mardi 30 janvier 2018

« On peut vaincre, même quand tout semble perdu »…

Lebel N'Goran
Mondialisation, terrorisme, relations avec les anciennes puissances coloniales, crises politiques… l’Afrique subsaharienne fait face à de nombreux défis, qu’analysent pour Sputnik Lebel N’Goran, analyste politique ivoirien, spécialiste en stratégie et consultant en sécurité.
Sputnik: En qualité de citoyen de Côte d'Ivoire, comment évaluez-vous en tant qu'analyste la situation politique et économique de votre pays, ainsi que de l'Afrique de l'Ouest en général ?
Lebel N'Goran: Merci pour l'occasion que vous me donnez de partager mon point de vue sur mon pays, la Côte d'Ivoire et l'Afrique. Depuis 2011, la Cote d'Ivoire est politiquement en arrêt. Une majorité issue de deux partis anciennement adversaires (PDCI et RDR) se partagent le pouvoir sans réelle vision politique et de développement. L'opposition, divisée et inconséquente, est inexistante ou pire carrément en déconfiture programmée. L'après-guerre présente une fracture politique due à une justice absolument incompréhensible, à une réconciliation en panne ou non voulue. Politiquement, ce pays est en arrêt. Économiquement, la croissance de 8% annoncée n'est pas ressentie par les Ivoiriens. Une croissance non inclusive dit le gouvernement. Un concept qui signifie que le pays avance, mais personne n'en voit les retombées. Nous sommes dans un poker menteur. C'est triste.
En Afrique de l'Ouest, la bande sahélienne est menacée par le terrorisme, tout comme le nord du Nigeria. Il y a eu des attentats au Burkina et en Côte d'Ivoire, une grande première. Le Togo vit une situation embarrassante politiquement avec un président contesté, le Liberia donne des lueurs d'espoir avec l'élection de George Weah. Le Ghana poursuit une bonne tradition démocratique et développe surtout une économie locale structurée. Elle a gagné le procès contre la Côte d'Ivoire dans le golfe de Guinée et avec les réserves de pétrole, elle va être un pays qui compte.
Le Nigeria a du mal à suivre les réformes de l'administration Buhari. L'inflation fait mal à l'économie et ce géant a toujours du mal à se stabiliser. Globalement, l'Afrique de l'Ouest est statique économiquement et politiquement depuis 5 ans. L'économie est tributaire de la politique, c'est un cercle vicieux. On a toujours les mêmes élans des instances internationales: FMI, BAD, BM… mais la réalité est toute autre. Nous faisons du surplace.
Sputnik: Nombre d'activistes africains, surtout d'obédience panafricaniste, crient au manque d'indépendance et de souveraineté de plusieurs de pays de votre région. Pour autant, les solutions proposées pour y remédier diffèrent d'un acteur à l'autre. Quelle est votre vision sur cette question ?
Lebel N'Goran: Les indépendances sont de façade depuis 1960. Il faut être clair. Nous avons encore des bases militaires étrangères (françaises) en 2018. Une monnaie qui dépend du trésor français. Oui, nous ne sommes ni indépendants ni souverains. Nous sommes de facto des banlieues, ou des sous-préfectures. La faute est partagée. Nos leaders n'ont aucune vision stratégique, politique et, pire, sollicitent l'ancienne puissance coloniale dans la gestion des choses de l'État. Nous sommes des pays, mais pas des nations, ni des républiques puisque les lois sont toujours subordonnées à la violence dans bien de cas.
Il faut que les Africains prennent en mains leur destin, définissent leurs priorités, agissent exclusivement pour le bien de leurs populations. Il faut arrêter la politique de la main tendue, se mettre au travail avec des nations exemplaires et modèles. Les Africains doivent comprendre que la charité n'existe pas dans les relations internationales. On doit s'unir et travailler à rattraper notre énorme retard. Il faut penser l'Afrique de demain ensemble, entre Africains. Et bien sûr accepter le concours des nations amies, véritablement amies.
Sputnik: L'un des principaux défis du monde contemporain est celui du terrorisme. La lutte contre ce fléau est aujourd'hui la priorité d'un grand nombre de pays, pratiquement sur tous les continents. Surtout lorsqu'on sait que certains pays pensent que l'utilisation des groupes extrémistes afin d'atteindre des objectifs géopolitiques et géoéconomiques est amplement justifiée. Depuis les événements en Syrie, la Russie est vue comme une sorte d'avant-garde de la lutte antiterroriste, surtout depuis l'anéantissement à plus de 95% de Daech en terre syrienne — dans lequel la Russie a joué un rôle de premier plan. Comment entrevoyez-vous la coopération Russie-Afrique subsaharienne dans ce domaine, sachant par exemple que certains pays d'Afrique du Nord collaborent déjà très activement avec la Russie sur cette question ?
Lebel N'Goran: Les dispositifs antiterroristes sont encore trop lourds en Afrique. Face à une action terroriste légère, rapide et dévastatrice, il faut une réponse adaptée. C'est une guerre différente, donc elle doit procéder avec un dispositif différent. Tant qu'il y aura de bons et de mauvais terroristes comme au Mali, tant qu'il y aura des forces étrangères occidentales positionnées dans nos États, le terrorisme va grandir et se renforcer. Nous allons assister à une radicalisation des actions terroristes. Nous importons de fait une guerre dans laquelle nous n'avons aucun intérêt, où nous ne sommes que protagonistes par défaut. C'est une erreur stratégique que de laisser de développer ce cancer et ces bases militaires étrangères. Nous allons reproduire délibérément un écosystème propice du terrorisme en Afrique.
A contrario, la coopération russe est un modèle du genre. Elle donne de l'autonomie et de la compétence aux forces nationales. Il ne s'agit nullement d'implanter des bases à tout va, mais de permettre aux forces locales de monter en puissance et de gérer les situations en toute indépendance. C'est cela, une coopération efficace. Les Africains doivent gérer leur sécurité en toute autonomie.
Sputnik: Professionnellement parlant, vous représentez en Afrique de l'Ouest une société russe spécialisée dans les questions de sécurité. Localement, quels sont vos principaux domaines d'activité ? L'expérience russe est-elle nécessaire dans le domaine des livraisons de technologies et celui de la formation ? Entrevoyez-vous aussi de faire venir des spécialistes russes sur place pour des stages de qualification, si cela ne se fait pas déjà ?
Lebel N'Goran: Global Security («Global'naya Bezopasnost») intervient dans tous les domaines militaires, sauf pour les questions d'armement et munitions. Nos domaines d'activité sont le contre-terrorisme, la surveillance électronique et spatiale (scanner, détection, drones..), la fourniture de véhicules blindés militaires et civils, les transmissions cryptées, le matériel opérationnel pour les forces spéciales et les unités d'intervention, les matériels volants et navigants, les hôpitaux militaires de campagne… et surtout la formation en gestion des forces armées, police, dans toutes les composantes de leurs missions.
Nous aurons cette année des visites d'experts venant de Moscou. Il s'agit de voir les forces en présence, de comprendre les problématiques sur places et d'offrir des services à la carte. Le domaine sécuritaire demande une offre très solide et complète, car les enjeux sont très sensibles.
Il y a déjà des contacts sur lesquels je ne peux pas m'étendre pour des questions de confidentialité.
Sputnik: Vous appartenez à cette jeunesse active africaine résolument tournée vers le concept multipolaire du monde. Que représente concrètement pour vous ce concept ? Quel avenir souhaitez-vous pour les relations Afrique-Russie ? Et pourquoi selon vous l'exemple russe est de plus en plus cité aujourd'hui comme modèle de développement et d'indépendance au sein de la jeunesse africaine ?
Lebel N'Goran: Ces deux dernières décennies nous ont démontré qu'un monde unipolaire est un danger pour la stabilité du monde. Nous avons en exemple l'Irak, la Libye, l'Afghanistan, la Syrie… Le monde multipolaire renvoie à un monde de conciliation, à des décisions collégiales sur la marche du monde. Il ne s'agit plus de faire la guerre à des pays sans mandat, sans tenir compte du droit international ni de la souveraineté. L'exemple de la Syrie est édifiant. Comment peut-on armer des terroristes contre un pays souverain ? Et prétendre offrir la liberté et la prospérité ?
La Russie revient de loin. Depuis l'époque des Tsars jusqu'à la Révolution d'octobre 1917, de la Seconde guerre mondiale à la chute de l'URSS, le peuple russe a toujours été souverain et fort. La Russie est revenue à sa place à force de travail. La Russie est un exemple de nation qui se bat, qui s'organise, qui s'impose et dit fièrement au monde: nous avons gardé notre héritage de peuple souverain. Je suis personnellement admirateur des maréchaux Gueorgui Joukov et de Vassili Tchouïkov et surtout de la bataille de Stalingrad. On peut vaincre, même quand tout semble perdu.
La Russie est le meilleur exemple historique et récent pour la jeunesse africaine. Le cas de la Syrie est un exemple de loyauté et d'efficacité. La Russie est leader dans de nombreux domaines: technologie, informatique, éducation, agriculture, énergie, aéronautique… L'exemple russe est mieux adapté à notre culture et, je le rappelle, les Russes n'ont jamais colonisé de pays africain. Logiquement, on ne tombe pas amoureux de ses bourreaux ! Nous sortirons du syndrome de Stockholm bien plus vite que certains ne le croient…
Sputnik: Après la chute de l'URSS et une période de reflux de l'influence russe, on assiste dorénavant à un retour de plus en plus évident de la Russie en Afrique. Les élites politico-économico-médiatiques d'un certain nombre de pays le voient d'un bien mauvais œil. En tant que partisan des relations russo-africaines, saurez-vous résister aux pressions qui ressortent logiquement des opposants à ces relations ?
Lebel N'Goran: Les temps changent. Les pressions sont effectives, la perception des Russes savamment entretenues, présente un tableau effrayant pour dissuader la connexion. La propagande a atteint ses limites. Personne ne pourra empêcher ces relations. Grâce à Sputnik, RT et autre médias alternatifs, les barrières s'évanouissent. Personne ne pourra empêcher ces relations, la dynamique est lancée.
Il faut que les jeunes Africains et les Africains en général révisent l'histoire. La Russie est certes méconnue, mais elle est un pays avec lequel on peut compter, une nation amie.
Personne ne pourra dicter le choix des amis et des alliés. La Russie a toujours fait preuve de sa fiabilité. Nous irons à la rencontre du peuple russe et des intérêts russes.
Ni shagou nazad : plus un pas en arrière.

Propos recueillis par Mikhail Gamandiy-Egorov

Source : https://fr.sputniknews.com 30 janvier 2018

dimanche 28 janvier 2018

LE BÊTISIER HOUPHOUÉTISTE (suite)

AUJOURD’HUI, LA PAROLE AU RP CHARLES KONAN BANNY :
« La maison PDCI-RDA a été bâtie sur du rocher »

« La maison PDCI-RDA a été bâtie sur du rocher, cette maison résistera. Est-ce que le PDCI-RDA n'a pas connu le vent et la tempête ? Je ne veux pas blasphèmer. Le PDCI-RDA est bâti sur le rocher. Le PDCI-RDA, c'est aussi la maison où les valeurs, qui le fondent sont divines. Quand on parle de fraternité, de cohésion, de réconciliation, tout ça, ce sont les ministères divins. Dieu ne sépare pas, Dieu unit. Le PDCI-RDA, c'est la maison de l'union fraternelle. C'est la maison qui rassemble et qui a rassemblé, qui a fondé et qui fondera encore la Côte d'Ivoire. Il faut que nous soyons conscients de cela. Elle résistera, parce qu'elle est bâtie sur le rocher, elle est en JÉSUS-CHRIST. Si on veut pousser loin, le père fondateur, là où je vous parle, est auprès de JÉSUS, il nous regarde et il nous aidera, pourvu que nous ne nous écartions pas trop des principes sur lesquels il a fondé le parti. Le PDCI-RDA doit vivre, pour que la Côte d'Ivoire redevienne un pays prospère où autour du PDCI-RDA ou par le PDCI-RDA, les Ivoiriens doivent se réconcilier. J'y crois fermement. Il doit continuer à jouer son rôle. C'est le parti de la réconciliation, des retrouvailles et de la fraternité. C'est le parti qui symbolise la Côte d'Ivoire d'hier, d'aujourd'hui et qui sera le parti de la Côte d'Ivoire de demain. Nous devons tous travailler à cela ».


CE QUE LES INTERNAUTES EN PENSENT…

Rédigé par: Forestier de Lahou   le: Mercredi 24 Janvier 2018
C'est quoi ce discours de curé ? ça veut dire qu'on attend un miracle pour sauver le PDCI ? Monsieur Banny devrait aller visiter la maison du PDCI à Yamoussoukro pour voir sur quoi elle est bâtie et dans quel état elle est ! Le Vieux doit se retourner dans sa tombe.

Rédigé par: Gustave   le: Mercredi 24 Janvier 2018
Donc le PDCI-RDA est devenu une église maintenant ! C'est pour adorer JESUS-CHRIST que vous avez bati la maison du PDCI-RDA sur le rocher en JESUS-CHRIST ! Et ceux qui en sont membres ou sympathisants mais appartiennent à d'autres confessions religieuses alors ? Ils sont venus pour vous accompagner hein ! Je ne suis pas étonné que Charles Konan Banny dise de telles balivernes. PDCI-RDA en JESUS-CHRIST ?! S'il n'a rien à dire, il faut qu'il se taise surtout avec son langage touffu et toujours ambigu. Le PDCI-RDA est un parti politique et JESUS-CHRIST c'est la religion. Evitons de tout mélanger et de tromper les gens. En Côte d'Ivoire nous n'avons aucun problème religieux même si certaines personnes ont voulu utiliser la religion pour nous diviser sans y parvenir. Laissez la place à la jeunesse sinon vous allez avoir honte. Ce n'est que le début...

Rédigé par: Lago Tape   le: Mercredi 24 Janvier 2018
En clair, il ne croit pas en ce parti unifié que d'autres vantent tant...

Source : lebanco.net 24-01-2018

mercredi 24 janvier 2018

« …des soldats un peu particuliers, qui se payaient sur les populations qu’ils étaient censés protéger, et qui n’ont vécu finalement que de racket pendant toutes ces années… ».

Le général B. Clément-Bollée 
(RFI/Franck Launay)
Interview du général Bruno Clément-Bollée, ancien commandant de la Force Licorne.

RFI : Après deux mutineries successives, chacun des 8 400 mutins ivoiriens a obtenu 10 millions de francs CFA [15 200 euros]. Ces mutins, vous les connaissez bien. Que pensez-vous de leur mouvement ?
Bruno Clément-Bollée : Je pense d’abord que ce sont des soldats un peu particuliers. Ce sont des soldats qui sont au sein de l’armée ivoirienne aujourd’hui et qui n’ont pas eu de formation initiale. Et pour cause, pour la plupart d’entre eux, ils ont traîné pendant des années au sein des FAFN. Je rappelle que les FAFN [Forces armées des forces nouvelles], c’était des rebelles qui ont été intégrés, mais sans aucune formation, qui n’étaient pas payés, qui se payaient un peu sur les populations qu’ils étaient censés protéger, et qui n’ont vécu finalement que de racket pendant toutes ces années. Donc vous imaginez que, sans formation initiale, l’éthique et le comportement qu’on peut attendre de ces soldats seraient très fortement à reprendre.

D’où leurs actes d’indiscipline depuis le mois de janvier 2017 et les quatre morts qu’on a déplorés lors de leur dernière mutinerie. Donc ces mutins, ils réclamaient ces derniers mois des arriérés de soldes qui remontaient à début 2009. Pourquoi cette date ? Et que leur avait promis le président Ouattara à son arrivée au pouvoir en 2011 ?
Alors il faut revenir à l’accord politique de Ouagadougou qui avait stipulé qu’un quota de 8 400 places était offert au FAFN pour reconstruire l’armée.

L’accord politique de Ouagadougou de mars 2007, concernant notamment les Forces armées des forces nouvelles (FAFN), c’est-à-dire les combattants de Guillaume Soro ?
Voilà. Les dispositions de l’accord de Ouagadougou prévoyaient notamment que l’armée devrait être reconstruite rapidement et que les soldats devaient rentrer en fonction début 2009. Il se trouve que l’armée en fait n’a pu être reconstruite qu’à l’issue de la crise postélectorale, donc à la mi-2011. Mais le président, à ce moment-là, considérait que ces soldats devaient être considérés comme soldats depuis janvier 2009. Il y avait donc un arriéré de soldes assez conséquent. Et la base des revendications, elle vient de là.

En janvier 2017, le président Alassane Ouattara a versé à chacun de ces mutins, une première enveloppe de 5 millions de francs CFA [7 600 euros] et leur a promis que le reliquat de 7 millions [10 640 euros] serait versé d’ici la fin du mois de mai. Puis il s’est ravisé d’où la nouvelle mutinerie de ce mois de mai. Et là, le président Ouattara a tenté de mettre au pas les mutins, mais cela n’a pas marché. Pourquoi ?
Vous savez, quand vous menez une négociation, vous avez en gros deux stratégies : soit la fermeté, soit céder. La fermeté, il faut bien avoir derrière soi les moyens pour mener une telle politique. En l’occurrence, il y a eu alternance de stratégie, c’est-à-dire qu’on parle d’une fermeté affichée dans les médias et au résultat, on cède tout. Ça, c’est catastrophique dans ce type de situation.

Pour mettre au pas les mutins, le président voulait s’appuyer notamment sur les forces spéciales et le Groupement de la sécurité présidentielle (GSPR). Pourquoi ces unités-là n’ont pas réussi à faire rentrer les mutins dans leur caserne ?
Je crois qu’il y a au sein de l’armée nationale ivoirienne, un problème de cohésion. D’ailleurs, il n’y a pas eu de réconciliation. Je vous rappelle en plus que ces unités sont commandées par les ex com-zone [commandants de zone], dont on connaît l’origine, ils étaient entre le grade de caporal-chef et de sergent-chef. Ces fameux com-zone, eux, vivent dans l’opulence aujourd’hui et ce n’est peut-être pas le cas de tous les ex-combattants.

Donc quand vous envoyez les com-zone négocier avec les mutins, cela ne marche pas vraiment ?
A mon sens, ça ne marche pas vraiment parce que ces com-zones sont discréditées un petit peu auprès leurs troupes et ces com-zones ont plutôt été bien récompensés. Ils sont aujourd’hui lieutenants-colonels ou colonels, cela crée des envieux.

Le 12 mai, le pouvoir a choisi la fermeté. Il a fait monter des forces spéciales à Bouaké pour réduire la mutinerie. Mais les forces spéciales n’étaient pas très nombreuses et elles ont refusé de faire feu sur leurs anciens frères d’armes. Cela vous surprend-il ou pas ?
Pas vraiment. Ces unités dont vous parlez, elles sont originaires globalement de la même région que les mutins. Donc c’est un peu des cousins pour ne pas dire des frères. Puis autrefois, ils ont combattu ensemble pour certains d’entre eux. Cela souligne une fois de plus cette fragilité, cette division au sein de l’armée telle que je vous le disais. Cela veut dire qu’en plus, elle n’est pas bien commandée. On sait pourquoi. Les responsabilités ont été confiées aux chefs du Nord qui était mal ou pas formés. Et en revanche, tous les officiers originaires du Sud ont été écartés de toute responsabilité. Or, c’est eux qui étaient bien formés et qui avaient été formés en Europe, aux Etats-Unis. Et là-dedans, il y a des officiers de très bonne qualité. Et quand je parle de réconciliation, ça commence peut-être là.

Divine surprise dans la soirée du 14 mai à Bouaké, au moment où ces mutins étaient sur le point de céder, ils ont découvert dans une maison, appartenant au directeur du protocole de Guillaume Soro, un véritable arsenal de guerre. Est-ce que vous pouviez imaginer quand vous étiez vous-même à Bouaké qu’il pouvait exister un tel arsenal dans une maison particulière ?
Si à la DDR, on l’avait su, on aurait fait agir les autorités pour vider de tels entrepôts.

Alors il y a les mutins et puis il y a aussi les démobilisés qui, eux aussi, réclament leur part du gâteau ?
Ces démobilisés, il faut bien se rendre compte que ce sont vraiment les frères des 8 400. Ils les connaissent très bien. Ils ont combattu ensemble. En tout cas, ils étaient ensemble dans les rangs des FAFN pendant les dix années de crise. Donc, eux ils se disent quoi ? Eh bien, nous aussi.

Vous qui connaissez bien la situation en Côte d’Ivoire, pensez-vous qu’il puisse s’agir d’une déstabilisation menée en sous-main par des hommes politiques ?
Je crois qu’au départ, il n’y avait pas de tentative de déstabilisation, il n’y avait pas d’instrumentalisation. En revanche, les tentatives de récupération, cela est possible. C’est bien pour cela qu’il faut être vigilant parce que, maintenant que la crise est exportée de l’armée, il y a des risques de dérapage.

Le chef de tous ces anciens combattants FAFN du Nord, c'était Guillaume Soro. Aujourd’hui, il est président de l’Assemblée nationale. Et certains voient sa main derrière tout cela. Qu’en pensez-vous ?
Moi, je ne peux pas me prononcer. Je dis que ces tentatives de récupération, si tentative il y a, sont possibles. Il ne m’appartient pas de déterminer, tout simplement parce que je ne sais pas, de préciser les noms.

Propos recueillis par Christophe Boisbouvier

Source : RFI 25 mai 2017

vendredi 19 janvier 2018

La réponse d’Alain Mabanckou à Emmanuel Macron

Alain Mabanckou
Monsieur le Président,

Dans votre discours du 28 novembre à l’université de Ouagadougou, puis dans un courrier officiel que vous m’avez adressé le 13 décembre, vous m’avez proposé de « contribuer aux travaux de réflexion que vous souhaitez engager autour de la langue française et de la Francophonie ».
Au XIXème siècle, lorsque le mot «francophonie» avait été conçu par le géographe Onésime Reclus, il s’agissait alors, dans son esprit, de créer un ensemble plus vaste, pour ne pas dire de se lancer dans une véritable expansion coloniale. D’ailleurs, dans son ouvrage « Lâchons l’Asie, prenons l’Afrique » (1904), dans le dessein de «pérenniser» la grandeur de la France il se posait deux questions fondamentales : « Où renaître ? Comment durer ? »
Qu’est-ce qui a changé de nos jours ? La Francophonie est malheureusement encore perçue comme la continuation de la politique étrangère de la France dans ses anciennes colonies. Repenser la Francophonie ce n’est pas seulement « protéger » la langue française qui, du reste n’est pas du tout menacée comme on a tendance à le proclamer dans un élan d’auto-flagellation propre à la France. La culture et la langue françaises gardent leur prestige sur le plan mondial.
Les meilleurs spécialistes de la littérature française du Moyen-Âge sont américains. Les étudiants d’Amérique du Nord sont plus sensibilisés aux lettres francophones que leurs camarades français. La plupart des universités américaines créent et financent sans l’aide de la France des départements de littérature française et d’études francophones. Les écrivains qui ne sont pas nés en France et qui écrivent en français sont pour la plupart traduits en anglais : Ahmadou Kourouma, Anna Moï, Boualem Sansal, Tierno Monénembo, Abdourahman Waberi, Ken Bugul, Véronique Tadjo, Tahar Ben Jelloun, Aminata Sow Fall, Mariama Bâ, etc. La littérature française ne peut plus se contenter de la définition étriquée qui, à la longue, a fini par la marginaliser alors même que ses tentacules ne cessent de croître grâce à l’émergence d’un imaginaire-monde en français.
Tous les deux, nous avions eu à cet effet un échange à la Foire du livre de Francfort en octobre dernier, et je vous avais signifié publiquement mon désaccord quant à votre discours d’ouverture dans lequel vous n’aviez cité aucun auteur d’expression française venu d’ailleurs, vous contentant de porter au pinacle Goethe et Gérard de Nerval et d’affirmer que « l’Allemagne accueillait la France et la Francophonie », comme si la France n’était pas un pays francophone !
Dois-je rappeler aussi que le grand reproche qu’on adresse à la Francophonie «institutionnelle» est qu’elle n’a jamais pointé du doigt en Afrique les régimes autocratiques, les élections truquées, le manque de liberté d’expression, tout cela orchestré par des monarques qui s’expriment et assujettissent leurs populations en français ? Ces despotes s’accrochent au pouvoir en bidouillant les constitutions (rédigées en français) sans pour autant susciter l’indignation de tous les gouvernements qui ont précédé votre arrivée à la tête de l’Etat.
E. Macron : « ...Du coup il est parti réparer l'électricité... »
Il est certes louable de faire un discours à Ouagadougou à la jeunesse africaine, mais il serait utile, Monsieur le Président, que vous prouviez à ces jeunes gens que vous êtes d’une autre génération, que vous avez tourné la page et qu’ils ont droit, ici et maintenant, à ce que la langue française couve de plus beau, de plus noble et d’inaliénable : la liberté.
Par conséquent, et en raison de ces tares que charrie la Francophonie actuelle − en particulier les accointances avec les dirigeants des républiques bananières qui décapitent les rêves de la jeunesse africaine −, j’ai le regret, tout en vous priant d’agréer l’expression de ma haute considération, de vous signifier, Monsieur le Président, que je ne participerai pas à ce projet.

Alain Mabanckou (Santa Monica, le 15 janvier 2018)

Né en 1966 à Pointe-Noire (République du Congo), Alain Mabanckou est notamment l’auteur de « Verre cassé », « Mémoires de Porc-Epic » (prix Renaudot 2006) ou encore « Lumières de Pointe-Noire ». Il enseigne à l’université UCLA, à Los Angeles, et a occupé en 2016 la chaire annuelle de création artistique au Collège de France.


Source : http://iciabidjan.com 17 janvier 2018

mardi 16 janvier 2018

Côte d’Ivoire : De l’hospitalité à la haine ciblée

NAHIBLY 20 JUILLET 2012
Depuis le 07 août 1960, date de son accession à cette indépendance nominale, la Côte d’Ivoire s’est distinguée par son hospitalité et le dialogue permanent ; une sorte d’acide désoxyribonucléique (A.D.N.).
Cette hospitalité lui a imposé d’accueillir et d’abriter le plus de ressortissants étrangers qu’aucun autre pays de l’ouest africain, voire bien au-delà. Elle a fait de ce petit territoire, et c’est heureux, une terre d’adoption et/ou le passage obligé, voire le pays de tous les espoirs pour la quête d’un mieux-être.
Rien n’a jamais été trop cher pour s’ouvrir grandement à tous les peuples d’où qu’ils viennent. Il faut s’en réjouir parce que cela correspond à la philosophie profonde de l’Africain pour qui l’étranger ou l’allogène reste « un envoyé de Dieu ».
Hélas ce qui se passe depuis ces dernières années dans ce pays nous interroge sérieusement. En effet cette hospitalité semble perfidement et paradoxalement accoucher d’une haine rentrée et volontairement ciblée. Il y a un acharnement ouvertement assumé contre ceux et celles dont les ascendants voire les descendants ont ouvert grandement portes et fenêtres mais aussi les bras et les mains pour accueillir sans compter et sans se soucier de rien. Ces mains qui ont été ainsi tendues hier pour accueillir et intégrer sont impitoyablement en train d’être tranchées sans ménagement. L’horreur de cette situation est renforcée par le fait que cela se déroule avec la complicité hypocrite d’autres Ivoiriens dont le « cœur saigne » bien tardivement maintenant pour certains alors que d’autres pleurent en silence comme l’esclave qui redoute la fureur du maître. D’autres encore craignent que l’on ne se souvienne qu’ils ont été estampillés « ivoiritaires ».
Alors on se ferme les yeux ; on se bouche volontairement les oreilles et le nez et tous feignent de cultiver une indifférence pourtant bruyante. On célèbre la réussite là où l’échec social et celui du système éducatif par exemple le disputent à la misère des individus. Cette misère est d’ailleurs savamment emballée dans les chiffres d’une croissance qui n’a rien d’inclusive et qui n’est qu’un vil pansement recouvrant tristement cette plaie purulente des souffrances individuelles. Il faut flatter le prince qui vous a vaincus pour ne pas essuyer sa colère déchaînée. Vous pourriez être jetés en prison le temps que « sa justice » cherche un habillage pour vous condamner à 10, 15 ou 20 ans de prison, selon les jours et selon son humeur du moment mais toujours sans la moindre preuve factuelle.
Le dialogue qui autrefois avait été érigé en sève nourricière de la cohésion nationale a fait place à l’intolérance des cœurs de pierre.
Tout se passe désormais comme si mettre la nécessité absolue de la recherche de cette cohésion nationale au-dessus des projets éphémères et de cette économie volontairement extravertie était le synonyme détestable de la faiblesse redoutée. Ah, j’oubliais juste que ce qui avait été promis aux Ivoiriens, c’était précisément « un pouvoir fort qui ne doit justement montrer une once de faiblesse… ».
Devenu totalement impuissant, le peuple de Côte d’Ivoire est en train de faire hélas la terrible expérience d’un pouvoir machiavélique dont la seule valeur est le dieu argent. Tout, absolument tout, lui est sacrifié y compris la dignité humaine.
Oui, l’alchimie du mépris et l’extase que procure l’humiliation de l’adversaire vaincu grâce aux armes des autres a transformé l’hospitalité légendaire connue et reconnue à la Côte d’Ivoire en une haine sélective farouchement inextinguible.
La question est aujourd’hui celle-ci : jusqu’à quand les Ivoiriens devraient-ils ainsi s’enfermer dans la peur en acceptant de mourir à feu doux ; mais de mourir quand même ?

Raphaël Dagbo


EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».



Source : IvoireBusiness 13 Janvier 2018.

dimanche 14 janvier 2018

« Quelque chose était né après la chute de Blaise Compaoré. Le pouvoir actuel est en train de le tuer ».*

Lors du soulèvement burkinabé ayant mené à la chute de Blaise Compaoré en 2014, un schisme était apparu entre les forces de changement « historiques », au premier rang desquelles les syndicats, et les organisations dites « champignons » qui émergèrent alors. L’effet d’une cassure générationnelle, mais aussi de divergences stratégiques et idéologiques. Qui demeurent sur fond de déception.

 Foule à Ouagadougou le 28 octobre 2014

Au volant de sa voiture, une citadine sans prétention, M. Augustin Loada, habituellement peu volubile, se transforme en moulin à paroles. Une manière comme une autre d’exprimer son désarroi. « Si je devais monter une organisation aujourd’hui, je l’appellerais "Tout ça pour ça ?", assène-t-il, en se frayant un chemin dans les rues congestionnées de la capitale du Burkina Faso. Quelque chose était né après l’insurrection de 2014 qui aboutit à la chute du président Blaise Compaoré. Le pouvoir est en train de le tuer. C’est désolant ».
Professeur de droit et de science politique à l’université Ouaga-II (Ouagadougou), M. Loada a fondé il y a dix-sept ans le Centre pour la gouvernance démocratique (CGD). Lors des journées des 30 et 31 octobre 2014, il fut au cœur des négociations qui conduisirent à la fuite de M. Compaoré dans un hélicoptère de l’armée française[1]. Fidèle allié de Paris, le président du Burkina Faso était en poste depuis l’assassinat de Thomas Sankara, en 1987. M. Loada fut brièvement ministre de la fonction publique, du travail et de la sécurité sociale dans le gouvernement de transition (novembre 2014-novembre 2015).
S’il se dit fier d’avoir contribué à faire tomber un régime corrompu, l’ancien ministre redevenu enseignant admet à demi-mot un échec : « Au moment de l’insurrection, se souvient-il, je ne comprenais pas les dirigeants syndicaux qui faisaient tout pour saboter notre mouvement. Ils disaient : "Il ne s’agit pas de changer pour changer". Pour nous, c’étaient des discours de sophistes. Mais aujourd’hui je dois reconnaître qu’ils avaient en partie raison ». Trois ans après, le rapport de forces entre les organisations de la société civile (OSC), ainsi que leurs évolutions respectives, illustre les espoirs déçus qu’a engendrés la chute de M. Compaoré. À l’époque, un schisme était apparu entre les organisations « historiques », en raison de leur ancienneté, et celles que l’on surnomme les organisations « champignons », qui émergèrent en 2014.
Du côté des premières, on trouve les syndicats, à commencer par le plus influent d’entre eux, la Confédération générale du travail du Burkina (CGTB), et des organisations telles que le Mouvement burkinabé des droits de l’homme et des peuples (MBDHP), qui forment le noyau dur de la Coalition contre la vie chère (CCVC), une alliance informelle d’associations et de syndicats qui luttent contre la corruption, la fraude et l’impunité, et pour les libertés depuis une décennie. Ces structures, solidement implantées dans tout le pays, sont pour la plupart dirigées par des marxistes pur jus, étroitement liés au Parti communiste révolutionnaire voltaïque (PCRV), un parti clandestin fondé en 1978, qui prône une « véritable révolution » des masses laborieuses.
Alors que, dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest, les syndicats se cantonnent à leur mission de défense des intérêts des travailleurs et ne se risquent qu’à de rares incursions dans le jeu politique, ceux du Burkina jouent un rôle important dans la vie institutionnelle et économique. Ce sont ainsi des grèves générales qui conduisirent à la chute du « père de l’indépendance », Maurice Yaméogo, en 1966, et à celle du président Aboubacar Sangoulé Lamizana en 1980. Puis, en dépit de convergences idéologiques, le PCRV et les syndicats – arc-boutés sur des discours marxistes-léninistes stéréotypés – s’opposèrent à Thomas Sankara (1983-1987), dont l’humanisme révolutionnaire et la démocratie intégrale, teintés de panafricanisme, se tournaient autant vers les paysans que vers les ouvriers : ils considèrent la révolution qui le porta au pouvoir comme un coup d’État militaire. Qualifiés de « bourgeois réactionnaires », plusieurs syndicalistes furent à cette époque emprisonnés, parmi lesquels l’emblématique Soumane Touré. Ce conflit aurait contribué à l’affaiblissement politique de Thomas Sankara avant le coup d’État perpétré par M. Compaoré le 15 octobre 1987.
À la fin des années 1990, encore, ce sont les syndicats qui obtinrent des réformes démocratiques à l’issue de la forte mobilisation provoquée par l’assassinat du journaliste d’investigation Norbert Zongo (l’enquête sur sa mort a conduit, en 2017, à l’adoption d’un mandat d’arrêt international contre François Compaoré, le frère de l’ancien chef de l’État). À la suite d’une série de manifestations, ils ont notamment obtenu du président Compaoré qu’il rétablisse la disposition constitutionnelle limitant à deux le nombre de mandats possible qu’il avait supprimée en 1997[2]. Les organisations de travailleurs burkinabés, décrites par le sociologue Charles Kabeya Muase comme « des partis politiques dotés d’un droit de grève[3] », représentent donc, plus qu’ailleurs dans la sous-région, une force avec laquelle les gouvernants doivent compter.
Mais, en 2014, ces centrales historiques, particulièrement influentes dans la fonction publique et dans le secteur tertiaire, se voient débordées par une multitude de mouvements apparus du jour au lendemain (d’où le surnom d’organisations champignons), et dont le seul point commun est la volonté d’en finir avec le clan Compaoré. Le statut d’organisation de la société civile, défini par la loi du 15 décembre 1992, permet de les dénombrer : selon les chiffres du ministère de l’administration territoriale, 1.800 récépissés ont été délivrés en 2014, contre 800 l’année précédente. Essentiellement actifs en milieu urbain, le Balai citoyen, le Collectif anti-référendum (CAR), le Mouvement du 21 avril 2013 (M21) ou encore le Mouvement Brassard noir mobilisent dans la rue autant que sur les réseaux sociaux. Prônant l’action plutôt que la réflexion, s’inspirant parfois de Sankara, ils séduisent rapidement une jeunesse avide de changement.
Pendant l’année 2014, à travers tout le pays, ils manifestent contre le projet de référendum voulu par le président Compaoré pour modifier la Constitution et pouvoir se représenter à la magistrature suprême. Dans le secret des réunions nocturnes, les jeunes militants élaborent des plans pour briser le dispositif sécuritaire. Les 30 et 31 octobre, ils sont en première ligne. Les organisations traditionnelles, elles, sont « invisibles », se souvient M. Guy-Hervé Kam, un des porte-parole du Balai citoyen. Et leur silence, dit-il, est « assourdissant ». Accusées de complicité, ces organisations se voient même soupçonnées d’avoir été achetées par le pouvoir. Des allégations, récurrentes au Burkina, difficiles à prouver. Il est vrai cependant qu’un petit nombre de syndicalistes ont, au cours de l’année 2014, donné leur accord pour intégrer le Sénat que voulait créer Compaoré pour cadenasser un peu plus le pouvoir.
Pourquoi cette fracture au sein de la « société civile » burkinabé entre organisations historiques et champignons ? « Le facteur générationnel n’explique pas tout, loin de là, mais il s’avère central, selon M. Loada et le chercheur Mathieu Hilgers. De nombreux responsables d’associations influentes et de syndicats ont aujourd’hui la soixantaine, ou plus, et, malgré des discours parfois radicaux, ils ne pensent pas que leur rôle soit de renverser le régime. (...) Le pouvoir vieillit, dans un pays où plus de 75 % de la population en âge de voter a moins de 50 ans. (...) Cette jeune génération devient adulte dans un système politique verrouillé et, pour la majorité qui n’appartient pas au clan du pouvoir, avec le sentiment de ne pas être prise en considération[4] ».
Rebelle fort en gueule passé par plusieurs mouvements révolutionnaires, M. Hervé Ouattara répond à cette description. Début 2014, à l’âge de 34 ans, il fonde le CAR. Étroitement lié au Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) du futur président Roch Marc Christian Kaboré, le CAR met littéralement le feu dans Ouagadougou : plusieurs départs d’incendie sont constatés, visant des bâtiments officiels ou les résidences de caciques du régime. Selon lui, « un conflit de générations » explique la multiplication des OSC et la méfiance envers les syndicats. Mais ce n’est pas tout. De vraies divergences stratégiques et idéologiques opposent « anciens » et « nouveaux ». Éphémère militant du PCRV, il est bien placé pour analyser la stratégie des responsables syndicaux issus de ce mouvement : « Pour eux, la révolution doit passer par un travail auprès des classes laborieuses. Si cette règle n’est pas respectée, alors c’est un coup d’État ».
Militant syndical historique, ayant dirigé la CGT-B de 1988 à 2013, M. Tolé Sagnon n’a eu de cesse d’expliquer durant l’année 2014 que la lutte contre la modification de la Constitution n’était pas une priorité. « On se bat contre le libéralisme à outrance, affirmait-il encore quelques mois avant l’insurrection d’octobre. Or quelle est la politique de l’opposition ? Ce sont des libéraux, eux aussi ! À quoi cela servirait-il de changer un libéral pour un autre libéral ? On ne veut pas l’alternance, on veut l’alternative ». De fait, sur le plan économique, la politique menée par le président Kaboré, élu en novembre 2015, ne diffère guère de celle de son prédécesseur. Même si les discours mettent l’accent sur l’éducation et la santé, dans les faits, la priorité va toujours aux investisseurs étrangers. En privé, plusieurs hommes d’affaires locaux admettent sans difficulté qu’ils n’ont pas perdu au change.

Dans le discours de M. Sagnon pointait une forme de dédain à l’égard de ces jeunes qui ne sont pas allés à la bonne école – comprendre : celle de Karl Marx et de Lénine – et qui menacent les plans du PCRV, lequel a patiemment noyauté des secteurs-clés de la société, comme le monde enseignant. « Ils nous ont pris de haut, abonde M. Ouattara, du CAR. Pour eux, nous n’étions que des groupuscules réactionnaires ou bourgeois. L’insurrection les a surpris ». Inspirés par l’expérience sankariste, qui représente selon l’économiste Ra-Sablga Seydou Ouédraogo « le plus petit dénominateur commun des insurgés », ces cadets estimaient que tout valait mieux que M. Compaoré, même « un âne », comme ils se plaisaient à le dire. Souvent moqués par les OSC champignons pour leur incapacité à « changer de logiciel » depuis l’effondrement du bloc communiste, les « PCRVistes » n’en restent pas moins des militants influents au Burkina Faso. « Leur force, convient M. Kam, du Balai citoyen, c’est qu’ils sont ancrés dans le corps enseignant. Ils comptent sur ça pour recruter dès le collège et le lycée. Mais aujourd’hui les jeunes veulent entendre d’autres discours. Sankara leur parle davantage. Nous, on n’a pas besoin de lire Marx pour savoir ce que c’est le développement ».
L’université de Ouagadougou, haut lieu de la vie intellectuelle du pays où le nouveau président français fut accueilli fin novembre 2017, est le théâtre le plus spectaculaire de la fracture des gauches. En 2013, M. Serge Bayala, un membre du Balai citoyen, lance, avec d’autres étudiants sankaristes, une curieuse initiative : « Le Cadre, deux heures pour nous, deux heures pour l’Afrique ». L’idée est de proposer quotidiennement deux heures (ou plus) de débat autour d’un thème, au cœur du campus, dans le but « de conscientiser les étudiants » et de leur permettre de « s’emparer des problèmes qui touchent l’ensemble des Africains » par la promotion des idées de Sankara. Chaque jour en 2013 et 2014, le Cadre réunit entre cent cinquante et six cents personnes. Mais l’initiative se heurte rapidement aux « maîtres » du campus : les membres des syndicats d’étudiants, dont l’Association nationale des étudiants burkinabés du Burkina (ANEB). Ce syndicat et l’organisation à laquelle il est affilié, l’Union générale des étudiants burkinabés (UGEB), sont deux institutions dans le pays. Ni la révolution sankariste ni le régime Compaoré n’ont réussi à les mater.
L’UGEB, qui a adopté la tactique et la stratégie du PCRV dès sa naissance en 1981, a formé des générations de militants, qui ont ensuite occupé des responsabilités dans les partis politiques, les syndicats et les organisations. « Si on a créé le Cadre, c’est parce qu’on ne se retrouvait pas dans le syndicalisme qui exploite la misère humaine à des fins politiciennes, et qui est téléguidé par des partis politiques, explique M. Bayala. Avec le Cadre, nous remettions en cause leur autorité. Ils nous ont discrédités auprès des étudiants. Ils nous qualifiaient de structures fantoches. Et, quand nous avons appelé à descendre dans la rue en octobre 2014, ils s’y sont opposés. “Tant que la révolution ne sera pas faite par d’authentiques révolutionnaires, elle échouera”, disaient-ils ».
À l’ANEB, le discours n’a guère varié. M. Alexis Zabré, étudiant en septième année de médecine, préside le syndicat depuis mars 2017. Pour lui, c’est une évidence, « l’insurrection fut un échec », et les organisations telles que le Balai citoyen ont manqué de « maturité ». Il en veut pour preuve la situation des étudiants, qui ne s’est pas améliorée – « loin de là » – depuis la chute de M. Compaoré, qui vit désormais un exil doré en Côte d’Ivoire : surpopulation, manque de professeurs, aides sociales insuffisantes. Pour M. Zabré, un vrai changement ne sera possible qu’avec « les structures qui ont construit la lutte dans la durée ». Quant aux organisations champignons, divisées, voire franchement hostiles les unes aux autres, elles tentent de se trouver une nouvelle raison d’être. Des regroupements s’organisent : la Coalition Ditanyè, animée par le Balai citoyen, entend « faire triompher l’esprit et les idéaux de l’insurrection populaire » ; la Coalition Bori Bana, à laquelle adhère le CAR, veut « faire des propositions de solutions dans les domaines de la santé, de l’économie, de l’éducation » ; le Réseau Dignité souhaite pour sa part « sonner la fin de la récréation » et faire le tri entre les organisations « vertueuses » et les autres...
« Blaise [Compaoré] est tombé. On doit donc se réinventer », admet M. Ouattara, dont le mouvement, le CAR, a changé de nom pour devenir le mouvement Citoyen africain pour la renaissance, tout en gardant le même sigle. M. Ouattara s’inscrit dans la mouvance panafricaniste et a fait de la lutte contre le franc CFA, « une monnaie coloniale », son nouvel objectif. Il l’admet cependant : « Le CAR avait attiré du monde avant l’insurrection, mais beaucoup de ses militants sont partis après ».
Son mouvement, comme d’autres organisations champignons, a perdu sa crédibilité durant la période de transition. Dans les jours qui ont suivi le départ précipité de M. Compaoré, certaines des nouvelles organisations se sont ainsi tournées vers l’armée. Sans leur soutien, M. Yacouba Isaac Zida, un officier du régiment de sécurité présidentielle, la garde prétorienne du président déchu, n’aurait probablement jamais été catapulté à la tête de la transition. Les organisations traditionnelles ont alors crié au « coup d’État militaire ». « Cette erreur, explique M. Chrysogone Zougmoré, président du Mouvement burkinabé des droits de l’homme et des peuples (organisation née en 1989), ils l’ont commise parce qu’ils ne connaissent pas notre histoire. Ils ont reproduit ce qui c’était passé en 1966 [les militaires avaient pris le pouvoir après la chute du président Yaméogo]. Les syndicats avaient retenu la leçon, eux ». Ce sexagénaire raffiné savoure une certaine revanche. « Les OSC champignons s’essoufflent, poursuit-il. On leur a donné une importance qu’elles n’ont jamais eue ». Tout en reconnaissant leur rôle en 2014, il souligne que rien n’aurait été obtenu sans le combat mené par les syndicats et son organisation depuis la mort de Norbert Zongo en 1998 : « L’année 2014 fut l’aboutissement d’un long processus dans lequel nous avons joué un rôle majeur. C’est nous qui avons posé les jalons de l’insurrection. Notre force est notre représentativité sur l’ensemble du territoire. Le Balai citoyen, où est-il, hors de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso ? ».

Le discours est le même, mot pour mot, à la Bourse du travail. Qualifié à Ouagadougou de « QG du marxisme », ce lieu abrite l’ensemble des organisations syndicales du Burkina Faso. En 2016, il a été refait à neuf. Un « cadeau » du nouveau régime. Six jours sur sept, les réunions et les ateliers s’y enchaînent. Ce samedi du mois de septembre 2017, les représentants des six centrales syndicales du pays[5] se donnent du « camarade » dans une pièce du rez-de-chaussée. Ils sont réunis pour analyser les résultats d’une étude menée par le cabinet d’audit Faso Conseil Développement à la demande de la CGT-B, et consacrée au taux de syndicalisation au Burkina Faso. Quoique imparfaite en raison de données parcellaires, l’enquête confirme leur poids dans le pays. Sur 530.701 travailleurs répertoriés (156.231 fonctionnaires et 369.470 salariés du privé), près de la moitié (47 %) sont syndiqués. Un taux « très élevé », selon le cabinet d’étude, que l’on ne retrouve pas chez les voisins d’Afrique de l’Ouest.
Un bémol tout de même, et non des moindres : cette étude ne prend en compte que les salariés qui cotisent à la Caisse nationale de sécurité sociale... et qui ne représentent que 8 % des actifs du pays. Les 92 % restants, qui œuvrent pour la plupart dans l’économie informelle – paysans vivant de l’agriculture vivrière, orpailleurs travaillant dans les quelque trois cents mines d’or artisanales du pays, ou encore commerçants ambulants, soit près de six millions de personnes –, demeurent étrangers à l’univers syndical. « À un moment, la population n’a plus fait confiance aux syndicats. Elle a fini par les percevoir comme les défenseurs des cent mille fonctionnaires, mais pas des dix-sept millions d’autres Burkinabés », souligne M. Ouattara. Sankara ne disait pas autre chose...
Avec près de 100.000 adhérents revendiqués (160.000 si l’on englobe les syndicats autonomes qui lui sont affiliés, et qui partagent les mêmes orientations, à savoir « un syndicalisme révolutionnaire de lutte de classes »), la CGT-B est la première centrale du pays. Son secrétaire général, M. Bassolma Bazié, un quinquagénaire au français distingué capable de citer Friedrich Engels, Marx et Lénine en l’espace de quelques minutes, se délecte des déboires des OSC champignons. « Certains observateurs ont dit, après l’insurrection, que le mouvement syndical était fini. Mais nous sommes toujours là. Nous avions une lecture d’avance », clame-t-il. S’il reconnaît la discrétion des syndicats en 2014, il rappelle qu’ils ont été en première ligne, en revanche, mi-septembre 2015, pour résister à l’éphémère coup d’État des nostalgiques de l’ancien régime mené par le général Gilbert Diendéré. Il met au crédit du mouvement spontané de 2014 « la libération de la parole », « une plus grande indépendance des pouvoirs judiciaire et législatif », et même « quelques avancées sociales », comme l’intégration de nombreux contractuels dans la fonction publique ou la réforme en cours du code du travail, qui devrait donner plus de droits aux salariés... Mais, pour le reste, « rien n’a vraiment changé ». Le pays a retrouvé le même taux de croissance économique qu’avant l’insurrection (6,2 % en 2016, selon le Fonds monétaire international), mais celle-ci ne profite pas plus qu’hier à la majorité des Burkinabés. Le pays demeure dans le bas du classement de l’indice du développement humain (IDH) du Programme des Nations unies pour le développement (185e sur 188).
La CGT-B et les autres syndicats se montrent toujours très actifs. En 2016 et 2017, les grèves se multiplient : au sein du Trésor, dans la police, l’éducation, la santé ou encore chez les administrateurs civils... « Pendant que les organisations de la société civile connaissent un recul, voire une sorte de léthargie pour certaines d’entre elles, les syndicats ont occupé le devant de la scène », constate l’institut Free Afrik, un groupe de recherche et de formation qui revendique « l’économie au service de la liberté ». Alors qu’entre 2008 et 2014 on comptait entre cinq et quinze grèves par an dans la fonction publique, on en a enregistré une quarantaine en 2016, et autant l’année dernière. Cette vague de mobilisations illustre la montée des revendications sectorielles, mais aussi « une concurrence des plates-formes corporatistes »[6].
On assiste depuis la chute du régime Compaoré à une inflation du nombre de syndicats. Sur quarante-deux organisations autonomes (indépendantes des six grandes centrales) répertoriées, les deux tiers ont vu le jour après 2014, essentiellement dans la fonction publique. Pour M. Ra-Sablga Seydou Ouedraogo, le directeur exécutif de Free Afrik, loin d’être une avancée démocratique, il s’agirait d’une « dérive[7] ». Intellectuel intransigeant, M. Ouedraogo a joué un rôle important de conseil durant la transition. C’est un homme atypique, aussi à l’aise dans les milieux sankaristes qu’aux côtés des hommes d’affaires, qui ne cache pas son hostilité envers les syndicats. « Dans les années 1990, explique-t-il, les syndicats formulaient des revendications globales, y compris au sujet des libertés publiques. Aujourd’hui, on n’entend plus que des revendications corporatistes ». Pour M. Ouedraogo, la faute en revient notamment au PCRV, une organisation qu’il qualifie de « réactionnaire », « en difficulté avec la réalité », et dont il pense qu’elle sert in fine les intérêts du pouvoir, quel qu’il soit.

De fait, en dépit d’une clandestinité savamment cultivée, les liens entre le PCRV et le pouvoir exécutif n’ont jamais été rompus – sous Compaoré comme sous Kaboré. « Blaise [Compaoré] les maîtrisait, explique aujourd’hui un proche de l’ancien président. Il était en contact avec eux et il les soutenait financièrement quand ils étaient dans le besoin ». Plusieurs d’entre eux ont récemment été nommés à des postes-clés, à l’image de M. Halidou Ouédraogo. En 2016, l’ancien président du Mouvement burkinabé des droits de l’homme et des peuples a été placé par M. Kaboré à la tête de la commission chargée de poser les bases d’une nouvelle Constitution.
Mais, en acceptant des postes sous la transition ou après l’élection du président Kaboré en 2015, plusieurs responsables d’organisations récentes se sont également brûlé les ailes. M. Chérif Sy, un journaliste qui fut de tous les combats sous Compaoré et qui a dirigé l’Assemblée nationale durant la transition, est désormais haut représentant du chef de l’État, sans mission précise. Plusieurs membres du Balai citoyen ont été enrôlés par les autorités pour poser les fondements d’un mémorial consacré à Sankara. « On peut penser que c’est un moyen de les occuper à autre chose qu’à jouer les vigies de la démocratie », avance Abdoulaye Ouedraogo, auteur d’une enquête sur l’insurrection de 2014[8]. Selon un diplomate français qui les a un temps fréquentés, « les leaders de Y en a marre [au Sénégal] ont une vraie vision politique, alors que ceux du Balai citoyen sont plus dans l’agit-prop ». Contrairement à leurs « cousins » sénégalais, certains membres du Balai citoyen n’ont pas toujours su garder leurs distances avec le pouvoir.

Rémi Carayol
*Titre original : « Les espoirs déçus de l’après-Compaoré. Au Burkina Faso, deux conceptions de la révolution ».

Source : Le Monde diplomatique, janvier 2018


NOTES

[1] - Lire David Commeillas, « Coup de Balai citoyen au Burkina Faso », Le Monde diplomatique, avril 2015.
[2] - Mathieu Hilgers et Augustin Loada, « Tensions et protestations dans un régime semi-autoritaire : croissance des révoltes populaires et maintien du pouvoir au Burkina Faso », Politique africaine, 2013/3, n° 131, Paris.
[3] - Charles Kabeya Muase, « Syndicalisme et démocratie en Afrique noire. L’expérience du Burkina Faso », Karthala, Paris, 1989.
[4] - Mathieu Hilgers et Augustin Loada, art. cit.
[5] - Confédération générale du travail du Burkina (CGT-B), Confédération nationale des travailleurs du Burkina (CNTB), Confédération syndicale burkinabé (CSB), Force ouvrière-Union nationale des syndicats libres (FO-UNS), Organisation nationale des syndicats libres (ONSL), Union syndicale des travailleurs du Burkina (USTB).
[6] - « Burkina Faso 2016-2017. S’éloigner du précipice, engager le renouveau ! », Free Afrik, Ouagadougou, janvier 2017.
[7] - Cf. la préface de Ra-Sablga Seydou Ouedraogo dans Bruno Jaffé, « Thomas Sankara, la liberté contre le destin » Éditions Syllepse, Paris, 2017.
[8] - Abdoulaye Ouedraogo et Sylvie Capitant, « Burkina Faso : mobilisations sociales pour une insurrection inachevée », dans « État des résistances dans le Sud », Afrique, Alternatives Sud, vol. XXIII, n° 4, Cetri, Éditions Syllepses, Paris, 2016.