mardi 28 janvier 2014

« Personne ne presse Compaoré de quitter le pouvoir. Tous lui demandent seulement de respecter la loi »




Le plaidoyer d’une certaine Juliette Bonkoungou, paru dans L’Observateur Paalga du 24 janvier 2014, où elle accusait « des gens » qui « pressent le président Compaoré de quitter le pouvoir au terme de son mandat présidentiel », a scandalisé bien des démocrates burkinabè. Nous publions ci-dessous la réaction indignée du député de l’opposition, Alexandre Sankara (UNIR/PS).
 
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Annoncée par le journal L’Observateur Paalga dans sa parution du jeudi 23 janvier, votre tribune était très attendue le vendredi 24, surtout après la démission de vos ex-camarades du CDP dont on annonçait pourtant que vous devriez faire partie.

Après avoir parcouru votre déclaration, j’ai senti le besoin de vous dire ce que j’en pense. Non pas que j’aie la prétention de vous faire de leçons. Non. Votre tribune n’est en réalité qu’un prétexte pour moi pour vider le trop-plein de ressenti et la colère qui gronde en moi.
Oui, j’enrage, Madame, de savoir que, pour vous, il y a des gens qui « pressent le président Compaoré de quitter le pouvoir au terme de son mandat présidentiel ».
Madame, s’il y a quelqu’un qui le presse de quitter le pouvoir, c’est la loi, notre loi fondamentale que nous avons tous votée en 1991 et que lui-même a promulguée.
Personne ne le presse de quitter le pouvoir. Tous lui demandent simplement de respecter la loi.
Oui, Madame, j’enrage de savoir qu’aujourd’hui « nous sommes confrontés à la question de savoir si, pour le bien commun, nous voulons une succession apaisée qui ne porte pas atteinte à la cohésion sociale ou si nous voulons au contraire une succession mal préparée, dans un environnement tendu, voire chaotique ».
De quelle succession préparée et apaisée parlez-vous ? Qui est responsable de la mal préparation de la succession du président Compaoré ? Si le président Compaoré n’a pas ou a mal préparé sa succession, cela ne regarde que lui et son parti, le CDP. C’est un problème interne au CDP et non celui de l’Opposition, encore moins du peuple.
Le pays doit-il prendre feu parce que monsieur Blaise Compaoré a mal préparé sa succession ?
Le 3 janvier 1966, a-t-on permis à feu Maurice Yaméogo de préparer sa succession ? La Haute-Volta n’en a pas moins survécu.
Le 25 novembre 1980, Lamizana a-t-il eu le temps de préparer sa succession ?
Le 2 novembre 1982, Jean Baptiste Ouédraogo a-t-il demandé à Saye Zerbo s’il était prêt à partir ? La Haute-Volta a-t-elle pris feu pour autant ?
Le 4 août 1983, Jean-Baptiste Ouédraogo avait-il fini ses chantiers ? Certainement pas. La Haute-Volta a-t-elle disparu de la carte de l’Afrique pour autant ?
Le 15 octobre 1987, Blaise Compaoré, pour qui vous demandez de lui permettre de préparer sa succession, a-t-il laissé la moindre chance à son frère et ami Sankara pour préparer sa sortie ? Le Burkina Faso a survécu à ce drame par la volonté, le courage et la dignité de son peuple.
En novembre 2015, qu’il ait préparé ou non sa succession, Blaise Compaoré partira. Ça, c’est certain. Le Burkina Faso lui survivra. Ça aussi, c’est certain.
Vous l’avez si bien dit, « nous, nous passerons, mais le Burkina restera ». Blaise partira et le Burkina restera.
Dessin de Glez (Jeune Afrique 22.07.2013)
Oui, Madame, je fulmine de constater que vous pensez que « le départ de Blaise au terme de son mandat et conformément à l’article 37 de la Constitution se fera contre son gré ».
Madame, c’est contre votre gré que vous respectez les feux rouges ? C’est contre votre gré que vous partirez à la retraite ? La loi est dure, dit-on, mais c’est la loi.
Je ne décolère pas de savoir que nous devons cajoler monsieur Blaise Compaoré pour qu’il accepte de respecter la loi.
Blaise Compaoré n’est ni un enfant qu’on flatte pour retirer l’objet dangereux avec lequel il s’amuse pour qu’il ne se blesse pas avec, ni non plus une « pognèrée » qu’on séduit avec toutes les flatteries dans l’espoir qu’elle nous dise enfin « oui, j’accepte ».
Non Madame, Blaise Compaoré, [tout] président qu’il est, est avant tout un citoyen comme vous et moi et le premier devoir d’un citoyen, c’est de respecter la loi.
Il faut le lui dire. C’est ce discours qui doit lui être tenu et pas autre chose.
Enfin, Madame, je fulmine de m’entendre dire que « le Burkina Faso est devenu, en Afrique, un pays qui compte » parce que notre pays a fait des progrès dans le domaine « économique et diplomatique grâce au leadership incontesté du président Compaoré qu’aucun esprit objectif ne peut nier ».
Sans être pour autant un esprit non objectif, je ne partage pas votre analyse des avancées économiques et diplomatiques de notre pays encore moins sur le prétendu leadership de notre cher président fondateur. On a certainement construit des échangeurs. Les duplex poussent également comme des champignons dans Ouaga 2000. On roule aussi carrosse dans nos grandes villes. Mais pourtant on est 173e pays sur 175. Pourquoi ? Parce que Blaise Compaoré nous a certainement tout apporté. Mais malheureusement, il nous a aussi volé ce qui compte le plus : l’intégrité, la fierté, la dignité.
A sa prise du pouvoir en 1987, Blaise Compaoré a hérité d’un pays dont les citoyens étaient intègres, dignes et fiers d’appartenir à cette nation malgré l’hostilité de la nature.
Depuis, notre pays vit dans une situation à nulle autre pareille dans le monde, avec cette particularité que les fondements séculaires de notre société ont été secoués à maintes reprises par des crimes abominables, plongeant notre peuple dans un psychodrame profond.
Vingt-sept (27) ans après, il nous lègue un pays où la morale a fini par rendre l’âme à force d’avoir agonisé sans avoir jamais reçu véritablement le traitement qu’il faut.
Le constat, comme vous le voyez, Madame, est sans appel : les Burkinabè ont mal à leur pays et à sa classe dirigeante. Le déficit entre les gouvernés et les gouvernants est énorme. Personne ne croit plus à rien, mais tout le monde croit à la courte échelle et aux passe-droits. C’est le « sauve-qui-peut » !
Ce n’est même plus la pauvreté ni les conditions de vie difficiles qui posent problème. Non, Madame, le malaise est profond et le mal-être généralisé. Un mal-être qui a conduit les uns et les autres à un fatalisme suicidaire, préférant s’abriter derrière la providence, en espérant que Dame Nature fasse son travail rapidement.
La faute incombe à cette nouvelle race de Burkinabè qui ont pris en otage notre pays depuis 27 ans. Ils claironnent sur tous les toits que le Burkina avance, oubliant cependant qu’il est impossible de construire une nation avec des citoyens qui ne croient plus et ne s’intéressent plus à leur pays.
Madame, l’heure n’est plus aux équilibrismes intellectuels. Non, chacun et chacune de nous doit choisir son camp, car notre pays est en danger et le devoir nous interpelle tous ; mais l’histoire nous enseigne qu’il y a trois types de généraux lorsqu’une bataille décisive s’annonce :
- il y a d’abord ceux qui ont peur de la défaite et renoncent aux combats. Ces généraux prennent toujours la fuite et abandonnent parfois leurs troupes aux mains de l’ennemi. Dans notre pays, nous avons malheureusement ce type de généraux qui ont peur du combat et jettent l’éponge, préférant les jérémiades et les complaintes dans l’espoir d’attendrir le cœur de l’ennemi. Il s’agit de tous ceux qui pleurnichent et supplient de ne pas faire ceci ou cela contre le président Compaoré au risque de compromettre la paix sociale, oubliant de dire que notre pays n’a jamais connu de guerre civile et que, par conséquent, s’il y a paix, ça toujours été ainsi et Blaise Compaoré n’y a aucun mérite particulier par rapport à ses devanciers. Tout au contraire ;
- Il y a également ceux qui vont au combat avec la peur au ventre. Ils sont les plus dangereux, car ils sont prêts à tout pour gagner, même si pour cela ils doivent utiliser des armes non conventionnelles, car ils ont peur de perdre la bataille et de tomber dans les mains de l’ennemi, sachant qu’ils seront châtiés à la hauteur des abominations qu’ils ont commises. Ce type de généraux existe aussi dans notre pays et c’est à eux que nous devons faire face aujourd’hui.
- Il y a enfin ceux que le devoir appelle et qui partent au combat avec la conviction de gagner, mais en sachant aussi que la défaite en fait partie. Ces généraux conduisent leurs troupes avec détermination, prêts à combattre sans concession, mais à armes égales, jusqu’au sacrifice suprême. Ce type de généraux existe heureusement dans notre pays et est incarné par l’Opposition et je suis fier d’en faire partie.
Madame, dans votre conclusion vous avez attendri le cœur de certains d’entre nous en affectant à chacune des personnalités que vous citez un qualificatif fraternel, alors permettez-moi de vous rendre la pareille en vous appelant, pour terminer, « grande sœur ».
Grande sœur Juliette, vous et moi avons tous des enfants que nous aimons énormément. Ils sont notre raison de vivre et je refuse qu’une poignée de gens prennent en otage leur avenir que j’espère meilleur.
C’est pourquoi, plutôt que de fuir le combat, je préfère aller aux fronts, persuadé comme Norbert Zongo que « le pire n’est pas la méchanceté des gens mauvais, mais le silence des gens biens » et convaincu comme Thomas Sankara que « là où s’abat le découragement s’élève la victoire des persévérants ».
Le Burkina est un pays qui « compte en Afrique », avez-vous dit. En 2007, vous avez célébré « les 20 ans de renaissance démocratique avec Blaise Compaoré ». Vingt-sept (27) ans après cette « renaissance démocratique », le pays qui « compte » négocie, supplie, pleure et implore son président bien-aimé de respecter une loi ; oui, une simple loi.
Les Burkinabè ne veulent point de ce pays qui « compte en Afrique ». Ce qu’ils veulent, c’est un pays simplement démocratique.

Alexandre Sankara, Député à l’Assemblée nationale
Titre original : « De l’article 37 : Le député Alexandre Sankara à sa "grande sœur" Juliette »
 

Source : L’Observateur Paalga 28 janvier 2014

dimanche 26 janvier 2014

DON JUAN A L’ELYSEE


 
« Quoi ! tu veux qu’on se lie à demeurer au premier objet qui nous prend, qu’on renonce au monde pour lui, et qu’on n’ait plus d’yeux pour personne ? La belle chose de vouloir se piquer d’un faux honneur d’être fidèle, de s’ensevelir pour toujours dans une passion, et d’être mort dès sa jeunesse à toutes les autres beautés qui nous peuvent frapper les yeux ! Non, non, la constance n’est bonne que pour les ridicules ; toutes les belles ont droit de nous charmer, et l’avantage d’être rencontrée la première ne doit point dérober aux autres les justes prétentions qu’elles ont toutes sur nos cœurs. Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne. J’ai beau être engagé, l’amour que j’ai pour une belle n’engage point mon âme à faire une injustice aux autres ; je conserve des yeux pour voir le mérite de toutes, et rends à chacune les hommages et les tributs où la nature nous oblige. (…). Les inclinations naissantes, après tout, ont des charmes inexplicables, et tout le plaisir de l’amour est dans le changement. »
Molière, Don Juan (1-2).
 
 

Marivaudage présidentiel
Par Jean-Luc Mouton, journaliste 

Affaire privée ? Après le scoop du magazine Closer sur une supposée liaison entre l’actrice Julie Gayet et le Président François Hollande, la ligne communicante adoptée par l’Élysée était limpide. Le Président français réclamait le droit au respect de sa vie privée au même titre que n’importe lequel de ses concitoyens. Las, l’affaire de sa passion supposée pour une actrice de cinéma a enflammé le web, les médias du monde entier et la classe politique nationale, sinon internationale. Le gouvernement américain ne s’est-il pas discrètement renseigné sur celle qui devrait accompagner le Président français lors de son proche déplacement aux Etats-Unis ?
Affaire publique, donc. Si les prédécesseurs de l’actuel hôte de l’Élysée ont tous eu une vie intime digne du théâtre de boulevard, jamais aucun d’entre eux ne s’est retrouvé à devoir se justifier (ou pas) publiquement. Les frasques sentimentales des gouvernants sont désormais soumises à un inhabituel regain de “transparence”.

Dictature de la transparence

L’erreur du Président français a été de se croire encore au temps de Valéry Giscard d’Estaing ou de François Mitterrand, d’imaginer qu’il pourrait, comme eux, s’offrir des escapades ou des vies parallèles, protégé par la souveraineté de la fonction autant que par le silence des médias. Au temps de la dictature de la transparence imposée par Internet et l’hypermédiatisation, c’est aujourd’hui mission impossible.
On imagine aujourd’hui difficilement François Mitterrand dissimulant, pendant treize ans, sa deuxième famille, sa fille Mazarine et, de surcroît, les faire protéger par les gendarmes de l’Elysée et les loger aux frais de la République. Ce temps-là est bien révolu. A ses dépens, François Hollande a cru possible de l’ignorer.
De fait, le Président de la République n’est plus libre de sa vie privée. Sa fonction même, quoi qu’il lui en coûte, verrouille son emploi du temps, bride ses mouvements, cadenasse sa liberté personnelle, expose sa compagne et place son couple en situation permanente de représentation. Il n’est pas ici question de morale, mais d’obligation professionnelle dans un monde où assumer des responsabilités publiques est plus qu’un sacerdoce, un renoncement à toute vie privée, au moins pour le temps de l’exercice de ses fonctions. Mieux, dans une période difficile où les attentes à l’égard du politique sont fortes, l’opinion publique attend que celui qui exerce les plus hautes responsabilités ne soit détourné en rien des affaires du pays. Vouloir s’affranchir de cette ascèse peut coûter très cher. Hier, Nicolas Sarkozy qui avait lancé en pleine conférence de presse « avec Carla, c’est du sérieux » l’a payé d’un brutal discrédit dans l’opinion. Aujourd’hui, François Hollande, malgré ses fortes annonces de sa dernière conférence, aura du mal à faire oublier le pataquès qu’il a créé et le ridicule de sa situation. Déjà accusé par d’aucuns d’être indécis dans sa conduite des affaires du pays, le Président n’avait pas besoin de passer, en plus, pour un amant éperdu s’éclipsant incognito en scooter pour aller rejoindre sa belle plutôt que gérer les dossiers de l’État. Loin d’une affaire privée, l’erreur, la légèreté et la passion aveugle du Président français comprend ainsi un volet strictement politique.
Les Français ont élu un homme politique de gauche qui n’avait pas de mots assez cinglants, lors de la campagne présidentielle, pour fustiger le «narcissisme » de son rival de droite, Nicolas Sarkozy. « Ce président “m’as-tu-vu” qui nous installe tous en voyeurs » de sa vie privée, de son divorce d’avec Cécilia, puis de sa rencontre, deux mois plus tard, avec Carla Bruni. François Hollande n’avait-il pas lancé, lors du débat télévisé avant le second tour de l’élection sa célèbre anaphore « Moi Président… » et glissait cet engagement sans pitié pour son adversaire : « Moi Président, je ferai en sorte que mon comportement soit, à chaque instant, exemplaire. » Et voilà le même, aujourd’hui, piégé par des photos prises à son insu et étalées sur la place publique, moqué sur tous les sites Internet, brocardé par la presse étrangère, en outre, confronté à l’état de choc où se trouve sa compagne, Valérie Trierweiler.  

Clémence africaine  

Certes, vu d’Afrique, les jugements sont bien moins sévères. En Afrique de l’Ouest, on semble mieux
Bôlkotch N°0080 du vendredi 24 au jeudi 30 janvier 2014
reconnaître et accepter la faiblesse des hommes. Pas question, donc, de faire d’une infidélité un psychodrame et encore moins une affaire d’Etat. La clémence pour les incartades est de rigueur. Depuis Brazzaville, notre confrère congolais, Alain Shungu, commente : « Ici, c’est dans les mœurs… On ne comprend pas pourquoi on fait autant de bruit pour une affaire aussi banale ! Les deuxième, troisième, quatrième bureaux, nos Chefs d’Etat en comptent énormément ». On peut badiner avec un «deuxième bureau » ou un «sous-marin» (amant), mais peut-être moins facilement avec l’institution qu’est le mariage. Les couples, surtout quand ils sont présidentiels, se doivent d’être respectables en Afrique. Même s’il ne s’agit que d’une façade. Les divorces sont rares au sommet de l’Etat, de même que les scandales sur les relations extra-conjugales des Chefs d’Etat qui (selon la rumeur) ne se privent traditionnellement pas. Les aventures d’un homme marié peuvent être tolérées et pardonnées, mais à condition de ne pas toucher au bien le plus précieux de la femme : son honneur. Du coup, l’infidélité de François Hollande passionne ici moins que l’honneur perdu de Valérie Trierweiler...
Même si, du côté de Bamako, quelques femmes s’esclaffent : « S’il fallait aller à l’hôpital à chaque fois que nos maris nous trompent ! » 

Source : Fraternité Matin 25-26 janvier 2014

jeudi 23 janvier 2014

OUATTARA HOUPHOUËTISTE ? LAISSEZ-MOI RIRE !

Interview de Yao Kouamé Patrick, militant du Pdci-Rda actuellement en exil
Après le congrès du Pdci-Rda de votre parti où il a été aussi question des élections de 2015, votre parti est aujourd’hui divisé sur la candidature du celui-ci. Quels commentaires faites-vous de cela ?
P. Yao Kouamé
(lenouveaucourrier.ivoire-blog.com)
Qu’il me soit d’abord permis de dénoncer la situation d’avant Congrès pendant laquelle nous avons assisté à la mainmise de M. Bédié sur le parti. Voir le Parti démocratique de Côte d’Ivoire fouler aux pieds ses propres textes pour les seuls intérêts d’un individu, c’était écœurant, difficile à supporter. Je me suis senti humilié et j’ai eu mal pour tous ces nombreux Ivoiriens qui ont porté le combat aux côtés du Président Félix Houphouët, qui ont donné de leur sang et leurs vies pour que le Pdci-Rda soit. J’ai été doublement choqué de voir et d’entendre des jeunes du Pdci-Rda dire que leur avenir se trouvait avec Henri Konan Bédié. (Pourquoi ?) Comment peut-on placer son avenir dans le passé ? Un homme dont l’âge était au-delà des limites des conditions de candidature à ce Congrès. Le Congrès s’est tenu dans des conditions que nous dénonçons mais il en est ressorti que pour les élections présidentielles de 2015, le Pdci-Rda devrait avoir son candidat. Le Congrès est allé plus loin même pour exiger que ce candidat soit un militant issu du Pdci-Rda. Ma satisfaction est encore plus grande quand le Congrès demande la prise en compte et l’organisation de la jeunesse scolaire et estudiantine, cette frange de la jeunesse qui est restée abandonnée depuis la disparition du Mouvement des élève et étudiants de Côte d’Ivoire (Meeci). Le discours de Bédié ne rassure guère. (Comment ?) tantôt il présente Ouattara comme le candidat du Rhdp, tantôt il dit que le Pdci-Rda aura son candidat. Ce qui fait qu’aujourd’hui les militants sont désemparés et c’est cela qui crée la cacophonie à laquelle nous assistons. Aujourd’hui des jeunes comme Abonouan Empirus, des papillons de la politique, toujours en quête de nectar (le dieu argent), sans ambition véritable, veulent sacrifier le parti au profit de Ouattara, leur nouveau roi. Si le ridicule tuait ! Le rôle d’un parti politique étant la prise et l’exercice du pouvoir d’Etat, nous ne comprenons pas les motivations et les agissements de Bédié et de ces soi-disant députes. Quant à nous, nous nous opposons à cette idée qui conduira à coup sûr à la mort de notre parti. Une chose que nous ne voulons pas. Nous profitons pour appeler à la raison ces derniers. Referons-nous tous autant que nous sommes aux décisions du Congrès.
Etant en exil, Ouattara vous invite au retour.
Je suis militant du Pdci-Rda ; le père fondateur de notre parti a été farouchement opposé à l’exil, cela est même mentionné dans notre Constitution. Je suis donc en exil par la force des choses. Dans quel état d’esprit le chef de l’Etat nous invite au retour ? Quand on sait que chaque jour les Ivoiriens sont enlevés, torturés, emprisonnés, les prisons sont surchargées par des innocents pendant que les bandits de grand chemin, les meurtriers, les coupeurs de routes et les braqueurs circulent librement dans le pays. Les bandes armées occupent les terres de nos parents à l’Ouest du pays. Voyez-vous que l’insécurité est à son comble. Même étant en exil, le pouvoir d’Abidjan nous traque et envoie des mercenaires pour nous assassiner. Je n’invente rien car cela a été révélé dans le dernier rapport des experts de l’Onu. Le discours de Ouattara ne nous rassure pas, nous attendons de lui des actes de loi.
Commentaire sur son discours de fin d’année ?
Rien de nouveau sous les tropiques, les mêmes promesses qui ne se réaliseront jamais. Toujours les mêmes mensonges. Voilà quelqu’un qui a promis donner de «bonnes nouvelles» aux Ivoiriens et en lieu et place, nous avons reçu des tonnes de promesses et de mensonges. Pour nous, c’est un discours de plus. Pendant que Ouattara nous dit que la croissance économique est au beau fixe, les populations meurent de faim. Pendant qu’il parle d’emplois créés, le taux de chômage et de licenciements abusifs ne fait que grimper. Pendant qu’il se targue d’avoir ouvert de grands chantiers, l’Union européenne nous apprend que tous ces travaux avaient déjà été entièrement financés par le régime du Président Laurent Gbagbo. Pendant qu’il parle de baisse de l’indice de sécurité, la Côte d’Ivoire se retrouve au troisième rang du pays le plus dangereux et la France déconseille la destination Côte d’Ivoire à ses ressortissants. Pendant qu’il parle de l’accès de l’eau potable et de l’électricité pour tous, c’est à ce moment que nous constatons les coupures intempestives du courant, un manque criard d’eau. Le pays est surendetté pendant qu’il parle d’augmentation des salaires. Constatez avec nous que c’est de la pure propagande, c’est une moquerie et une injure pour le peuple. En somme, c’est un discours qui ne s’adressait pas aux ivoiriens car en déphasage avec nos réalités. Je voudrais inviter les ivoiriens à plus de courage pour qu’ensemble nous puissions mettre fin à ce cauchemar.
Avez-vous toujours espoir que le Président Laurent Gbagbo sera libéré ?
Plus les années passent, plus notre confiance grandit car le temps confond nos ennemis. Jusque-là aucun reproche contre lui n’est avéré. La procureure Fatou Bensouda ne fait que tourner en rond jusqu’à ce qu’elle avoue qu’il lui faut du temps. Pour quelqu’un qui a été présenté à grand renfort de publicité comme un génocidaire, nous sommes étonnés du mal qu’ils ont à trouver les preuves qui l’incriminent. Comment peut-on détenir quelqu’un sans preuves préalables? Cela dénote du caractère politique de cette affaire qui est en train de grandir le fils du pays. Nous sommes sereins, il nous a demandé de tenir et nous tiendrons. Aujourd’hui, l’Ivoirien lambda constate que la place du Président élu Laurent Gbagbo n’est pas en prison mais plutôt à la tête de son pays. Que les Ivoiriens s’apprêtent à l’accueillir car Gbagbo revient bientôt pour notre Bonheur.
Depuis sa sortie de prison, le Président du Fpi effectue des tournées à travers le pays. Quelles sont vos impressions ?
Je me réjouis aujourd’hui que le Président Affi N’Guessan soit en liberté après deux ans de détention arbitraire et injuste. Vous constatez avec moi que dès sa sortie de prison, le Président Affi lui-même est allé libérer sa maison, ce geste si fort a permis à beaucoup d’Ivoiriens de vaincre en eux la peur. Il a ensuite pris son bâton de pèlerin pour parcourir le pays pour lancer le message de l’espoir et inviter le régime actuel à abandonner les armes pour faire place au dialogue si cher au Pdci-Rda mon parti. Je ne peux que me réjouir de cette démarche. Le président Affi nous rappelle le temps du Rda, ce temps de la reconquête des libertés bafouées. Le régime gagnerait à écouter ses messages et à accepter sa main tendue. Comment des gens se réclamant d’Houphouët peuvent qualifier le dialogue de perte de «temps et de bavardage inutile» ? Ouattara Houphouëtiste ?! Laissez-moi rire. Nous encourageons le Président Affi à maintenir le cap car il représente aujourd’hui l’espoir du navire Ivoire. Nous demandons aux Ivoiriens d’être solidaires du combat que le Président Affi mène. Nous invitons les militants du Pdci-Rda à prêter une oreille attentive aux messages du Président Affi, invitant tous les ivoiriens au dialogue.
Quel est votre mot de fin ?
Pour finir, je voudrais souhaiter mes vœux, les meilleurs, au peuple ivoirien. Que l’année 2014 nous permette de nous réconcilier afin d’envisager ensemble main dans la main un avenir meilleur. Fasse Dieu que l’argent circule enfin. Que les promesses deviennent réalité et que les mensonges disparaissent au profit de la vérité. 

Entretien réalisé par Yacouba Gbané
Source : Le Temps 23 janvier 2014 

 
en maraude dans le web
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
 

mercredi 22 janvier 2014

HOMMAGE à AMILCAR CABRAL


 
Né en Guinée Bissau, devenu ingénieur agronome au Portugal, Amilcar Cabral fonda le PAIGC (Parti Africain pour l'Indépendance de la Guinée et du Cap Vert), le parti de libération de la Guinée, avant d'être assassiné en Guinée Conakry en 1973.
Amilcar Cabral est né le 12 septembre 1924 à Batafa, en Guinée Bissau, qui est alors une colonie portugaise. Il est le fils de Juvénal Cabral (originaire du Cap-Vert), enseignant dans une école élémentaire. Sa mère, Iva Pinhel Evora travaille comme couturière pour aider la famille. Bon élève, Cabral achève ses études secondaires en 1943, à Mindelon, sur l’île de San Vincente.
En 1945 il obtient une bourse et va poursuivre des études d’agronomie à Lisbonne, la capitale du Portugal où il restera jusqu’en 1952. D’une personnalité attrayante et ouverte, Cabral se fait facilement des amis et rencontre à Lisbonne un certain nombre de personnes qui joueront plus tard un grand rôle dans les luttes d’indépendance de l’Afrique australe et lusophone. Il s’agit notamment de Mario de Andrade, d’Agostinho Neto, de Viriato Da Cruz (qui deviendra le 1er secrétaire du MPLA), d’Eduardo Mondlane (fondateur du Frelimo), Marcelino Dos Santos, Vasco Cabral...etc
Cabral profite de ces années pour ouvrir ses horizons, lire et réfléchir sur la condition des africains. Cabral et ses amis sont aussi influencés par les idées « révolutionnaires » de par leurs lectures et leurs rencontres. En 1949, Cabral retourne au Cap Vert pour des travaux d’été, donne plusieurs conférences et commence à avoir pour leitmotiv de rendre les Cap-Verdiens conscients des problèmes auxquels leur société fait face. Il est pour lui essentiel que l’homme de la rue soit éduqué, bien informé. Une avant-garde intellectuelle doit se créer pour faire sortir de l'ignorance ceux des Cap Verdiens qui y sont. Mais les autorités coloniales portugaises lui interdisent vite de donner des conférences. De retour au Portugal, Cabral se met en relation avec d’autres étudiants issus des colonies portugaises, et entreprend une quête identitaire, la « réafricanisation des esprits ». Cette quête se matérialise par la création du « Centro de Estudos Africanos » (Centre des Etudes Africaines), un centre qui joue un rôle non négligeable dans la formation des futures organisations politiques des colonies portugaises.
En 1950, Cabral est diplômé d'agronomie et commence une période d'apprentissage au centre d’agronomie de Santarem. En 1952, il retourne en Guinée Bissau pour les services de l'agriculture et des forêts de Guinée portugaise. Le retour de Cabral en Guinée Bissau n’est pas dû au hasard. Il a en effet eu la possibilité de travailler dans d'autres colonies portugaises et au Portugal. Mais il a une idée en tête : contribuer à l’amélioration des conditions de vie de son peuple, et mettre fin à la domination coloniale portugaise. Il dirige rapidement le centre agronomique de Bissau.
En 1953, Cabral entreprend le recensement agricole de la Guinée, un travail colossal grâce auquel il s’imprégne de la réalité profonde du pays, ce qui lui permettra aussi plus tard de mettre en place une stratégie de mobilisation adaptée à la vie en Guinée Bissau.
En 1955, le gouverneur lui demande de quitter la Guinée Bissau et d’aller travailler en Angola. Cabral en profite pour prendre contact avec les groupes et les formations qui formeront le futur MPLA (Mouvement pour la Libération de l’Angola). En 1956, il est de retour et effectue des travaux agronomiques considérables sur la culture de la canne à sucre et le coton. Le 19 septembre 1956 Cabral et cinq de ses compagnons parmi lesquels Luiz Cabral, son demi-frère (futur président de la république de Guine-Bissau), Aristide Perreira (futur président de la république du Cap-Vert), Abilio Duarte (futur ministre et président de l’Assemblée nationale du Cap-Vert) fondent le parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap Vert (PAIGC). La Guinée est alors régie par le code de l’Indigénat qui établit une discrimination raciale de fait. Le parti fondé par Cabral est une organisation clandestine qui ne va acquérir de statut légal que quatre ans plus tard lorsqu’une délégation du PAIGC à Conakry, dans la Guinée de Sékou Toure.
En novembre 1957 Cabral rencontre à Paris Viriato Da Cruz, Mario De Andrade, et Marcelino Dos Santos, pour faire le point sur l’évolution de la lutte dans les colonies portugaises. Puis Cabral organise clandestinement le PAIGC en Guinée. Le parti se concentre d’abord sur la population urbaine, qu’il considère à cette époque comme le moteur de la révolution, en créant des cellules clandestines et un mouvement syndical. Le 3 août 1959, le PAIGC connaît une défaite importante puisqu’une grève d’ouvriers est réprimée (une cinquantaine de victimes) et une grosse partie de l’infrastructure du parti est démantelée. Cabral décide alors de réorganiser le PAIGC en mobilisant prioritairement les campagnes. C’est un grand changement dans l’orientation du parti qui provient de l’observation des réalités du terrain, de la prise en compte des revers subis et d’une meilleure connaissance du processus des luttes de libération.
En janvier 1960, Cabral assiste à la seconde conférence des peuples africains à Tunis, et se rend à Conakry en mai. Il se rend également à une conférence internationale à Londres en juin où il dénonce pour la première fois publiquement le colonialisme portugais (cette dénonciation sera publiée en Angleterre sous le titre de « Facts about portuguese colonies », signée sous son pseudonyme, Abel Djassi). Il affirme cependant clairement, comme il le fera tout au long des années de bataille qu’il se bat contre le système colonial instauré par le Portugal, et non contre le peuple portugais. A la même époque, le FRELIMO (Front de Libération du Mozambique) est créé.
 Au début des années 60, le PAIGC opère à partir de la république de Guinée Conakry. Il prépare les militants et les membres du parti à étendre son action en Guinée-Bissau afin de continuer à construire les cellules et l’infrastructure clandestines. Il cherche également à obtenir le soutien des pays voisins (Guinée Conakry, Sénégal). En 1962, il se rend à l’ONU à New-York afin de présenter un mémoire sur le colonialisme portugais en Guinée.
En 1963, la guérilla éclate avec une attaque du PAIGC dans le sud de la Guinée Bissau. Le PAIGC met en place un front nord en juillet, ce qui oblige les portugais à se battre sur deux fronts. Rapidement, le PAIGC contrôle le sud du pays. L’année suivante, Cabral préside un congrès du PAIGC en région libérée, puis en mai participe à un séminaire organisé par le centre Frantz Fanon de Milan où son analyse et ses interventions commencent à le faire connaître. En 1964-1965 le PAIGC met en place dans les régions libérées de nouvelles structures politico-administratives.
C’est en janvier 1966 que Cabral participe à la conférence tricontinentale de La Havane où est créée l'organisation de solidarité des peuples d'Asie, d'Afrique et d'Amérique Latine. Cette conférence marque l’accession de Cabral comme dirigeant révolutionnaire majeur en Afrique et grande figure de la révolution dans les pays du tiers monde. Son intervention analyse la naissance, les objectifs et le développement des luttes de libération dans le tiers-monde. Il analyse également le rôle ambivalent joué par la bourgeoisie, qui est à la fois « agent du colonialisme et agent de la révolution ». Pour Cabral, cette petite bourgeoisie « doit être capable de se suicider comme classe pour renaître comme travailleurs révolutionnaires, entièrement identifiée aux aspirations les plus profondes du peuple auquel elle appartient. »
En 1968, le PAIGC contrôle les deux tiers de la Guinée-Bissau, a renforcé son infrastructure politique et administrative (création de « magasins du peuple » pour fournir les populations libérées en produits de première nécessité), ainsi que de brigades mobiles chargées d’encadrer la population. Le PAIGC met en place dans certaines régions les bases d’une structure étatique (création d’écoles, amélioration de postes sanitaires, amélioration de la condition féminine…). Cabral élabore déjà le processus qui quatre ans plus tard amènera la Guinée Bissau à proclamer unilatéralement son indépendance.
A partir de 1969 Cabral mène une intense activité diplomatique : en janvier il se rend au Soudan où se tient une conférence de solidarité avec les peuples des colonies portugaises. En avril, il est devant la commission des Droits de l’homme de l’ONU où il dénonce une fois de plus le colonialisme portugais. Il est de retour sur le terrain à Conakry en novembre où il dirige un séminaire de formation des cadres du PAIGC. Il traite notamment des problèmes de l’héritage magico-religieux des sociétés africaines, du poids des croyances du passé et de l’emprise des mentalités traditionnelle, notamment sous l’angle de la magie.
Les portugais devant l’ampleur de l’avancée militaire et de l’activité diplomatique de Cabral ont entrepris de réagir en déployant de gros moyens militaires, en africanisant la guerre par incorporation massive d’africains dans les troupes portugaises, en accordant des promotions aux élites traditionnelles qui collaborent avec eux. Les portugais entreprennent également d’améliorer les conditions sociales des habitants de Guinée Bissau afin que ceux-ci leur soient plus favorables (distribution de riz à rendement élevé, mise en valeur des terres, construction d’écoles et de postes sanitaires…).
Le PAIGC réussit malgré tout à conserver ses positions et Cabral est toujours sur le front international pour faire connaître son combat. En février 1970, il séjourne à l’université de Syracuse à l’occasion d’une réunion en la mémoire d’Eduardo Mondlane, dirigeant du Frelimo, assassiné un an auparavant. Cabral prononce un discours sur la lutte de libération en tant que fait et facteur de culture. Puis se rend au siège des Nations-Unies à Washington, puis devant la commission des affaires étrangères du congrès américain.
En avril, il se rend à Moscou à l’occasion de la commémoration du centième anniversaire de la naissance de Lénine. En juin, il est à Rome où il participe à la « conférence de solidarité avec les peuples des colonies portugaises. » A la fin de la conférence, Cabral, Marcelinho Dos Santos et Agostinho Neto sont reçus par le Pape Paul VI. Le 22 novembre, le gouvernement de Guinée Bissau lance un commando pour capturer ou assassiner les leaders du PAIGC, mais celui-ci échoue. En avril 1971, Cabral est à Stockholm, en juin à Addis-Abeba à l’occasion à l’occasion de la conférence des chefs d’Etat et des gouvernements africains. En août, il se rend à Dublin, à Helsinki (où il est reçu par le président de la république finlandaise), à Londres où il est reçu par le secrétaire général du parti travailliste. Il donne une conférence de presse à la chambre des communes.
En février 1972 il prend la parole lors de la 163ème session du conseil de sécurité de l’ONU, et invite les Nations-Unies à envoyer une mission d’observation dans les territoires libérés. L’activité diplomatique extrêmement importante de Cabral vise à faire proclamer l’indépendance dans les territoires passés sous contrôle du PAIGC. Misant sur la renommée internationale acquise par la lutte du PAIGC grâce à ses efforts sur la scène internationale, Cabral veut passer au stade de l’indépendance effective, et déclencher ainsi la chute finale du colonialisme portugais.
Une mission des Nations-unies se rend effectivement sur le terrain dans les régions libérées du sud de la Guinée du 2 au 8 avril 1972. Et son rapport amène les Nations unies à considérer le PAIGC « comme véritable et légitime représentant des peuples de la Guinée et du Cap-Vert ». Un peu plus tard, l’assemblée générale de l ‘ONU demandait aux Etats, gouvernements, organisations nationales et internationales de renforcer leur aide au PAIGC et de traiter exclusivement avec lui des problèmes concernant la Guinée-Bissau et le Cap-Vert. La stratégie menée par Cabral et ses alliés portait donc ses fruits.
Par la suite le conseil de sécurité de l’ONU adoptait à l’unanimité une résolution condamnant le colonialisme portugais en demandant que cessent les guerres coloniales et que les troupes d’occupation soient retirées et des négociations ouvertes. Fin août 1971, le conseil supérieur de la lutte (l’organe dirigeant du PAIGC) décide de préparer les conditions pour une élection au cours de l’année 1972, afin de constituer la première assemblée populaire de Guinée-Bissau. Quelques mois plus tard, les représentants de l’assemblée nationale populaire sont élus (273 conseillers régionaux et 120 membres de l’assemblée nationale populaire). Un mois plus tôt, une délégation du PAIGC, menée par Cabral s’était rendue en Asie (Japon, Chine et Corée du Nord), puis en octobre Cabral avait pris la parole devant la quatrième commission de l’assemblée générale de l’ONU.
Le 20 janvier 1973, à quelques mois de la proclamation de l’indépendance, un coup de tonnerre survient : Amilcar Cabral est assassiné à Conakry ! Les assassins sont des membres de son parti, le PAIGC, originaires de Guinée qui auraient commis le meurtre, espérant que les Portugais leur donneraient l'indépendance à la condition que les Cap-Verdiens soient écartés de la direction du PAIGC.
 
Source : AFRICAN DREAM 17 Juin 2008
 

 
AMILCAR CABRAL ET LA CONTRIBUTION DU PAIGC AUX MOUVEMENTS DE LIBÉRATION NATIONALE 
PAR GERARD CHALIAND, POLEMOLOGUE

Le recul du temps restitue ou confère aux êtres comme aux œuvres leur place, au-delà des engouements particuliers et circons­tanciels d'une époque. Nous regardons déjà l'époque, exaltante à bien des égards, des mouvements de libération nationale dirigés contre le colonialisme qui s'étend, pour l'essentiel, de 1945 à 1975 et qui a profondément modifié la carte du monde comme appartenant déjà au passé. Rétrospectivement, la figure d'Amilcar Cabral, tenu dès le milieu des années soixante comme un dirigeant de grande valeur par des secteurs de l'opinion relativement spécialisés, apparaît aujourd'hui, non seulement à l'échelle du continent africain mais à celle du tiers monde, comme exemplaire et sans cesse grandissante.
A. CABRAL au FRONT
L'histoire contemporaine n'a pas manqué de personnages flam­boyants, de dirigeants protestataires ou charismatiques souvent quasi négligés dès leur disparition de la scène ou du pouvoir. Il y a eu, au cours des décennies soixante et soixante-dix, des personnalités politiques ou des dirigeants plus prestigieux dont la célébrité a été, bien souvent, liée aux mythes révolutionnaires ou aux engouements romantiques d'une époque. Avec le recul du temps et une plus juste appréciation de ce qui a été effectivement accompli, il est hautement probable qu'en tant que dirigeant révolutionnaire, Amilcar Cabral occupe en Afrique la première place. A l'échelle du tiers-monde, il est de ceux, guère plus nombreux que les doigts d'une main, qui, par la réflexion et l'action, la rigueur intellectuelle et l'aura de leur personnalité, ont laissé un héritage qui, à condition de n'être pas momifié, continuera à être source d'inspiration.
Dans le cadre d'une problématique qui se situe dans la mouvance marxiste, il convient de souligner chez Cabral l'absence quasi totale de dogmatisme et d'idéologisation au sens péjoratif du terme. C'est-à-dire au sens où les réalités sont considérées comme trop contraignantes pour qu'on en tienne compte, tandis que l'idéologie, de façon ultra-volontariste, s'efforce de ployer les hommes et les faits. Devant l'inévitable échec de cette tentative, les idéologues préfèrent blâmer les réalités plutôt que critiquer leurs propres aberrations. A cet égard, Amilcar Cabral n'a cessé d'être un pragmatique, tenant compte des héritages historiques, de la complexité sociale et des facteurs culturels.
S'il a tendu, selon moi, à surestimer les capacités (ou la possibilité) de la petite bourgeoisie ou d'une fraction de celle-ci à « se suicider en tant que classe », il a été à contre-courant du conformisme révolutionnaire établissant comme catéchisme la prééminence du prolétariat — au moins telle qu'il s'exprime dans les Congrès — un des premiers à souligner le rôle moteur des éléments d'origine petite-bourgeoise des pays colonisés dans la lutte de libération. Cabral s'est efforcé de partir des réalités locales afin d'y adapter la stratégie du PAIGC. Je ne rappelle que pour mémoire son analyse de la société guinéenne et la connaissance concrète du terrain que celle-ci impliquait. Cela paraît fondamental si l'on se souvient des nombreuses directions révolutionnaires, en Amérique latine, en Afrique et au Moyen-Orient, qui se sont contentées d'appliquer mécaniquement des analyses abstraites, des pro­grammes ronflants, et qui n'ont pu très longtemps dissimuler leurs échecs derrière des slogans.
Rares ont été en fait, au cours des dernières décennies, les dirigeants capables de penser une lutte en produisant une contribu­tion intellectuelle sérieuse résistant à l'épreuve du temps tout en animant et en organisant un parti et une guerre de libération nationale.
Après avoir constaté, au cours de l'année 1959, les carences et la fragilité d'une stratégie axée sur les villes, Amilcar Cabral et le PAIGC tirent les leçons de l'échec consécutif à la répression de Pidjiguitti et s'orientent vers la préparation d'une guérilla rurale. A une époque où l'Amérique latine, de 1959 à 1967, reste fascinée par la théorie erronée du « foco » qui prétend entamer et mener à bien la lutte de libération sans préparation politique et sans encadrement des masses, Cabral et le PAIGC appliquent de façon adaptée aux conditions de la Guinée les principes de la guerre révolutionnaire. Ecole de formation de cadres ; patient travail au cours des années 1960-62 pour jeter les bases d'une infrastructure politique clandes­tine à l'intérieur de la Guinée. D'emblée, la lutte armée en 1963-64 est menée à l'intérieur du pays, tant au sud qu'au nord, et ne ressemble pas à tant d'autres luttes, en Afrique et ailleurs où l'on se contente de mener des opérations de commandos plus ou moins fugaces à partir de frontières voisines.
A cet égard, l'effort fondamental du PAIGC est qu'il est le premier mouvement de libération à l'échelle de l'Afrique à instituer dans les régions contrôlées des hiérarchies parallèles. Une fois la phase initiale de l'implantation réussie, le PAIGC fait procéder à l'élection de comités de village qui, par leur existence même, sont la négation de l'ordre colonial.
Ces comités de villages — et j'en ai vu un bon nombre lors de ma visite au maquis en compagnie
A. CABRAL ET L'ENFANT
d'Amilcar Cabral en mai-juin 1966 — prenaient en charge l'ensemble des problèmes économiques, sociaux et militaires du village. Le PAIGC fournissait, dans la mesure de ses moyens, les instituteurs, les infirmiers ou infirmières ainsi que les magasins du peuple. Je voudrais rappeler ici que ces comités de villages étaient composés de 5 membres élus, dont obligatoirement 2 femmes.
Je regrette, à cet égard, qu'il n'y ait pas dans la liste déjà substantielle des contributions à ce symposium de thème traitant du problème des femmes et de leur émancipation. Amilcar Cabral y avait toujours accordé une place importante bien avant que le mouvement féministe dans le monde d'aujourd'hui ait pris l'impor­tance qu'il a. Bien des jeunes filles qui refusaient le mariage forcé ont eu recours au parti durant la lutte et tout au long de celle-ci leur contribution a été non négligeable — en particulier sur le terrain de la production mais aussi comme infirmières, combattantes et cadres supérieurs.
Pour la période 1963-1974, le PAIGC est l'exemple majeur d'une guérilla réussie à l'échelle du continent africain. Plusieurs généraux portugais se sont cassé les dents en Guinée. C'est que le PAIGC n'a manqué ni d'organisation, ni de cadres dévoués et que le travail politique a toujours été considéré comme plus important encore que la lutte militaire. Ainsi une partie non négligeable de la population rurale a-t-elle été mobilisée, encadrée et organisée. J'ajouterai que Cabral a été un des très rares dirigeants au sein du tiers monde à ne pas évacuer les problèmes des faiblesses et insuffisances des mouvements de libération. Trop souvent, en effet, tout ce qui est négatif est commodément attribué au colonialisme. Or prendre son destin en main c'est aussi voir et corriger ses carences.
Quand, avec la contre-offensive menée avec énergie par le général Spinola, commence vers 1970 la période du relatif équilibre des forces où le PAIGC ne progresse que peu compte tenu des conditions géographiques, sociales et militaires, Amilcar Cabral a le talent stratégique et l'imagination de déplacer la guerre sur le plan diplomatique. En œuvrant pour la reconnaissance de la souveraineté de la Guinée-Bissau — encore occupée — par le truchement de l'élection d'une Assemblée populaire dans les régions libérées par le PAIGC. Après l'assassinat d'Amilcar Cabral, le PAIGC procède à ces élections et obtient, fait unique à l'époque dans les annales des mouvements de libération, la reconnaissance de plus de 90 Etats.
Les succès du PAIGC sont nombreux. Ses échecs, rares. L'échec politique et stratégique majeur d'Amilcar Cabral et des quelques cadres qui commencèrent la lutte est d'avoir tenté de lier la lutte du Cap-Vert et celle de la Guinée. Non point que cette liaison, généreuse autant que dictée par les circonstances, n'ait mené à l'indépendance la Guinée et le Cap-Vert. Mais en tant que pari optimiste sur une fusion éventuelle du destin des deux pays, il s'est heurté tant lors de l'assassinat d'Amilcar Cabral qu'au lendemain du coup d'Etat de 1980 en Guinée au même mélange de préjugé qu'on ne peut appeler autrement que raciste et de nationalisme étroit. Peut-être ne pouvait-il en être autrement dans le cadre d'une époque de plus en plus portée à jalousement exalter l'identité et la différence ?
Cela, cependant, n'enlève rien à l'exemplarité de la lutte de libération menée par le PAIGC — ni à l'héritage d'Amilcar Cabral — qui restent des contributions majeures de l'Afrique à l'histoire contemporaine. 

Gérard Chaliand
(Intervention lors du Symposium international Amilcar Cabral, Praia, Cap-Vert 17-20 janvier 1983 ; in « Pour Cabral », Présence africaine 1987). 

mardi 21 janvier 2014

Le masque d’enfer

Vojislav Seselj, leader nationaliste serbe ayant obtenu 36 % des voix à l'élection présidentielle de 2002 et s'étant rendu de lui-même à La Haye le 24 février 2003, est en détention préventive à la maison carcérale de Scheveningen depuis... dix ans. C'est la détention préventive la plus longue du monde. Même sous Staline, Louis XI ou Nabuchodonosor, les accusés avaient droit à un procès plus rapide. Je ne vois, dans l'histoire du monde carcéral, que le Masque de fer pour être resté enfermé sans jugement plus longtemps (trente-quatre ans). Les Romains montrèrent autrefois le bon exemple en ne laissant pas traîner la procédure avec Jésus de Nazareth. Lors de notre merveilleuse révolution de 1789, les contre-révolutionnaires à particule ne subirent pas, comme aujourd'hui Seselj, la torture d'une décennie d'attente. Le procès de Nuremberg eut lieu en 1945, non en 1955, et pourtant les hauts dignitaires nazis avaient commis plus de crimes que Seselj. Quand même.
Le président Laurent Gbagbo,
prisonnier de la soi-disant "communauté internationale",
lui aussi en attente de jugement depuis plus de deux ans.
Entre 2003 et 2007, l'acte d'accusation à l'encontre de l'homme politique serbe sera modifié à plusieurs reprises, sur la base d'articles de loi inconnus dans le droit international. On reproche à Vojislav Seselj une incitation à la haine dont, hélas ! beaucoup de ses propos guerriers, entre la fin du siècle dernier et le début de celui-ci, témoignent. Il est aussi accusé d'« entreprise criminelle concertée ». Selon Wolfgang Schomburg, juriste allemand ayant siégé comme juge à La Haye de 2001 à 2008, une telle accusation n'existait pas en matière de droit international : elle a été inventée par le TPI. Schomburg déclare que « l'entreprise criminelle concertée » a été conçue pour "punir les gens qui pensent de la même manière" au sein d'un peuple.
En août 2005, après deux ans de détention et alors que son propre procès vient à peine de commencer, Seselj témoigne à celui de Slobodan Milosevic, en faveur de ce dernier. En guise de représailles la Cour lui retire, dès novembre 2006, le droit de se défendre seul dans sa langue. On le lui rend le 8 décembre, après une grève de la faim de l'accusé de dix-huit jours et les protestations du ministre russe des Affaires étrangères. Le procès de Seselj reprend en 2007 – sa préventive dure alors depuis quatre ans – avec l'audition de quatre-vingts témoins, qui mettent l'accusation en difficulté. Nouvelle interruption. De 2009 à 2011, le leader nationaliste est l'objet de trois procédures pour manque de respect à la Cour. Il se voit infliger des peines de prison de treize mois pour chacun de ces délits, alors que la peine moyenne encourue pour outrage est de trois mois.
Malade et affaibli, Vojislav Seselj a fêté, le 24 février, ses dix ans de détention préventive. La préventive à perpétuité : nouveau concept de la justice démocratique ? Je sais que les salaires sont excellents au TPI, versés par l'Union européenne, pourtant fort en difficulté sur le plan financier, avec une régularité et une bonhomie enchanteresses, mais les juges de La Haye, les assesseurs, greffiers, procureurs et autres procureurs généraux, sans oublier les avocats des victimes comme ceux des accusés, devraient accélérer le mouvement judiciaire, car un scandale leur pend au nez. 

Patrick Besson  

 

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Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenances diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens ou que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
 

 Source : Le Point 15/08/2013