dimanche 29 juillet 2012

Forfaiture et impunité

L'affaire Ouattara (1990-1993) et la crise de l'houphouéto-foccartisme

3e partie


« L'héritage que laissera Houphouët sera lourd de guerres intestines et de règlements de comptes. » Eric Temos (« Côte d’Ivoire, ce que personne ne dit », L’Officiel d’Afrique  n°17, décembre 1984-janvier 1985).

Les « mystères » du 7 décembre 1993

Que s’est-il réellement passé le 7 décembre 1993, jour de l’annonce officielle de la mort d’Houphouët ? Y eut-il oui ou non tentative de coup d’Etat ? Quels rapports y a-t-il entre les événements de ce jour-là et la crise générale du régime, patente depuis 1990 ? Et quels rapports entre ces événements et les drames que la Côte d’Ivoire devait connaître par la suite, au cours des vingt années suivantes ? Enfin, quelles leçons aurions-nous pu ou dû tirer de ces événements qui nous eussent peut-être permis d’éviter ces drames ? Telles sont les questions que je propose d’examiner dans la troisième et dernière partie de cette étude.
Malgré leur importance évidente dans l’histoire de la longue crise du système politique ivoirien, les événements de décembre 1993 n’occupent guère de place dans la littérature politique ivoirienne. A ce jour, il n’existe, du moins à ma connaissance, que deux auteurs qui en aient traité, et encore très incidemment : Diégou Bailly et Francis Wodié. Dans La restauration du multipartisme en Côte d’Ivoire ou la double mort d’Houphouët-Boigny (L’Harmattan 1995), malgré les promesses de son titre, le regretté Diégou Bailly nous a laissé une sorte de long reportage plutôt qu’un authentique essai politique. De même, Mon combat pour la Côte d’Ivoire, de Francis Wodié (NEI-CEDA 2010), n’est pas à proprement parler un ouvrage politique. Livre d’entretien, et d’autocélébration comme son titre l’annonce d’ailleurs franchement, les événements politiques auxquels l’auteur a eu part à un titre ou à un autre n’y sont évoqués que comme de simples jalons de son cursus honorum tantôt triomphal, tantôt contrarié, qui en est le véritable sujet. Mais, à la différence de Diégou Bailly, qui n’était à tout prendre qu’un observateur extérieur, F. Wodié, en sa qualité de leader politique et d’ancien ministre, était à sa manière l’un des grands acteurs de cette fameuse journée. Et son témoignage, qu’il nous livre vingt ans après les faits et après toutes les tragédies qui en ont découlé, est d’autant plus intéressant que s’y révèle vis-à-vis des conséquences à terme des événements politiques en cours, une indifférence affective alors proprement effarante venant d’un juriste qu’on a connu plus regardant, mais dont on n’a plus lieu de s’étonner depuis son ralliement à Ouattara au soir du premier tour du scrutin présidentiel de 2010. C’est un comportement dans lequel Jean-François Médard aurait vu une confirmation de son constat de 1982 : « Les Ivoiriens semblent largement étrangers dans leur propre pays » (Y.-A. Fauré et J.-F. Médard, Etat et bourgeoisie en Côte d’Ivoire, p.81). La remarque de J.-F. Médard, quoique datant du début des années 1980, était encore valable en 1993. Cette année-là, hormis quelques barons du Pdci, qui avaient de bonnes raisons de craindre pour leur position au cas où Ouattara se serait imposé malgré eux en lieu et place de Bédié, et hormis les partisans de Ouattara, qui n’osaient pas encore se déclarer, tous les politiciens en vue affectèrent publiquement de ne prendre parti ni pour ce dernier ni pour Henri Konan Bédié. En 1992 déjà, à l’occasion de la querelle des privatisations qui fut la première escarmouche contre Ouattara au sein de l’Assemblée nationale, « Le groupe parlementaire du Front populaire ivoirien (FPI) [s'était] abstenu de prendre la parole (…). [Et, à un journaliste étranger qui l’interrogeait sur ce que cela signifiait, Laurent Gbagbo [avait dit] en rigolant : "On compte les points. On attend que le PDCI ait fini son big bang pour y voir clair. En attendant, on ne peut que se féliciter que les députés du PDCI se soient ralliés à nos positions". » (D’après Stéphane Dupont, Jeune Afrique économique, avril 1993). Dans une autre interview de la même époque, le même L. Gbagbo dira encore : « A tout prendre, je préfère me battre contre le Premier ministre. N'étant pas très implanté dans le pays, il me donne plus de chance de l'emporter. Mais le problème n'est pas là. J'ai simplement été abasourdi par l'accumulation de ses erreurs et de ses fautes. C'est lui qui, le 17 mai 1991, a été responsable, en dernier ressort, des forfaits des militaires sur le campus. C'est encore lui, le 18 février 1992, qui a ordonné, au mépris de toute règle démocratique, l'embastillement des dirigeants de l'opposition. Dans ces deux circonstances, il s'est montré au-dessous de tout. Un Premier ministre qui ordonne l'arrestation des députés, dont le leader du parti le plus important de l'opposition, ignore tout ou presque de la démocratie. » (interview de Laurent Gbagbo dans Jeune Afrique 29 avril-12 mai 1993). Facile à dire en 1992 ou 1993 ; mais cette désinvolture contribuera aussi à nous acheminer presque insensiblement vers la catastrophe du 11 avril 2011, comme on mène les bœufs à l’abattoir sans qu’ils s’en doutent.

« Fallait-il résister ou ne pas résister à la prise du pouvoir par Bédié ? »
Pour bien comprendre la signification du 7 décembre 1993, il faut remonter une quinzaine de jours en amont de cette date. Nous prendrons pour guide l’auteur de Mon combat pour la Côte d’Ivoire. « Le 17 novembre 1993, je reçois plusieurs coups de fil de la part de Alassane Ouattara, Premier ministre, de Konan Bédié, président de l’Assemblée nationale, et de Philippe Yacé, président du Conseil économique et social, chacun demandant à me rencontrer. Nous prenons rendez-vous pour le lendemain. Le 18 novembre vers huit heures, je rencontre d’abord Konan Bédié. Il me dit que le président Houphouët-Boigny va mal et que des gens veulent former un gouvernement ; qu’il semblerait que le Pit soit prêt à accepter d’y participer. Je me borne à prendre note de ce qu’il me dit puisqu’il ne formule clairement aucune proposition ou demande. Il cachait, j’en étais certain, son jeu. A neuf heures je rencontre Yacé. Il me dit qu’Houphouët-Boigny est au plus mal et qu’après le président Houphouët-Boigny, c’est lui, Yacé, qui est le dépositaire de la légitimité au sein du Pdci; que le président demande à Alassane Ouattara de former un gouvernement; que celui-ci n’étant pas très connu encore, le président lui a demandé à lui, Yacé, d’aider Alassane Ouattara à former le gouvernement. Puis il me parle longuement de ses déboires politiques et personnels avec Houphouët-Boigny depuis plusieurs années. J’écoute attentivement, sans réaction. Il n’est pas plus précis sur ce projet. (…). A onze heures, je rencontre Alassane Ouattara. Il me dit qu’il a reçu mandat du chef de l’Etat pour former un gouvernement d’union et voudrait la participation du Pit. (…). Je lui réponds que nous prenons acte et que nous allons en discuter au sein du parti. Il me rétorque que c’est urgent et qu’il a besoin d’une réponse assez rapidement. Ainsi commencent les grandes manœuvres à la veille du décès d’Houphouët. (…). »
« De tous ceux que j’ai rencontrés, je n’ai donné de réponse qu’à Ouattara, car il était le seul à s’être exprimé clairement sur le projet de formation d’un gouvernement. Bien sûr le Pit a refusé de participer à un tel gouvernement. Il faut savoir que nous doutions de la réalité même de ce mandat, verbal, de la part d’Houphouët-Boigny, mourant, et de la régularité, autant la légitimité que la légalité d’une telle entreprise. Nous nous sommes demandés si le président Houphouët n’était pas déjà décédé ; cette propsition s’offrant comme une aventure à laquelle nous ne pouvions nous associer. » (pp. 153-154)
 « On assistera ensuite à une confusion déplorable dans les rôles. Alassane Ouattara qui veut faire constater le décès, la Cour suprême qui dit qu’il n’y a pas à constater le décès, et Konan Bédié qui se déclare président de la république. (…). Nous assisterons par la suite à la querelle scandaleuse entre Konan Bédié et Alassane Ouattara, à travers le spectacle de la guerre des communiqués ce jour [le 7 décembre 1993] entre dix-neuf et vingt-trois heures. » (p. 156).
« (…) quand survient le décès du président Houphouët-Boigny, la Côte d’Ivoire est face à un dilemme. Konan Bédié est considéré comme le nouveau président de la République. Ce n’est pas normal mais que pouvons-nous, que devons-nous faire ? Si nous ne sommes pas d’accord, nous trouvons une autre solution, mais qui n’est pas de droit. On tombe alors dans l’aventure politique. Nous avions entendu dire que des formations et individus avaient conçu le projet de transférer autrement le pouvoir que par la voie prévue par la constitution. Nous avons même entendu parler d’un Conseil d’Etat, donné comme un triumvirat dont je ne citerai pas les membres présumés. » (pp. 158).
En fait d’« aventure politique », il s’en fallut vraiment de très peu que le projet d’un coup de force en vue sinon de porter tout de suite Ouattara au pouvoir suprême, du moins de le maintenir dans sa position de Premier ministre – ce qui dans le contexte de l’époque revenait exactement au même – ne devînt réalité. Sous le titre « Après la mort du président de Côte d’Ivoire Houphouët-Boigny : succession explosive », le quotidien parisien France Soir annonçait en gros caractères dans son numéro du 8 décembre 1993 : « Le Premier ministre prend la direction du pays… ». Dans le corps de l’article, non signé – en l’occurrence cela aussi a sans doute son importance ! –, le journal révélait que quinze jours plus tôt, « sentant venir la fin de Félix Houphouët-Boigny, le Premier ministre Alassane Ouattara avait décidé de son propre chef d’assurer "la suppléance du président de la République". Aussitôt sept députés Pdci ont publié une lettre ouverte pour dénoncer "le coup d’Etat de Ouattara" ». Ainsi, dès la mi-novembre, le mot était dit : coup d’Etat ! Toutefois, si la tentative du 7 décembre d’officialiser cette usurpation devait provoquer quelques belles petites phrases du genre : « Bédié représente la légalité républicaine. Tout ce qui est en dehors de la constitution équivaut à un coup d’Etat civil ou militaire. » (Gbagbo) ou « Konan Bédié est considéré comme le nouveau président de la République. Ce n’est pas normal mais que pouvons-nous, que devons-nous faire ? Si nous ne sommes pas d’accord, nous trouvons une autre solution, mais qui n’est pas de droit. On tombe alors dans l’aventure politique. » (Wodié), ce premier attentat pourtant déjà gros de tous ceux qui jalonneront les vingt années à venir passera, semble-t-il, totalement inaperçu. Quel magnifique indice pourtant que, le 7 décembre 1993, il y eut bel et bien tentative de prise illégale du pouvoir par celui qui exerçait la plus haute fonction de l’Etat après celle de président de la République. Lequel d’ailleurs ne se gênait pas pour en faire l’aveu devant les journalistes : « [Ouattara] me confirmait qu’effectivement, il y avait eu une période de flottement aux alentours du 7 décembre 1993. Fallait-il résister ou ne pas résister à la prise du pouvoir par Bédié ? (…). Il ne souhaitait pas, non plus, travailler avec Bédié (ce qui, dans le contexte politique d’alors, voulait dire : travailler sous les ordres de Bédié) : ayant été le Premier ministre de Félix Houphouët-Boigny, il ne pouvait envisager d’être quoi que ce soit dans le système Bédié. » (Jean-Pierre Béjot, « Alassane Dramane Ouattara et la tentation du pouvoir », La Dépêche diplomatique 14 juillet 2003).

« J'en appelle donc aujourd'hui à la France… »
Nous avons vu dans la deuxième partie de cette étude comment, afin de lui faciliter au maximum l’usurpation du pouvoir suprême lorsque lui-même aurait disparu, Houphouët prépositionna Ouattara au sommet de la hiérarchie de l’Etat et du Pdci, à cette époque le parti dominant à l’Assemblée nationale. L’intérêt de l’opération, c’est que le jour de la disparition d’Houphouët, devenu ipso facto le maître absolu de ce parti, Ouattara aurait pu en faire ce qu’il voulait ; mais il n’essayera même pas de s’en servir directement pour appuyer son plan. Preuve qu’Houphouët n’avait pas réussi à l’imposer dans le parti.
Pour mettre toutes les chances du côté de Ouattara, Houphouët prit une précaution supplémentaire, qui consista à mettre la Cour suprême hors d’état de remplir son rôle quand sonnerait l’heure de son remplaceent. Lazeni Coulibaly, le président de la Cour suprême, avait dû démissionner après avoir été accusé d’un détournement de fonds publics dont pourtant la justice n’eut jamais à connaître. Pour d’autres raisons tout aussi mystérieuses, il ne fut pas remplacé, et il ne l’était toujours pas quand Houphouët mourut… Nous retrouvons ici un vieux procédé houphouéto-foccartien : l’abolition de toute règle susceptible de gêner les manigances de la Françafrique. Le coup de la démission forcée du président de la Cour suprême et de son non remplacement relève incontestablement de cette même vieille technique qui avait déjà permis à Houphouët de se débarrasser de ses opposants en 1959, 1963 et 1964. La constitution stipulait qu’en cas d’incapacité absolue du chef de l’Etat en exercice dûment constatée par la Cour suprême, cette charge était dévolue de plein droit au président de l’Assemblée nationale. Or, privée de son président, la Cour suprême n’était pas en état de sièger valablement. Le 7 décembre, dès l’annonce officielle du décès du chef de l’Etat, Ouattara tentera de mettre à profit cette carence pour empêcher la dévolution du pouvoir à Henri Konan Bédié. Son insistance à faire constater le décès d’Houphouët par la Cour suprême, alors que cette formalité n’est exigée qu’en cas d’empêchement absolu, n’était qu’une manœuvre dilatoire visant à retarder l’application automatique de la constitution dans un premier temps, puis à la contrecarrer tout à fait dans un deuxième temps, s’il pouvait créer un rapport de forces à son avantage dans la classe politique, les directions des forces armées et l’opinion publique. Dans un article intitulé « Le Premier ministre se pose en successeur de Houphouët. Alassane Ouattara conteste la légitimité de Henry Konan Bédié, qui s'est autoproclamé président mardi », Alain Frilet, de Libération, écrit le 9 décembre 1993 : « Le Premier ministre, Alassane Ouattara, (…), refuse de déposer les armes. Hier matin, le chef du gouvernement convoque dans la plus grande discrétion son ministre de la Défense et le chef d'Etat-major des armées, qui l'auraient, affirme-t-on à la primature, assuré de leur entière loyauté. La veille déjà, il avait saisi la Cour suprême, réclamé qu'elle constate officiellement la vacance du pouvoir et, au terme du délai nécessaire, installe un nouveau président de la République. Selon un diplomate occidental visiblement inquiet, cette manœuvre, tout en donnant l'impression de respecter la loi fondamentale, permet à Ouattara d'ignorer le nouveau "président" et de conserver sa qualité de Premier ministre. Plus qu'un simple défi à l'héritier constitutionnel, Ouattara vient d'engager un bras de fer politico-ethnique aux conséquences imprévisibles ». Si Ouattara échoua le 7 décembre 1993, grâce notamment à l’instinct de conservation de quelques dirigeants du Pdci, sa tentative de violer la constitution n’en fut pas moins le prélude de la tragédie à rebondissements que vit notre peuple depuis bientôt vingt ans.
La meilleure preuve qu’il y eut bel et bien tentative d’usurpation, c’est la démarche que Ouattara fit auprès du gouvernement français de l’époque aux fins de recueillir son interprétation de l’article de la constitution ivoirienne réglant la transmission des pouvoirs du président de la République, en cas d’empêchement ou de décès du titulaire, au président de l’Assemblée nationale jusqu’à la fin du mandat en cours ! (D’après Soir Info 03 décembre 2001). Six ans plus tard, lorsqu’il déclarera ouvertement ses ambitions, c’est encore à la France qu’il s’en remettra pour lui mettre le pied à l’étrier : « J'en appelle donc aujourd'hui à la France, qui a un rôle important en Côte d'Ivoire, par l'histoire, par la question des accords de défense, donc la sécurité de la Côte d'Ivoire, par la monnaie, le franc CFA. La France ne peut rester indifférente à la situation en Côte d'Ivoire. Il faut qu'elle fasse quelque chose. (…) J'en appelle donc au président Chirac, au Premier ministre Lionel Jospin. Ces jours prochains, lors de mon retour à Paris – je suis actuellement à Libreville – je rencontrerai le médiateur, Bernard Stasi. Je lui demande sa médiation en la matière avec les autorités ivoiriennes. » (La Croix 23/12/1999). Ici, comme en 1993, il ne s’agit pas d’un simple appel au secours mais d’une véritable offre de service !

« J’aurais pu le faire arrêter… »
Qu’il se soit seulement agi de se faire interpréter la constitution ivoirienne par une puissance étrangère, ou qu’il se soit agi, sous ce prétexte apparemment banal, de demander à la France, dont il savait que le soutien lui était acquis, d’exprimer plus clairement cette préférence, le seul fait d’avoir osé une telle démarche constitue une forfaiture pour laquelle Ouattara encourait un procès pour haute trahison avec, à la clé, au minimum, son bannissement perpétuel et sa disparition définitive de la scène politique ivoirienne. Or, au lieu de cela, ni l’auteur de ce forfait ou, en tout cas, celui qui devait en bénéficier, ni ses principaux complices pourtant biens connus, n’encoururent la moindre sanction ! Au contraire, après l’échec de son entreprise, Ouattara put sortir du pays pratiquement avec les honneurs pour aller se mettre à couvert auprès de ceux qui l’avaient imposé à Houphouët en 1990, et attendre là-bas, tranquillement, l’occasion propice de revenir à la charge.
A les en croire, les houphouéto-ouattaristes actuellement au pouvoir feraient de l’impunité la cible principale de leur politique. C’est l’éternelle histoire de la paille et de la poutre… Ce sont ceux à qui une inexplicable indulgence de la nation épargna un châtiment mérité qui parlent d’éradiquer l’impunité ! Certes ce n’est pas la première imposture dans cette pauvre Côte d’Ivoire où, trente années durant, Houphouët s’est plu à contourner, à ignorer ou à carrément violer ses propres lois sans s’attirer la moindre conséquence pour lui-même. Mais Houphouët avait, dans la Françafrique, un parapluie à toute épreuve. Qu’est-ce qui empêcha Bédié de faire payer à Ouattara le juste prix de sa forfaiture ? Quelques semaines après sa victoire provisoire sur Ouattara, le nouveau chef de l’Etat confiait à un journaliste : « J’aurais pu le faire arrêter ». S’il le pouvait, alors pourquoi ne l’a-t-il fait ? La question ne fut pas posée. Ou bien, si elle le fut, soit Bédié n’y répondit pas, soit sa réponse ne pouvait pas être livrée au grand public…
Bédié pouvait-il vraiment faire arrêter Ouattara ? Le doute est permis ; et encore plus aujourd’hui quand nous le voyons dans la position où il s’est mis depuis le 28 novembre 2010. C’est que, à la fois, le crime était gravissime, et il y avait pléthore de beau monde derrière l’apprenti usurpateur. Il y avait des Ivoiriens de tendances diverses, mais ce n’étaient pas les plus puissants ni même les premiers intéressés. Et, si par leur attitude – qu’elle fût favorable au coup d’Etat projeté, ou qu’elle lui fût hostile sans être toutefois vraiment décidée – ils contribuèrent aussi à préparer les succès futurs de Ouattara, ce ne fut que comme des instruments, et, comme dirait l’autre, à l’insu de leur plein gré le plus souvent. Les plus intéressés – les plus puissants aussi – se trouvaient à Paris. Là, on savait ce qu’on voulait, on en avait les moyens et on savait comment l’obtenir en se servant des Ivoiriens eux-mêmes. Il suffisait de se donner le temps et de leur jeter des tonnes de poudre aux yeux en attendant l’occasion de leur porter le coup décisif.
On peut repérer la main de la Françafrique à chaque étape de la conspiration dont le premier acte se joua le 7 décembre 1993 et le dernier, le 11 avril 2011. D’après La Lettre du continent (N°243, 5 octobre 1995), en décembre 1993, Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Balladur,  soutenait l’entreprise visant à maintenir Ouattara dans la fonction de Premier ministre malgré l’hostilité générale des Ivoiriens. Le rappel de l’ambassadeur Michel Dupuch juste une semaine avant l’annonce officielle du décès d’Houphouët fut le premier acte de ce soutien. L’ambassadeur Dupuch, en poste depuis près de 15 ans, était réputé plutôt favorable à Bédié ; en le remplaçant brusquement dans cette période critique, le Quai d’Orsay choisissait son champion : c’était Ouattara.
Officiellement, c’est le 7 décembre 1993, dans sa résidence familiale de Yamoussoukro, qu’Houphouët mourut. Mais il n’est pas impossible qu’il soit mort en fait en Suisse où il avait été évacué depuis un hôpital parisien ou même à Paris, avant d’en être évacué. C’est en tout cas ce que beaucoup d’Ivoiriens ont cru. Le choix de cette date, alors jour de fête nationale, donc jour de prises d’armes dans l’enceinte du palais présidentiel sis au Plateau, n’était évidemment pas dû au hasard. Il existe au moins une preuve qu’à Paris certaines personnes savaient d’avance que ce serait ce jour-là qu’Houphouët mourrait : « La France, pouvait-on lire dans l’officieuse Lettre du continent (LC N°200 du 02 décembre 1993) est en train de mettre en place le casting du film "La Constitution, rien que la Constitution" pour introniser le plus vite possible, au titre de l'article 11, le président de l'Assemblée nationale à la tête de l'Etat. Tout doit être verrouillé pour le 7 décembre, fête de l'indépendance nationale. Le "Président Bédié" pourrait alors prononcer un premier discours historique de rassemblement national pour affronter la tempête économique et financière (en particulier l'éventuelle dévaluation du franc CFA après les fêtes...). Reste que tous les acteurs pressentis n’ont pas encore accepté leur rôle. C'est en particulier le cas du Premier ministre Alassane Ouattara que la France aimerait bien voir rester en fonction au moins le temps de la transition. Avec l'appui de l’administration et de barons anti-bédiéistes, ce dernier a toujours fait savoir qu'il "n'a pas l'intention de laisser le fruit de son travail à des gens qui lui tirent dans les pattes" » (LC N°199). L’histoire ne dit pas qui avait choisi cette date du 7 décembre ni comment elle fut choisie de préférence à toute autre. Pourquoi le 7, et non pas le 6 ou le 8 décembre, par exemple ? Pourquoi décembre et pas novembre ? Mystère… En revanche il n’est pas difficile de deviner qui avait le plus intérêt à ce que ce fût un jour où Robert Guéi, le chef d’Etat major qui n’était pas hostile à Ouattara, disposerait à l’intérieur et autour du palais, en toute légalité, de suffisamment d’hommes et d’armes pour en prendre éventuellement le contrôle afin d’y installer son favori ! Ouattara d’ailleurs s’y croyait déjà ! Et j’annonce à « mes chers compatriotes », avec ce qu’il faut de sanglots retenus dans la voix, la perte cruelle que nous venons de subir ; et je décrète le deuil national ; et je saisis la Cour suprême pour constater la vacance du pouvoir, un pouvoir que le cher défunt m’a confié au moment d’aller à Paris attendre sa mort annoncée et que je tiens et tiendrai d’une main ferme tant que la Cour suprême n’aura pas statué…
Le plus étrange de l’affaire, c’est l’apparente indécision des autorités françaises qui tantôt semblaient pousser l’un des deux rivaux, et tantôt l’autre. Longtemps le remplacement annoncé de l’ambassadeur Michel Dupuch, en poste depuis une quinzaine d’années, fut ajourné pour ne pas compliquer les choses. Puis, brusquement, le 17 novembre il doit céder la place à Christian Dutheil de la Rochère, dont l’agrément avait été présenté au Premier ministre Ouattara « assurant la suppléance » du président de la République.
Autre indice de l’embarras des autorités françaises devant la tournure que prenaient les événements à l’approche de l’inéluctable, c’est la venue à Abidjan de deux personnalités bien connues du village françafricain de l’époque, Jean-Marc Rochereau de la Sablière et Antoine Pouillieute. Ils étaient chargés d’une mission qui serait restée à jamais secrète n’était une photographie de presse qui les montre, flanqués de l’ambassadeur Dupuch, successivement face à Ouattara et face à Bédié. Je dis bien : une photographie. Car il n’y a pas deux clichés, mais un seul, celui qui montre les deux missionnaires s’entretenant avec Ouattara. Sur ce même cliché, pour fabriquer la deuxième photographie, on a remplacé Ouattara par Bédié. La grossièreté du montage semble indiquer une certaine fébrilité chez les envoyés des faiseurs parisiens de rois nègres qui, arrivés sans doute avec la conviction que ce serait un jeu d’enfants de maintenir Ouattara dans sa position, durent battre précipitamment en retraite devant la fermeté de ceux qui, dans le Pdci notamment, s’opposaient à son maintien. Ce choix ils ne le firent sans doute pas de gaieté de cœur ; une petite phrase au cœur d’un éditorial de Marchés tropicaux et méditerranéens (18 février 1994), où, après la constitution du premier gouvernement de l’ère Bédié, il était question d’« un gouvernement constitué dans l’esprit de continuité, et même plus conforme que le précédent à certaines positions du pouvoir au sein de la classe dirigeante. », indique clairement qu’il s’est seulement agi, devant un obstacle imprévu, de reculer pour mieux sauter. D’où la photographie hâtivement bidouillée pour faire accroire que la France ne prenait pas parti dans cette « histoire ivoiro-ivoirienne », alors que l’original trahissait sa partialité en faveur de Ouattara. 




De quoi, au juste, s’agit-il de sortir ?

Avant de conclure, je voudrais d’abord lever tout risque de malentendu. Ce n’est pas un procès qu’on instruit ici contre la classe politique ivoirienne ou contre les élites ivoiriennes en général. Car tout ce qui s’est passé avant et jusqu’au 7 décembre 1993, on peut dire que c’était déjà écrit dans l’histoire de la Côte d’Ivoire sous le régime houphouéto-foccartien et dans la mentalité des élites formatées par ce régime depuis ce jour de 1963 où, par le truchement d’Houphouët, il leur a été signifié qu’elles devaient se garder de toute ambition de jouer un rôle politique dans leur propre pays sous peine de terribles châtiments. De sorte que jusqu’à cette date, les Ivoiriens ne pouvaient rien faire, sauf à révolutionner le système de fond en comble. Ce qu’ils entreprirent d’ailleurs de faire au bout de 33 ans de résignation, le 2 mars 1990, mais que malheureusement ils ne purent achever faute d’organisation et faute de dirigeants aguerris. A l’impossible nul n’est tenu… Il ne s’agit donc pas d’incriminer quiconque. Ma seule intention, c’est de montrer à travers les événements du 7 décembre 1993 que les élites ivoiriennes, tenues depuis toujours à l’écart de toute responsabilité politique réelle par celui qui, trahissant la confiance que notre peuple avait placée en lui, s’était mis au service de nos ennemis, se trouvaient de ce fait dans l’incapacité d’éviter le piège tendu, même s’il crevait les yeux.
« La Côte d’Ivoire n’est pas n’importe quel pays ! », entendait-on souvent dire à l’époque de ces faits. C’était bien vrai !, et ça l’est toujours d’ailleurs… C’est vrai que toutes ces choses ne se passaient pas dans un pays banal, un de ces pays où le pouvoir politique, l’administration centrale, l’économie, les banques, la défense nationale sont effectivement tenus par leurs nationaux et par eux seuls, mais dans un pays qui, depuis le premier jour de son indépendance, était gouverné par des agents de l’ancienne puissance coloniale auxquels un soi-disant leader charismatique servait de prête-nom. Compte tenu de ce niveau de dépendance de la Côte d’Ivoire vis-à-vis de la France, ce qui se passait autour d’Houphouët agonisant, ou de son cadavre, ne se résumait pas seulement à un conflit fratricide entre Bédié et Ouattara, et entre leurs partisans ; c’était, sur le fond de la crise généralisée du système houphouéto-foccartien, la recherche de la solution qui le laisserait intact, au moins quant à sa finalité et quant aux avantages qu’elle en tirait pour sa politique africaine, malgré la disparition de celui qui jusqu’alors en était le rouage essentiel. Par conséquent, ce qui était en jeu ce n’était pas de savoir si le régime sous lequel nous vivions depuis 33 ans était démocratique ou non, mais si la Côte d’Ivoire était un pays indépendant ou si elle était toujours une colonie de la France. Certes, cette crise nous pose sans cesse et avec insistance la question : « Comment s’en sortir ? », mais il faut bien savoir qu’il n’y a pas d’issue tant qu’on n’a pas d’abord répondu à cette question-ci : « De quoi, au juste, s’agit-il de sortir ? ».
En outre, ce n’était pas seulement l’affaire de quelques hommes prédestinés par leur savoir ou leur fortune mais une affaire qui regardait la nation dans son ensemble, et qui exigeait par conséquent que la nation y fût impliquée toute entière, et, après ces trois décennies de mensonges et de faux semblants, qu’elle le fût en toute connaissance de cause. Malheureusement, ce n’est pas ce qui s’est passé. Cela doit être dit, sans intention, je le répète, d’incriminer quiconque, parce que c’est la vérité.
En révélant la terrible malfaisance du système houphouéto-foccartien en même temps que la fragilité de son assise, Le 7 décembre 1993 aurait pu/aurait dû être l’occasion de secouer définitivement ce joug honteux, et de nous débarrasser une fois pour toute du fantochisme. Nous avons préféré nous gargariser de discours sur la démocratie ou sur l’esprit des lois. Ainsi Byzance disputait du sexe des anges pendant que l’Ottoman abattait ses murailles… Pendant qu’on bavardait, ceux qui avaient inventé Ouattara en 1990 fourbissaient leurs armes en épiant l’occasion de nous l’imposer à coup sûr, bon gré mal gré.
Et, ce malheur, combien d’entre nous l’avaient vu venir ?
Dans son livre, Diégou Bailly fait à ce sujet une remarque intéressante malgré une formulation quelque peu étrange : « L’une des raisons fondamentales du blocage du processus de démocratisation, écrit-il, c’est que toute la classe politique – aussi bien le parti au pouvoir que l’opposition – adhère à la logique du président de la République. Tous ne s’attellent qu’à rechercher des solutions aux problèmes du présent et veulent ignorer le futur. » (La double mort d’Houphouët-Boigny ; p. 245). Au lieu de « futur », ne faudrait-il pas plutôt lire « passé » ? Car quoi de plus normal que des hommes ignorent le futur ? « L’avenir, dit le poète, n’appartient qu’à Dieu » ! Alors, peut-être est-il vrai que nous ne savons pas rêver ou, seulement, que nous ne l’osons pas. Mais notre véritable défaut, c’est de ne pas avoir suffisamment d’attention pour notre passé… C’est ce que j’observe non sans effroi depuis le 11 avril 2011. Il semble que la plupart de ceux qui, 
dans les circonstances actuelles, ont acquis de fait la légitimité de parler au nom du peuple des résistants, qu’il s’agisse des directions intérimaires du Fpi et du Cnrd ou de nos camarades exilés, oublient d’où, dans quels buts, par quelles voies, en vertu de quels principes et au nom de quel illustrissime démiurge nous avons été jetés dans cette tragédie à seule fin qu’enfin ADO, autrement dit Alassane Dominique Ouattara, puisse régner sur nous et que la frontière méridionale du Burkina Faso épouse le golfe de Guinée depuis Tabou jusqu’à Assinie.
Je termine par ces deux aphorismes de Winston Churchill :
* Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre.
* Plus vous saurez regarder loin dans le passé, plus vous verrez loin dans le futur.
 
Marcel Amondji

vendredi 27 juillet 2012

«Il avait compris l’importance de l’unité de la nation»

L’hommage de Séry Bailly à Koné Dramane, décédé à Abidjan le 23 juillet 2012


Je l’appelais Tchèba, grand homme. Pour lui dire aussi bien mon affection que mon respect. Il a écrit la préface de mon livre « Ne pas perdre le nord » (2005). L’auteur et le préfacier cheminent en esprit parce qu’ils ont un horizon commun et pour s’encourager mutuellement. Pourquoi l’avais-je sollicité ? Pourquoi avait-il accepté ? Par amitié ? Sans doute. Mais surtout pour deux types de convictions partagées : l’unité du pays, l’importance du bien dire.
Il partageait ma réprobation de la violence. Il avait compris, dès 2005, avant des optimistes et naïfs comme moi, que ce qui a commencé en 2002 se poursuivrait « sans doute encore pour longtemps » (p.9). Notre histoire ne lui a pas donné tort.
Hélas !
Il était de Tengréla, ce qu’il y a de plus septentrional dans notre pays. L’opposition du Nord et du Sud l’horripilait comme moi. Mais cette unité de la Côte d’Ivoire à laquelle nous tenions ne devait pas se faire sous la forme d’agrafes maintenant ensemble ses deux parties, dans la douleur et la désespérance. Unité et non suture ! Encore moins « poings de suture » !
Le linguiste savait que les mots peuvent tuer. Tchèba avait compris l’importance du bien dire pour l’unité de la nation. Bien dire, c’est respecter l’autre. C’est croire en son sens esthétique et solliciter en lui ce qu’il y a de beau. Lequel, selon Memel-Foté qu’il va rejoindre, contient chez nous le juste et le bien. C’est préserver la vie de l’autre, sans laquelle il n’y a point d’appréciation du beau. C’est prendre  le parti de la finesse et de la nuance et s’opposer à la grossièreté et à la barbarie.
Le genre qu’il avait choisi, la chronique, n’est pas des plus faciles. On attendait de lui perception acérée de nos contradictions, capacité de synthèse bien au-dessus de l’ordinaire mais surtout ce « jeu dans les transmissions » qui définit la littérature, selon Sartre. En tout cela, il a été généreux avec nous. C’est la raison pour laquelle nous l’aimions tous.
Comment ne pas comprendre la détresse qui l’a emporté ? Le fin lettré devenu mal voyant, par la force de l’histoire d’un embargo et non seulement le décret de la nature, ne pouvait lire. Pour cette raison, il ne pouvait non plus écrire. Ainsi, lui aussi, s’est éteint à petit feu. Réduit au silence, il est entré dans le grand silence.
Notre ultime conversation date du 7 juin dernier. Je l’ai résumée pour un autre de mes cadets en utilisant son jeu de mots sur le verbe tenir.
J’ai dit : « L’écriture est une activité qui permet de tenir et de bien se tenir ». Je ne pouvais imaginer que Tchèba, le linguiste et philosophe, ne tiendrait pas deux mois de plus. Seuls les gladiateurs disaient : « César, ceux qui vont mourir te saluent ».
Koné Dramane n’était pas un gladiateur. Tenir est le verbe testament qu’il nous laisse.
Mais je sais aussi qu’il veut que nous restions vivants. Autant que le destin le permettra, pour relire ses chroniques et y trouver la force et la joie de tenir.
Adieu Tchèba !

source : Notre Voie 26 juillet 2012

jeudi 26 juillet 2012

Interview de Privat Oula, député de Duékoué (extraits)

« Des gens ont été amenés dans nos régions avec des consignes précises et ils se sont installés »


Guéré natif de Duékoué, député indépendant, vice-président de l’Assemblée nationale, Privat Oula revient de Duékoué où il a touché du doigt la principale (et, très probablement, mortelle) contradiction de ce régime. Dans cette interview quelque peu embarrassée, se révèlent à la fois les vrais enjeux de la situation actuelle dans l’Ouest et l’inanité des appels ouattaristes à la réconciliation.

Marcel Amondji


Vous venez de Duékoué. Qu’avez-vous vu à Duékoué, qu’est ce qui s’est réellement passé à Duékoué ?
Une fois de plus, je profite de votre journal pour présenter d’abord mes condoléances à toutes les victimes, aux parents qui ont perdu un être cher et à ceux des disparus. Condoléances à mes parents Malinké, Guéré, à tous ceux qui y ont perdu un parent, un ami ou une quelconque connaissance. De Duékoué, j’en reviens le cœur meurtri. Lorsque nous avons été informés, toute activité cessante, nous nous y sommes rendus pour voir, écouter et surtout apporter un message de consolation, d’apaisement et préparer les cœurs au pardon et à la réconciliation.

Qu’est ce que vous avez vu sur place ?
Ce que j’ai vu, c’est que le camp de Nahibly n’existe plus aujourd’hui, que le petit marché qui était devant la Mission catholique, et l’autre site voisin n’existent plus. J’ai constaté, également, qu’il y a eu des morts et qu’il y a plus de 40 blessés qui sont à l’hôpital de Duékoué. Et que la population de Duékoué est aujourd’hui dans l’amertume.

(…)

Il se trouve aussi que, très souvent, ces attaques arrivent à l’approche de rendez vous politiques importants. Et ces meurtres à Duékoué sont souvenus au moment où des événements politiques sont en attente. Ne pensez vous pas qu’il puisse s’agir d’une manipulation politique ?
Je n’exclus rien aujourd’hui. Cependant, mon devoir de député de la nation, c’est de rassurer mes parents qui habitent sur le sol de Duékoué. Je tiens à noter une chose : il est vrai que à Duékoué, il y a des voyous et qu’il y a des problèmes politiques, mais il y a aussi que, depuis des années, une politique d’occupation a été appliquée à Duékoué, à Bangolo, à Taï, à Guiglo ou à Bloléquin.

Qu’entendez vous par politique d’occupation ?
Cela veut dire que des gens ont été amenés dans nos régions avec des consignes précises et ils se sont installés. Certains ont fait des efforts d’intégration, d’autres, non.

S’agit il d’allogènes ou des non Ivoiriens ?
Il faut voir cela de façon globale, en parlant de tous ceux qui sont venus d’ailleurs. Aujourd’hui même, les forêts dites classées n’existent plus. C’est dire que, même le Wê n’a plus de place. Car, ce qui était possible hier ne l’est plus aujourd’hui. Pour résoudre ce problème, il faut arrêter la politique d’occupation. Il faut aller à la politique d’intégration et de brassage, d’écoute réciproque. Je connais de gens du nord qui ont construit Duékoué. Je connais même des Burkinabè dont on parle tant, nous avons grandi avec ces Burkinabè qui ont contribué au développement de nos régions, de la Côte d’Ivoire et avec qui, nous avons vécu en bonne intelligence ! Seulement, ces dernières années, ceux qui viennent, viennent avec un esprit d’occupation et non pas avec un esprit d’intégration. Ils ne respectent pas nos chefs, pourtant chez eux, ils respectent les leurs. Ce que nous avons de sacré dans nos coutumes est, aujourd’hui, bafoué. Il faut recentrer les choses.

Est ce que recentrer les choses, ce n’est pas aussi demander à un parti comme le Fpi de contribuer à cette réconciliation ? N’avez vous pas l’impression que le langage guerrier que le Fpi tient à Abidjan déteint sur le comportement des jeunes à l’Ouest ?
Je ne veux pas porter de jugement de valeur sur le comportement ou le message du Fpi. C’est un parti organisé, reconnu, qui fonctionne, que je respecte et qui mène ses activités. Si on trouve que le Fpi dérape, il y a des autorités compétentes pour le constater. Ce n’est pas cela mon problème.

Mais quand ses dirigeants parlent de chasse aux sorcières à l’Ouest ? Vous ne pensez pas que cela peut contribuer à envenimer la situation ?
Non, je pense que nous avons nos problèmes. Le Fpi n’est pas aujourd‘hui au pouvoir, il est presque décapité. Le Fpi a d’autres contraintes aujourd’hui. Quand on est au pouvoir, qu’on gouverne, il faut prévoir et trouver des solutions. Et nous, ce qui aujourd’hui nous intéresse, c’est de trouver des solutions pour nos populations. Sans vouloir rentrer dans des conflits de personnes, je dis que nous avons des problèmes à Duékoué. A savoir que depuis un certain temps, le tissu social fraternel a pris un coup. Je voudrais que nous puissions revenir à nos valeurs qui ont fait la fierté de Duékoué, à cet amour entre Sénoufo, Baoulé, Guéré.

Qu’est ce que vous qui avez parcouru récemment la région, proposez, en termes de solution pratique pour réaliser ce retour à la cohésion ?
Je pense d’abord qu’il y a des brebis galeuses dans chaque ethnie. Autant il y en a chez les Guéré, autant il y en a chez les Dioula, ou chez les Baoulé, les Malinké. Le plus important, c’est de nous retrouver pour voir comment nous allons vivre en commun.

« Nous », c’est qui ?
Nous, c’est nous les élus, les députés, les cadres, les fils de la région. Car, de la même manière, la femme, Baoulé, Malinké, Sénoufo, souffre pour mettre son enfant au monde au bout de neuf mois, c’est de cette même manière que la femme Guéré souffre. Nous sommes donc des frères et des sœurs. A mes parents, je répète aussi souvent que quand ton fils n’a pas gagné à la Lonaci, qu’il n’est pas opérateur économique ni hommes d’affaires, qu’il ne travaille pas et qu’il rentre à la maison le soir avec une forte somme d’argent ou des articles d’une valeur inestimable, toi le père ou la mère digne, tu poses la question à ton fils : où as-tu eu cet argent ? Car, cet argent ou ce matériel, c’est le fruit des braquages, des tueries ! Chacun doit éduquer son enfant. Aujourd’hui, un simple braquage a conduit à des tueries à Duékoué. Nous aujourd’hui, nous sommes condamnés à vivre ensemble. Nos frères Burkinabé, qui sont arrivés et qui veulent participer au développement, sont les bienvenus chez nous. Un chef burkinabè nous a fait cette confidence récemment. Il nous a dit : « Nos frères qui arrivent maintenant, nous-mêmes, nous n’arrivons pas à les contrôler. Voilà pourquoi il y a des conflits entre eux et nous ».

On a parlé aussi des dozo.
J’ai été heureux d’entendre le général Soumaïla Bakayoko dire qu’il a demandé que tous les barrages tenus par des dozo soient démantelés et que la gendarmerie, la police et les militaires feront leur travail. Je fais cependant attention au phénomène des dozo qui sont une confrérie bien organisée. Mais ces derniers temps, tout le monde est devenu dozo. Et sous le couvert des Dozo, beaucoup de choses peuvent arriver. Des jeunes, que nous avons rencontrés, qui n’étaient pas Malinké, qui étaient Guéré ou d’autres ethnies et quand nous leur avons posé la question de savoir pourquoi ils sont devenus des dozo, nous ont répondu ceci : « Puisque les Dozo sont autorisés à avoir des armes pour circuler, la seule façon de se protéger, c’est donc d’être dozo aussi. Quand tu es dozo, tu peux avoir ton arme, la porter. Les gendarmes ne t’emmerdent pas. Donc nous sommes devenus nous également des dozo ». C’est pourquoi, il est dans l’intérêt des Dozo eux-mêmes que l’Etat mette un peu en veilleuse leur activité dans cette région où il y a aujourd’hui beaucoup de confusion.

(…)

Interview réalisée par Benoit Hili (Source : Le Nouveau Réveil 24 juillet 2012)


EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenances diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens et que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la «crise ivoirienne ».

samedi 21 juillet 2012

« La réconciliation doit se faire sur le problème de la souveraineté de notre pays »

Une interview de Marthe Ago, secrétaire générale par intérim du Congrès national de la résistance pour la démocratie (Cnrd).

Marthe Ago, secrétaire générale du CNRD

Depuis la réorganisation du Cnrd qui a fait de vous la secrétaire générale par intérim, on ne vous a pas beaucoup entendue. Que faites-vous ?

J’ai d’abord essayé de faire l’état des lieux du Cnrd. Je devais le faire parce que je dirige l’organe exécutif. C’est pour cela que vous ne m’entendiez pas. Il a fallu que je fasse des réunions, que je prépare mon programme d’actions. Je me suis rendu compte que la vision n’était pas très claire. Il a fallu qu’au sein de la direction, nous nous accordions sur la vision du Cnrd, que nous harmonisions les textes. Ensuite, nous avons tenu un congrès ordinaire le 7 avril pour présenter cette vision et le plan d’actions de l’organisation. Cette rencontre a demandé que nous rencontrions individuellement chaque parti membre du Cnrd parce qu’il y avait des sons de cloches discordants. Il fallait amener chacun des trente-neuf regroupements à réaffirmer son engagement. Ce travail a été fait. Le bureau a été remanié. Bientôt vous verrez nos actions sur le terrain.

Plusieurs organisations membres du Cnrd ont créé d’autres coalitions. Considérez-vous cela comme un dysfonctionnement ?
On peut appartenir en même temps au Cnrd et à un autre mouvement à condition de ne pas poser des actes qui vont à l’encontre des engagements qui ont été pris à la signature de la charte du Cnrd. Tant qu’il (le parti politique, ndlr) ne pose pas des actions qui prennent le contre-pied du combat du Cnrd, nous n’avons pas de problème.

Certains ont expliqué ces changements opérés à la tête du Cnrd par la nécessité d’avoir un mouvement plus souple, plus enclin au dialogue avec le pouvoir. Qu’en dites-vous ?
Non, cela vient de la confusion qui est faite en assimilant le Cnrd à certains partis politiques qui sont en son sein. J’ai regardé les archives et j’ai constaté que le Cnrd a été la première organisation à écrire au pouvoir, à deux reprises, après le 11 avril 2011, pour demander un cadre de dialogue. Mais le pouvoir, en répondant, a appelé plutôt le Front populaire ivoirien, ndlr (Fpi). Le Fpi gêné, puisqu’étant membre du Cnrd et n’ayant pas écrit au pouvoir, a amené le Cnrd avec lui. C’est pourquoi on avait parlé de dialogue du pouvoir avec le Fpi-Cnrd. Cela a créé justement des problèmes au sein du Congrès parce que certains partis ont trouvé que le Fpi se positionnait en vedette.

Comment jugez-vous le dialogue entre le pouvoir et le Cnrd ?
Ça va maintenant. Le pouvoir commence à écrire au Cnrd. Par exemple, pour aller à Grand-Bassam, il a invité le Fpi et aussi le Cnrd de même que des membres du Congrès qui appartiennent à d’autres plates-formes.

Pourtant le Fpi demande un cadre de dialogue spécifique entre le pouvoir et lui. Comment a-t-il pu accepter de discuter en même temps que le Cnrd ?
C’est justement tous ces problèmes que nous avons décidé de régler en interne. Dans une interview accordée à votre confrère Notre Voie, j’avais annoncé que le Cnrd décide d’adopter le principe de régler ses problèmes en interne. Donc si l’un des membres déporte les contentieux à l’égard des autres membres à l’extérieur, il porte atteinte à l’un des principes qui est la solidarité. Si on estime qu’un membre a un comportement qui n’est pas bon, c’est à l’intérieur du groupe qu’on doit le dénoncer. J’ai fait cette mise au point. Nous n’allons plus tolérer cela. Le principe de l’unicité d’actions, de la concertation, de la solidarité doit être de mise.

Le Fpi ne viole-t-il pas ce principe de solidarité en demandant un tête-à-tête avec le pouvoir ?
Dans la charte du Cnrd, chaque organisation demeure autonome. Les partis peuvent mener leurs activités. Ce que nous dénonçons, c’est lorsque certains font autre chose alors qu’il y a une action concertée. Le Fpi n’a jamais posé d’acte de dissidence, pourtant il fait l’objet de jalousie. Ce comportement n’est pas heureux.

Le 13 août prochain se tiendra l’audience de confirmation de charges contre Laurent Gbagbo. Dans quel état d’esprit êtes-vous ?
Ce n’est pas un problème d’état d’esprit. Nous avons un combat à mener : celui de la dignité de l’Homme noir et celle de l’humain en général. C’est ce qui amène à se battre pour la démocratie. Au Cnrd, on trouve inadmissible qu’une organisation internationale décide de venir bombarder le palais d’un pays pour en extraire le président et aller l’emprisonner pour le juger. Nous trouvons cela inadmissible.

Vous trouvez admissible que cette même personnalité ait demandé à l’armée de tirer sur sa population ?
Qui dit que ce chef-là a tiré sur la population civile ? On fait comme si on dormait tous ou qu’on était dans un rêve. Il y a un Etat constitué en Côte d’Ivoire. Qui a tiré en premier sur qui ? (elle marque un temps d’arrêt)

Je vous laisse répondre…
Il y a eu une rébellion ici. Les rebelles, c’est quoi ? Ce sont des hors-la-loi qui se dressent contre les règles en place. Dans notre Constitution, le peuple de Côte d’Ivoire dit que la sécurité est garantie par les forces de l’ordre. Elles ont l’exclusivité de la sécurité. Quand vous dites qu’un chef d’Etat fait tirer sur la population civile, qu’est-ce que vous appelez population civile ? Quand le Cecos prend un voleur et qu’il tire sur lui, est-ce pour cela qu’on doit punir le chef de l’Etat ? Doit-on le punir parce qu’il est responsable du Cecos ?

Comment expliquez-vous que des militaires tirent à l’arme lourde sur des femmes qui manifestent et qu’ils larguent des obus dans les marchés parce qu’ils estiment que tous ceux qui sont dans ce quartier sont des hors-la-loi ?
Le président Gbagbo a dit cela quand ? Dans quel discours officiel ?

Vous étiez en Côte d’Ivoire. Vous n’êtes pas sans savoir que les populations d’Abobo étaient régulièrement victimes d’agressions de la part de l’armée, sous Laurent Gbagbo ?
Elles étaient plutôt victimes de fréquentes agressions du commando invisible. Moi, j’ai vu mes parents d’Anonkoi-Kouté brûlés vifs. J’ai tellement pleuré que tout mon visage était endolori. Je sais qu’il se passait beaucoup de choses à Abobo. Je sais que nos policiers qui allaient mettre de l’ordre dans cette commune avaient beaucoup de mal parce que ce n’est pas cela qu’on leur a appris. D’habitude, ils s’occupent du maintien d’ordre. Or, ils avaient affaire à des gens invisibles qui les attaquaient et attaquaient d’autres citoyens. Nos forces de l’ordre ont été mises à rude épreuve. Des policiers ont été brûlés vifs. Au contraire, je tire mon chapeau à l’armée de Côte d’Ivoire qui n’a pas déraillé. Peut-être qu’il y a eu quelques bavures : je n’en sais rien. Des enquêtes doivent être menées. Mais il faut savoir qu’elle était en mission et que dans ce contexte, elle bénéficie d’une immunité. Ce que nous trouvons inconcevable, c’est ce que celui qui a attaqué, qui a commis des crimes graves, c’est lui qui, aujourd’hui, joue les justiciers. C’est ce qui est inadmissible. Et, c’est celui qui se défendait, dont la défense n’a peut-être pas été proportionnelle, parce que la défense n’est admise en droit pénal que lorsqu’elle est proportionnelle à l’attaque, c’est lui qui est arrêté. Et on dit qu’on va voir pour eux après.

Malgré tout ce qui s’est passé, un an après, on a l’impression que le Fpi ne se reproche rien du tout. Quelle chance pour la réconciliation dans ce contexte ?
Ce n’est pas que les discours restent les mêmes. Il y a des faits. Sans la vérité, on ne pourra arriver à rien. Nous sommes tous en Côte d’Ivoire. Les faits sont là. La décision du Conseil constitutionnel est là. Nous voulons qu’on revive tous ensemble. Il n’y a pas d’animosité. Je rends grâce à Dieu, je n’ai aucun ressentiment contre aucun de mes frères. Mais j’ai le devoir de vérité pour que demain cela ne se produise plus. M. Gbagbo ne pouvait pas accepter que des gens à l’extérieur lui demandent de quitter son fauteuil.

La réconciliation n’est donc pas utopique ?
La réconciliation est obligatoire. Aucune nation, aucune communauté humaine ne peut survivre sans réconciliation. Elle reste indispensable. Mais on ne peut pas se réconcilier sans vérité. On ne peut pas faire de réconciliation si on ne s’assoit pas pour reprendre les faits passés, dire qui a tort et qui a raison et arrêter les solutions pour ne plus connaître cela dans le futur. J’estime que la réconciliation doit se faire sur le problème de la souveraineté de notre pays.

Réalisée par Bamba K. Inza - Nord Sud 21 juillet 2012
(source : Ivoirian.net)


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jeudi 12 juillet 2012

La CDVR impuissante face aux obstacles

C. Konan Banny, comme une ombre portée de son maître
13 juillet 2011-13 juillet 2012. Voici un an que le président de la République Alassane Ouattara signait l’ordonnance n° 2011-167 du 13 juillet 2011 portant création, attributions, organisation et fonctionnement de la Commission dialogue, vérité et réconciliation. Une année après, regards sur les avancées du projet et les obstacles à sa réalisation.

La réconciliation constitue le passage obligé pour recoller le tissu social mis en lambeaux par la grave crise postélectorale, dont le bilan officiel fait état de plus de 3000 morts, des milliers de disparus, de nombreuses infrastructures détruites et plusieurs centaines de milliers de populations déplacées ou sans abri. C’est pourquoi, dès sa prise de fonction officielle, le président Alassane Ouattara n’a pas hésité à créer cette Commission dialogue, vérité et réconciliation (CDVR). Nommé à la tête de cette nouvelle institution le 13 mai 2011, l’ancien Premier ministre Charles Konan Banny avait la lourde tâche, selon ses attributions, de briser les barrières politiques, ethniques et religieuses, afin de rapprocher les positions tranchées et engager le dialogue qui recréerait la confiance entre les Ivoiriens et aboutirait à une réconciliation vraie. Après un an d’exercice, peut-on dire que cet objectif a été atteint, du moins en partie ? Difficile de répondre. Quoi qu’il en soit, les Ivoiriens semblent observer le statut quo quant au processus de réconciliation. La CDVR est diversement jugée, à l’heure de ce bilan à mi-parcours. Tandis que certains Ivoiriens estiment qu’il faut accorder du temps à cette commission pour creuser l’abcès, afin d’établir les vraies bases de réconciliation, d’autres par contre font l’amer constat que le bilan de la CDVR durant cette première année est simplement négatif. La Commission avait la noble ambition de relever ce défi combien important pour la renaissance de la nation ivoirienne. Ce défi, faut-il le rappeler, se déclinait en quatre grands points, selon la vision de la CDVR. A savoir, procéder à une recension précise des faits qui gangrènent la société ivoirienne depuis de nombreuses années, œuvrer à faire éclater la vérité, nécessaire à l'amélioration des pratiques en matière de respect des droits humains, s’atteler à promouvoir l'entente et la réconciliation nationale véritable, encourager par son action l’avènement d’une société démocratique, dans laquelle la violence et l’impunité sont exclues. Mais, disons-le tout net, et avec nous bien des observateurs du marigot politique ivoirien, la CDVR n’a pas répondu aux attentes des Ivoiriens. Elle était absente là où le peuple l’attendait. Par euphémisme, l’on peut dire que le train de la réconciliation conduit par Charles Konan Banny n’a pas encore quitté la gare. En la forme, aucune action concrète à mettre à l’actif de la CDVR n’a été enregistrée par les Ivoiriens. On a eu l’impression, à certains moments, que d’autres acteurs de la vie politique ivoirienne ont volé la vedette au président Banny sur cette épineuse question.

A côté de la plaque
Les attributions de la Commission dialogue, vérité et réconciliation étaient clairement définies dans l’ordonnance qui l’a instituée au titre des attributions : « La CDVR a pour mission d’œuvrer, en toute indépendance, à la réconciliation et au renforcement de la cohésion sociale entre toutes les communautés vivant en Côte d’Ivoire. A ce titre, elle est chargée : d’élaborer une typologie appropriée des violations des droits de l’Homme susceptibles d’être l’objet de ses délibérations ; de rechercher la vérité et situer les responsabilités sur les événements sociopolitiques nationaux, passés et récents ; d’entendre les victimes, obtenir la reconnaissance des faits par les auteurs des violations incriminées et le pardon consécutif ; de proposer les moyens de toute nature susceptibles de contribuer à guérir les traumatismes subis par les victimes; d’identifier et faire des propositions pour la réalisation des actions de nature à renforcer la cohésion sociale et l’unité nationale ; d’identifier et faire des propositions visant à lutter contre l’injustice, les inégalités de toute nature, le tribalisme, le népotisme, l’exclusion, ainsi que la haine, sous toutes leurs formes ; d’éduquer à la paix, au dialogue et à la coexistence pacifique… ». Ainsi se présente en substance les attributions de la CDVR. Mais, le constat est patent. La commission n’a pu plancher définitivement sur l’une partie de ces attributions et rien ne rassure qu’elle réussira l’exploit d’accomplir cette mission. En jetant un regard sur ces attributions, on ne peut s’empêcher de se demander quelles étapes le président Banny et son équipe ont pu franchir. La typologie appropriée des violations des droits de l’Homme susceptibles d’être l’objet de ses délibérations a-t-elle été élaborée ? Les victimes ont-elles été entendues ? Autant de questions dont les réponses ont été englouties dans le flot des faiblesses affichées par la CDVR.

Que de faiblesses relevées
A l’analyse, on traîne les pas au niveau de la CDVR pour la simple raison qu’une trajectoire claire et précise n’a pas encore été donnée à la mission de la commission dirigée par Charles Konan Banny. Les Ivoiriens dans leur entière majorité ignorent le schéma de la CDVR pour réconcilier ce peuple meurtri par une décennie de crise. La Commission dialogue, vérité et réconciliation semble être très loin des réalités des acteurs de cette réconciliation. Pire, le fossé entre les actions du gouvernement en faveur de la réconciliation et celles de la Commission se creuse au fil des jours. A preuve, le dialogue républicain entamé par le gouvernement avec l’opposition a mis à la touche la CDVR. Cette commission est en panne sèche de stratégie, alors que ce ne sont pas les ressources humaines qui manquent. Les actions d’éclat ont pris le pas sur les œuvres concrètes. La Commission donne l’impression de tourner en rond sans répondre aux attentes des Ivoiriens. Le mandat de la CDVR était de deux ans. Mais, au terme de cette première année, les objectifs ne sont pas encore atteints, du moins ils ne sont même pas en voie d’être atteints. Ce gros chantier qui n’a pas connu un début de défrichage pourra-t-il être labouré ? C’est la grande interrogation qui se dégage à l’occasion du bilan à mi-parcours. Le président Banny et ses collaborateurs arriveront-ils à produire le miracle, puisque c’est de cela qu’il s’agit, durant les quelques mois qui leur restent passer à la tête de la Commission dialogue, vérité et réconciliation ? Il ne faut pas se voiler la face, la mission devient de plus en plus difficile, puisqu’elle a pris du plomb dans l’aile. D’ailleurs, les acteurs politiques et l’Ivoirien lambda n’espèrent plus rien de cette commission de réconciliation. A en juger par les réactions recueillies auprès des uns et des autres. La question qui demeure cependant est de savoir si le gouvernement va proroger le mandat de Charles Konan Banny à la tête de la Commission dialogue, vérité et réconciliation. Le président de la CDVR n’a pas manqué de préciser que deux années sont insuffisantes pour abattre cette énorme œuvre de réconciliation.
Jérôme N’dri - Le Mandat 12 juillet 2012  
(Source : abidjan.net)

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dimanche 8 juillet 2012

DE LA QUESTION COLONIALE à LA CRISE IDENTITAIRE

lettre au président François Hollande


Monsieur le Président, les cinq prochaines années de votre mandat seront l’occasion de traiter une pathologie qui n’en finit pas de miner les principes universels de la société française, de freiner son dynamisme interne et de contrarier son rayonnement international. Plus que la crise économique, une crise identitaire affecte le devenir d’une société qui, depuis près d’un demi-siècle, n’est plus de substrat rural ni à vocation coloniale. Ce sont désormais des antagonismes exclusifs de type dedans-dehors qui structurent les rapports entre ville et banlieue, entre centre et périphérie, entre soi et non soi. Le constat clinique de cette psychopathologie identitaire est vite établi. Rappelons tout d’abord que l’identité a même été érigée en ministère. Depuis trop d’années, la politique, l’intelligentsia et les grands médias français manifestent ce trouble obsessionnel consistant à essentialiser l’origine et la religion de certains des citoyens de la République. Au niveau de la citoyenneté ordinaire, beaucoup ne comprennent pas pourquoi leurs rues sont animées de concitoyens dont la couleur de la peau, la texture, la coiffure, le vêtement, l’accent, l’odeur, le bruit dérangent et dérogent à leur vision idéalisée de la francité.
La crainte incessante d’une immigration galopante et débordante, la hantise de la religion islamique et de sa visibilité, le rejet panique face à toute demande de reconnaissance des maux causés par le colonialisme et l’esclavage, tout cela fonde une véritable pathologie identitaire. Comment donc dépasser des rapports inconciliables entre un « nous » mythifié et des «autres», différés pas plus loin que l’autre versant du boulevard périphérique ? Où, précisément, opérer la suture mentale des diverses facettes de la francité contemporaine ? Comment faire admettre la normalité, les potentialités d’un « nous autres Français » ? Entreprendre un processus de guérison du dysfonctionnement identitaire passe d’abord par un geste de reconnaissance de la question coloniale pour ses aspects refoulés, relatifs, en premier lieu, à l’histoire de l’Algérie française. Un déni d’histoire persiste et insiste dans la culture française contemporaine.
Pour conjurer le mal-être français face à l’étrangéité d’une partie de sa propre population, le temps est venu de faire remonter en surface un certain nombre d’impensés sur le passé antérieur. Nous évoquons un temps où, pour paraphraser Péguy, la surface de la Terre où la langue française était parlée se mesurait aux canons et aux mitraillettes.

A l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie – le 5 juillet 1962 –, il est en votre pouvoir, monsieur le Président, d’adresser au peuple algérien un message de fraternité pour les malheurs qu’il a endurés, tout en assumant la responsabilité historique de la France. Si elle est restée cent trente deux ans en Algérie, c’est qu’il y eut identification complète : « L’Algérie, c’est la France ». Ce geste de reconnaissance et d’excuse, que la France devra tôt ou tard accomplir vis-à-vis d’un peuple colonisé comme rarement dans l’histoire, a été attendu des décennies durant. Mais il manquait des hommes et des femmes d’Etat pour porter cette vérité au nom du peuple français et de ses idéaux universels. On ne peut pas rester indéfiniment otage d’un passé auquel on n’a pas participé et dont, pour l’essentiel, plus personne ou presque ne peut endosser le projet impérialiste : vous avez la légitimité, l’indépendance et, je crois aussi, le courage pour clamer cette parole de vérité.
Certes, l’administration coloniale de dizaines de peuples n’entraîna pas que ruines et désolation : une loi positive a d’ailleurs été approuvée en ce sens au Parlement français. Et ceux qui d’ailleurs s’engagèrent, y compris les armes à la main, contre le colonialisme, sont généralement de culture française, et ont fait la différence entre la France et sa politique coloniale. Aujourd’hui, la surface de la Terre où l’on parle français pourrait représenter un pôle géoculturel qui se mesure en termes de chantiers éducatifs, de réseaux universitaires, d’outils de savoir et de faisceaux d’entre-connaissance.
En tant que culture de la domination, le colonialisme fut un viol qui n’a laissé indemnes ni les colonisés ni les colonisateurs. Si l’Algérie a, elle aussi, opéré un refoulement de certains épisodes de sa guerre de libération, si elle a connu la dictature puis la guerre civile, cela montre que l’on ne sort pas facilement de plus d’un siècle de colonialisme, et qu’elle aussi, tôt ou tard, devra affronter ses propres démons du passé et du présent et mettre des mots pour traiter sa propre crise identitaire. Pour ce qui est de l’Etat français, tant qu’il n’aura pas clairement expliqué ce qui s’est passé durant des décennies et des siècles, condamné ce qui aujourd’hui relève de crimes de guerre et contre l’humanité, la discorde identitaire, le rejet et la discrimination trouveront un champ fertile dans le refoulement du passé. Ce que vous pouvez entreprendre par ce geste et l’expression de regrets, monsieur le Président, est une identification qui replace l’histoire du colonialisme, de ses manifestations et ses conséquences contemporaines dans une destinée commune. Ceci permettrait d’expliquer, justement, pourquoi un Corse, un Kabyle, un Martiniquais, un Basque, un Sahélien, un Alsacien se retrouvent à partager un devenir commun au sein de l’espace national. Reconnaissez, monsieur le Président, au nom de toutes les victimes – civils algériens, pieds-noirs, harkis, soldats français – l’expropriation et la déportation, Sétif et Guelma, l’usage du napalm et de la torture. Que votre présidence soit aussi l’occasion d’ouvrir vos universités et vos laboratoires à tous ces jeunes qui, issus de cette histoire occultée, cherchent – dans le passé ou la religion – comment produire du savoir et du sens. Ce faisant, vous encouragerez et inséminerez l’esprit critique français pour repenser des questions aussi majeures que l’égalité et la diversité des individus, le pluralisme culturel, le rôle et le devenir du fait religieux dans une mondialisation qui produit à la fois standardisation et différenciation.
En vous adressant au peuple algérien au nom du peuple français, vous vous adresserez à tous les autres peuples ayant subi le colonialisme, et avant cela la déportation et l’esclavage. Cette démarche solennelle, symbolique, est une manière de poser un regard lucide et calme sur le passé et de prendre soin de l’avenir. Pour en finir aussi avec le culte idolâtre de l’identité.

Réda Benkirane, Sociologue, chercheur associé au centre Jacques Berque (Rabat), in Libération 05 juillet 2012.
Source : CIVOX. NET 07 Juillet 2012
 
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jeudi 5 juillet 2012

INTERVIEW de MARCEL AMONDJI

civox.net - Marcel Amondji, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
M.A. - Je suis un écrivain ivoirien vivant depuis très longtemps hors du pays pour … je dirais pour des raisons diverses. Parce que, d’abord, j’ai quitté la Côte d’Ivoire tout au début de l’adolescence pour entrer au lycée en France. Je suis l’un de ceux qu’on appelle d’un nom que je n’aime pas beaucoup : « les chevaliers de L’Aventure ». Parce que le bateau dans lequel nous sommes partis de Port-Bouët, une frégate de la marine de guerre française, s’appelait « L’Aventure ». Ça ne fait pas de nous pour autant des chevaliers, des aristocrates… Ensuite, en 1961, j’ai été l’un des étudiants livrés à Houphouët par les autorités françaises de l’époque. J’ai évoqué récemment cet épisode dans mon blog sous le titre « Bamako 8 juillet 1961, souvenirs d’un premier jour d’exil ». Après cela, j’ai rejoint l’Algérie indépendante fin 1962, pays où je devais passer plus de 20 ans avant de revenir m’installer en France, le pays de mon épouse, vers le milieu des années 1980, après avoir demandé et obtenu l’annulation de mon arrêté d’expulsion. Depuis la mort d’Houphouët, je suis retourné quelques fois au pays, mais j’avoue que je ne le connais pas vraiment ; je veux dire, sa géographie, en dehors de ma région natale, région d’origine de ma famille, autour de Bingerville et Abidjan.

civox.net - Vous êtes membre du Cercle Victor Biaka Boda. En êtes-vous le fondateur, qui en sont les membres et quel sont ses objectifs ? Par ailleurs quelles étaient vos relations avec feu Victor Biaka Boda ?
M.A. - Oui, je suis le fondateur du Cercle. A mon grand regret, je crois qu’à part moi, il n’y a qu’un seul autre membre, dont je sais le nom, mais absolument rien d’autre. Non, je n’ai pas connu le sénateur Biaka Boda ; mais cela fait plus de soixante ans que je vis, si j’ose dire, dans l’intimité de son fantôme. Pour moi, c’est l’antithèse d’Houphouët. C’est le vrai fondateur de la Côte d’Ivoire telle que je souhaite qu’elle se reconnaisse un jour. Autant, pour moi, Houphouët est un exemple négatif, autant je tiens Victor Biaka Boda pour le héros positif dont tous les patriotes ivoiriens devraient s’inspirer. Il y a peu d’écrits sur ce héros. Dans «Les pionniers de l’indépendance », Claude Gérard lui consacre une petite dizaine de pages saisissantes. Il y a aussi le livre de son parent Devalois Biaka : « La disparition du patriote Victor Biaka-Boda. Plaidoyer pour libérer sa dépouille mortelle ». Ces temps-ci, on nous vante beaucoup de livres ou tout à fait inutiles, ou carrément pervers. Ces deux livres-ci sont indispensables, vraiment ! Permettez-moi d’exprimer un très vieux rêve : je souhaite qu’un de nos étudiants en histoire consacre sa thèse de doctorat à la vie de cet homme exceptionnel dont le meurtre fut l’un des coups les plus terribles que le colonialisme aux abois, s’appuyant sur la trahison domestique, asséna à notre peuple.

civox.net - Dans le cadre de cette interview, nous aborderons des questions d’ordre historique et d’actualité. D’un point de vue historique, à la lumière de la situation sociopolitique de la Côte d’Ivoire au cours de cette décennie, dans laquelle la France a joué un rôle majeur, pensez-vous que l’indépendance proclamée le 7 août 1960 est une réalité ?
M.A. - Ma réponse est non, évidemment. C’est la même depuis le 3 juin 1960, jour de la fameuse déclaration d’Houphouët « sur le parvis de l’église » avec ses « fleurs fanées ». Depuis lors, chaque jour, j’en ai été toujours plus convaincu. Aujourd’hui, il y a peu d’Ivoiriens sincères qui répondraient « oui » à votre question. Même parmi les vainqueurs par procuration du 11 avril 2011.  Car ils savent bien que c’est parce la Côte d’Ivoire n’est pas un vrai pays indépendant et souverain qu’ils sont en train de s’y pavaner à des titres divers… La posture actuelle de Bédié est un formidable indice de cette emprise coloniale persistante. Comparez le Bédié d’aujourd’hui, l’homme qui balaie le chemin devant Ouattara, avec le chef d’Etat plein d’orgueil qui proclamait à la face du monde, le 22 décembre 1999 : « Nos aînés n’ont pas lutté pour l’indépendance pour que nous acceptions aujourd’hui de nouvelles soumissions. La nationalité, la citoyenneté, la démocratie et la souveraineté nationale sont les quatre côtés d’un carré magique qu’il nous faut défendre avec calme et détermination devant ces ingérences inacceptables. C’est aux Ivoiriens de décider par eux-mêmes, pour eux-mêmes, et de choisir librement l’un d’entre eux pour conduire le destin de la nation en refusant les aventures hasardeuses et l’imposture insupportable » (Fraternité matin 23 décembre 1999). Si l’homme qui parlait ainsi a complètement changé de langage, c’est qu’il a compris son erreur. Le 22 décembre 1999, il se prenait pour le dirigeant d’un pays souverain ; il tapait du poing sur le pupitre. Le 24 décembre lui fit comprendre qu’il avait été imprudent ; il n’a pas oublié la leçon.

civox.net - Houphouët a, pour ses partisans et épigones, acquis le statut de père de l’indépendance de la Côte d’Ivoire. Mais pour ses opposants ce statut n’est rien d’autre qu’une falsification de l’histoire. Pour ces derniers, Houphouët était opposé à l’indépendance. Alors, selon vous, qui dit vrai dans ce débat ?
M.A. - Je vais vous raconter une anecdote. C’était à Alger, chez Amadou Kourouma où j’avais ramené le docteur Amadou Koné depuis Tizi Ouzou où il exerçait à l’époque. C’est Kourouma qui raconte : le jour où Houphouët fit sa conférence de presse pour présenter la soi-disant « confession d’Ernest Boka », il se trouvait à la résidence du président Mamadou Coulibaly – Coulibaly avec un « C » ; ne pas confondre ! – quand celui-ci, qui revenait d’assister à cette conférence de presse, s’est affalé dans un fauteuil en disant : « C’est le mensonge en personne qui est assis dans le fauteuil de président de la République ». Père de l’indépendance ? Mais Houphouët n’a jamais voulu que ce pays soit indépendant, et il fit tout ce qu’il put pour qu’il ne le soit pas tant que lui vivrait. Père de la nation ? Mais pour Houphouët il n’y avait pas de nation ivoirienne. C’est-à-dire que lui, président de la République de Côte d’Ivoire, ne se reconnaissait pas d’obligation aucune vis-à-vis de l’entité d’où procédaient ses pouvoirs, la communauté des citoyens ivoiriens, autrement dit la nation ivoirienne… Le président Mamadou Coulibaly avait bien raison de le dire : Houphouët est bien le plus gros mensonge de notre histoire nationale.

civox.net - Vous avez vécu la grande partie de votre vie en exil en France, ce qui suppose que vous étiez opposé au système politique régnant en Côte d’Ivoire sous Houphouët-Boigny. Pourquoi étiez-vous opposé à Houphouët-Boigny ?
M.A. - C’est une histoire qui commence en 1959 pendant les dernières vacances que j’ai passées au pays en tant qu’étudiant. Cette année-là j’ai vu et compris beaucoup de choses. Avec deux autres camarades, nous avons été arrêtés et assignés à résidence à la suite d’une audience houleuse du Premier ministre Houphouët. C’est aussi l’année du faux « complot du chat noir » et de la première chute de Jean-Baptiste Mockey ; j’étais à Abidjan quand c’est arrivé. Et aussi quand le syndicaliste Blaise Yao Ngo fut enlevé nuitamment chez lui pour être jeté derrière la frontière ivoiro-guinéenne. Revenu en France, j’ai été élu président de l’Union générale des étudiants de Côte d’Ivoire, l’UGECI, au congrès de décembre 1959. Ainsi je devais être le dernier président de l’UGECI de l’époque coloniale, et le premier après l’indépendance. C’est pendant l’année de mon mandat que les choses se sont vraiment gâtées entre l’Union et Houphouët. Ce soi-disant « homme de dialogue » n’aimait pas qu’on lui tienne tête…

civox.net - Pourquoi avez-vous choisi l’exil que de rester en Côte d’Ivoire pour mener votre opposition politique contre l’ancien régime ?
Quand j’ai choisi l’exil, comme vous dites, je n’étais pas au pays, mais à Bamako où l’avion qui nous transportait vers Abidjan après notre expulsion de France – nous étions trois – avait fait escale pour permettre à son unique passager voltaïque d’y prendre sa correspondance. Nous en avions profité pour demander l’asile politique aux autorités maliennes. Soit dit en passant, nous avions été arrêtés et embarqués de force à destination d’Abidjan alors qu’Houphouët était en voyage officiel à Paris ! Ça ne vous rappelle rien ? Lomé 2012 ; Lida Kouassi… Je savais ce qui nous attendait à Abidjan. Après tout ce que j’y avais vu et entendu pendant les vacances de 1959, je n’ai pas voulu me laisser humilier aussi gratuitement par Houphouët et ceux qui le manipulaient.

civox.net - Selon ce qui se raconte, Houphouët étaient le dictateur qui avait l’art de liquider ses opposants politiques. A ce sujet le professeur Samba Diarra a écrit un livre intitulé Les faux complot d’Houphouët. Partagez-vous cet avis ?
M.A. - Samba Diarra, un aîné que j’estimais, même si je n’approuvais pas son positionnement politique dans la dernière période, a écrit son livre depuis l’antre du monstre ; c’était l’un des martyrs d’Assabou. C’est le contraire de moi. Son livre est un bon livre. Il n’en existe point d’autre qui soit aussi précieux, aussi utile à ceux qui voudraient connaître ce qui s’est passé en 1963 et 1964. Mais, quant à savoir si Houphouët était ce que vous dites, je dirais que les choses sont plus complexes et que cette caractérisation-là est, à la limite, une injustice à son égard… C’est un point sur lequel Samba et moi étions en total désaccord. Nous en avons d’ailleurs discuté un jour à Anono. Moi, je critique Houphouët publiquement depuis 1958, mais je me refuse à le charger de manière exclusive des péchés qu’on lui a fait commettre. Dans son livre, S. Diarra rapporte qu’avant de faire jeter Germain Coffi Gadeau en prison en septembre 1963, Houphouët lui aurait dit ceci : « Je m’apprêtais à libérer ces jeunes gens [les victimes des rafles de janvier 1963] à mon retour d’Addis-Abeba, comme je l’avais promis. Tu sais en effet qu’ils n’ont rien fait. Mais voilà que par vos bêtises, vous vous trouvez au fond du puits, et moi j’ai le dos au mur. (…). C’est une situation créée par les colonialistes. On veut faire de moi un violent, un criminel, un fossoyeur des libertés, moi qui ai consacré toute ma vie à défendre la liberté des peuples, à prôner et à pratiquer la non-violence, moi qui ai juré de ne jamais verser le sang humain. Il ne sera point question d’exécuter qui que ce soit. Je trouverai une solution politique. J’ai déclaré au monde entier qu’il y a complot. Il ne saurait être question de me dédire et espérer demeurer à mon poste (…) »Les faux complots d’Houphouët-Boigny », Karthala, Paris 1997 ; p. 174). Vous voyez ? Si, nous les Ivoiriens, nous sommes tous des victimes du colonialisme français, Houphouët aussi en était une, et il était plus exposé qu’aucun autre d’entre nous… Ce n’est pas un dictateur qui nous a fait tout ce mal, mais un fantoche terrorisé par Foccart et ses tueurs du petit matin. Vous êtes trop jeune pour avoir vécu cela. Mais les premières rafles de 1963 ont été déclenchées le 13 janvier, soit le lendemain du meurtre de Sylvanus Olympio, le président du Togo. C’est pour ne pas subir le même sort qu’Houphouët livra d’un coup en sacrifice toute l’intelligentsia ivoirienne de l’époque au monstre qui le terrorisait. Ce n’est pas moins ignoble que s’il s’était agi d’un vrai dictateur agissant pour son propre compte. Mais, moi, quand on me frappe avec un bâton, ce n’est pas contre le bâton que je proteste, mais contre celui qui tient le bâton.

civox.net - Et pourtant l’houphouétisme est présenté comme une religion politique, caractérisée essentiellement par la paix, le dialogue et la démocratie. Dans cette perspective, et en se référant aux faux complots dont il est question, peut-on dire que l’houphouétisme relève de la cosmétique politique visant à maquiller la face hideuse de la politique d’Houphouët ?
M.A. - Si on peut parler d’houphouétisme, ce n’est certainement pas d’une doctrine, d’une philosophie politique. D’ailleurs Houphouët disait qu’il se méfiait de tous les « ismes ». Et il se vantait de n’avoir rien écrit, à l’instar de Jésus et de Mahomet… Prenez au hasard deux de ces types qui se proclament houphouétistes et demandez leur ce qu’ils ont en commun. S’ils sont sincères et honnêtes, ils diront que c’est la peur d’être mal vus des Français qui tiennent tout dans ce pays. L’houphouétisme dont ils se targuent, ce n’est qu’un drapeau blanc qu’ils agitent pour signaler aux Français qu’ils sont prêts à les servir…

civox.net - Dans le déroulement de la crise survenue en Côte d’Ivoire au lendemain du 19 septembre 2002, était-il possible d’imaginer, mieux, de prévoir ce qui est arrivé le 11 avril 2011 ?
M.A. - C’est une question difficile. Pour plusieurs raisons. Une réponse sérieuse exigerait beaucoup de temps. Disons, cependant, que s’il n’y a pas de fatalité en histoire, il y a une dynamique propre à chaque série d’événements qui surviennent dans un pays, une société politique ; une logique interne ou, si vous voulez, une dialectique. Dans un pays comme le nôtre, qui a été gouverné jusqu’à 1993 et plus, comme le pays de tout le monde exceptés ses habitants naturels, ceux qui sont arrivés aux affaires en octobre 2000 ont, pour dire le moins, manqué d’un certain courage, qui est, en politique, l’autre nom de l’intelligence… Avec du courage, on aurait pu se préparer méthodiquement à toutes les surprises que nous avons eues. Je veux dire qu’on aurait pu faire en sorte que ce ne soit pas des surprises… Mais je ne veux surtout pas dire qu’on aurait pu éviter le coup du 11 avril 2011 ; car le colonialisme français est incorrigible ; il ne renonce à mordre que lorsqu’il s’est cassé les dents sur une résistance décidée, comme à Vertières, comme à Dien Bien Phu, comme en Algérie ! Non, je veux seulement dire qu’on aurait pu faire en sorte que le 11 avril 2011 ne soit pas cette catastrophe absolue, qui nous a laissés non seulement sans gouvernail, mais aussi sans boussole.

civox.net - Selon vous, pourquoi Gbagbo a-t-il perdu la guerre de mars-avril 2011 ? La défaite résulte-t-elle d’une méconnaissance de l’ennemi réel, d’une mauvaise stratégie ou simplement d’une faiblesse effective de l’armée loyaliste face à la coalition Licorne-Onuci-rebelles ?
M.A. - Déjà votre question contient en elle-même deux réponses que je ferais volontiers miennes. Laissons de côté l’erreur stratégique ; je ne suis pas, comme Lida Kouassi, un spécialiste de la stratégie et je ne sais donc pas ce que ç’aurait pu être. Je retiendrais la méconnaissance de l’ennemi véritable et, non pas la faiblesse, mais l’inexistence d’une armée digne de ce nom. Car telle qu’elle était déjà du temps d’Houphouët ou de Bédié, et encore plus telle que Guéi l’a laissée, ce que nous appelions notre armée était en fait notre plus gros handicap. Laurent Gbagbo aurait-il pu changer cela ? Peut-être, s’il en avait eu le temps. Mais on ne lui a laissé le temps de rien faire de ce qu’il avait fait espérer…

civox.net - Pensez-vous que la Côte d’Ivoire pourra un jour se libérer des puissances impérialistes et néocoloniales pour vivre une réelle indépendance et manifester une réelle souveraineté ? Si oui à quelles conditions ?
M.A. - Oui, je le pense… Je crois qu’un jour viendra où la majorité de ceux qui vivent et travaillent dans ce pays appelé la Côte d’Ivoire déciderons de le gouverner par et pour eux-mêmes. Je vais peut-être vous étonner. En ce moment on parle de rattrapage ;  des régions entières sont envahies par des populations descendues du Sahel. Supposons qu’elles y fassent souche, et qu’elles surpassent en nombre les anciens naturels. Eh ! bien, le jour viendra où les enfants et les petits-enfants de ces envahisseurs, de ces nouveaux Germains, Goths, Wisigoths, Huns, Tatares, Sarrasins, Lombards, Normands, Ottomans, etc., se lèveront pour ôter les rênes de ce pays des mains de ceux qui les tiennent depuis 1893… J’en ai la certitude absolue. Evidemment je ne serai plus là pour m’en réjouir. Mais au moins, je le dis sans fausse modestie, je mourrai avec la satisfaction d’avoir, peut-être, par mes écrits, contribué à l’avènement de ce jour.

civox.net - Dans son intervention lors de la réunion du bureau politique du PDCI-RDA le 2 juin dernier, l’ancien président Bédié a dit que «l’histoire héroïque» du PDCI-RDA a été marquée par «ses combats contre le colonialisme» et «ses batailles pour la libération de l’homme noir». Etes-vous de cet avis ? Pensez-vous que l’homme noir est véritablement libéré de la domination occidentale ?
M.A. - J’ai écrit un livre qui traite un peu de la condition des Noirs telle qu’elle a résulté dans beaucoup de pays, non seulement en Afrique d’ailleurs, de l’histoire de l’esclavage moderne et de celle de la colonisation. C’est un sujet complexe. Il faudra encore beaucoup de temps, beaucoup de livres, avant qu’on n’en ait fait le tour. Quant au Pdci, ce qu’en disent les idolâtres d’Houphouët, eux-mêmes soumis comme lui aux colonialistes français, ce sont évidemment soit des mensonges, soit des âneries. Oui, c’est vrai qu’à l’origine le Pdci était un puissant mouvement anticolonialiste. Mais en 1950 son principal dirigeant a été retourné contre lui par le parti colonial français, et dès lors il s’est évertué à le détourner de sa vocation première. Ce ne fut pas facile ; il lui aura fallu plus de 14 ans – 1950-1963 – pour y arriver. Depuis 1963, le Pdci mouvement anticolonialiste n’existe plus ni dans sa base ni encore moins dans ses directions.

civox.net - Etes-vous d’avis avec le président du PDCI-RDA, M. Henri Konan Bédié qui, dans son message introductif de cette réunion, désigne le président Gbagbo, tout comme certains médias occidentaux, comme un dictateur devenu le bourreau des ivoiriens ?
M.A. - Ecoutez, je connais Bédié depuis 1958 et, depuis lors, je crois bien que je n’ai jamais été d’accord avec lui sur rien ni personne… Sur Laurent Gbagbo comme chef de parti ou comme chef d’Etat, j’ai ma propre opinion, qui ne doit rien à Bédié. Et qu’il serait trop long d’exposer dans le cadre de cet entretien… Alors je dis seulement que dans la bouche de Bédié, le fils spirituel d’Houphouët, qui fut paraît-il témoin du meurtre d’Ernest Boka, qui est aujourd’hui le complice de Ouattara et de ses Frci, les mots de « dictateur » et de « bourreau » appliqués à L. Gbagbo, sont presque des éloges… Car la fange que te lance un personnage indigne, c’est ce personnage lui-même, d’abord, qu’elle salit.

civox.net - Comment percevez-vous l’avenir de Laurent Gbagbo incarcéré à La Haye depuis le 29 novembre 2011 ?
M.A. - Je ne lis pas dans le marc de café ; je ne sais pas ce que lui réservent ceux qui l’ont arrêté et livré à la Cpi. Par conséquent je ne saurais me prononcer sur son avenir personnel. Mais, à La Haye, ils n’y ont pas envoyé que Gbagbo seul. Ils y ont aussi convoyé toute la ferveur de ceux qui ont voté pour lui lors de la présidentielle de 2010. Et aussi les âmes de tous nos jeunes, civils et militaires, garçons et filles, qui ont donné leur vie pour la patrie dont, à leurs yeux, Gbagbo était le symbole. Ce Gbagbo-là, élargi en somme à nous tous, les patriotes survivants et les patriotes morts au combat ou qu’on a massacré depuis le 11 avril 2011, je crois, à la lumière des résistances qui se dessinent, qu’on peut lui promettre un avenir des plus radieux.

civox.net - Quel jugement faites-vous de la gestion politique et économique de la Côte d’Ivoire par Gbagbo ?
M.A. - En somme, vous me demandez de faire le bilan de la présidence Gbagbo… Mais comment peut-on parler de bilan quand on sait qu’à partir du guet-apens de Kléber, Gbagbo n’avait plus aucune possibilité réelle d’agir de manière positive ? Je sais bien que certains, notamment dans les « journaux bleus » proches du Fpi, vantent les réalisations de Gbagbo… Mais c’est donner dans le piège tendu par l’ennemi. C’est croire qu’il était possible de faire une vraie politique nationale avec des gouvernements patchwork truffés de sous-marins de la trahison domestique et dirigés par des Premiers ministres imposés par l’étranger, totalement incontrôlables par un président préalablement désarmé et réduit à l’impuissance. Et, par conséquent, que si cela ne fut pas le cas, c’est la faute à Gbagbo. Cela s’appelle se soumettre au fait accompli. Je m’y refuse absolument. Gbagbo n’a été le chef de l’Etat ivoirien que durant quelques mois à peine. Juste le temps de faire la revue de tous les problèmes légués par Houphouët, que la sotte vanité de Bédié avait aggravés, et que la tragique incompétence de Robert Guéi avait définitivement transformés en une immense bombe à fragmentation. Et l’ennemi reprenait l’offensive dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002. Gbagbo, serait-il le plus grand génie politique de l’histoire, pouvait-il faire quoi que ce soit dans de telles conditions ?

civox.net - Le discours du président du PDCI-RDA ne manque pas de contradictions sur lesquelles nous voudrions avoir votre avis. Nous entendons un Bédié qui, d’une part, soutient que «le programme commun de gouvernement ne peut être une œuvre réservée à des groupements d’hommes et de femmes de même profil ethnique, confessionnel, régional ou politique » et qui, d’autre part, soutient que «Les cabinets des différents ministères devraient arborer les couleurs de notre alliance, le RHDP, et non celles d’un seul parti. Chaque structure, chaque entreprise, publique ou privée, doit être le creuset de la diversité et de la richesse de l’unité nationale ». Alors, la diversité et la richesse nationale se réduisent-elles au RHDP ?
M.A. - Dans les propos de Bédié il y a ce qui est purement déclaratoire, et qui n’est destiné qu’à calmer certaines impatiences le temps que s’accomplisse l’essentiel. Cet essentiel qui relève d’un plan déjà en cours d’exécution avec la création, avalisée après coup par le BP, de deux espèces de condottieri qui ne seront même pas tenus d’avoir la carte du parti, et qui n’auront de comptes à rendre qu’à Bédié seul ! La leçon essentielle de ce discours, c’est donc que Bédié a décidé de privatiser le Pdci, de se l’approprier, sans doute pour s’en servir comme d’une monnaie d’échange dans le cadre de son pacte personnel avec Ouattara et sa nébuleuse « communauté internationale ». Pour le reste, ce ne sont que des mots, de la poudre aux yeux. Cela ne fera pas longtemps illusion.

civox.net - Le Bureau politique du PDCI-RDA a eu à faire la déclaration suivante : « Le Bureau Politique se félicite du rôle éminent et indéniable de cette alliance (RHDP) dans notre combat pour vaincre l’ennemi commun et préserver l’héritage du père fondateur ». « L’héritage d’Houphouët »: une utopie ou une réalité?
M.A. - A propos d’héritage d’Houphouët, je vous renvoie à la confidence qu’un ancien chargé de mission au cabinet d’Houphouët a faite à Didier Dépry, journaliste de Notre Voie, à savoir que « durant tout le règne d’Houphouët, le véritable président de la République de Côte d’Ivoire s’appelait Jacques Foccart » ! Si cela est vrai – et je ne vois pas pourquoi l’informateur de D. Dépry lui aurait menti –, ce qu’ils appellent l’héritage d’Houphouët, c’est à la vérité l’héritage de Foccart. Il n’y a pas de quoi pavoiser.

civox.net - Dans l’un de vos derniers articles vous citiez Houphouët qui lui-même donnait la motion son choix pour Ouattara au poste de Premier ministre de la Côte d’Ivoire. Il disait en substance ceci : « Nous l’avons choisi en raison de la place qu’il occupe dans le cœur, dans la raison de ceux qui ont eu, à l’étranger, à travailler avec lui ». Faut-il déduire que Ouattara est un instrument au service des puissances étrangères ? Peut-on considérer, politiquement et économiquement, Ouattara comme une chance pour la Côte d’Ivoire ?
M.A. - Ecoutez, en l’occurrence, le propos d’Houphouët me paraît tout à fait clair. Ce n’était pas toujours le cas ; ça veut dire qu’il voulait qu’on le prenne au mot… C’est pourquoi je suis prêt, pour une fois, à prendre cette déclaration pour parole d’évangile. Oui, à l’instar d’Houphouët dont lui aussi se prétend le disciple, Ouattara n’est pas une chance pour la Côte d’Ivoire, mais un fléau.

civox.net - Etes-vous de l’avis de ceux qui pensent que l’accession des socialistes au pouvoir en France peut contribuer à un changement positif de la situation en Côte d’Ivoire ?
M.A. - Non ! Absolument pas ! Si vous me demandez pourquoi ?, je vous renvoie à mon article intitulé « La mémoire, l’histoire et le reste »… Et permettez-moi d’ajouter cette précision : je crois, depuis toujours, que la meilleure façon pour les dirigeants d’un pays donné d’aider un autre pays, c’est de faire chez eux d’abord, pour leur propre peuple, le mieux possible, ce qu’ils sont censés y faire. Si les socialistes français actuellement au pouvoir font ce que les Français qui les ont élus sont en droit d’attendre d’eux, cela nous sera utile à nous aussi, d’une certaine manière.

civox.net - Avez-vous une adresse particulière aux Ivoiriens ?
M.A. - Oui. Mais vous m’obligez à me répéter. L’avenir que nous voulons pour notre pays et pour notre peuple, c’est nous, et nous seuls, qui en détenons la clé. Nous, je veux dire : les Ivoiriens qui résistent à la nouvelle mouture de l’houphouéto-foccartisme qu’on cherche à nous imposer à tout prix. Alors, à leur intention, je pousse notre cri de ralliement : Résistance !

(Source : civox.net 05 juillet 2012)