samedi 26 juillet 2014

Mais pour qui nous prend-il ?*

Kabran Appia (à droite) retour d'exil le 24/4/2012 
Le Protagoras ivoirien a parlé. Le sophiste reconnait qu’il existerait une convergence, mais pas un accord entre LMP (copié-collé de La Majorité Présidentielle) et AFD (copié-collé de l’Agence Française de Développement).
Avec lui, nous apprenons que l’unanimité ne signifie pas accord. Il insiste pour affirmer que sans accord écrit, il n’y a pas d’accord.
Mais pour qui nous prend-t-il ?
Ce n’est quand même pas à lui, docteur en Droit que nous rappellerons que la Constitution britannique n’est écrite nulle part. Pourtant, cet accord tacite non écrit est intégré comme une norme encrée dans la conscience des hommes politiques britanniques et du peuple dans son ensemble.
Ce n’est pas à lui non plus que nous apprendrons que les coutumes internationales, quoique non écrites, sont reconnues par le droit international et même par l’ordonnancement juridique national comme des accords à respecter impérativement.
Ce n’est pas lui, Kabran Appiah, qui nous répétait à la faculté de Droit en 1998 que « Toute déclaration est un engagement », qui va se permettre à présent de violer ses propres déclarations publiques parce qu’il y’aurait à boire et à manger à la CEI.
N’est-il pas temps que les hommes politiques cessent de ruser avec le peuple ?
Bien sûr qu’en politique l’on peut se permettre toutes les jérémiades et toutes sortes d’acrobaties. Mais ceux qui agissent ainsi ne doivent aucunement oublier qu’ils sont enseignants dans les universités ivoiriennes où ils enseignent nos enfants.
Dans nos pays africains où les étudiants ont des difficultés à faire le tri entre les dogmes académiques et l’endoctrinement politicien, il appartient de plus en plus aux enseignants de faire attention à ce qu’ils affirment.
Kabran Appiah sait qu’il ne peut pas tenir ses dernières affirmations en face de ses maîtres Francis Wodié et son disciple Martin Bléou.
Il peut justifier la présence de son mouvement LMP à la CEI autrement que par l’absence d’accord écrit entre eux et ceux de l’AFD. 

Dapa Donacien Kouakou
(*) - Titre original : « Kabran Appiah épinglé ».
 
 
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Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
 

Source : Connectionivoirienne.net 15 juillet 2014

Quand des agents français dirigeaient la présidence ivoirienne sous Houphouët, le soi-disant père de l’indépendance*

17 juin 2005. Saint-Claver Oula, dans Le Courrier d’Abidjan, mettait en lumière l’encadrement de la présidence ivoirienne par des Français, beaucoup d’entre eux appartenant aux services secrets de leur pays. Une illustration caricaturale de la dépendance du fleuron de ce que Jean-Pierre Dozon appelle l’Etat franco-africain. Nous vous offrons ce précieux document, que nous devons à notre nouvel ami, le citoyen Michel Yapi (via Facebook), comme une illustration de l’article de notre collaborateur Marcel Amondji contenu dans notre dernier post.

Gestion du palais de la présidence
Quand la Présidence ivoirienne était l’Elysée bis.
Le Palais de la présidence de la République ivoirienne sous Houphouët était un vrai prolongement des réseaux Foccart ou l’Elysée bis. La preuve.

Les personnalités très proches de la famille Houphouët-Boigny, qui faisaient partie de son cercle restreint, sont formelles : «Mme Houphouët-Boigny disait que son époux était la chose de la France».
Foccart et son masque
Ce sentiment de celle qui a partagé l’intimité du sage africain pendant ses 33 ans de règne à la tête de la côte d’Ivoire, met en lumière les méthodes souterraines des réseaux françafricains, particulièrement leurs démembrements qui écumaient le palais de la Présidence en Côte d’Ivoire. Houphouët était certes le chef de l’Etat ivoirien, mais la machine à forte coloration «blanche-française» qu’il a mise en place dans ses palais de Cocody, Plateau et Yamoussoukro, mais il n’était en réalité que la face immergée de l’Elysée du temps des Charles De Gaulle, Georges Pompidou, Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand.
La France des réseaux Foccart, qui faisaient et défaisaient certains régimes africains hostiles à la politique française, était incrustée dans le pouvoir ivoirien du «Bélier de Yamoussoukro». Le président Félix Houphouët-Boigny, instruit par les différents coups d’Etat et tentatives de coups fourrés de la France en Afrique dans les années postcoloniales, entre 1960 et 1980, a jugé nécessaire de s’accommoder les services des réseaux français sur le continent. La survie de certains régimes en dépendait et des dirigeants récalcitrants ont dû essuyer des revers sanglants. La Guinée de Sékou Touré, à cause de son rejet de la politique souterraine et très économiquement intéressée de la France, a connu 11 tentatives de coup d’Etat dans lesquelles étaient impliqués les réseaux Foccart.
En Côte d’Ivoire, le «vieux» a ouvert ses vannes aux multinationales françaises et à des Conseillers occultes français. En retour, la métropole se devait de lui garantir la «paix et la prospérité économique». La signature des accords de défense avec la France, l’octroi de la gestion de l’électricité et de l’eau à l’Hexagone, à travers Bouygues, pour ne citer que ces exemples, sont les preuves irréfutables du deal. Le «sage d’Afrique» entre dans les bonnes grâces de tous les locataires de l’Elysée ; et en retour la Côte d’Ivoire devient une vache à lait de la France et le poumon économique de ses réseaux. Il peut donc, fort du soutien de la DGSE (Direction Générale de la Sécurité Extérieure) française, se mettre à l’abri des velléités «déstabilisatrices» – comme c’est le cas dans la sous-région – de ses compatriotes.
Dès lors, la Côte d’Ivoire devient de façon «arrangée» le prolongement de l’administration française. Ainsi, jusqu’en janvier 1990, sur 108 postes à la présidence de la République ou autres services rattachés, 58 étaient du ressort de l’Etat français. «Lorsque les occupants de ces postes étaient soit décédés soit indisponibles, leurs remplaçants venaient automatiquement de notre ancienne puissance coloniale», se souvient une personnalité ivoirienne qui faisait partie du cercle restreint du Palais. Avec elle, nous avons passé en revue une liste de fonctionnaires de la présidence de la République ivoirienne de janvier 1985. Cette liste émanant du standard téléphonique qui répertorie les différents postes est édifiante sur la manière dont les pions de la France étaient enracinés au Palais.
A titre d’exemple : le chef du secrétariat particulier du Cabinet du président de la République, le Directeur de Cabinet lui-même, le secrétariat du gouverneur, tous les Conseillers techniques (nombreux étaient des fonctionnaires de la DGSE et de la police des polices, actuelle Ambassade de France en Côte d’Ivoire), des Secrétaires, des Conseillers et des Chargés de mission, le Service Radio, le Bureau de liaison, le secrétariat du gouvernement, les Secrétaires administratifs et financiers, le service du chiffre, le maître d’hôtel, la lingerie et le garage central avaient à leur tête des ressortissants français (Voir le tableau). Ces derniers avaient des relations privilégiées avec le maître des lieux et, de par leur positionnement stratégique, constituaient une base de données pour la politique française en Côte d’Ivoire.
«Lorsqu’un Ivoirien devait avoir accès à des documents sur lesquels il devait travailler, il appuyait le bouton de l’interphone, une voix lui demandait de se diriger à un endroit où il devait récupérer le document. Une fois à cet endroit, il récupérait le document sans connaître l’identité de celui qui le lui remettait.» Cette pratique ne se faisait pas dans le sens unique, car le «Vieux», très introduit aussi dans les milieux d’influence français, pesait lourd dans la balance à Paris. Ce, en raison de sa grande influence dans le monde et en Afrique en particulier, où il a forgé un véritable mythe autour de sa personne. Il avait droit de regard sur toutes les initiatives de l’Elysée en Afrique (tant dans l’AOF que dans l’AEF). Du trafic de diamant en Afrique du Sud à l’immigration des Libanais en Côte d’Ivoire (pour apaiser la colère d’Arafat qui le soupçonnait de collaborer avec Israël), en passant par la guerre du Biafra, le vieux avait le dos large et la carapace dure.
Un membre de l’ex-cabinet du «Bélier de Yamoussoukro», qui se souvient de la maîtrise parfaite de la présidence ivoirienne par l’Elysée et ses réseaux, ne s’étonne pas de la révolution que les Ivoiriens veulent opérer au 21ème siècle. Cette lutte, selon lui, est l’idéal de la lutte révolutionnaire qu’a pris Gbagbo dans son axe lumineux de combat. «Moi, je me suis battu pour obtenir l’indépendance politique, mais un autre viendra pour l’indépendance économique de nos peuples. Et il vous sera difficile de le maîtriser», avait prophétisé «le sage de l’Afrique», qui s’adressait aux nostalgiques de l’époque coloniale. Parlait-il de l’actuel président ivoirien ? En tout cas, au moment où la France, à travers la rébellion, le Burkina Faso et le Liberia, puis plus directement, lui plantait plusieurs couteaux dans le dos, la Côte d’Ivoire était en train de diversifier ses partenaires au développement. Et le Palais de la présidence sous le président Laurent Gbagbo a une forte coloration ivoirienne. Même si l’on peut légitimement déplorer – et même se scandaliser de – la faible maîtrise des dossiers et du professionnalisme relatif de certains de ses cadres. La Côte d’Ivoire est, en effet, en apprentissage de la liberté et de la responsabilité, après quarante ans «d’indépendance au biberon».
Une idée de la répartition des ‘‘tuteurs français’’ au sommet de l’Etat ivoirien, le Palais de la Présidence de la République sous Houphouët.

I - Cabinet du président de la république 

- Chef du secrétariat particulier : Mme Plazanet

- Directeur du cabinet : Monsieur le Gouverneur Guy Nairay
 
- Conseillers techniques : MM. Mignonneau, Brun, Lacassagne, Perriard, Sasporta, Gayet, Lagaillarde, Joigny
 
- Secrétaire des Conseillers : Mmes Marchand, Boudet, Dupleix, Xemard, Delpont
- Chargés de Mission : MM. Salmon, Daulard (Yamoussoukro), Huang
- Service Radio : M. Baris
- Bureau de Liaison : MM. Bouan et Lagaillarde
- Secrétaire : Mme Dubourdieu

II - Secrétariat général du gouvernement 

- Secrétaire général du gouvernement : M. Belkiri

- Conseiller : M. Wouters

- Secrétaires administratifs et financiers
- Chef du service : M. Noël
 
- Adjoint : M. Perrin
- Secrétaire : Mme Tanare
- Services techniques : M. Xemard JL
- Service du chiffre : M. Dubieih
- Maître d’hôtel : M. Mugnier
- Lingerie : Mme Chiappini
- Garage central : M. Thieviot

Saint-Claver Oula -
Le Courrier d’Abidjan 17 juin 2005
(*) - Titre original : « Comment des cadres français dirigeaient la présidence ivoirienne sous Houphouët, le sage : modèle d’indépendance »

 
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Source : Le Journal de Michel Yapi (Facebook) 25 juillet 2014

jeudi 24 juillet 2014

LES IVOIRIENS ET LA FRANCE*

Un président de parti qui forme un secrétariat général de… 128 membres. Parmi ceux-ci, au moins 3 le contestent vertement. En toile de fond, des suspicions légitimes semble-t-il. Il est reproché au camarade-président d’avoir fait des réglages à la veille de la visite du président d’une république qui nous a fait la guerre. Certains y vont sans gants : ce nouveau design est juste pour faire oublier le président Laurent Gbagbo et, partant, de faire allégeance au premier citoyen français avec tout ce qui va avec : reconnaissance et légitimation du bourreau d’hier, dérapage idéologique, verbe mielleux, regard séduisant qui lorgne 2015 ; bref des faits qui
F. Hollande lors de sa visite éclair à Abidjan,
ici en compagnie de Ouattara et Bédié.
Comme Cerbère, le chef de l'Etat ivoirien
est une bête à trois têtes
traduisent la haute trahison !
En nous inspirant de 3 questions que pose Kamel Daoud dans l’un de ses articles, nous essayerons dans les lignes qui vont suivre de décrypter cette crise : Que faire de la France ? Que faire contre la France ? Que faire avec la France ?
Nous pouvons énumérer diverses approches en relations (économiques) internationales : l’évitement, la confrontation, la compromission, la manipulation, le compromis. Depuis le « matin de gésine » (C. H. Kane), ces approches ont guidé nos relations avec l’ex-puissance colonisatrice. Chaque stratégie s’adaptant à un certain contexte, lesquels de ces outils analytiques pourraient le mieux définir les relations que le FPI devrait entretenir avec la classe politique française ? Essayons de répondre à nos 3 questions à partir de ces stratégies.

QUE FAIRE DE LA FRANCE ?

« Rien ! » répondraient plusieurs militants de la maison bleu : « Nous passons notre chemin. Que la classe politique française fasse le sien sans s’occuper de nous ».
Est-ce possible ?
L’évitement. Sur le terrain politique, économique et social ivoirien, il est quasi impossible d’éviter la France. Malgré la présence de Libanais, de Chinois, d’Ivoiriens, l’économie ivoirienne est largement tenue par des firmes françaises. Ayant suffisamment investi au bord de la lagune Ébrié, il va sans dire que la France veille sur la Côte d’Ivoire comme de l’huile sur du feu (sic). Pas question de laisser n’importe quel programme politique et économique empiéter sur leurs intérêts. Difficile donc de prospérer actuellement sur le terrain ivoirien sans parrainage français. Et chaque parti politique ivoirien se dépêche d’avoir son carnet d’adresses et ses entrées à l’Élysée, au Quai d’Orsay.
Et, on ne peut sérieusement envisager de parquer les Français dans un bateau en leur recommandant fermement de ne plus fouler le sol ivoirien.

QUE FAIRE CONTRE LA FRANCE ?

Nombreux sont ceux des sympathisants et militants du FPI qui songeraient à une guerre sans merci ou alors à soulever les Français contre leur président. Voyons ce que valent ces approches.
La confrontation. En un mot comme en mille, il n’existe pas de territoire dénommé la Côte d’Ivoire sur la planète des puissances militaires. La Côte d’Ivoire n’a ni les armes ni les compétences requises pour battre la France sur le terrain de la confrontation armée. On dira ce qu’on voudra : « Cette France qui n’a jamais remporté de guerre ! Cette France qui n’est forte et grande qu’arrêtée sur les épaules des Nègres ! Ces Français humiliés par les Allemands !… » On portera les jugements qu’on voudra sur les écoles de formation et l’armement français. Une évidence : ce n’est pas demain que la Côte d’Ivoire parviendra à vaincre la France sur le terrain militaire.
La manipulation. Nous n’avons pas les moyens qu’il faut pour manipuler les habitants de la France ; ce qu’ils réalisent si aisément sur nos terres. Pendant cette crise que nous venons de vivre, il a suffi d’un bout de temps pour les habitants de l’ex-république du Golf d’avoir sites internet, chaîne de télévision… quand la RTI était retirée du bouquet de canal. Combien de Français lisent nos journaux ?

QUE FAIRE AVEC LA FRANCE ?

À cette question, 2 tendances pourraient se dégager : « donnons-lui ce qu’elle veut et qu’elle nous colle la paix » et « voyons la possibilité d’un partenariat gagnant-gagnant. »
La compromission. C’est ce que nous faisons depuis l’arrivée du premier colon sur nos terres. Au plus fort des hurlements, la compromission était toujours de mise : marché passé gré à gré, financement occulte des élections françaises, petits cadeaux entre amis, refus de faire le suivi-évaluation des marchés offerts… Le résultat est là, terrifiant. La pauvreté a atteint des proportions inimaginables. La compromission ne peut aucunement améliorer nos conditions de vie et de travail.
Le compromis. Nous n’avons pas de moyens pour venir à bout du système de la finance internationale où la France a voix au chapitre. Souvenons-nous du boycott de nos ports, du refus de payer le cacao ivoirien, la destination ivoirienne fermée pour les produits pharmaceutiques… Nous connaissons les 2 armes préconisées par Machiavel dans une relation avec un adversaire avéré : la ruse et la confrontation.
Au risque de nous répéter : nous ne pouvons pas vaincre l’ONU, le FMI, la Banque mondiale, l’OMC, l’UE, l’OTAN… Il ne nous reste plus qu’à explorer la voix/voie du compromis. A nous de définir clairement ce que nous pouvons obtenir à court, moyen et long terme dans une relation de compromis avec la classe politique française sans euphorie. Nous avons l’expertise locale pour définir un tel projet. Les amis Français, dont Michel Galy, Me Altit, Guy Labertit, Théophile Kouamouo…, pourraient y contribuer !
A terme, il nous reviendra de dérober le feu à Prométhée, tranche par tranche, escalier après escalier, en vue d’une réelle souveraineté !

Sylvain N’Guessan, planteur ivoirien
(*) Titre original : « Le FPI et la France » 

 
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Source : La Dépêche d'Abidjan 22 Juillet 2014 

 
LA TENTATION DU DÉFAITISME
&
LE DEVOIR DE RÉSISTANCE
 
Dans notre courte histoire nationale débutée vers 1890 sous la férule des conquérants français, nous avons connu bien des moments où l’emprise du défaitisme sur un seul ou sur quelques-uns a triomphé de la volonté de lutte et de résistance de la majorité. C’est ce qui s’est passé vers 1910, notamment, avec un certain Kouassi Ngo, qui le paya de sa vie, ou vers 1950 lors de ce qu’Houphouët, son neveu, nous annonça d’abord comme un simple « repli tactique », simple manière de reculer pour mieux sauter, avant d’en faire sa conduite constante tout au long d’un règne durant lequel, tenant entre ses mains tous les pouvoirs et protégé par la France, il se laissa continuellement gouverner par et pour elle… Après soixante-dix ans de colonialisme et plus d’un demi-siècle de néocolonialisme, aujourd’hui chacun peut contempler les belles conséquences de l’emprise absolue d’un pays puissant sur un autre pays qui lui est soumis de toutes les façons possibles et imaginables. La Côte d’Ivoire et la France, ce n’est pas demain ou après-demain que ça se passe, c’est maintenant, sous nos yeux… Quant à la question de savoir comment sortir de cette situation qu’on pourrait dire ubuesque si elle n’était pas si dramatique, ce n’est pas d’aujourd’hui qu’elle se pose ou que des Ivoiriens se la posent ; on n’exagère pas en disant que cela fait plus d’un siècle que nous lui cherchons une réponse, avec plus ou moins de détermination selon les époques, mais en vérité sans la moindre tentation d’abandonner cette quête du Graal.
On nous dira : « Cela fait plus d’un siècle et vous ne l’avez toujours pas trouvée, cette réponse ! » Oui. Seulement, voilà, il n’y a rien d’autre à faire, sinon continuer de chercher ; sinon résister ! Qui a dit : « Ce sont ceux qui luttent qui vivent » ? Quand on est d’un pays comme le nôtre, vivre c’est lutter, et lutter c’est vivre. Il n’y a pas trente-six manières honorables de vivre cette vie-là, il n’y en a qu’une seule : c’est en étant debout, et armés de la ferme volonté de reconquérir un à un tous nos droits spoliés. Prométhée – dont, soit dit en passant, le « planteur ivoirien » qui a signé cet article aurait dû revisiter le mythe, afin de s’éviter d’en faire celui à qui on dérobe le feu – n’aurait pas ce renom s’il était resté assis ou couché à attendre que de lui-même, étincelle après étincelle, tison après tison, le feu tant désiré descende de l’Olympe pour se mettre à sa disposition ! Or à quoi cet auteur nous invite-t-il tout au long de son article ? C’est ni plus ni moins un appel à cesser toute résistance et à nous soumettre une fois pour toutes à la loi du plus fort sous laquelle nous vivons depuis que la France a envahi les terres des peuples dont nous descendons, les a annexés à son empire colonial et, avec la complicité active du traître héréditaire Houphouët, a pratiquement fini par faire de nous des étrangers dans notre propre patrie.
Au lendemain de la grande tuerie de 1914-1918, le poète français Paul Valéry constatait (je cite de mémoire) : « Nous autres, civilisations, désormais nous savons que nous sommes mortelles ». Tout comme les civilisations, les nations aussi sont mortelles. Songez à tous ces peuples dont on nous apprend l’histoire à l’école et dont aujourd’hui ne restent que leurs noms… Il se peut qu’un jour notre peuple, le peuple de Côte d’Ivoire, c’est-à-dire cette société politique (ou civile) constituée en majorité par les descendants authentiques des peuples que les Français emprisonnèrent dans les frontières de leur colonie de ce nom, désormais notre patrie ; il se peut qu’un jour ce peuple aussi cessera d’exister… Et ce ne sera pas parce qu’il aura démérité en quoi que ce soit de continuer d’exister, mais parce que c’est l’intérêt de la France ! Or personne, fût-il l’ambassadeur de France, un général français ou le président de la République française en personne, n’est légitime à décider du sort de notre peuple en dehors des organes de souveraineté émanés de nos propres choix. Personne ne devrait donc prétendre en décider sans que ce soit pour nous, immédiatement, une raison impérative de nous lever pour dire : « Basta ! »
Certains diront, en pensant au 6 février 1949, au « complot du chat noir » (1959), aux « faux complots » de 1963-1964, au putsch du général Guéi et à l’épilogue tragique de la crise postélectorale de 2011 : « Des gens ont déjà essayé plusieurs fois, et on a vu comment ça s’est terminé… » Et alors ? La leçon de ces échecs, ce n’est certainement pas qu’il faut que nous arrêtions de résister. Au contraire ! Le seul véritable enseignement de toutes ces péripéties de notre jeune histoire, c’est que notre Côte d’Ivoire est une terre de résistance, un pays où malgré toutes ses violences, l’occupant n’a jamais vraiment réussi à plier les naturels pour les mettre à son service.
Certes, ce pays est aussi celui qui a produit un Houphouët, et où depuis 1950 les Français font et défont ce qu’ils veulent. Mais observez bien qu’ils l’ont toujours fait sans nous… Jusqu’à 1993, ils faisaient tout par eux-mêmes, directement, à travers des personnages comme Guy Nairay, Alain Belkiri, Antoine Césaréo, et aucun Ivoirien, pas même Houphouët, n’avait réellement voix au chapitre. La Côte d’Ivoire de ces temps-là, c’était un pays où tous les autochtones sans exception étaient comme frappés d’incapacité politique et, de ce fait, placés sous la tutelle de la France. Ce que corrobore cette confidence d’un ancien chargé de mission de la présidence, qu’un collaborateur de Notre Voie, Didier Dépry, a rapportée dans ce journal le 10 septembre 2011 : « Le véritable Président de la Côte d’Ivoire, de 1960 jusqu’à la mort d’Houphouët, se nommait Jacques Foccart. Houphouët n’était qu’un vice-président. C’est Foccart qui décidait de tout, en réalité, dans notre pays. Il pouvait dénommer un ministre ou refuser qu’un cadre ivoirien x ou y soit nommé ministre. C’était lui, le manitou en Côte d’Ivoire. Ses visites étaient régulières à Abidjan et bien souvent Georges Ouégnin (le directeur du protocole) lui cédait son bureau pour recevoir les personnalités dont il voulait tirer les oreilles ».
Après la mort d’Houphouët, certains ont cru que cela suffirait pour que notre patrie nous soit rendue. Ce fut en particulier l’erreur de Bédié, avec son discours de ce fatal 22 décembre 1999 dans lequel, en notre nom à tous, il proclamait : « Nos aînés n'ont pas lutté pour l'indépendance pour que nous acceptions aujourd'hui de nouvelles soumissions. La nationalité, la citoyenneté, la démocratie et la souveraineté nationale sont les quatre côtés d'un carré magique qu'il nous faut défendre avec calme et détermination devant ces ingérences inacceptables. C'est aux Ivoiriens de décider par eux-mêmes, pour eux-mêmes, et de choisir librement l'un d'entre eux pour conduire le destin de la Nation en refusant les aventures hasardeuses et l'imposture insupportable ».
Bédié supportant vaillamment l'imposture
J’écris « l’erreur de Bédié » pour me mettre par hypothèse dans l’état d’esprit qui doit être le sien aujourd’hui qu’il est devenu un protagoniste apparemment décomplexé de ces « aventures hasardeuses » et le marchepied de « l’imposture insupportable »… Mais sa posture ubuesque actuelle ne doit pas faire oublier que c’est pratiquement le lendemain de ce discours qu’il fut renversé, puis transféré en France où sans doute il fut travaillé au corps jusqu’à ce qu’il comprenne… ce qu’Houphouët avait compris dès 1950. Car cette triste aventure a au moins l’intérêt de dévoiler un grand mystère : comment un nationaliste sourcilleux vilipendé par presque toute la presse française peut en un tour de main se transformer en une potiche françafricaine adulée et comblée d’honneurs… Qui veut comprendre quel rôle Houphouët jouait entre la Côte d’Ivoire et la France n’a qu’à contempler Bédié dans sa fonction actuelle de faire-valoir d’Alassane Ouattara.
Ce fut aussi, mutatis mutandis, l’erreur de Laurent Gbagbo, notamment quand il a cru qu’il pouvait se fier à ceux qui le poussaient à négocier le fameux compromis appelé « Accord politique de Ouagadougou » (APO). La suite, on la connaît.
Dans « Noir silence », François-Xavier Verschave constate : « La logique de la Françafrique est assez simple : c’est le double langage, le dualisme de l’officiel et du réel, de l’émergé et de l’immergé, du légal et de l’illégal (…). En 1960, De Gaulle a compris qu’il n’échapperait pas à une mutation radicale du droit international régissant les relations entre la France et ses colonies d’Afrique Noire. Il a admis une légalité : l’indépendance. En même temps, il chargeait jacques Foccart de satelliser ces nouveaux Etats, d’organiser leur dépendance politique, économique, financière, militaire. La Ve République y est parvenue, en éliminant les opposants et promouvant les collaborateurs (…). La dépendance réelle a donc été masquée par toutes sortes de déguisements, coutumiers des services secrets : vraies-fausses entreprises, vrais-faux mercenaires, sociétés-écrans, coopération bidon ou alibi, flux financiers parallèles ».
Cinquante-quatre ans que ça dure… Et le 11 avril 2011 a bien fait la démonstration qu’ils n’ont aucune envie d’arrêter. Et ce ne sont pas les actuelles rumeurs à propos d’un possible retournement de veste ou « repli tactique » d’Affi N’Guessan et consort qui l’infirmeront. Alors, citoyen Sylvain N’Guessan, ne nous berçons pas d’illusions : aucun compromis ne nous délivrera de cette dépendance ; elle ne finira que du jour où nous serons en mesure de prendre nous-mêmes notre destin en main sans attendre la permission de quiconque, sans marchandages, et sans faux « facilitateur » cachant dans son dos la « cinquième colonne » de nos opiniâtres prédateurs.
 
Marcel Amondji
 

mardi 22 juillet 2014

Papa Hollande à Abidjan


L'arrivée de F. Hollande à Abidjan
J’emprunte le titre de la méditation de ce jour à l’intéressant livre de Nicolas Beau, (Papa Hollande au Mali. Chronique d’un fiasco annoncé, Paris, Balland, 2013, 224p.) Dans ce livre, l’auteur fait le point sous forme de chronique de l’intervention de la France au Mali, marquée par la visite de François Hollande dans ce même pays pour célébrer sa «victoire» sur les «forces du mal». Sur l’une des pancartes qui accueillaient dans la ferveur démesurée le président français à Tombouctou, on a pu lire «Merci papa Hollande» ! Cet écriteau, à lui tout seul, retrace et décrit fort bien le type de relation que la France entretient depuis toujours avec ses «ex-colonies» d’Afrique ; une relation de papa à bébé.
Et revoilà le même papa Hollande au bord de la lagune Ebrié (sans ses fameux scooter et casque fort heureusement). L’un de ses derniers voyages qu’il a effectués avant son atterrissage à Abidjan est sa visite d’État en Amérique du 10 au 12 février 2014 ! (Selon le calendrier initial, il aurait dû être ici seulement quelques jours après). Sans vouloir polémiquer inutilement, mon esprit a essayé de revoir dans ce trajet hollandais, l’inverse de celui du commerce triangulaire, à l’époque de l’esclavage des Noirs par les Blancs : Europe – Afrique – Amérique – Europe. Est-ce un hasard du calendrier présidentiel ? De toutes les façons, hasard ou pas, je remarque que papa Hollande veut refaire le chemin parcouru autrefois par grand-papa Hollande, même si lui prend le chemin inverse. N’était-il pas bon d’ailleurs, avant de fouler la terre de l’esclavage et de la douleur, qu’il allât saluer l’arrière-petit-fils dont grand-papa a traîné l’ancêtre en Amérique et qui aujourd’hui trône en maître sur Noirs et Blancs ?
Au bord de la lagune Ebrié, Papa Hollande ne vient pas cette fois-ci chercher des esclaves. Cependant, le motif du voyage n’est pas différent, quoique la méthode semble radicalement changée : chercher de l’argent en marquant son territoire pour assurer ses arrières. Il faut aussi que les acquis de «la guerre de la France contre la Côte d’Ivoire» soient préservés. Pour cela, il faut bien que le successeur de Sarkozy vienne lui-même sur le terrain pour le contrôle d’usage ou de routine, surtout que Chinois et Japonais, qui ne connaissent pourtant pas «l’âme et la psychologie de l’Afrique de l’Ouest» rodent de plus en plus autour du gisement de pétrole ivoirien et des autres biens du pré saintement voués à papa de toute éternité. «La république des mallettes» doit bien résister à l’influence asiatique chez nous. La manne est trop précieuse pour qu’elle échappe, même pour un petit moment, au contrôle de papa. En ces temps de galère en France, il faut bien que papa lutte pour préserver les acquis pour faire vivre la République et les enfants de plus en plus exigeants.
Au-delà de ce tour caricatural et un tantinet comique – mais non moins véridique – que j’ai bien voulu donner à cette affaire de visite de papa Hollande chez nous, mes convictions restent les mêmes, à savoir que la France, qu’elle soit de gauche ou de droite ou des deux extrêmes, ne changera jamais sa politique vis-à-vis de ses «anciennes colonies». D’ailleurs, l’un des leurs a récemment soutenu que « les Français sont toujours en retard, parce qu’ils ont du mal à changer d’avis, même devant des faits qui changent » (François Lenglet, La fin de la mondialisation, Pluriel, 2014, pp. 9-10). Certes, les hommes changeront à l’Élysée, mais les dossiers relatifs au pré carré resteront les mêmes et ils seront toujours lus et traités de la même façon : toujours à l’avantage de papa. Même quand les Français n’approuvent pas la politique de leur président chez eux, ce qui est le cas aujourd’hui, ils l’approuvent toujours quand il s’agit de l’Afrique. Quand la cote de popularité de Hollande baisse piteusement en France, elle augmente vertigineusement quand il s’agit de sa politique en Afrique.
Et les propos de ces journalistes français révèlent bien cet état de fait : «En raison de la proximité idéologique de l’Afrique, des liens politiques et culturels qui ont uni pendant si longtemps la France à ses anciennes colonies et de la faiblesse des États africains, certains estiment que le temps d’une «deuxième indépendance» pleinement assumée est venu, d’autres qu’il serait illusoire de croire que Paris n’interviendra plus sur le continent noir. Le nouvel ordre mondial, pensent-ils, exige au contraire davantage de France en Afrique. Occupés ailleurs, en Asie et dans le Pacifique, préoccupés par la situation en Syrie et le dossier du nucléaire iranien, les Américains ne peuvent et ne veulent pas agir partout. Ils se disent d’autant plus soulagés de «sous-traiter» les crises africaines à la France que c’est une «spécialité» délicate que Paris maîtrise mieux que les autres. «On ne peut sortir du rôle de gendarme de l’Afrique ni par de bonnes intentions ni par des discours. La France restera le gendarme de l’Afrique tant que l’Afrique ne parviendra pas à se gendarmer elle-même, dit l’un deux.» (Lasserre I. et Oberlé T., Notre guerre secrète au Mali, Paris, Fayard, 2013, p.221.)
Ainsi va la relation entre la France et ses «anciennes colonies». La visite de Papa Hollande rentre bien dans ce cadre vicieux et pervers éternellement tracé. Le bébé que l’Afrique est, doit être attentif aux ordres de papa. Car c’est de lui qu’il reçoit subsistance et lumière. En dehors de lui, il n’y a que ruine, misère et galère. Papa viendra nous tenir un autre discours. Mais ne soyons pas dupes. Car quand les officiels français parlent publiquement de nous, surtout en bien, nous devons lire dans leurs propos le contraire de ce qu’ils disent.
Évidemment, au bord de la lagune Ebrié, l’heure est à l’euphorie et à l’enthousiasme jouissifs démesurés. Le pouvoir émergent d’Abidjan vient certainement de faire la plus grosse prise de son mandat : faire venir papa pour qu’il parle aux enfants et que ceux-ci l’applaudissent. Ils l’ont applaudi effectivement à tout rompre sans même comprendre son langage et ses gestes. Mais, cela fait partie intégrante du folklore et du théâtre françafricains. Quand papa nous parle, même quand il nous insulte sur nos propres terres (comme le sieur Sarkozy l’a fait à Dakar), on doit applaudir. Sinon, les bombes pleuvront sans pitié sur nos têtes. 

Père Jean K. 

 
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Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
 

Source : Notre Voie 20 juillet 2014

lundi 21 juillet 2014

La France serait-elle redevenue fréquentable pour le FPI ?

 
A bon entendeur...
Il est évident. François Hollande, le président français, ne pouvait se rendre en visite officielle en Côte d’Ivoire sans rencontrer l’opposition ivoirienne et principalement le Front populaire ivoirien (FPI), parti politique créé par l’ancien président Laurent Gbagbo, actuellement détenu à la Haye. Ce parti cornaqué aujourd’hui par Pascal Affi N’Guessan, comme il fallait s’y attendre, a fait part de ses griefs au président français contre la gestion du pouvoir par le régime du président Alassane Ouattara. 15 minutes ont été accordées au FPI sur un total de 30 pour les échanges des partis politiques de l’opposition avec François Hollande. Au sortir de cette rencontre, si l’on s’en tient aux propos de Pascal Affi N’Guessan, les principaux desiderata exposés par l’actuel président du FPI au président français ont davantage porté sur la réunion de certaines conditions relatives aux prochaines élections, notamment la présidentielle de 2015. « Le principe, c’est la participation à une élection pour un parti politique. C’est la non-participation qui est une exception. Et cette exception est toujours motivée par les circonstances. Nous sommes en train de créer les conditions pour que cette situation exceptionnelle ne se produise pas. Comment faire pour avoir une CEI qui puisse rassurer tous les acteurs, et notamment l’opposition ? », a déclaré à sa sortie Affi N’Guessan avec un ton apaisé et courtois. Un ton traduisant sans doute l’esprit qui a prévalu lors des échanges à huis clos entre François Hollande et Pascal Affi N’Guessan qui a, naturellement, évoqué d’autres sujets tels que la détention à la Cour pénale internationale (CPI) de Laurent Gbagbo et de Charles Blé Goudé, la libération des prisonniers politiques en Côte d’Ivoire, le dégel des avoirs des pro-Gbagbo, la liberté d’expression et de réunion, etc. Un ton (et à la limite un changement de langage), également, inhabituel de celui, d’ordinaire ampoulé, qui caractérise le FPI lorsqu’il s’agit de se prononcer sur les prises de positions de la France concernant la situation sociopolitique de la Côte d’Ivoire. Il faut l’avouer, le climat de la rencontre Affi-Hollande paraît à la fois surréaliste et hallucinant pour les observateurs et analystes de la vie politique ivoirienne habitués au verbe tancé du FPI à l’encontre de la France accusée par les indéfectibles de Laurent Gbagbo d’avoir renversé ce dernier du pouvoir. Un refus même du FPI de participer à la rencontre avec François Hollande, n’aurait surpris personne, encore moins ces observateurs et analystes. Que non ! Affi N’Guessan ne s’est pas seulement contenté d’exposer à François Hollande les griefs du FPI contre le régime Ouattara dans un esprit de « dispute organisée » (pour reprendre la formule du président français). « Nous avons besoin de garanties. Et pour cela, il faut que cette CEI puisse répondre aux aspirations de tous. Nous avons exprimé l’ardent désir de voir le président Hollande jouer de son influence pour garantir cela et éviter que la Côte d’Ivoire ne bascule dans une nouvelle crise électorale, à l’occasion des nouvelles élections. Ce qui obligerait la France encore une fois à s’impliquer », a aussi affirmé Affi N’Guessan avec des propos quasiment laudatifs à l’endroit de la France en qui le FPI semble fonder désormais des espoirs exprimés suite à la visite de François Hollande du 17 juillet 2014. Alors questions : la France serait-elle du coup devenue un interlocuteur crédible pour le FPI ? Que cache ce changement de ton, voire de langage du FPI qui, pas plus tard qu’en avril dernier, à sa commémoration du 11 avril 2011, accusait encore la France d’avoir déposé Gbagbo ? Pour rappel : « En 2002 la rébellion a été légitimée par la communauté internationale avec en tête la France de Sarkozy entraînant la partition du pays en deux. Cette communauté internationale n’a pas condamné le recours aux armes à des fins politiques. Les Nations Unies ne se sont pas arrêtées là. Elles se sont offert la certification des élections en Côte d’Ivoire. La suite, on la connaît. La crise en Côte d’Ivoire est donc liée en très grande partie à l’implication des Nations Unies et de la communauté internationale. L’ONU n’est plus perçue comme une organisation au-dessus de la mêlée », dixit Affi N’Guessan, le 14 avril 2014. 

Alex Aguié

Titre original : « Le FPI fait-il désormais confiance à la France ? » 


 
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samedi 19 juillet 2014

« …Quelque chose s’est brisé en moi. »

 
Bientôt, je vais partir d’ici. Dans quelques jours, nous quitterons Jérusalem, nous quitterons le pays. Hier, nous avons acheté de petites valises pour les enfants. Inutile d’emporter beaucoup de vêtements, nous laisserons les habits d’hiver ; de toute façon, ils ne pourraient pas nous protéger du froid dans le sud de l’Illinois, Etats-Unis.
Juste quelques vêtements jusqu’à ce qu’on se débrouille, et si, me suis-je dit, les enfants prenaient quelques livres, deux ou trois en arabe, et quelques autres en hébreu, pour qu’ils n’oublient pas la langue ?
Mais je ne suis déjà plus si sûr de ce que je souhaite que mes enfants se souviennent de cet endroit aimé et maudit.
A l’origine, nous avions prévu de partir dans un mois pour une année sabbatique, voire moins, mais, la semaine dernière, j’ai compris que je ne pouvais plus rester ici. J’ai demandé à mon agence de voyages d’avancer notre départ : «Un aller simple, s’il vous plaît», ai-je demandé. Dans quelques jours, nous atterrirons à Chicago, et je ne sais même pas où nous irons pendant le premier mois mais nous nous débrouillerons.
J’ai trois enfants, l’aînée est déjà âgée de 14 ans, les deux garçons ont 9 et 3 ans. Nous habitons à Jérusalem-Ouest, l’unique famille arabe du quartier où nous avons emménagé il y a six ans. «Tu peux prendre deux jouets», avons-nous dit en hébreu au benjamin qui regardait sa caisse de jeux et commençait à pleurer, bien que nous lui ayons promis de lui acheter là-bas tout ce qu’il désire.
Moi aussi, je dois décider quoi emporter. Je ne peux choisir que deux livres, ai-je décidé en contemplant mes rayonnages. Hormis, un recueil de poèmes de Mahmoud Darwich et une anthologie de récits de Gibran Khalil Gibran, tous mes livres sont en hébreu. Des livres que j’ai commencé à acquérir dès l’âge de 15 ans et qui m’ont accompagné partout au cours des années.
Depuis l’âge de 14 ans, je n’ai presque pas lu de livre en arabe, uniquement en hébreu. C’est à cet âge que j’ai découvert une bibliothèque pour la première fois de ma vie. Il y a vingt-cinq ans, mon professeur de maths à Tira, le village où je suis né, est venu voir mes parents et leur a dit que les juifs allaient ouvrir à Jérusalem, dans un an, une école pour les élèves surdoués. Il avait affirmé à mon père que cela valait la peine de me présenter aux examens d’inscription. «Là-bas, ce sera mieux pour lui», je me souviens des mots de mon professeur.
J’ai réussi les examens, j’ai été interrogé par des examinateurs et, à l’âge que ma fille a aujourd’hui, j’ai quitté pour la première fois ma maison de Tira pour un internat juif à Jérusalem.
C’était si dur, presque cruel. Je me souviens de mes pleurs quand mon père m’a étreint et m’a laissé sur le seuil de la nouvelle école, splendide, si différente de ce que j’avais connu jusque-là à Tira. J’ai écrit naguère que la première semaine à Jérusalem avait été la plus pénible de ma vie. J’étais différent, autre, mes vêtements différents, ma langue différente. Toutes les leçons étaient en hébreu - les sciences, la bible, la littérature. J’étais assis là, sans comprendre un traître mot. Quand j’essayais de parler, mes camarades se moquaient de moi. Je voulais tellement m’échapper de cet endroit, revenir chez les miens, à mon village, à mes camarades, à la langue arabe.
Au téléphone, je pleurais aux oreilles de mon père pour qu’il vienne me chercher, et lui me répondait que seuls les débuts sont difficiles, qu’au bout de quelques mois je parlerais l’hébreu mieux qu’eux…
Je me souviens que mon prof de littérature, au cours de la première semaine, nous a demandé de lire l’Attrape-cœurs de J. D. Salinger.
A Tira, nous n’avions pas de cours de littérature. Ni de bibliothèque, et il n’y en a toujours pas. L’Attrape-cœurs est le premier roman que j’aie jamais lu. Cela m’a pris quelques semaines pour le lire et, à la fin, j’ai compris deux choses qui ont changé ma vie. La première, c’est que j’étais capable de lire un livre en hébreu ; la seconde, la conviction profonde que j’étais tombé amoureux des livres.
Dès le moment où j’ai découvert la littérature, je me suis désintéressé des sciences ; je m’installais en bibliothèque et je lisais. Très vite, mon hébreu est devenu presque parfait. Les livres de la bibliothèque de l’internat étaient tous en hébreu, et j’ai commencé à lire les écrivains israéliens, Agnon, Meïr Shalev, Amos Oz et aussi des ouvrages sur le sionisme, le judaïsme et la construction de la patrie. Très vite, j’ai compris le pouvoir de l’écriture et je me suis retrouvé à lire des récits sur les pionniers juifs, la Shoah, la guerre.
Au cours de ces années-là, j’ai commencé aussi à comprendre ma propre histoire et, sans intention délibérée, j’ai commencé à écrire sur des Arabes vivant en internat israélien, dans la partie occidentale de la ville, dans l’Etat juif. J’ai entrepris cela avec la conviction que tout ce que je devais faire pour changer cette situation, c’était d’écrire l’autre partie, de raconter les histoires entendues de la bouche de ma grand-mère.
Ecrire comment mon grand-père a été tué devant Tira pendant la guerre de 1948. Comment ma grand-mère a perdu sa terre, comment elle a élevé mon père, orphelin de père à l’âge de quelques mois, en gagnant son pain en travaillant à la cueillette chez les juifs. Je voulais raconter en hébreu mon père, qui a été détenu pendant de longues années, sans jugement, à cause de ses idées politiques. Je voulais raconter aux Israéliens une autre histoire, une histoire palestinienne. Car, en lisant, ils comprendraient, en lisant, ils changeraient, tout ce que je devais faire, c’était écrire, et l’occupation prendrait fin, je devais juste être un bon écrivain et je libérerais les membres de mon peuple des ghettos dans lesquels ils vivent. De bonnes histoires en hébreu, et je serais à l’abri, encore un livre, puis un autre film, encore un article pour le journal, et encore une télé, et mes enfants auraient un meilleur avenir. Grâce à mes histoires, un jour, nous deviendrions des citoyens égaux, presque comme les juifs.
Cela fait vingt-cinq ans que j’écris en hébreu, et rien n’a changé. Vingt-cinq ans que je m’accroche à l’espoir, à croire qu’il est impossible que des êtres humains puissent se montrer à ce point aveugles.
Vingt-cinq ans pendant lesquels je n’ai pas eu beaucoup de raisons d’être optimiste mais j’ai continué à croire que c’était encore possible que, un jour, ce lieu où vivent des juifs et des Arabes puisse connaître une histoire qui ne nie pas l’histoire de l’autre. Qu’un jour, les Israéliens cessent de nier la Nakba, l’occupation, et qu’ils cessent de fermer les yeux devant la souffrance du peuple palestinien. Qu’un jour, les Palestiniens se montrent disposés à pardonner, et qu’ensemble nous bâtissions un lieu où il soit agréable de vivre, exactement comme dans les romans à happy end.
Vingt-cinq ans que j’écris en hébreu, et rien n’a changé. Vingt-ans que j’écris et que j’essuie des critiques hostiles des deux camps mais, la semaine dernière, j’ai renoncé. La semaine dernière, quelque chose s’est brisé en moi.
Quand de jeunes juifs exaltés se sont répandus en hurlant «mort aux Arabes !» et ont attaqué des Arabes juste parce qu’ils étaient arabes, j’ai compris que j’avais perdu ma minuscule bataille personnelle.
J’ai écouté alors les politiciens et les gens des médias et j’ai su que ceux-là faisaient la différence entre un sang et un autre, entre un être humain et un autre être humain. Des individus, devenus la force dominante du pays, clamaient à voix haute ce que la plupart des Israéliens pensent : «Nous sommes meilleurs que les Arabes.»
Dans les tables rondes auxquelles j’ai participé, on affirmait que les juifs étaient un peuple plus éminent, plus digne de vivre. Une majorité désespérément déterminante dans le pays ne reconnaît pas à l’Arabe le droit de vivre, en tout cas pas dans ce pays.
Après lecture de mes derniers articles, certains lecteurs ont suggéré de m’expédier à Gaza, de me briser les os, de kidnapper mes enfants.
J’habite à Jérusalem et j’ai de merveilleux voisins juifs, et j’ai des amis écrivains et journalistes merveilleux, mais je ne peux pas envoyer mes enfants dans des colonies de vacances ou des centres aérés avec leurs copains juifs.
Mon aînée, furieuse, a protesté, affirmant que personne ne saurait qu’elle est arabe à cause de son hébreu impeccable mais je n’étais pas disposé à l’écouter. Elle s’est enfermée dans sa chambre, en pleurs.
Bientôt, je serai loin d’ici et, maintenant, face à mes rayonnages de livres, je tiens en main le Salinger que j’ai lu à 14 ans. Je ne veux pas du tout emporter de livres, me suis-je dit, je dois m’investir dans une nouvelle langue, je sais à quel point c’est difficile, presque impossible, mais je dois trouver une autre langue pour écrire, mes enfants devront trouver une nouvelle langue dans laquelle vivre. «N’entre pas», a crié ma fille, au moment où je toquais à sa porte. Pourtant, j’ai pénétré dans sa chambre.
Sayed Kashua
(www.literatur.ch)
Je me suis assis à côté d’elle, sur son lit. Et, bien qu’elle me tournât le dos, je savais qu’elle m’écoutait.
«Tu m’entends ? Je lui ai répété la même phrase que mon père m’a dite en me laissant devant le seuil de l’école la plus prestigieuse du pays, vingt-cinq ans auparavant. Souviens-toi que, quoi que tu fasses dans la vie, pour eux, tu resteras toujours, je dis bien toujours, un Arabe. Tu m’as compris ?
- J’ai compris, m’a répondu ma fille en m’étreignant de toutes ses forces. Papa, ça, je l’ai compris depuis longtemps.
- Bientôt, nous partirons d’ici, ai-je fait en lui défaisant sa chevelure, juste comme elle déteste. En attendant, lis ça…» Et je lui ai tendu l’Attrape-cœurs. 
 
Sayed Kashua*.  Traduit de l’hébreu par Jean-Luc Allouche.
Titre original : « Toutes les raisons pour lesquelles je quitte Israël ». 

(*) Écrivain arabe et citoyen israélien. Dernier roman paru en français : « La Deuxième Personne », trad. de l’hébreu par Jean-Luc Allouche, éditions de l’Olivier, 2010.  

Source : Libération 15 juillet 2014