mardi 31 mars 2015

Au Centre d’observation des mineurs (COM)… En attendant l’émergence.


En cas d'agression, les détenus tapent sur les barreaux
pour alerter les gardes pénitentiaires.
Crédits : Roland Polman
Le premier choc, c’est l’odeur. Celle des excréments, engluée dans une humidité poisseuse impossible à chasser dans ces couloirs sans lumière. Chaque semaine pourtant, les bénévoles de la fondation Amigo, des religieux catholiques pour la plupart, aident les enfants à balayer leur dortoir et à récurer les sanitaires, constamment bouchés.
Les détenus volontaires sont nombreux, visiblement heureux de s’acquitter d’une corvée qui leur permet de retrouver quelques millimètres de propreté là où la crasse semble s’être inexorablement incrustée. La tâche est éreintante : au premier étage, celui des dortoirs, il n’y a pas d’eau courante. L’unique robinet, qui ne fonctionne que quelques heures par jour, se trouve dans la cour au rez-de-chaussée.
Après avoir grimpé les escaliers pliés sous le poids de leurs bassines, les jeunes garçons jettent les litres d’eau savonneuse sur le sol pour faire fuir les rats, qui déguerpissent jusqu’à la cour en attendant de remonter. « Ils viennent la nuit nous manger la corne des pieds, ça nous réveille », explique Eloge[1], en s’amusant de la grimace d’effroi de son interlocutrice. 

Entre 60 et 80 « pensionnaires » 


Difficile de croire qu’une telle scène, digne d’un roman réaliste du XIXe siècle, ait lieu à Abidjan. Cette capitale économique qui a vu son centre-ville repeint de couleurs vives au moment où les autorités inauguraient avec de fastueux feux d’artifice le pont Henri-Konan-Bédié en décembre 2014. C’est pourtant bien ce que vivent les jeunes du Centre d’observation des mineurs (COM), qui accueille entre 60 et 80 « pensionnaires » en moyenne toute l’année.
Logé dans l’enceinte de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca), dans la commune de Yopougon, ce qui devrait être un centre d’accompagnement judiciaire applique de fait une politique carcérale. « On n’est pas sereins à cause de nos voisins, témoigne Brou Degui, le directeur du COM depuis seize ans. Il est arrivé que des détenus adultes sautent le mur pour venir agresser les enfants. Heureusement l’Onuci nous a aidés à poser des barbelés. »
Des agressions, un terme pudique pour parler des viols qu’ont subi plusieurs jeunes. Des médicaments, de la drogue et divers objets sont aussi échangés, jetés au-dessus de ce mur. Dans la cour, le personnel d’encadrement est invisible ou presque : les éducateurs du COM sont censés arriver à 9 heures et partir à 17 heures, « mais ils rentrent souvent chez eux dès midi, et passent leur temps dans leur bureau climatisé », s’énerve un humanitaire qui intervient régulièrement sur place. Quand les adultes quittent les lieux, les jeunes sont enfermés à l’étage des dortoirs. « En cas d’urgence, ils tapent sur les barreaux pour alerter les gardes pénitentiaires », assume le directeur.
Les mineurs sont alors abandonnés à eux-mêmes, dans cet espace où il n’y a rien de superflu, et même pas l’essentiel. Alors que la nuit tombe autour de 18 h 30, certains box n’ont même pas d’ampoule. Ce que les détenus qualifient pompeusement de lit se résume à un moulage de béton, sur lequel ils posent une simple natte. Les « anciens », une dizaine tout au plus, dorment sur une mince couche de mousse qui s’effrite. Des ONG donnent pourtant régulièrement des matelas ou du matériel pour les ateliers… Des cadeaux souvent mis de côté dans une salle du deuxième étage, fermée à clé par le directeur du COM, qui assure attendre d’avoir assez de matelas pour en distribuer à tous les détenus.
Des humanitaires ont pourtant apporté 150 matelas bien épais entre 2011 et 2012. « On se demande comment ils ont pu disparaître, s’étonne le père Vincent, directeur de la fondation Amigo. C’est pareil pour les assiettes et le reste… Parfois les enfants vendent ce qu’on leur donne pour améliorer le quotidien, mais ça ne peut pas tout expliquer. » Les jeunes, eux, ne s’embarrassent pas des convenances, et expliquent que les éducateurs partent régulièrement avec les cadeaux des ONG sous le bras, en les cachant à peine.
Une situation vraisemblable à la vue des rares moustiquaires installées dans les dortoirs, qu’aucun crochet n’a été prévu pour tendre : les quelques protections vertes sont nouées aux néons cassés ou aux barreaux des fenêtres, dans un enchevêtrement fébrile de fils qui menace de s’effondrer. Amidou lui n’en a pas. Quand le garçon de 14 ans remonte la manche de son pull élimé, sa peau noire s’efface presque sous les marques roses laissées par les piqûres. Les moustiques n’ont pas à chercher loin pour se reproduire, car la cour et ce qui a un jour ressemblé à un terrain de basket sont partiellement noyés sous les flaques d’eau stagnante, sans parler des eaux usées qui remontent après chaque pluie.
Amidou est si fatigué que ce sont ses compagnons de chambrée qui racontent ses séjours à

La peau des détenus s’efface presque sous
les marques roses laissées par les piqûres de moustiques.
Crédits : Roland Polman
l’hôpital à cause de ses poumons abîmés. Le frêle garçon ouvre la main pour montrer les cachets jaunes que l’administration a miraculeusement pu lui procurer, des antibiotiques prescrits notamment en cas de pneumonie, piètre consolation dans cet environnement insalubre. La Maca a pourtant été réhabilitée en 2011 après la crise, des travaux de près de 2,5 milliards de CFA (environ 3,5 millions d’euros). Le COM est censé avoir bénéficié d’une partie de ce financement, notamment pour la plomberie, pourtant les sanitaires sont inutilisables…
Amidou s’inquiète des douleurs dans sa poitrine qui l’oppressent de plus en plus fort. Heureusement, il n’est pas là depuis assez longtemps pour savoir qu’un pensionnaire est mort d’une simple crise de palu, en décembre 2013, au moment des congés de Noël.
« Nous n’avons pas d’infirmier, alors c’est un éducateur qui se charge des premiers soins, se désole Brou Degui, le directeur. Quand un jeune a fait une crise d’appendicite, il y a quelques semaines, c’est le personnel judiciaire qui s’est cotisé pour lui payer l’opération. »
 
Un budget annuel qui ne tient que trois mois
 
Le COM fonctionne sur un budget annuel de 24 millions de CFA (environ 36 000 euros). « Ça nous permet de tenir pendant trois mois, soupire Brou Degui. On doit payer les produits d’entretien, les fournitures de bureau, le carburant du personnel… mais la plus grosse partie est dédiée aux repas. » Des produits d’entretien gardés précieusement dans le bureau du directeur, rarement distribués aux enfants. Pareil pour la télévision plasma neuve, encore dans son carton, un autre don d’ONG. « On cherche l’endroit idéal où l’installer », explique Brou Degui, qui ne semble pas pressé de fournir aux détenus cette unique occasion de loisir.
Quant aux repas, il n’y a pas de petit-déjeuner, et à midi, on livre aux mineurs d’énormes marmites, réparties entre du riz compact et une sauce aux morceaux de viandes rares et douteux. « Il y a des cailloux, du sable, c’est immangeable », se plaignent les jeunes sans même qu’on leur pose la question. « Les juges des enfants sont venus nous voir début décembre, mais les éducateurs ont caché les marmites, s’énerve Séverin, 15 ans. S’ils savaient ce qu’on mange, ils feraient quelque chose. »
Il est encore plus difficile de comprendre la manière dont le budget du COM est réparti quand on sait que tous les repas viennent de la Maca voisine. Un lien qui brouille davantage la frontière censée séparer les deux établissements. « Quand les parents veulent rendre visite à leur enfant, ils doivent demander un billet comme pour la maison d’arrêt alors qu’on devrait avoir un régime spécial », regrette le directeur.
 
Une « prison qui ne dit pas son nom »
 
 Mais rares sont les proches qui tentent l’expérience, car la plupart de ces délinquants sont en rupture avec leurs parents. Quand ils sont arrêtés par la police, souvent pour des délits mineurs comme des vols, ils plongent dans un cercle vicieux : incapables de fournir le nom d’un référent familial aux policiers, ils sont placés en détention par un juge, le temps qu’un parent vienne les chercher. Une situation kafkaïenne décrite dans un rapport de la protection judiciaire de l’enfance et de la jeunesse de février 2014.
« La durée de la détention ne dépend plus forcément du délit, mais principalement de la réaction parentale. (…) De nombreux parents ont disparu, sont injoignables, ou encore, font le choix délibéré de ne pas récupérer l’enfant. Ainsi, la plupart des enfants seront privés de liberté autant que voudra le juge. (…) Il semble cependant peu logique que le mineur ait pu être placé sous observation sans référent légal, alors que cette absence pourrait être considérée comme une condition de nullité de la procédure judiciaire. Ainsi, l’on constate que le droit est écarté lors de la mise sous observation, mais strictement respecté lors de la modification de la garde. »
Il y a aussi les nombreux parents jamais prévenus de la présence de leur enfant au COM, à cause d’un budget dédié aux recherches qui ne serait pas suffisant. Les enfants restent ainsi en moyenne 7 à 8 mois dans cette « prison qui ne dit pas son nom » selon une source au ministère de la justice, certains sont parfois restés deux ans…
 
Pédophilie, transmission du VIH Sida...
 
D’autres parents refusent de venir chercher leur enfant car ils pensent qu’il est souillé par ce qu’on assimile à un passage en prison, accablant de honte la famille. Il est vrai que plusieurs mineurs sont bien à la Maca, de l’autre côté du mur du COM. Il s’agit des filles et des garçons placés sous « MD » (mandat de dépôt), qui ont commis des fautes considérées comme graves par le juge. Une proximité avec les adultes qui créé de nombreux problèmes : de la pédophilie et leur corollaire, des cas de transmission du VIH Sida, assure, désolée, cette source au ministère de la justice, qui admet que la justice juvénile est négligée en Côte d’Ivoire : « Si les magistrats rendaient plus souvent visite aux détenus dans les centres pénitentiaires comme ils en ont le devoir, ils y réfléchiraient à deux fois avant d’envoyer directement quelqu’un en prison ».
Le père Vincent, le directeur de la Fondation Amigo, propose une solution depuis plusieurs années : la création d’un établissement dédié aux mineurs, dans une autre zone d’Abidjan. Une convention a été signée en 2009 entre cette ONG spécialisée dans la réinsertion des jeunes en difficulté et le ministère de la justice. La construction du centre d’observation Zagal est quasiment terminée, reste à définir le financement du projet pour qu’il se concrétise.
 
Titre original : « Dans l’enfer de la prison pour mineurs d’Abidjan ».
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Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ». 
 
Source : Le Monde 27 mars 2015

[1] - Tous les prénoms ont été modifiés.

samedi 28 mars 2015

Henri Konan Bédié ou le portefaix le mieux payé au monde*

Bédié "accompagnant" la présidence de Ouattara
Heureux qui comme Henri Konan Bédié peut jouir des ors et lambris du pouvoir sans être aux affaires ! A 80 ans bien sonnés cette année, le prince des Nambê de Daoukro ne s’est jamais aussi bien porté qu’il l’est à présent. Pratiquement comme à l’époque de sa présidence, entre 1993 et 1999, où il succéda au vieux Félix Houphouët-Boigny, le premier président de la République de Côte d’Ivoire, disparu le 07 décembre 1993.
Les plus anciens se souviennent que ce jour-là, l’ancien chef du Parlement ivoirien avait dû batailler ferme pour coiffer au poteau, le Premier ministre d’alors, un certain Alassane Dramane Ouattara, qui avait clairement affiché ses visées pour le fauteuil présidentiel. Un triomphe que le président Henri Konan Bédié dut essentiellement, à feu le général Robert Guéi, chef d’état-major des armées à l’époque, Laurent Dona Fologo, Secrétaire général du PDCI et surtout à Laurent Gbagbo, le leader de l’opposition significative qui lui, avait opté pour l’application de l’article 11 de la constitution, bien que n’aimant pas particulièrement cette disposition textuelle « pour son caractère monarchique », comme il aimait se justifier sur la question.
En somme, un trio qui avait refusé de conduire le pays à l’aventure que représentait Alassane, bien dans le rôle du tocard. Bref, Henri Konan Bédié, dans sa posture actuelle d’inspirateur théorique de la gouvernance Ouattara, se voit ainsi projeté un peu plus de 20 années en arrière. Un statut grassement rétribué par la présidence ivoirienne si on en croit des indiscrétions en provenance de cette institution.
En effet, selon la source, pour s’attacher le soutien indéfectible du PDCI à sa gouvernance, ce sont au bas mot, 27 millions de Fcfa qu’Alassane Ouattara verse chaque mois au président Aimé Henri Konan Bédié, comme rentes viagères. Soit 5 millions de plus que sous la décennie Gbagbo. Une rallonge de cinq points en récompense certainement de l’appel de «N’zuéba », – lancé entre les deux tours de la présidentielle de 2010 –, à la chefferie Akan, à voter Ouattara lors du sprint final face à Gbagbo.
Aussi Bédié bénéficie-t-il de véhicules de son choix en cas de besoin. Et quand on sait le goût prononcé du « sphinx » de Daoukro pour les grosses berlines, on imagine aisément ce que cela coûte au contribuable ivoirien. De plus, avec ses enfants bien casés dans la haute sphère de l’administration Ouattara, le président du PDCI ne se plaint pratiquement de rien s’agissant des besoins familiaux notamment. Surtout que dans l’affaire, son épouse, Henriette Bomo Bédié, a pu hisser son ONG, « Servir », au rang d’association d’utilité publique, bénéficiant ainsi de gros financements publics. A titre d’exemple, le District d’Abidjan lui a récemment offert la rondelette somme de 200 millions de nos francs à l’occasion de son dernier gala de bienfaisance. Fait notable, tout ce qui est évoqué plus haut n’empêche pas, dit-on, Ouattara de satisfaire les demandes de fonds régulières introduites par Bédié.
Cerise sur le gâteau : pour tous ses déplacements à l’extérieur, le patron du PDCI a à sa disposition, l’avion présidentiel. C’est d’ailleurs à bord de cet engin que l’homme a rallié, en début de semaine, Malabo, accompagné d’une forte délégation, pour rencontrer son vieil ami de président Théodoro Obiang N’guema Mbasongo. Les mauvaises langues prêtent au visiteur venu d’Abidjan, d’être allé solliciter une fois encore, la bourse du n°1 équato-guinéen dans l’optique de la modernisation du parti doyen de Côte d’Ivoire. Avec pareils égards, le président Henri Konan Bédié a-t-il des raisons objectives de ne pas accompagner la présidence de Ouattara ? Evidemment non, si l’homme veut se la jouer quelque peu perso.
Au total, un traitement princier qui fâche quelques-uns dans l’entourage du chef de l’Etat qui estiment que ce dernier est trop large avec son allié de Bédié, un homme qui, se souviennent-ils, lui a pourtant fait vivre ses pires moments en politique, avec notamment toute la direction du RDR jetée en prison à la fin des années 90, avec à la clé, un mandat d’arrêt international lancé contre Alassane Ouattara pour « nationalité douteuse ».
Contraint de ce fait à l’exil, le champion des « Adorateurs » ne dut son salut et son retour au pays qu’au putsch militaire de Noël 1999 qui balaya le régime Bédié. Pour ceux qui se demandaient encore par quel tour de magie le « masque» fait aujourd’hui ami-ami avec le « grand masque » qu’il traitait hier de tous les péchés d’Israël, ils ont désormais la réponse à leur préoccupation. 

Géraldine Diomandé
(*) titre original : "Voici ce que Ouattara verse chaque mois à Bédié afin d'obtenir de lui le soutien du PDCI à sa candidature unique au RHDP".
 
 
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Source : Aujourd’hui 20 août 2014

mercredi 25 mars 2015

GBAGBO A LA CPI... ET POURQUOI PAS SARKOZY ?

Dans un excellent documentaire intitulé « Le droit à la différence », Nicoletta Fagiolo revisite la crise la crise ivoirienne avec l’ambassadeur Gildas Le Lidec qui fut en fonction en Côte d’Ivoire entre 2002 et 2005. Pour lui, si Gbagbo est à La HAYE, c’est tout simplement parce qu’il fait peur. 

Quelle était l’atmosphère en 2002 au moment vous arriviez en Côte d’Ivoire. Parce que j’ai lu le rapport de votre prédécesseur Renaud Vignal qui dit dans son rapport que Gbagbo est le meilleur chef d’Etat que le pays pouvait avoir et qu’il avait tenu toutes ses promesses. Alors quelle est votre vision sur Gbagbo et quelle était la situation au moment vous arriviez en Côte d’Ivoire ?
G. Le Lidec
La situation était très confuse parce qu’il y avait eu cette avancée des rebelles sur Bouaké et il avait fallu très rapidement évacuer les étrangers qui étaient à Bouaké. Donc les forces françaises stationnées à Port-Bouët sont intervenues et ont stoppé l’avancée des rebelles. Mais Gbagbo demandait plus. Il ne voulait pas que l’armée française se contente de stopper les rebelles mais de reconquérir le nord ; d’arrêter cette tentative de coup d’Etat et de désarmer les rebelles. Ce que la France a refusé. A ce moment-là, la situation s’est figée et on a mis une ligne de démarcation entre le nord et le sud. A mon avis, ça a été une erreur. Le troisième élément de confusion a été l’intervention de Licorne. C’est-à-dire mon prédécesseur et ami, mort maintenant, Renaud Vignal n’a pas été informé de l’arrivée de Licorne. Il l’a appris par une dépêche de l’agence France presse. Et c’est là qu’il a su qu’un général deux étoiles était arrivé à Abidjan et s’était mis en place. Le quatrième élément de confusion est que Ouattara était passé dans la maison de l’ambassadeur d’Allemagne et que pour le protéger Renaud Vignal avait utilisé sa propre voiture pour venir le chercher pour le ramener à la résidence de France avec sa femme. Donc ce quatrième élément de confusion est que pendant un mois et demi, Gbagbo est dans son palais et juste à côté, dans la chambre de l’ambassadeur, Ouattara et sa femme. Le cinquième élément de confusion c’est qu’en ce moment-là, Renaud Vignal perd la confiance de Gbagbo et Gbagbo demande à De Villepin de le remplacer parce qu’il ne veut plus le voir et ne veut plus travailler avec lui. Déjà Gbagbo jouait la différence entre la présence militaire française et la présence diplomatique française. C’est-à-dire que Gbagbo est quelqu’un d’extrêmement intelligent, très tacticien. Donc il jouait le commandant de Licorne contre l’ambassadeur de France. Ou l’ambassadeur de France contre le commandant de Licorne. Donc la présence française était rendue aléatoire et de grande faiblesse parce qu’elle avait deux représentant et Gbagbo savait jouer l’un contre l’autre. Donc il y a eu un changement d’ambassadeur de France qui a été le plus rapide l’histoire. Parce que De Villepin est arrivé et il a embarqué l’ambassadeur sans lui dire qu’il ne reviendrait plus et dans l’avion, il lui a dit « maintenant c’est fini, tu es menacé de mort et tu ne reviens pas ». Et Renaud Vignal lui dit : « mais mon fils est à la résidence ! » Il avait oublié le fils parce qu’il ne devait pas partir. Donc le fils de 12 ans était resté seul dans la résidence et l’ambassadeur était enlevé par son propre ministre. Et c’est comme ça que Villepin qui est un ami, on s’est connus en Inde, m’a téléphoné pour me demander si je voulais aller à Abidjan. C’était un lundi matin. J’ai dit oui et il m’a demandé : « tu ne demandes pas à ta femme ? » J’ai dit non, elle veut aller dans un pays chaud – on a vécu dans les pays chauds –, c’était le mois de décembre et l’hiver arrivait. Donc c’était oui. C’était le lundi et je suis parti trois jours après. Comme l’avait dit Le Monde, c’était le changement diplomatique le plus rapide dans l’histoire de France (…) Voilà donc l’ambiance dans laquelle j’arrive. C’est-à-dire l’installation de la Licorne dans des conditions bizarres parce qu’on ne veut pas vaincre les rebelles mais pendant ce temps, on construit une force militaire. Pourquoi ???!!!!
Mais qu’est-ce que Gbagbo reprochait à Gbagbo ?
Gbagbo avait donné son accord à Vignal pour prendre Ouattara à l’ambassade de France. Mais Gbagbo changeait souvent de tactique, c’est pourquoi on l’appelait le boulanger et il a donc utilisé ça contre lui. Parce qu’il pensait qu’en changeant d’ambassadeur il changerait de politique française vis-à-vis de lui. Et cela n’ pas été le cas. Mais si quand même parce que Dominique de Villepin m’avait donné pour instruction de renouer avec Gbagbo. Il m’avait dit « tu reprends le fil de dialogue avec lui. Il faut que tu gagnes sa confiance parce qu’on a besoin de lui pour parler et il ne faut surtout pas couper le dialogue » Donc lorsque je suis arrivé, j’ai fait en sorte d’établir un dialogue privilégié avec Gbagbo.
Votre altercation avec Guillaume Soro.
J’ai été surpris par l’importance que Guillaume Soro a donnée à ses deux histoires qui sont vraies. C’était le 28 décembre. Je suis arrivé le 18 décembre et 10 jours après je me suis rendu à Bouaké dans un hélicoptère de l’armée française. Ce qui m’intéressait c’était de rencontrer Tuo Fozié pour voir comment on peut engager la discussion avec les militaires. Il y avait un petit homme qui tournait autour de moi. Je ne le connaissais et d’ailleurs, il avait été l’allié de Gbagbo. Qu’est-ce qui prouve qu’il n’irait pas rapporter à Gbagbo tout ce qu’on dirait ? Alors il a essayé de s’imposer et à la fin, il m’a pris à part sur la terrasse de la mission protestante où on se rencontrait et c’est là qu’il a dit « mettez juste une camionnette avec des munitions. Indiquez-nous l’endroit et nous on se charge du reste ».
Vous avez aussi dit qu’il a essayé de vous étrangler n’eût été l’ambassadeur d’Italie.
Absolument. Soro m’a dit que cette histoire était absolument fausse et inventée, j’aimerais que vous confirmiez auprès de Paolo (l’ambassadeur d’Italie de l’époque, ndlr) qui m’a sauvé la vie avec d’autres collègues ambassadeurs qui étaient présents. Ça s’est passé dans la Basilique, dans un bureau, et non à la Fondation Houphouët-Boigny comme l’a dit monsieur Soro et c’était une réunion ad’hoc. A un moment donné monsieur Soro a dérivé du sujet pour partir en invectives contre  la France. Je ne pouvais le laisser faire. Je lui ai dit qu’il fallait qu’il laisse la France tranquille et que ce n’était pas son business. Soro c’est un homme de sang. C’est à ce moment-là qu’il s’est précipité vers moi et c’est comme cela que les choses se sont passées. C’est vrai que je n’aime pas beaucoup monsieur Soro mais le fait que je sorte cette affaire sans faire exprès pour quelqu’un qui est maintenant président de l’assemblée nationale et qui doit accueillir dans trois jours le président de la République française ( le documentaire est réalisé en juillet 2014, ndlr )c’est quand même un peu gênant (...). Mais j’ai conté cette anecdote sans savoir qu’elle ferait ce bruit-là.
Une autre chose que j’ai entendue c’est cette nécessité de placer la force Licorne. Parce que le colonel Peillon qui était le porte-parole de la force Licorne a affirmé que la France a souscrit à cette division de la Côte d’Ivoire.
Moi j’étais également de l’avis de Peillon mais c’est à cause de l’Onu parce que nous avions internationalisé le problème ivoirien. Il y avait eu Marcoussis et les rebelles étaient partie prenante de la résolution du problème ivoirien. Donc, il était difficile après avoir signé un accord prévoyant une résolution politique, de recourir à la force. Mais sur le plan pratique ça été une erreur. Moi ma philosophie a toujours été qu’il ne faut pas rester neutre. Lorsqu’un problème se pose, il faut réfléchir d’abord mais ensuite il faut prendre la décision la plus raisonnable et la plus raisonnée possible et s’y tenir et ne pas revenir en arrière. Sinon, il n’y a pas de politique. Et à un certain moment, moi aussi j’ai estimé que Marcoussis a été un échec. On avait tracé une ligne de confiance et on s’était assis sur la ligne et on prenait des coups des deux côtés alors que beaucoup de militaires rêvaient des charges de la cavalerie légère. On se lance à l’assaut. Il aurait fallu trois jours, même pas pour reprendre le nord et arrêter le problème.
Pierre Mazeau vous avait traité d’être pro-Gbagbo et vous avez voulu démissionner
Oui parce qu’il m’avait mis en cause lors d’un repas à Matignon en présence du premier ministre Raffarin d’avoir pris parti pour Gbagbo. Donc il m’avait accusé de forfaiture. C’est vrai que Mazeaud était tombé amoureux de Soro et défendait toutes ses thèses. Donc, une fois le repas terminé, j’ai parlé avec Raffarin à qui j’ai rappelé ce qui avait été dit par Mazeaud et donc je lui ai dit que j’avais le droit de lui remettre ma démission. Alors il m’a dit « non, il ne faut pas prendre ce que Mazeaud disait au sérieux. Mais je maintiens ce que j’ai dit. Les accords de Marcoussis ont été une erreur parce que nous avons agi précipitamment. Et puis, si conférence il devait y avoir, c’était en Afrique. Ce n’est pas dans une école de rugby. Vous voyez bien pour le symbole, ce n’est pas bien réussi.
On avait pourtant trouvé une solution à Lomé mais comme au Rwanda et à Kinshasa, on a légitimé la rébellion.
Ça n’a rien à voir avec les situations politiques que vous mentionnez. Le problème vient de la France elle-même et des hésitations qu’elle a d’intervenir ou de ne pas intervenir. En fait c’est un problème interne de la France qui est de savoir comment terminer la Françafrique, comment expurger les mauvaises pratiques de la Françafrique (…) Comment on se conduit vis-à-vis de l’Afrique… Donc en septembre 2002, lorsqu’il y a la tentative de coup d’Etat, on ne sait pas ce qu’il faut faire. C’est un débat intérieur français qui n’est pas encore complètement clos parce qu’on n’a pas encore abandonné la Françafrique (…) Moi j’ai été très ambassadeur de terrain et quand j’ai accompagné grâce aux généraux français. Lorsque j’ai dans les territoires de la rébellion, j’ai vu des gens qui étaient hirsutes avec des gris-gris dans le nez, j’ai eu très peur et j’ai été heureux d’être accompagné par les forces spéciales françaises. J’ai eu peur et dire maintenant que les gens appartiennent aux forces républicaines ivoiriennes, il aurait fallu qu’ils se transforment considérablement et qu’ils aillent à l’école pour apprendre, ne serait-ce qu’à lire.
Et Gbagbo, pourquoi se retrouve-t-il à La Haye ?
Gbagbo fait peur. C’est pourquoi, très franchement, je ne comprends pas. Parce que si quelqu’un comme Gbagbo est, à cause de ce qu’il a fait, devant la cour pénale internationale, c’est que tous les chefs d’Etat Africains doivent y être tout comme des chefs d’Etat européens, à commencer par Sarkozy, Berlusconi… Mais Gbagbo fait peur. Et pourtant, il n’y a aucune raison pour qu’il se retrouve à La Haye. Je dis à Chirac monsieur le président, il est socialiste. Chirac me dit ça ne veut rien dire être socialiste en Afrique. Je réponds, il est membre de l’internationale socialiste… Bref, il y a un énorme quiproquo sur l’image de Gbagbo

(*) - Titre original : « Gildas Le Lidec enfonce le clou dans une interview-vérité : "Gbagbo est à La Haye parce qu’il fait peur". »  

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Source : CIVOX. NET 5 Mars 2015

lundi 23 mars 2015

Calculs politiques

A. Essy, KKB, M. Koulibaly
et C. Konan Banny (de G à D)
 En allant faire allégeance au Front populaire ivoirien ou, du moins à une fraction de ce parti, les 4+1 (les quatre « irréductibles » du Parti démocratique de Côte d’Ivoire), plus Mamadou Koulibaly, chef du minuscule parti Lider, espèrent bien récupérer les fameux 47% de voix dont est crédité Laurent Gbagbo. Le calcul est simple.
En étant très, mais vraiment très modestes et juste pour les besoins de la démonstration, chacun des quatre « irréductibles » peut estimer qu’il vaut au moins 1% des voix des Ivoiriens. 1 x 4 = 4. Cela donne 47% + 4% + les 0,002% de Mamadou Koulibaly = 51,002%. Donc victoire sur Alassane Ouattara. Or, dans la réalité, il y en a au moins un parmi les quatre qui est convaincu qu’à lui tout seul, il peut battre le Président sortant, avec même 60% de voix. Les voix du Fpi ne lui serviraient que d’appoint pour écraser définitivement et sans appel son adversaire.
Mais cette allégeance appelle cependant certaines questions. Nos amis sont-ils certains que la fraction du Fpi qu’ils ont choisie est celle qui détient les précieux 47% de voix ? Il me semble que ce Fpi-là est celui qui ne veut rien savoir, rien faire et encore moins aller à des élections tant que Laurent Gbagbo sera en prison, tant que la Commission électorale n’aura pas été modifiée selon ses goûts, tant que la loi électorale n’aura pas, elle aussi, été amendée. Essy Amara qui l’a bien compris a commencé à faire la cour aux gens de l’ancien parti au pouvoir en leur expliquant qu’il a entrepris des négociations à un très haut niveau pour faire libérer le « Christ de Mama ». Il a dit notamment qu’il a parlé avec le président des partis du Traité de Rome et le ministre de la Justice du Sénégal qui fut président de la Fédération internationale des droits de l’homme (Fidh).
Sans vouloir offenser le grand diplomate qu’est M. Essy Amara, cela me semble un peu court comme
A. Sangaré et M. Koulibaly (au 1er plan, de G à D) après leur accord
démarche et seuls les militants du Fpi peuvent croire que cela peut faire libérer le mari de Simone et de Nady. Eh bien, moi, sans être un prophète comme le tristement célèbre Malachie, celui qui a réussi à faire croire aux fidèles de la secte Fpi, à commencer par Gbagbo lui-même et sa Simone, qu’une armée d’anges allait descendre sur leur palais pour les sauver, je peux affirmer que Laurent Gbagbo ne sera pas libéré avant notre prochaine élection présidentielle. Et vous pouvez me croire. Mais comme nos amis du Fpi sont des gens à qui l’on peut faire avaler beaucoup de choses, si Essy Amara les convainc qu’il est vraiment en train de libérer leur mentor, iront-ils voter pour lui ? Certains d’entre eux sont capables de croire qu’avec leurs voix, Essy pourrait battre Ouattara et faire libérer Gbagbo dans la foulée. Lequel, évidemment, reprendrait aussitôt son pouvoir. Dans nos alliances, il y a toujours les calculs et les arrière-calculs. Et n’oublions pas que pour nos « frontistes », une alliance ne vaut que par le but qu’elle permet d’atteindre. Et une fois ce but atteint, on peut se retourner contre l’allié.
L’autre question est de savoir si nos quatre « irréductibles » maintiendront tous leurs candidatures ou si trois d’entre eux se désisteront au profit de l’un. Et si c’est le cas, qui sera-ce ? Toujours sans être Malachie, je peux affirmer que ce ne sera pas Charles Konan Banny qui s’effacera au profit d’un autre. J’espère que les trois autres le savent et l’ont déjà accepté. D’un, parce que c’est la seule opportunité qu’il a d’être candidat. De deux, mon ami Tiburce Koffi l’a convaincu qu’il pourra battre Ouattara. Et il y croit. J’espère que les frontistes qui devaient voter pour le libérateur Essy Amara auront, eux aussi, compris que voter pour Banny, c’est voter concomitamment et en tandem pour Essy Amara.
Et Mamadou Koulibaly dans cette affaire ? Il avait quitté le Fpi avec fracas et voici qu’il revient vers ce parti sur la pointe des pieds, aux côtés des « irréductibles ». Espère-t-il, lui aussi, attirer à lui les 47% de voix de Gbagbo ? Espère-t-il que les quatre « irréductibles » se désisteront en sa faveur ? Ou bien espère-t-il faire peur à Ouattara avec des propos du genre, « Si tu ne me retiens pas, je me donnerai à tes adversaires » ? Le problème est que même étant très large, on voit difficilement comment Mamadou Koulibaly pourrait dépasser les 0,002% de voix. Je crois que même à KKB, il ne fait pas peur. 

Venance Konan 

 
EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
 

Source : Fraternité Matin 23 mars 2015

dimanche 22 mars 2015

Notre histoire avec le colonialisme français (suite)

LES HEURES DIFFICILES DU R.D.A.
Extrait de « Conquête fraternelle en Côte d'Ivoire », de Marc Le Guillerme,
Nouvelles éditions latines, Paris 1962 (pages 23 à 28).
A évoquer les succès remportés par le R.D.A. et son Président, nous risquons d'oublier à quel prix ces victoires furent remportées. Nous ne saurions, non plus, omettre d'associer à ce palmarès, écrit après l'aboutissement de leurs revendications, ceux qui en furent les artisans, derrière leur chef, ou, plus exactement, à ses côtés.
Il y a des évocations pénibles sans aucun doute. Cet ouvrage se veut impartial, nous devons les mentionner. Elles feront mieux sentir la réalité actuelle de cette fraternité voulue, entre Africains et entre Africains et Européens, par le chef de l'Etat qui a su faire triompher son idéal dans l'oubli des mésententes passées.
M. Mamadou Coulibaly, député à l'Assemblée Nationale de Côte d'Ivoire, membre du R.D.A. depuis sa fondation, a publié dans l'hebdomadaire Fraternité du 5 avril 1960, un récit auquel nous emprunterons de larges extraits.
Quelle était la situation de la Côte d'Ivoire au début du XXe siècle ? Possession française depuis 1894, la Côte d'Ivoire était soumise au statut colonial.
Qu'est-ce que cela signifie, pour les colonisés ? D'un côté, la fin des luttes de tribu à tribu, jugulées, militairement, mais jugulées tout de même. La régression des épidémies, combattues par le service de santé. L'ouverture d'écoles, dont nous savons déjà qu'elles n'attiraient pas, d'emblée, la popu­lation.
D'autre part, aux charges fiscales s'ajoutèrent celle du travail forcé dont nous avons parlé. Enfin, autre inconvénient, une nouvelle classe sociale fut créée. Celle des auxiliaires civils et militaires recru­tés par les autorités françaises, qui leur accordaient en retour certains privilèges, d'instruction et de prestige. Il y avait contrainte, il y eut murmures, puis grondements.
Appelés sous les drapeaux en 14-18, puis en 1939, les hommes prirent part à la libération de la France, dans l'égalité face au danger.
Ils eurent, hélas, l'amertume de constater l'inéga­lité avec leurs frères d'armes, natifs de la métro­pole, sur les autres plans. Les familles des combat­tants eurent, trop souvent, à se plaindre du com­mandement colonial. Ainsi naquit, en 1944, le mouvement revendicatif de la main-d'œuvre forestière, constituée en syndicat.
Le général de Gaulle, au contact des réalités politiques en Afrique où il se bat avec des troupes africaines pour libérer la France, organise à Brazza­ville, au mois de janvier 1944, la conférence qui prépare une nouvelle orientation politique ; à la fin des hostilités, dès 1945, il mettra en pratique les principes définis l'année précédente pour de nou­veaux rapports politiques entre la France et les territoires d'Outre-Mer.
Des délégués africains vont siéger à l'Assemblée Constituante française, élaborer une constitution adaptée aux temps nouveaux. On ne saurait, à la fin de la seconde guerre mondiale, demeurer aux règlements établis par Colbert.
C'est l'opinion libérale du général de Gaulle. En Métropole, cette opinion ne reçoit pas l'adhésion de tous.
A Brazzaville, puis à Paris, les Etats Généraux de la colonisation essaient de modifier les disposi­tions constitutionnelles, d'amoindrir, sinon d'abro­ger les lois nouvelles.
Cette réaction provoque un raidissement de la politique africaine dans les différents territoires. Le fléau des manœuvres politiques commence : corruption, intimidation, sabotage démagogique ravagent circonscriptions et fédérations. Les dépu­tés africains décident de créer un vaste mouvement revendicatif en A.O.F. et en A.E.F. Mouvement qui prend le nom de Rassemblement Démocratique Africain. Les résolutions finales de ce congrès sont pour la coopération avec la France et contre la tendance scissionniste.
Par malheur, des invités communistes, venus de France, donnèrent l'impression d'avoir pris une part active à ce congrès. Nous avons vu, en effet, que le parti communiste, participant alors au gou­vernement français, était le seul à avoir accueilli, sans restriction, le R.D.A.
Il n'en fallait pas davantage pour créer un qui­proquo, exploité aussitôt par ceux qui désiraient endiguer l'évolution africaine.
Rentrés dans leurs circonscriptions, les députés qui avaient pris part au congrès de Brazzaville, clos par les résolutions que l'on sait, trouvèrent leurs concitoyens fortement impressionnés par une cam­pagne réactionnaire aux manifestations savamment organisées.
Travailleurs licenciés, arrêts de chantiers de coupe de bois, arrêts des travaux de réfection des routes, obstructions dans les rouages administra­tifs, propagande auprès des chefs coutumiers contre la population et ses élus, corruption des grands commerçants et fonctionnaires africains pour les séparer de leurs élus. Rien ne manquait.
Le collège électoral forma alors le Parti Démo­cratique de Côte d'Ivoire, qui organisa la protection de l'économie générale en recrutant une main-d'œuvre volontaire. Non sans dénoncer les menées colonialistes de sabotage.
Vinrent les élections législatives et cantonales, de 1946. Les trois grandes zones géographiques du territoire furent représentées : le sud, par Houphouët-Boigny, la zone non Mossi par Ouezzin Coulibaly, et la zone Mossi par Kaboré Zinda. Le nouveau conseil général fut tout de suite en butte à une opposition ouverte du Parti Progressiste, d'inclination raciale. Ce parti s'indignait de voir siéger, au Parlement français, des ressortissants du Centre et du Nord de la Côte d'Ivoire. A leur avis, la direction politique du pays devait incomber aux Ivoiriens du sud, dont les aïeux avaient été les pre­miers à accueillir les pionniers français.
Notons, en passant, que les étiquettes varient moins que les programmes et que ce parti progres­siste ivoirien n'avait en commun que le nom avec les partis progressistes de la Métropole.
Les racistes sudistes rallièrent les chefs coutu­miers qui redoutaient l'abolition de leurs privilèges, et certains hommes d'affaires du nord, dont le cli­mat de liberté et la suppression du travail obliga­toire ne servaient pas les intérêts matériels. Ce parti progressiste eut l'amertume de voir la Côte d'Ivoire représentée en France par des députés et sénateurs du P.D.C.I., lequel était en majorité, également, au conseil général. Il passa, résolument, du côté de la réaction colonialiste, au début de l'année 1947.
Le 10 octobre de cette même année, éclata la grève des cheminots de l'A.O.F., exaspérés par des mesures discriminatoires exercées à leur encontre.
Cette grève dura six mois. Elle eut des répercus­sions sur l'économie de la Fédération d'A.O.F., mais elle réussit à alerter les pouvoirs publics de la Métropole. On commença d'élaborer le statut qui dota, cinq ans plus tard, les travailleurs africains d'un code du travail.
Mais, nous n'en sommes pas là. De 1947 à 1952, le R.D.A. est considéré, à Paris, comme agent du communisme en Côte d'Ivoire. L'apparentement au seul groupe qui lui ouvrit les bras coûtait cher au parti de la Fraternité.
Partout, en Côte d'Ivoire, éclatent des bagarres sanglantes, sanctionnées, sans coup férir, par l'ar­restation spectaculaire des dirigeants du Parti Démocratique de Côte d'Ivoire, section locale du R.D.A.
Un nouveau parti politique essaie vainement de prendre sa place : le B.D.E. ne trouve pas d'adhé­rents. On essaie de lancer le « Parti des Indépen­dants musulmans », sans plus de succès. Enfin, toujours destiné à renverser le P.D.C.I., se forme le Parti des Indépendants de Côte d'Ivoire, dirigé par des fonctionnaires, des hommes d'affaires du nord, des chefs coutumiers du territoire s'estimant assez bien pourvus pour redouter les changements de programme.
Mais, l'ensemble de la population ivoirienne ne s'y laisse pas prendre. Et le P.D.C.I. contre-attaque.
Les ménagères font la grève des achats, touchant au point sensible les hommes d'affaires.
Quand le comité féminin d'Abidjan se dirige sur la prison de Bassam, où sont internés les détenus politiques du Comité Directeur du R.D.A., les me­sures de répression se déchaînent, les incidents se multiplient sur tout le territoire. Il y a des morts.
Une fusillade, à Bouaflé, faillit entraîner l'arres­tation du Président Houphouët-Boigny. Dans ce déchaînement de haines et de rivalités périt le séna­teur Victor Biaka [Boda].
Les mutations, les licenciements de fonction­naires, les démissions au P.D.C.I. imposées sous peine de retrait d'emploi sont devenus choses courantes.
A Paris, le Président Houphouët-Boigny décide le désapparentement communiste des élus du mou­vement dans les assemblées parlementaires, en automne 1950. Par la même occasion cesse la défense des détenus politiques du R.D.A. par des avocats communistes. Ceux-ci profitaient ouverte­ment de l'occasion pour transformer le prétoire en tribune de propagande doctrinale et démagogique. Ce qui ne surprendra personne.
Le comité de coordination des élus africains, libéré de ses trop compromettants « camarades », ne peut demeurer isolé. Qui va lui tendre la main ?
De la droite jusqu'aux Indépendants d'Outre-Mer formés presque exclusivement d'Africains, les groupes parlementaires boudent le R.D.A. On est aveugle, ou on ne l'est pas.
Finalement M. Pleven, alors président du Conseil, intervient. Il réussit à fléchir l'ostracisme de Monsieur Mitterrand, son ministre de la France d'Outre-Mer, et à faire accepter le R.D.A. parmi les partis nationaux.
De ce fait, cessèrent en France et Outre-Mer les mesures répressives exercées contre le R.D.A. De même, le projet que l'on prêtait au gouvernement de décréter son illégalité n'eut pas de suite.
La notification officielle du désapparentement communiste, à la tribune du Palais Bourbon, ache­va d'éclaircir la situation, en décembre 1950.
Le ministre de la France d'Outre-Mer assista à l'inauguration du port d'Abidjan, en février 1951.
Le Président Félix Houphouët-Boigny acheva de concrétiser sa politique d'union en ne craignant pas d'appeler à lui ses adversaires de la veille. Il fut entendu. L'opposition se désagrégeait. Le com­mandant Ply, directeur du journal de toute l'oppo­sition locale, le secrétaire général, Dignan Bailly, qui représentait la S.F.I.O. en Côte d'Ivoire, le capitaine Borg rencontrèrent le Président du R.D.A.
Ils furent bientôt suivis en mars 1952, au mo­ment des élections cantonales, par les directeurs des indépendants de Côte d'Ivoire.
Le Président Félix Houphouët-Boigny porta sur ses listes les noms de plusieurs de ses anciens adversaires. Il remporta le succès triomphal que l'on sait.
Les procès politiques s'achevèrent par la relaxe de la plupart des détenus P.D.C.I.
Peu à peu, tous les chefs coutumiers vinrent se mettre sous la bannière R.D.A. pour retrouver la confiance de leurs compatriotes.
Les Européens, prenant conscience de la montée du P.D.C.I., acceptèrent de plus en plus le dialogue, recherchèrent l'alliance ; et les frictions politiques s'effacèrent pour faire place à la compréhension mutuelle et à la collaboration dans tous les domai­nes de la vie quotidienne.
A la fin de 1953, le P.D.C.I. avait renforcé ses effectifs à l'assemblée de l'Union Française. En 1955, le député évincé en juin 1951 [il s’agit de Ouezzin Coulibaly, ndlr] fut élu séna­teur. Couvert de l'immunité parlementaire, il sortit de la clandestinité où il vivait depuis quatre ans, fuyant les poursuites pour délit de presse.
Les élections anticipées de 1956 consacrèrent le succès général du R.D.A. tant en A.O.F. qu'en A.E.F. Il allait pouvoir reprendre et pousser acti­vement le programme d'émancipation africaine qu'il s'était fixé, à Bamako, dès sa création.
L'Indépendance est venue très vite. Les diri­geants africains qui piaffaient, avec l'impatience de vivre qui caractérise depuis toujours les jeunes à quelque nation qu'ils appartiennent, se sont inclinés devant les faits.
Nous savons qu'il en reste, toutefois, que la trop grande popularité du R.D.A. gêne dans leur ambi­tion de s'emparer, sans attendre, des postes de commande. Ils sont une minorité, du moins en Côte d'Ivoire. Ce sont ceux qui subissent l'in­fluence de propagandes subversives, à l'étranger. La prospérité de l'Afrique sera le meilleur remède à leur exaltation. Pour cela, l'union de tous les africains est nécessaire. Les luttes intestines n'ap­portent jamais que ruines.
Mais l'Occident, et l'Europe en particulier, doit comprendre, sans retard, que l'avenir du monde se joue en Afrique... et qu'il faut l'aider à parfaire son évolution.
Une fraternité sincère Eurafricaine est un gage de paix, pour le présent et l'avenir. Des frères
qui s'aiment partagent leur pain. Les bonnes paroles ne suffisent pas, quand certains d'entre nous ne mangent pas à leur faim. La vieille Europe n'est plus tutrice. Ses devoirs n'en sont pas terminés pour autant. Ils ont seulement cessé de revêtir la forme du paternalisme, pour celle de la solidarité.
La première condition pour s'aimer est de se connaître, afin de se comprendre.
Pour comprendre les hommes d'aujourd'hui, n'est-il pas indispensable de connaître leurs cou­tumes, leurs traditions, en un mot leur héritage psychologique ? 

jeudi 19 mars 2015

Le bêtisier ouattariste (suite)


« Une petite tête bien faite »
Aujourd’hui, avec la complicité (involontaire) du « Nouveau Réveil » – une fois n’est pas coutume ! –, nous y accueillons l’atrabilaire Kobenan Kouassi Adjoumani, leur « ministre des Ressources animales et halieutiques », pour cette mise au point qui à la fois montre très exactement ce qu’il est et confirme qu’il est vraiment à sa place dans ce régime des ...« FRères CIssé » :
 
« Ce n’est pas parce que souvent, on parle et qu’on adapte nos propos à la conscience de ceux qui nous écoutent, qu’on croit que nous n’avons pas fait des études. Figurez-vous que quelqu’un qui va à l’école, 5 après le bac, il est ingénieur. Moi, après le Bac, j’ai fait 5 ans d’études universitaires, et depuis la 6ème jusqu’au CAPES, je n’ai jamais doublé. Et on va me dire : "petit professeur de CEG" ? Je tiens à rectifier cela pour que la prochaine fois, on ne le dise plus. La prochaine fois, si vous voulez, je vais vous donner mes diplômes. Pour vous dire que moi aussi, je suis une petite tête bien faite ». Et de préciser : « Je suis professeur certifié de Lettres Modernes. J’ai eu deux licences, une en linguistique et l’autre en Lettres Modernes ».
 
Mais diantre, qui a osé penser un seul instant le contraire ? Nous savions déjà que M. Adjoumani était enseignant au Lycée de Dabou. Ce qui est nouveau et troublant, c’est d’insinuer que des gens douteraient que l’auteur des propos ait fait des études.
Voilà qui est clair. Le ministre Adjoumani a fait des études. 

D'après Donacien K. DAPA
(« Adjoumani justifie son niveau d’études : "moi, petit professeur de CEG ?" », in « Le Nouveau Réveil » 18 mars 2015, mis en ligne par connectionivoirienne.net 18 mars 2015).