samedi 29 mai 2021

RÉSURRECTION !



UN LIVRE MAUDIT ?

 

Il y a quelques années – je ne sais plus en quelle année exactement, mais je sais au moins qu’il y a plus de dix (10) ans – j’ai vu sur le Net l’annonce suivante, émanant des éditions Karthala et concernant mon premier livre, « Félix Houphouët et la Côte d’ivoire. L’envers d’une légende », édité par cette maison en 1984 : « nous ne diffusons plus ce livre ». Intrigué, j’appelai Robert Ageneau, le directeur, et lui demandai quelle différence il y avait entre « nous ne diffusons plus ce livre » et « ce livre est épuisé » ? Apparemment aussi surpris par ma question que je l’avais été moi-même en découvrant, par hasard, cette annonce, R. Ageneau me répondit qu’il allait se renseigner et qu’il me rappellerait ensuite. À ce jour, j’attends toujours la réponse. Mais les éditions Karthala m’ont fourni, toujours par hasard, une nouvelle raison de m’interroger : ce livre qu’elles avaient pour ainsi dire expulsé de leur catalogue, apparemment sans raison avouable, elles continuaient en douce à le proposer à la vente en version ebook sur leur site.

Ô pirates déhontés ! Ô pillards impénitents !!!

Heureusement qu’il y a Anibwe !

Grâce à cette petite maison parisienne créée par un compatriote, 36 ans après sa première parution, « Félix Houphouët et la Côte d’Ivoire. L’Envers d’une légende », a commencé une nouvelle vie depuis l’été dernier. C’est l’occasion de se rappeler ce que fut sa première vie.

Vous allez voir, en lisant ci-après le récit de mon ami Georges Toualy qui donne une idée de la façon peu amène, pour dire le moins, dont mon livre fut reçu à Abidjan par une « Madame Kethi Lina Laubhouet, alors directrice générale des Nouvelles Éditions Africaines (NEA) ». Cette dame n’agissait pas ainsi de sa propre initiative. Elle avait dû recevoir des consignes de la « présidence », c’est-à-dire, en fait, de Guy Nairay et/ou d’Alain Belkiri, qui, sous le masque d’Houphouët, gouvernaient alors la Côte d’Ivoire.

Bien avant de faire la connaissance de Georges et d’apprendre par lui le sort que la DG des NEA fit à mon livre, je savais déjà, de source sûre, qu’il avait suprêmement déplu à ces messieurs. Voici comment. Peu après la sortie du livre, je suis venu à Paris pour en faire la promotion, une promo qui se révéla d’ailleurs un bide, Robert Ageneau et Dominique Mataillet – à qui surtout je dois, je crois, d’avoir été publié alors qu’en France même on sentait déjà qu’un tel livre n’était rien moins que désiré – m’ont convié à déjeuner dans un petit restaurant voisin de leur maison. Ils rentraient juste d’un court séjour à Abidjan où ils étaient allés présenter d’autres livres de leur catalogue. Là-bas, me racontèrent-ils, ils furent approchés par Nairay et Belkiri, qui leur tinrent à peu près ce langage : « Ici, en principe nous n’interdisons aucun livre ; seulement, ce livre-ci, nous ne voulons pas qu’il soit diffusé ». Donc, dès l’été 1984 je savais quel sort les vrais maîtres de mon pays réservaient à mon livre. Mais il ne s’agissait alors que d’intentions ; ce ne sera que 20 ans plus tard que, lors d’une conférence de Geneviève Bro-Grébé à la Librairie Anibwe, et après avoir fait connaissance avec Georges Toualy, que je sus que ces gens ne s’en tinrent pas qu’aux menaces verbales.

Ceux qui reliront cet ouvrage ou qui le découvriront grâce à nos amis d’Anibwe verront qu'il n'a (presque) rien perdu de son actualité.

Espérons que la nouvelle vie de ce livre sera moins tourmentée que la première.

Marcel Amondji

 

 

* * *

Une anecdote de Georges Toualy à propos de « Félix Houphouët et la Côte d’Ivoire. L’envers d’une légende » de Marcel Amondji.


Ce sont des souvenirs lointains que je m’efforce de restituer à l’occasion de la nouvelle édition de cet essai de M. Marcel Amondji.

Nous sommes au milieu des années 1980, période où le régime de parti unique du Président Houphouët-Boigny a commencé à donner des signes d’essoufflement. Les causes sont diverses, toutefois pour aller plus vite, je dirai que les recettes des principaux produits de rente (le café et le cacao) qui servaient à entretenir le vieux régime de prébendes baissent de manière drastique. Le climat politique devient plus délétère qu’à l’accoutumée. Tous ceux qui profitent du système sont davantage frileux et suspicieux. C’est dans cette atmosphère que parait l’essai de Marcel Amondji.



Je travaillais aux Nouvelles Éditions Africaines, une société mixte dont les différents actionnaires étaient les États du Togo, du Sénégal et de la Côte d’Ivoire. Les autres partenaires étaient des éditeurs français les plus compétents en la matière, notamment les Éditions Nathan et Hatier. J’étais le directeur commercial de l’entité d’Abidjan entre septembre 1983 et février 1987. L’édition scolaire était à 80 % la spécialité de la maison et les 20 % restant constituaient un fonds composé de littératures africaines, de romans africains et autres publications savantes. En amont, plusieurs libraires d’Abidjan et de l’intérieur du pays assuraient la distribution de nos ouvrages. Mais celles d’Abidjan étaient les plus dynamiques ; il s’agit de la librairie du Parc, la librairie Barnoin, la librairie de l’hôtel Ivoire et la librairie Carrefour. Madame Delon, la directrice de la librairie du Parc, et moi avions la même vision de la diffusion du livre en Afrique ; c’est ainsi que nous avons convenu et mis en place une politique de promotion des auteurs africains et plus particulièrement ivoiriens. Dans le cadre de nos échanges professionnels, Madame Delon me fait parvenir l’essai de M. Amondji Marcel. Comme pour tous les spécimens que je reçois au titre de la promotion, je mets le bouquin sur le présentoir dans mon bureau. Je n’ai pas lu la quatrième de couverture…. Nous étions en milieu de l’après-midi ; c’est à ce moment que Madame Kethi Lina Laubhouet, directrice générale des Nouvelles Éditions Africaines (NEA) entre dans mon bureau avec fracas. De manière brutale et inélégante, elle jette sur mon bureau un exemplaire de l’essai que je venais de mettre sur le présentoir : « Monsieur, où avez-vous eu ce livre ? Ce livre est un libelle subversif ! Si vous êtes communiste, on n’est pas en France ici. Sortez- moi ce livre de votre présentoir ! ». J’ai à peine le temps de dire que c’est la librairie du Parc qui nous l’envoie comme spécimen, qu’elle se saisit du téléphone sur mon bureau et intime l’ordre à Madame Delon de sortir ces ouvrages de sa librairie. Cet incident a été le déclencheur du pourrissement de ma relation de travail avec La directrice générale des NEA.

C’est en avril 2004, au cours de la dédicace du livre de Madame Geneviève Bro-Grégbé, dans une librairie-café, au 54 rue Greneta, Paris 2ème, que nous faisons connaissance, Marcel et moi : c’est en effet, Geneviève Bro-Grégbé qui me présenta à Marcel Amondji. Ce fut tout de suite un déclic en entendant ce nom. J’ai donc solennellement expliqué à l’auditoire combien ce nom d’Amondji Marcel avait été associé aux prétendues tentatives de subversion en Côte d’Ivoire du temps du règne d’Houphouët-Boigny. Dès cet instant Marcel et moi nous ne nous sommes plus quittés.

 

Georges Toualy