vendredi 5 juillet 2013

LE « NON » DE DELPHINE


L’almamy Samori Touré, notre grand résistant, aimait ce dicton : « Un Homme, quand il ne veut pas, il dit "non" ! » Il en avait fait sa règle, et il s’y est tenu fermement jusqu’à la fin.
Delphine Balto, jeune femme fière à qui « ne fault ni voulonté ni couraige », confirme à la fois ce dicton-là, et celui-ci : « Les femmes sont des hommes comme tout le monde. »
Il y avait donc un Homme dans ce gouvernement de mimes dont le chef, au lieu de faire honnêtement ce pourquoi il a été élu, semble rêver des lauriers conquis sans trop de risques par Nicolas Sarkozy « l’Africain ». 

Le cercle victor biaka boda - la rédaction 
 
D. Batho le 3 juillet (photo afp)

 
 
L'ex-ministre n'a pas mâché ses mots contre la politique gouvernementale, qui, par « la rigueur », prépare « la marche au pouvoir de l'extrême droite ». 
 
Delphine Batho ne pourra plus dire qu'elle s'est montrée solidaire de (feu) son gouvernement ! Car jeudi après-midi, lors d'un point de presse, elle a, comme promis, déballé tout ce qu'elle avait sur le cœur devant un parterre de journalistes, qu'on sentait frémir à chacune de ses charges. Sans élever la voix, la débarquée de l'avant-veille a voulu appuyer là où ça fait mal. Son arme ? Le fond plus que la forme. Des mots soigneusement choisis, mais qui en disent long sur le malaise qui règne, à l'heure actuelle, au sein du gouvernement. Un tableau dressé, à chaud et à charge, où la jeune élue a démontré le bien-fondé de la jurisprudence Chevènement : « Un ministre, ça démissionne ou ça ferme sa gueule. » Batho n'a pas voulu se taire.
 
Les « forces financières » contre ses « exigences ».
 
L'ex-ministre a précisé n'avoir commis « ni faute ni erreur ». Ce n'était pas une maladresse. Mais elle n'a pourtant pas enfreint la sacro-sainte « solidarité gouvernementale » selon elle. Alors, à quoi attribue-t-elle son limogeage, elle qui a promis de « tout dire » ? Elle pense qu'aujourd'hui « c'est sur l'écologie que se cristallise le combat contre les forces financières qui bloquent la gauche ».
Un exemple, un nom ? Philippe Crouzet. « Est-il normal que le P-DG de Vallourec ait annoncé ma chute prochaine voilà des semaines aux USA ? Est-il normal qu'il annonce cette mise à l'écart à l'avance ? De quelles informations disposait-il pour le savoir ? » explique-t-elle en référence à des propos rapportés par Challenges. Il aurait dit, le mois dernier, anticiper la perte d'influence de la ministre. Pour elle, c'est clair, les lobbys pro-nucléaire et pro-gaz de schiste se sont déchaînés à cause de ses « exigences écologiques »... et ont eu gain de cause à l'Élysée. Ce même Philippe Crouzet dont la femme, Sylvie Hubac, est directrice de cabinet de François Hollande... Conflit d'intérêts ? « Je ne sais pas, je pose les questions, je n'ai pas les éléments pour répondre », s'explique-t-elle.
 
« Quelque chose a changé dans le fonctionnement du gouvernement. »
 
Autres ennemis, cette fois de l'intérieur : les conseillers de Matignon. Un véritable mur de l'ombre contre lequel la ministre n'aurait pas eu les moyens de lutter pour faire entendre ses demandes. En l'occurrence, revaloriser le budget, largement amputé, de l'Ademe, obtenir une fiscalité verte efficace et faire qu'une part des emplois d'avenir aille à la transition énergétique. Elle affirme vouloir obtenir un arbitrage (ce que dément Bernard Cazeneuve). Tout le moins, elle veut « provoquer la discussion ». Pas de réponse des services du Premier ministre. Ce dernier « a changé quelque chose dans sa méthode », « quelque chose a changé dans le fonctionnement gouvernemental », martèle-t-elle.
Avant, selon Delphine Batho, on pouvait, entre ministères (et pas sur la place publique, comme ce qui lui est reproché), faire valoir ses divergences, comme cela a été « possible sur le pacte de compétitivité ». Et maintenant ? « C'en est fini de la collégialité. Mon éviction est un message pour [le] dire à mes ex-collègues. » Quand on lui demande si, comme elle, certains ont des critiques, des états d'âme qu'ils gardent pour eux, elle rétorque : « J'en suis absolument persuadée ! »
 
Militante contre l'extrême droite... et son propre camp ? 
 
L'exercice est rare. En général, et mis à part le cas Chevènement déjà cité, les ministres virés se terrent et se taisent. Mais Batho, la « militante », veut être une « lanceuse d'alertes pour la gauche », dit-elle. Un Snowden du PS qui lâche, en référence au « virage gouvernemental », sa petite bombe : « Ce que je n'accepte pas, c'est le tournant de la rigueur qui ne dit pas son nom et qui prépare la marche au pouvoir de l'extrême droite. » Vague de chuchotements dans l'assistance.
« Vous voulez dire que Jean-Marc Ayrault fait le lit de la droite de la droite ? » lance un journaliste quelques minutes plus tard. Elle appuie sa main sur sa pochette verte. « Euh, je n'ai pas fait un lien aussi direct, rectifie-t-elle. J'ai dit que ce qui fait le lit de l'extrême droite, c'est l'absence d'espoirs, de perspectives d'avenir. » Elle n'accepte pas « le renoncement du 6 mai ».
 
Ne pas préjuger de l'avenir des projets écologiques
 
Largement interrogée sur l'actualité écologique, Delphine Batho n'a voulu « préjuger de rien » sur la suite des (nombreux) dossiers sur la table au ministère de l'Écologie : fiscalité verte, fermeture de Fessenheim, transition significative vers les énergies renouvelables, etc. Elle se montrait cependant assez prudente sur la fermeture de la centrale alsacienne fin 2016, comme promis par François Hollande lors de sa campagne. Elle ne cache pas qu'elle serait bien restée jusqu'au bout, pour achever de « grands projets ». Paradoxal si l'écologie n'était, n'est plus selon elle, la priorité du gouvernement.
Celle qui va retrouver son siège de député, début août, a aussi évoqué un avenir en pointillé. « Je n'ai pas de projets précis », confie-t-elle, même si elle se dit prête à collaborer avec la fondation de Nicolas Hulot. Elle confirme aussi qu'à son retour à l'Assemblée elle siégera bien aux côtés des députés de la majorité. À l'entendre, on en avait presque douté.
Enfin, Delphine Batho n'a eu aucun mot pour son successeur, le député du Gers Philippe Martin. Un spécialiste qui connaît bien les dossiers de son ministère, contrairement à elle qui a appris le développement durable en cours de route. L'écologie a gagné dans l'affaire un ministre reconnu pour son expertise. On saura dans quelques mois si, comme le suggèrent les patrons, c'est l'incompétence de Batho qui faisait problème. Ou si, en effet, l'environnement est bien le cadet des soucis de l'exécutif.
 
Par Jason Wiels - Le Point.fr 04/07/2013
 

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