Au pays des aveugles, le borgne n’est-il pas roi ?
Pascal Affi N’Guessan a ouvert une tribune dans laquelle il s’est prononcé sur l’actualité politique. Le président du Front populaire ivoirien (FPI) attire l’attention d’Alassane Ouattara sur sa candidature à l’élection présidentielle. Selon Pascal Affi, cette candidature est porteuse de conflits et invite Ouattara à y renoncer.
En 2020, dans notre cher pays, des marches pacifiques sont réprimées dans
le sang. Face à ces violences, face à cette insulte faite à la liberté
d’expression, j’éprouve une colère infinie. Je m’incline devant les familles
endeuillées. Ma colère est en réalité à la mesure du risque que court une fois
encore la Côte d’Ivoire, celui d’une nouvelle déflagration, d’un retour brutal
à ces années de déchirements, ces années de feu, ces années de haine encore
dans toutes nos mémoires.
Oui, le risque est désormais tangible. Risque d’une exacerbation des
tensions sur fond d’ethnicisation mortifère, risque de déstabilisation de notre
pays dans un contexte sous-régional éminemment inflammable. Personne ne le
souhaite, je ne le souhaite pas, convaincu depuis toujours que les alternances
doivent s’arracher dans les urnes. C’est le fondement de mon engagement
politique.
La responsabilité de ce risque incombe à un seul homme, le président
sortant. Ce samedi 22 août, Alassane Ouattara devrait être investi candidat du
RHDP, ou plutôt ce qu’il en reste, le RDR, à l’élection présidentielle. Arrivé
au pouvoir il y a dix ans avec la bénédiction des grandes puissances, il
démontrera une fois encore cette imposture démocratique que nous n’avons cessé
de dénoncer. Il foulera aux pieds la constitution dont il est le garant,
reniera sa propre parole et donnera à la face du monde l’image d’un pays en
totale régression. Viendra pour lui le temps du déshonneur !
Cette candidature est à l’image de ses dix années de gouvernance : une
grossière mystification. Dix ans d’occasions ratées et de dévoiement de notre
loi fondamentale. Parce qu’il était le produit d’institutions internationales
prestigieuses, il s’est longtemps abrité derrière cette façade pour revêtir le
masque d’un démocrate aimable et policé.
En piétinant notre constitution, il prouve qu’être un technocrate zélé ne
vous transforme pas en homme d’Etat. Le leadership nécessite des qualités d’âme
qui impliquent de savoir effacer les intérêts d’un clan au profit de l’intérêt
général. Le leadership, ce n’est pas l’exacerbation des différences, mais la
construction de l’unité à travers la réconciliation. Le sort tragique réservé à
Laurent Gbagbo, Charles Blé Goudé et tant d’autres nous a alertés dès l’origine
sur la réalité de cette présidence.
En dix années de pouvoir, Alassane Ouattara n’a hélas rien appris. Il n’a
pas appris qu’une candidature au pouvoir suprême ne peut s’inscrire dans une
seule volonté de revanche ou dans la peur de lendemains qui déchantent mais
doit répondre à la volonté de servir. Servir et non se servir car le pouvoir
n’est pas une entreprise d’enrichissement personnel d’un homme et d’un clan
mais le service du peuple.
En dix années de pouvoir, il n’a pas appris que le temps du pouvoir n’est
pas infini et qu’il faut savoir céder la place et passer le relai. Il n’a pas
appris qu’une élection peut se gagner ou se perdre et qu’elle doit se jouer sur
le terrain des idées et des projets, en toute loyauté.
Parce qu’il n’a pas su construire cette démocratie mature et exemplaire
qu’il avait promise au monde, Alassane Ouattara semble aujourd’hui acculé,
retranché dans une tour d’ivoire, prisonnier des siens. C’est pourquoi je
demande solennellement aux grandes puissances qui l’applaudissaient le 5 mars
dernier d’être à nos côtés pour contrer sa volonté de trucage, sa tentation de
tripatouillage des opérations électorales.
Nos compatriotes sont las de ces crises pré-électorales, électorales,
post-électorales récurrentes qui charrient leur lot de deuils et
d’irrémédiables douleurs. Leur fatigue est immense, leur soif d’alternance
aussi, une alternance tranquille au service d’une démocratie apaisée et
inclusive.
Cette candidature est porteuse de conflits, je ne ferai pas l’injure à Alassane Ouattara d’imaginer qu’il n’en a pas pleinement conscience. Alors, je lui demande instamment de faire preuve d’esprit de responsabilité. Si ce n’est pour notre pays, qu’il le fasse pour son image personnelle … Il est encore temps de renoncer !
Pascal Affi N’Guessan, Ancien Premier Ministre de Côte d’Ivoire, Candidat du Front Populaire Ivoirien à I’élection présidentielle;
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Source : https://www.afriksoir.net 17
août 2020