notre reconnaissance pour l’insigne service qu’ils nous ont ainsi rendu. Qu’ils en soient remerciés, ainsi que celui auquel nous devons cette traduction de l’anglais.
La Rédaction


La lettre des anciens présidents africains à Bensouda

Honorable Mme Bensouda,

UN APPEL AFRICAIN URGENT!

 La Côte d’Ivoire et l’Afrique ont besoin de l’ancien président Laurent Koudou Gbagbo pour réaliser la paix et la justice
  1. En tant qu’Africains, nous tenons à ce que l’Afrique, notre Continent résolve ses problèmes aussi vite que possible, y compris l’ensemble des défis liés à la paix et à la justice dans les pays sortant d’un conflit.
  2. Cet appel urgent que nous vous adressons a trait à la situation en Côte d’Ivoire et notamment à son ancien Président, M. Laurent Gbagbo, qui, comme vous le savez, est présentement jugé à la Cour pénale internationale.
  3. Nous lançons cet appel parce que nous croyons fermement que la Côte d’Ivoire devrait continuer de croître et se développer pour le bonheur de tous ses citoyens, dans des conditions de paix, de démocratie, de l’Etat de droit, de la réconciliation et de l’unité nationales.
  4. Nous sommes absolument convaincus que le pays peut et doit atteindre ces objectifs et que M. Laurent Gbagbo peut et devrait faire une importante et exceptionnelle contribution à cet égard.
  5. Inutile de dire qu’il ne peut faire cette contribution dans une cellule de prison, quelque part dans le monde, mais plutôt en tant qu’un citoyen libre dans son propre pays.
  6. Au regard de ce que nous avons dit et qui se rapporte au conflit non résolu en Côte d’Ivoire, nous disons que la détention et le procès de Laurent Gbagbo ont davantage aggravé les divisions et animosités entre les citoyens ivoiriens. Ce développement risque de faire basculer le pays dans la reprise de la guerre civile, mettant ainsi en danger la vie de centaines de milliers d’innocents.
  7. Il y a donc un risque réel que s’il est reconnu coupable et condamné par la CPI, cela ne mette le feu aux poudres et entraîne une conflagration destructrice que nous redoutons.
  8. Madame le Procureur, il est particulièrement important qu’au regard de ce qui précède, il y ait une profonde reconnaissance du fait que les événements qui ont amené Laurent Gbagbo à la CPI ont été le résultat d’une lutte politique stratégique intense et historique sur l’avenir de la Côte d’Ivoire, et que cette contestation perdure.
    L. Gbagbo reçu par le président Félix Houphouët
    à son retour d'exil en 1988
  9. Par conséquent, vous comprendrez que nonobstant la bonne foi avec laquelle votre bureau s’est acquitté de ses fonctions juridiques officielles, une partie importante de la société ivoirienne, en particulier les partisans de Laurent Gbagbo, va considérer l’intervention de la CPI comme un prolongement de la politique de domination de l’autre camp – une manifestation de la  « justice des vainqueurs ». Pourtant, la situation en Côte d’Ivoire exige et nécessite que le peuple ivoirien continue à aborder ses défis stratégiques par des moyens démocratiques et dans un cadre véritablement inclusif, tout en travaillant ensemble dans des conditions de paix.
  10. La polarisation autour de la question de la poursuite contre Laurent Gbagbo est attisée par l’interprétation qu’on en fait en Côte d’Ivoire, ce qui est corroborée par les informations du domaine public, selon lesquelles les exactions ont été en fait commises des deux côtés lors du conflit.
Le contexte historique de la crise ivoirienne
  1. Madame le Procureur, permettez-nous de justifier certains des commentaires susmentionnés en rappelant brièvement certains des développements politiques en Côte d’Ivoire pendant ces quinze (15) dernières années.
  2. Comme vous le savez, avant que M. Laurent Gbagbo ne soit élu Président de la Côte d’Ivoire en 2000, ses prédécesseurs avaient introduit une philosophie qu’ils ont appelée « ivoirité ». Pour l’essentiel, l’objectif était de diviser la population ivoirienne en deux groupes. Pendant longtemps, la Côte d’Ivoire a attiré un grand nombre de migrants économiques dont la majorité venait du Burkina Faso. Le concept d’« ivoirité » affirmait que la population de la Côte d’Ivoire était divisée en deux parties – une partie étant constituée par les ivoiriens autochtones et la seconde par les migrants économiques dont nous avons parlé. La politique de l’« ivoirité » avait pour objectif d’introduire une discrimination en faveur des ivoiriens autochtones qui sont majoritairement chrétiens.
  3. Il se trouve que les migrants économiques, essentiellement musulmans, constituaient la majorité de la population dans le nord du pays.
  4. En raison des dispositions constitutionnelles fondées sur ce concept d’« ivoirité », l’actuel Président de la Côte d’Ivoire, M. Alassane Ouattara, lui-même un musulman, a été exclu de la course pour le poste de président de la République parce que sa filiation fait de lui un Burkinabé et non un Ivoirien. Naturellement, cela a eu un impact négatif sur les migrants économiques musulmans venus en grande partie du Burkina Faso. Il était donc évident que ceux-là supportent M. Ouattara.
  5. M. Gbagbo a été élu Président de la Côte d’Ivoire en 2000. En 2002, alors qu’il était hors du
    L. Gbagbo en 2001 (photo : Yann Latronche)
    pays pour une visite d’État, une rébellion armée éclata dans le pays. Bien qu’elle ait été contenue dans le sud du pays, les rebelles prirent le contrôle du Nord, divisant ainsi le pays en deux. Dans ces conditions, la Côte d’Ivoire fut scindée en deux territoires, chacun ayant son propre gouvernement et sa propre armée.
  6. Afin de mettre un terme à la guerre civile, les Nations Unies ont déployé une mission de maintien de la paix, appelé ONUCI. La France a déployé sa propre force de maintien de la paix indépendante.
  7. Après celles tenues en 2000, les prochaines élections présidentielles devaient avoir lieu en 2005. Mais, en raison de la situation de guerre dans le pays, et ses conséquences, ces élections ont seulement eu lieu vers la fin de 2010.
  8. Dans l’intervalle, les parties ivoiriennes avaient conclu divers accords visant à mettre fin à la guerre civile et à aider le pays à retourner à la normalité. Dans ce contexte, elles ont également convenu de tenir des élections présidentielles pacifiques, libres et régulières.
  9. Fait d’une importance capitale à cet égard, en 2005, M. Gbagbo alors Président, pris la décision d’user des pouvoirs présidentiels exceptionnels prévus par la Constitution ivoirienne pour permettre à M. Alassane Ouattara de participer à l’élection présidentielle de la République de Côte d’Ivoire.
  10. C’est en raison de cette contribution décisive faite par M. Gbagbo qu’il est devenu possible pour les parties ivoiriennes, de signer de nouveau en 2005, un accord qui, entre autres :
20.1. officiellement, mettait un terme à la guerre sur toute l’étendue du territoire ivoirien ;
20.2. établissait les processus relatifs à la mise en œuvre du programme national de désarmement, de démobilisation et de réinsertion (DDR) des forces armées;
20.3. ramenait les Forces nouvelles dans le Gouvernement de transition ;
20.4. expliquait clairement les dispositions relatives à la structure et au fonctionnement de la Commission électorale indépendante;
20.5. Mettait en place un calendrier pour la tenue des élections présidentielles et législatives.
  1. Afin de permettre à ces élections d’avoir lieu, les parties ont convenu qu’il était nécessaire entre autres de :
21.1. Réunifier le pays sous une seule autorité; et
21.2. D’intégrer les groupes armés dans une armée nationale (républicaine).
  1. En 2005, les parties ivoiriennes ont demandé à l’Organisation des Nations Unies, par l’intermédiaire de son Secrétaire général, d’organiser l’élection présidentielle. L’ONU a rejeté cette demande aux motifs que la Côte d’Ivoire n’était pas un État en déliquescence et disposait d’institutions prévues par la Constitution pour organiser des élections. Cette situation était différente de celle du Timor oriental où l’ONU a organisé les premières élections parce qu’il n’y existait pas à cette époque d’institutions étatiques similaires dans ce qui était un pays tout neuf. Répondant à la demande des parties ivoiriennes, le Conseil de sécurité des Nations unies a autorisé la nomination d’un haut-représentant des Nations Unies pour les élections qui aiderait les institutions électorales ivoiriennes.
  2. Malheureusement, en raison des pressions extérieures, l’élection présidentielle s’est tenue avant la réalisation des deux objectifs convenus de la réunification du pays et la création d’une armée nationale. MM. Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara étaient les deux candidats en lice.
  3. Le résultat de ce combat fut que les résultats des élections annoncés par la Commission électorale indépendante (CEI), qui déclaraient que M. Ouattara avait gagné, confirmaient simplement la division du pays, parce que les zones contrôlées par les rebelles avaient largement voté pour M. Ouattara et celles contrôlées par le Gouvernement largement voté pour M. Gbagbo. Le chef de l’ONUCI qui a agi en tant que haut-représentant des Nations Unies pour les élections annonça également que M. Ouattara avait remporté les élections.
  4. La Constitution ivoirienne disposait que l’arbitre final de toute élection nationale, y compris les élections présidentielles, est le Conseil constitutionnel (CC) et non la CEI. La CEI soumit son rapport au CC qui a le pouvoir de changer la décision de la CEI sur la base de sa propre évaluation de tout élément des élections.
  5. Exerçant son propre mandat, le CC annula les élections dans différentes parties du territoire contrôlées par les Forces Nouvelles parce qu’il disposait de preuves concrètes que des fraudes massives, etc., avaient eu lieu dans ces zones. Il déclara donc que M. Gbagbo avait remporté les élections.
  6. Bien que le Conseil de sécurité des Nations Unies ait uniquement chargé le haut-représentant des Nations Unies pour les élections de soutenir les institutions électorales ivoiriennes, ce représentant élu décida d’entériner les résultats de la CEI selon lesquels M. Ouattara avait été élu et rejeta ouvertement la décision de la CC qui faisait de M. Gbagbo le vainqueur.
  7. Dans cette situation, M. Gbagbo appela à un recomptage des voix du scrutin et suggéra l’implication des diverses institutions internationales dans ce processus, y compris l’Organisation des Nations Unies, l’Union africaine et l’Union européenne. Cet appel fut rejeté par l’Onu et toutes les autres institutions contactées.
  8. En fin de compte, M. Gbagbo contacta l’Union africaine et informa l’organisation qu’il était prêt et disposé à quitter le siège du président afin de mettre fin au conflit dans le pays. Il demanda que l’UA envoie une délégation en Côte d’Ivoire afin de faciliter le processus de sa remise du pouvoir à M. Ouattara afin que le conflit de l’époque prenne fin, et ainsi, d’éviter au pays des conflits futurs. L’UA accepta sa proposition.
  9. En conséquence, l’UA a informé l’ONUCI qu’une délégation de Chefs d’État africains se rendrait à Abidjan pour exécuter leur mission comme proposé par M. Gbagbo. L’ONUCI s’est engagée à prendre les mesures de sécurité nécessaires pour cette délégation et les communiquer à l’UA. Cela n’a jamais été fait. Par conséquent, l’UA n’a jamais réussi à accomplir sa mission qui aurait permis de mettre fin pacifiquement au conflit d’alors.
  10. Au lieu de cela, en 2011, tant l’ONU par le biais de l’ONUCI, que la France dans le cadre de l’opération Licorne, déployées en Côte d’Ivoire en tant que forces neutres de maintien de la paix, ont demandé à ces forces de lancer des attaques militaires contre M. Gbagbo. Elles l’ont alors capturé et remis en fait aux mêmes forces qui s’étaient rebellées contre le gouvernement élu de M. Gbagbo en 2002.
  11. En 2011, à la suite du transfert de M. Gbagbo à la CPI, des élections législatives ont eu lieu en Côte d’Ivoire. Le FPI, le parti de M. Gbagbo, a appelé au boycott des élections et n’y a pas participé. Plus de soixante pour cent (60 %) des électeurs inscrits n’ont pas participé à ces élections.
  12. Madame le Procureur, aux yeux de nombreux Ivoiriens, ce qui précède est l’expression d’un cortège d’injustices. C’est l’un des principaux facteurs qui alimentent la dangereuse division et l’animosité qui concernent une grande partie de la population ivoirienne – du fait que, entre autres :
33.1. En 2002, une rébellion armée a éclaté en Côte d’Ivoire cherchant à renverser par la violence et de manière inconstitutionnelle le Président Gbagbo et son gouvernement d’alors. Personne n’a jamais été poursuivi pour cet acte de trahison.
33.2. Plutôt, les putschistes ont été soutenus pendant de nombreuses années, des armes à la main, jusqu’à ce qu’ils réalisent leur objectif de prendre le contrôle d’Abidjan en 2011.
33.3. Comme nous l’avons indiqué, la pression extérieure a été actionnée afin d’obliger alors le Président Gbagbo à consentir à la tenue d’élections présidentielles dans des conditions qui étaient contraires aux accords négociés entre les parties ivoiriennes, conditions qui manifestement ne pouvaient garantir des élections libres et justes.
33.4. Encore une fois, comme nous l’avons fait remarquer, le haut-représentant des Nations Unies pour les élections en Côte d’Ivoire a outrepassé ses pouvoirs et violé la Constitution de la Côte d’Ivoire en annonçant que M. Ouattara avait été élu président pendant les élections de 2010, en se fondant sur la décision de la CEI plutôt que sur celle du Conseil constitutionnel, seule instance compétente pour valider les élections.
33.5. Cela a servi de prétexte à l’ONU et aux forces françaises pour abandonner leurs mandats de forces neutres de maintien de la paix, pour permettre aux Forces rebelles d’entrer à Abidjan pour déposer par la force le Président Gbagbo. L’ONU et les Français ont rejoint les forces rebelles pour lancer l’attaque contre M. Gbagbo pour ensuite l’arrêter et le remettre aux Forces rebelles.
33.6. Le haut-représentant des Nations Unies pour les élections n’a notamment rien fait pour donner une suite favorable à la demande tout à fait régulière de M. Gbagbo d’organiser un recomptage des voix du scrutin sous la supervision de la communauté internationale afin de mettre fin à la controverse de savoir qui avait remporté l’élection présidentielle, même après que M. Gbagbo ait également déclaré que lui et M. Ouattara devraient accepter le résultat du recomptage comme définitif et irrévocable.

33.7. L’ONU notamment et d’autres acteurs, n’ont rien fait pour reconnaître le rôle vital joué par M. Gbagbo pour ramener la paix en Côte d’Ivoire quand il a utilisé les pouvoirs présidentiels exceptionnels prévus par la Constitution pour permettre à M. Ouattara de se présenter à l’élection présidentielle et devenir le président de la République s’il remportait les élections. M. Gbagbo avait ainsi audacieusement résolu l’une des questions centrales qui avaient conduit à la rébellion de 2002 et à la tentative de coup d’État, et a donc commencé le processus de répudiation de la politique de division de l’« ivoirité » que ses prédécesseurs avaient instituée.
33.8. De même, ces acteurs n’ont pas prêté attention à la position d’une importance vitale que le Président Gbagbo a ensuite prise lorsqu’il a accepté qu’un gouvernement intérimaire multipartite gère la transition jusqu’à la tenue des élections présidentielles. Pour montrer sa détermination à cet égard, il a même accepté que le leader des forces rebelles exerce la fonction de Premier ministre, à la tête du gouvernement de transition.
33.9. En outre, et c’est d’une importance cruciale, nous ne pensons pas, étant donné leur longue implication dans le conflit ivoirien, que l’ONU et la France n’aient pas été au courant de la réalité que Wanda L. Nesbitt, l’ambassadeur des Etats-Unis près la République de la Côte d’Ivoire, a communiquée à son gouvernement en juillet 2009 en disant : «Il ressort à présent que l’accord de Ouaga IV, (le quatrième accord, appelé Accord Politique de Ouagadougou, qui prescrivait que le désarmement doit précéder les élections) est fondamentalement un accord entre Blaise Compaoré (Président du Burkina Faso) et Laurent Gbagbo, en vue de partager le contrôle du Nord jusqu’au lendemain de l’élection présidentielle en dépit du fait que le texte en appelle aux forces rebelles de restituer le contrôle du Nord du pays au gouvernement et d’achever le désarmement deux mois avant la tenue des élections…
« Mais, en attendant la création d’une nouvelle armée nationale, les 5 000 soldats des forces rebelles, qui doivent être « désarmés » et regroupés dans des casernes dans quatre villes clés du nord et de l’ouest du pays, représentent une sérieuse force militaire que les rebelles ont l’intention de maintenir bien formée et en réserve jusqu’au lendemain de l’élection. La cession du pouvoir administratif de ces forces aux autorités du gouvernement civil est une condition sine qua non pour les élections ; mais, comme le confirment des voyageurs dans le Nord, les rebelles maintiennent un contrôle absolu de la région, en particulier en ce qui concerne les finances.»
  1. Une fois de plus, aux yeux de millions d’Ivoiriens, ce qui précède et d’autres éléments liés à l’histoire ivoirienne présentent un tableau très troublant. La réalité est que depuis l’époque du Président Félix Houphouët-Boigny, notamment lorsque M. Alassane Ouattara était son Premier ministre, il a existé un plan pour neutraliser M. Gbagbo et la formation politique à laquelle il appartenait, le Front populaire ivoirien (FPI). Au cours de cette période, M. Gbagbo a été emprisonné et était régulièrement persécuté par les organes de sécurité de l’État en raison de sa campagne politique soutenue de démocratiser la Côte d’Ivoire et de libérer le pays du néocolonialisme.
34.1. Pour ces millions d’Ivoiriens qui ont partagé les vues de M. Gbagbo, il est logique de conclure que ce plan pour neutraliser M. Gbagbo et le mouvement démocratique qu’il a conduit a été appuyé par certains Ivoiriens et certaines forces extérieures.

34.2. Ces forces combinées sont intervenues en 2002 pour déposer par la force M. Gbagbo alors président, mais elles échouèrent.
34.3. Toutefois elles ont veillé à ce que le groupe armé qui avait tenté le coup d’État reste en place, prêt à essayer un autre coup d’État une fois que les conditions seraient de nouveau réunies – d’où l’occupation du nord et de certaines parties de l’ouest de la Côte d’Ivoire par les rebelles.
34.4. Finalement, le moment vint lorsque, huit ans après la tentative de coup d’État de 2002, la Côte d’Ivoire organisa des élections présidentielles en 2010.
34.5. Il est clair pour ses partisans ivoiriens que toutes les dispositions avaient été prises pour assurer la défaite de M. Gbagbo à ces élections. C’est pourquoi, aucune mesure n’a été prise pour le recomptage des voix comme suggéré par M. Gbagbo. Cela, en dépit du fait que c’est un processus très courant dans les cas où il y a d’importantes différences au sujet du vainqueur et du perdant des élections.
34.6. Il est également clair qu’ils avaient pris toutes les dispositions pour chasser M. Gbagbo par la force, s’il contestait sa défaite, et même si cette contestation était justifiée.
34.7. C’est pour cette raison que les rebelles ont été autorisés à se comporter comme ils l’ont fait, ainsi que l’a remarqué Mme Nesbitt, l’ambassadeur des États-Unis. [Cf. supra, § 33.9.1.]
34.8. C’est également pour cette raison que l’Union africaine (UA) n’a pas été autorisée à intervenir pour assurer le règlement pacifique du conflit post-électoral qui débuta en décembre 2010. Notons que l’UA aurait dû également chercher à négocier un accord entre MM. Laurent Gbagbo et Ouattara afin de résoudre certaines des anomalies structurelles en Côte d’Ivoire, qui ont eu une incidence négative sur son indépendance et sa stabilité.
34.9. Enfin pour neutraliser M. Gbagbo et le mouvement démocratique et anti-néocolonialiste qu’il dirigeait, il a été décidé que la meilleure chose à faire serait de l’inculper devant une cour de justice, de le déclarer coupable pour divers chefs d’accusation et de l’emprisonner pour une longue période.
34.10. Plusieurs leaders et militants du FPI ont connu le même sort.
34.11. De nombreux Ivoiriens pensent qu’une partie de cette tâche serait confiée à la Cour pénale internationale (CPI), qui servirait ainsi d’instrument utile dans la réalisation de la tâche stratégique de détruire le mouvement au service du renouveau de la Côte d’Ivoire.
  1. Pertinentes questions adressées à la CPI
35.1. Par conséquent, la question se pose de savoir comment la CPI devrait répondre à cette situation
où l’absence de Laurent Gbagbo de Côte d’Ivoire compromet les perspectives de stabilité dans ce pays, et la Cour est perçue par une grande partie d’Ivoiriens et de la société africaine comme ayant été instrumentalisée par une faction politique pour neutraliser Laurent Gbagbo et son parti !
35.2. Cette question doit interpeller la conscience des juges de la CPI, à cause de l’incidence négative de son action sur la nécessité cruciale et urgente d’empêcher une reprise de la guerre et de réaliser la réconciliation nationale en Côte d’Ivoire, qui ne peut être atteinte sans la participation de M. Gbagbo, du FPI, et de leurs partisans.
35.3. Bien que nos contacts avec eux nous révèlent que le FPI souhaite profondément que la réconciliation nationale ait lieu et qu’il est déterminé à participer à ce processus, il ne pourra le faire sans la participation de M. Gbagbo, qui est lui-même disposé à contribuer à cette réconciliation sans exiger la réélection des institutions de gouvernance.

35.4. Bien que nous reconnaissions que la CPI devrait poursuivre sa quête de preuves pour prononcer les inculpations et qu’elle est en droit d’attendre la décision définitive de chaque cas par les juges, nous estimons qu’une réévaluation du cas de M. Gbagbo est nécessaire en raison de la fragilité actuelle de la situation en Côte d’Ivoire, et par sa situation particulière, notamment la nécessité pour son implication positive dans le processus de réconciliation, d’unité et de stabilisation nationales. À cet égard, il est manifeste que :
(a) - M. Gbagbo n’était pas l’auteur mais plutôt la cible du recours aux armes par les autres en 2002 pour régler les divergences politiques ;
(b) - M. Gbagbo n’était pas l’initiateur mais un adversaire de la politique d'« ivoirité » qui est à l’origine du conflit ;
(c) - M. Gbagbo, contre la volonté d’un grand nombre d’Ivoiriens, a agi afin de permettre à M. Ouattara d’accéder démocratiquement à la présidence de la Côte d’Ivoire, et a donc transmis le message aux millions de migrants économiques résidents, qu’ils ne seront pas considérés comme des citoyens de seconde classe ;
(d) - M. Gbagbo était tellement soucieux que la Côte d’Ivoire redevienne une démocratie qu’il a même permis à ceux qui avaient cherché à le chasser du pouvoir par un coup d’État, de diriger le gouvernement qui serait chargé de conduire la transition vers la démocratie, en la personne du chef des rebelles ;
(e) - M. Gbagbo était déterminé à se retirer en tant que président de la République en faveur de M. Ouattara malgré sa conviction qu’il avait remporté les élections, évitant ainsi au pays plus de morts, de souffrances et de destructions de biens ; et,
(f) - Même certains juges au sein de la CPI ont soulevé des questions au sujet de l’existence de preuves suffisantes pour condamner M. Gbagbo.

36. Le contexte ivoirien et les perceptions populaires
36.1. Madame le Procureur, comme vous l’avez vu dans nos commentaires précédents, l’arrestation du Président Gbagbo en Côte d’Ivoire et son procès à La Haye ont eu lieu dans le contexte d’une situation politique extrêmement polarisée qui a abouti à la longue guerre civile en Côte d’Ivoire et à la division du pays.
36.2. Il était inévitable, dans ces conditions, que les mandats d’arrêt pour Laurent et Simone Gbagbo et pour Charles Blé Goudé alimentent le soupçon que c’est une justice des vainqueurs qui est en cours à la CPI : un soupçon aggravé par le fait qu’aucune accusation n’a été portée contre les opposants politiques du Président Gbagbo.
36.3. Par conséquent, pour d’importantes franges de la population de Côte d’Ivoire, l’insistance de la Cour que Simone Gbagbo soit aussi remise à la CPI pour subir un procès, a accentué cette perception d’une justice partiale, qui a été renforcée par l’arrestation et le transfert de M. Blé Goudé à la CPI.
36.4. Les expériences très médiatisées de M. Gbagbo à la CPI, auxquelles nous faisons allusion ci-dessous, ont ajouté au mécontentement d’importantes franges de la population ivoirienne et mettent en péril tout projet de cohésion nationale et toute perspective de redressement.
36.5. Comme vous le savez bien, et comme nous avons cherché à le démontrer, Laurent Gbagbo reste un acteur clé dans la politique ivoirienne, avec de nombreux partisans, et son absence persistante dans ce qui devrait être une recherche collective de la réconciliation nationale et de la stabilité en Côte d’Ivoire, expose la paix et la stabilité du pays à un risque extrême.
36.6. En outre, jusqu’à présent, certaines caractéristiques des procédures de la CPI aggravent également l’effet de polarisation de l’arrestation, de la détention et des poursuites de M. Gbagbo.
37. Les problèmes soulevés par le processus de confirmation
37.1. Madame le Procureur, comme vous le savez, le déroulement du procès de M. Gbagbo est suivi de très près en Côte d’Ivoire, et le processus de confirmation des charges retenues contre Laurent Gbagbo a suscité un intérêt particulier. Force est de reconnaître que ce processus ne s’est pas déroulé sans heurts. Qu’il vous souvienne qu’en juin 2013, par une décision majoritaire, la Chambre préliminaire (I) a estimé qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves à ce stade pour confirmer les accusations portées contre M. Gbagbo.
37.2. Le fait que la Chambre ait néanmoins alloué au procureur un temps additionnel pour fournir des preuves supplémentaires pour renforcer son cas et, qu’un an plus tard, en juin 2014, la Chambre ait pu confirmer ces charges uniquement par une décision prise à la majorité des voix, n’a pas échappé aux observateurs. Ni le fait que l’un des juges ait donné un avis absolument opposé, au motif qu’elle n’était pas convaincue de la qualité des preuves avancées pour affirmer la participation de M. Gbagbo aux crimes présumés.
37.3. Pour les observateurs intéressés, notamment en Côte d’Ivoire, mais également en dehors de ce pays, ce fut donc une approbation mitigée des accusations contre Laurent Gbagbo. Par ailleurs, cette division dans l’opinion judiciaire a accentué la perception de l’insuffisance juridique des preuves contre M. Gbagbo.
37.4. Pire encore, vous comprendrez, Madame le Procureur, que tout cela a fermement confirmé la conviction des partisans de M. Gbagbo qu’il ne devait répondre d’aucun chef d’accusation en première instance, et que la CPI s’employait à s’assurer que l’objectif prédéterminé de l’inculper était atteint.
38. Les retards dans l’affaire
38.1. Il y a d’autres éléments de l’affaire qu’il faut garder à l’esprit. Près de quatre ans après son transfert à La Haye, le procès de M. Gbagbo n’a toujours pas commencé. Bien que ce retard soit imputable à plusieurs raisons, y compris la complexité même des procédures, et la nécessité de veiller à ce que toutes les parties soient bien préparées pour tout procès ; et bien que les retards dans le contexte des procès à la CPI peuvent ne pas être inhabituels, il est indéniable que plus cette affaire traîne, plus il y a de risques que cela attise en Côte d’Ivoire les tensions politiques auxquelles nous avons déjà fait allusion.
38.2. Comme vous le savez, les retards seraient perçus par les partisans de M. Gbagbo comme une expression délibérée et hostile du principe selon lequel « justice différée équivaut à déni de justice ».
39. Détention prolongée
39.1. Le retard accusé dans cette affaire affecte énormément M. Gbagbo en raison de son maintien en détention à La Haye. En dépit des efforts incontestables de son équipe de défense, elle n’a pu obtenir la liberté provisoire de son client, bien que, selon les décisions de la Cour, un État tiers avait, à ce qu’il parait, accepté d’accueillir M. Gbagbo et qu’il assurerait sa présence à la Cour chaque fois que nécessaire. Un aspect particulièrement triste de sa détention est que l’an dernier, M. Gbagbo n’a même pas pu être libéré pour quelques jours pour assister à l’inhumation de sa mère.
  1. Bien que diverses décisions judiciaires puissent avoir été prises pour confirmer les accusations et maintenir M. Gbagbo en détention, il est impossible d’ignorer la réalité que cette affaire continue de diviser la Côte d’Ivoire et de compliquer la transformation cruciale de son paysage historique général.
40.1. C’est une préoccupation importante, et c’est elle qui justifie notre appel, et qui crée, à notre avis, l’impératif de réévaluer l’affaire Gbagbo et, en particulier, d’interroger la nécessité d’une poursuite qui a déjà montré des insuffisances manifestes, et suffisamment graves pour avoir entrainé une forte dissidence judiciaire contre la confirmation des charges.
41. Contexte général
41.1. En 1998, lorsqu’il a été signé, les États ont reconnu que le Statut de Rome pourrait fonctionner au sein du système des relations internationales et entraînerait inévitablement un empiétement sur la souveraineté des États. Toutefois, les négociateurs du traité ont à juste titre rejeté l’idée de tout mécanisme de filtrage ou de contrôle externe des travaux de la CPI parce que cela aurait constitué une interférence inacceptable à l’exercice de la discrétion et la prise de décisions du Procureur et des juges.
41.2. Toutefois, dans le but de protéger l’indépendance de la Cour, les États n’avaient pas abandonné l’idée que la nouvelle cour devait fonctionner d’une manière qui reconnaisse la complexité du système international ou dans les contextes nationaux et se sont fondés sur l’option de prendre dûment en considération, le cas échéant, la nécessité de favoriser les processus nationaux.
41.3. Plutôt, et au lieu de cela, les signataires du Statut ont confié au Procureur et aux juges, par une utilisation judicieuse de de leur pouvoir discrétionnaire, le droit et le devoir de procéder aux appréciations nécessaires pour que, lorsque les procédures de la CPI sont inappropriées ou contraires aux intérêts de la justice, ils prennent en compte toutes les considérations pertinentes, y compris l’impact de ses interventions sur la paix durable et la stabilité dans les sociétés.
41.4. Nous considérons donc que le Statut de Rome devrait rester entre les mains de la CPI comme un instrument vivant, capable d’une part, de poursuivre les responsabilités individuelles pour les crimes les plus graves, tout en préservant dans le même temps la capacité de répondre avec souplesse aux spécificités de chaque cas, en évitant de causer des préjudices. Cette approche, de notre point de vue, est compatible avec l’objet et le texte du Statut comme nous le comprenons.
41.5. Madame le Procureur, à notre avis, l’indépendance même de votre bureau, et celle des juges, sert à protéger les décideurs de la Cour de toute interférence, leur permettant ainsi de mettre en œuvre la sagesse qui est nécessaire à la Cour afin de contribuer à la recherche de solutions aux crises majeures au sein desquelles la Cour fonctionne inévitablement. Partant, la solidité et la valeur du Statut de Rome seront jugées non pas par l’inflexibilité de la CPI dans l’exercice de la justice, mais par sa capacité de réaction face à la complexité et à la nuance des diverses situations dont la CPI sera saisie.
41.5.1. À cet égard, nous devons souligner que notre appel n’a nullement pour intention de mettre en doute ou compromettre la nécessité de tenir pour responsables tous ceux qui commettent des infractions graves énoncées dans le Statut de Rome, et les obligations de la CPI à cet égard. Nous voudrions croire que comme ils traitent de la question extrêmement importante de la réconciliation nationale, les Ivoiriens se pencheront également sur la question de la justice, pleinement conscients de l’interconnexion entre les deux.
42. Retraits des chefs d’accusation contre Gbagbo
42.1. Madame le Procureur, nous reconnaissons que les défis auxquels la Côte d’Ivoire est confrontée ne sont pas propres à ce pays, et que dans d’autres contextes également, votre bureau sera confronté à des tensions entre les travaux de la CPI et les impératifs pour garantir la stabilité dans ces pays. Mais comme nous avons cherché à le démontrer, l’arrestation de Laurent Gbagbo a manifestement échoué à contribuer à la réconciliation politique et au redressement de ce pays, mais a plutôt freiné ce processus, polarisé les opinions et exacerbé les divisions de la société ivoirienne à tel point que nous sommes maintenant gravement préoccupés par la perspective de la reprise du conflit dans ce pays.
42.2. Nous sommes convaincus que l’effet cumulatif de la situation politique fragile en Côte d’Ivoire qui nécessite des efforts concertés pour parvenir à la réconciliation ; les incidences évidemment négatives du procès de Gbagbo sur cette situation ; l’occasion pour M. Gbagbo de faire une immense contribution à la recherche d’un règlement pacifique et de solutions humaines pour la Côte d’Ivoire ; les incertitudes entourant les preuves contre lui; ainsi que les divers autres éléments personnels à M. Gbagbo, justifient largement l’interruption du procès.
42.3. Madame le Procureur, vous nous pardonnerez pour le fait que nous ne soyons pas des spécialistes du Règlement de la Cour, et laisserons à votre appréciation la question des procédures nécessaires pour atteindre un résultat qui soit juste et équitable pour la Côte d’Ivoire, tout en reconnaissant que toute décision peut faire l’objet de confirmation judiciaire. Toutefois, nous espérons que vous comprendrez que nous avons une solide connaissance de la situation en Côte d’Ivoire et que vous nous rejoindrez dans la parfaite connaissance des défis de la construction de sociétés unies en Afrique, par le dialogue.
42.4. Madame le Procureur, nous devons souligner que rien de ce que nous disons ici ne vise à minimiser les crimes qui ont été commis dans le cadre de la contestation politique en Côte d’Ivoire. Nous adhérons à l’idée que les crimes les plus graves qui touchent la communauté internationale dans son ensemble ne devraient pas rester impunis mais devraient principalement être traités par des mesures prises au niveau national. À notre humble avis, en vertu du Statut de Rome, la Cour devrait, dans les circonstances qui prévalent en Côte d’Ivoire, s’en remettre à l’actuel processus national et aux mécanismes que les Ivoiriens, collectivement adopteront pour assurer la responsabilisation et la réconciliation relativement aux exactions commises lors de la crise dans ce pays.
42.5. Bien que nous reconnaissions que toute décision d’abandonner des charges pénales puisse être assujettie à l’autorisation des juges, nous sommes convaincus qu’à la lumière des nombreuses informations et analyses à votre disposition, ainsi que des problèmes que nous avons pu identifier dans la présente lettre, votre bureau, Madame le Procureur, est bien placé et équipé pour traiter cette question d’une manière qui va à la fois faire avancer la cause de la Cour et du peuple de Côte d’Ivoire, mais aussi de l’ensemble de l’Afrique.

43. Nous voudrions donc vous demander, Madame le Procureur, de réexaminer l’affaire Laurent Gbagbo et entamer le processus de son retrait ou de son interruption. Nous sommes convaincus que cette option est la meilleure façon pour la Cour de contribuer à la réalisation de la réconciliation nationale et de l’unité, de la stabilité, du redressement et de la responsabilisation de la Côte d’Ivoire, en donnant la possibilité à tous les Ivoiriens de se réunir pour régler leurs différends sans recourir à l’usage des armes.
Veuillez agréer Madame le Procureur, l’expression de nos sentiments distingués.


Traduction de l’anglais par Olivier K. Bassa, MA Translation Studies (University of the Witwatersrand, JHB, South Africa), Senior Freelance translator English/French, Member of the South African Translators’Institute (SATI). Johannesburg, South Africa