Jean-Claude Djéréké est prêtre. Docteur en sociologie
des religions, il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont : « Rome et les Églises d’Afrique »,
« L’Afrique et le défi de la
seconde indépendance », ou encore « Fallait-il prendre les armes en Côte d’Ivoire ? »,
« Les Évêques et les Événements Politiques en Côte D'ivoire - 2000-2005 », « Les Hommes d'Eglise et le Pouvoir Politique en Afrique Noire », « L'engagement Politique du Clergé Catholique en Afrique Noire ».
« Les Évêques et les Événements Politiques en Côte D'ivoire - 2000-2005 », « Les Hommes d'Eglise et le Pouvoir Politique en Afrique Noire », « L'engagement Politique du Clergé Catholique en Afrique Noire ».
Dans certaines circonstances, le
silence peut être synonyme de lâcheté et de complicité avec l’iniquité.
Lorsque Caïn tua Abel et que Dieu
lui demanda où était son frère, il répondit qu’il ne savait pas et qu’il
n’était pas le gardien de son frère (Genèse
4, 25). Qu’ils le confessent ou non, les disciples de Caïn sont ceux qui
refusent de veiller sur leurs frères ; ceux qui se montrent indifférents à
la détresse ou à la souffrance d’autrui.
D’autres personnes estiment au
contraire que nous sommes responsables les uns des autres, qu’on ne peut se
revendiquer homme et ne pas « connaître
la honte en face d’une misère qui ne semblait pas dépendre de soi ».
Leur raisonnement est le suivant: si nous nous disons frères ou compagnons
d’humanité, la misère (matérielle, morale ou spirituelle) de l’autre devrait
nous interpeller et nous amener à sortir de notre silence.
C’est ce que fit Voltaire
(1694-1778), figure emblématique de la France des Lumières, en défendant Calas
accusé à tort d’avoir assassiné son fils Marc-Antoine pour l’empêcher de faire
comme son frère aîné qui était passé du protestantisme au catholicisme et
d’avoir maquillé le meurtre en suicide. En intervenant dans l’affaire Calas,
l’auteur de « Candide »
n’était pas mû par des considérations pécuniaires, pas plus qu’il n’était en
quête de reconnaissance. Sa renommée était déjà bien établie par une immense
œuvre littéraire. Tout ce qu’il voulait, c’était un nouveau procès car il était
convaincu que Calas et les siens étaient victimes de l’intolérance et de
l’arbitraire. La suite est connue : un autre procès eut lieu en 1764, Jean
Calas fut réhabilité l’année suivante et Voltaire put retourner à Paris en
avril 1778 après vingt ans d’exil.
Victor Hugo (1802-1885) ne défendit
pas un individu mais les pauvres en général. En 1862, en effet, il leur
consacra un grand roman, Les Misérables, qui raconte l’émouvante histoire de
Jean Valjean. Sa phrase « Le peuple
a faim, le peuple a froid. La misère le pousse au crime ou au vice, selon le
sexe » est restée dans tous les esprits. Mais Hugo est aussi connu et
apprécié pour avoir fustigé le coup d’État du 2 décembre 1851 et son auteur
Napoléon III dans un pamphlet intitulé Napoléon le petit. Probablement pour le
remercier d’avoir plaidé la cause du peuple et d’avoir pris des risques pour ce
peuple, environ deux millions de personnes et 2000 délégations se déplacèrent,
le 31 mai 1885, pour lui rendre un dernier hommage.
Émile Zola (1840-1902), mort 17 ans
après V. Hugo, s’intéressait comme ce dernier aux conditions de vie des pauvres
et disait « n’avoir qu’une passion,
celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant souffert et qui a droit au
bonheur ». C’est pour cette raison qu’il refusa de se murer dans le
silence pendant l’affaire Dreyfus.
Se taire lorsqu’un innocent est
condamné alors que les vrais coupables circulent librement lui semblait
insupportable. Pour mémoire, Alfred Dreyfus, capitaine français d’origine
juive, était considéré comme un traître à la nation. On lui reprochait d’avoir
livré des documents secrets à l’attaché militaire allemand en poste à Paris.
Pour Zola, le véritable traître était le commandant Walsin Esterházy. Ses
articles dans la presse française et sa lettre au président de la République
Félix Faure publiée dans « L’Aurore »
du 13 janvier 1898 sous le titre « J’accuse »,
furent décisifs.
Le 23 février 1898, au cours du
procès, il reviendra à la charge en disant : « Tout semble être contre
moi, les deux Chambres, le pouvoir civil, le pouvoir militaire, les journaux à
grand tirage, l’opinion publique qu’ils ont empoisonnée. Et je n’ai pour moi
que l’idée, un idéal de vérité et de justice. Et je suis bien tranquille, je
vaincrai. Je n’ai pas voulu que mon pays restât dans le mensonge et dans
l’injustice. On peut me frapper ici. Un jour, la France me remerciera d’avoir
aidé à sauver son honneur. »
Si l’engagement de Zola contribua
incontestablement à la révision du procès et à la réhabilitation de Dreyfus en
1906, il n’en reste pas moins vrai que l’auteur de « Germinal »
laissa quelques plumes dans ce combat contre l’injustice et le mensonge. Il dut
en effet composer avec la haine et les menaces de mort. Ses livres et son
portrait furent publiquement incendiés. Même son nom fut retiré de la Légion
d’honneur.
Pourquoi ce détour par trois
monuments de la littérature française ? D’abord, pour souligner que la lutte
pour la justice et la vérité n’est pas un combat perdu d’avance. Cette lutte
peut être longue et dure ; elle peut parfois nous éloigner momentanément de la
patrie et des nôtres (c’est le cas de Voltaire et de Zola qui fut contraint de
passer 11 mois à Londres), mais elle finit par porter du fruit. Je ne sais pas
quand cela se fera mais je suis certain que (…) [ceux] que la France a
installés à la tête de notre pays seront dégagés et rendront des comptes au
peuple ivoirien pour la simple raison que le faux et l’injustice ne peuvent
prospérer éternellement.
En revenant sur l’engagement
politique des 3 écrivains français, je voudrais, d’autre part, nuancer l’idée
selon laquelle il vaut mieux garder le silence pour éviter d’avoir des ennuis.
Non, devant un frère qui souffre ou pleure, la seule attitude qui vaille n’est pas
de se taire ou de rester dans son petit coin mais de se solidariser avec lui,
de l’assister.
La Côte d’Ivoire divisée en deux en
septembre 2002 par une rébellion montée de toutes pièces par la France pour
obliger Laurent Gbagbo à se prosterner devant elle et à la laisser piller les
richesses du pays, ne bénéficia pas de cette assistance. Plusieurs pays de la Cedeao
refusèrent de soutenir ouvertement et concrètement le président
démocratiquement élu par les Ivoiriens en octobre 2000. Peut-être ces pays se disaient-ils
qu’ils n’étaient pas concernés par cette tragédie et que leurs pays étaient à
l’abri de ce genre de choses.
La Cedeao prit fait et cause pour
les rebelles, leur déroulant le tapis rouge, n’exigeant jamais [qu'ils]
déposent les armes, les soutenant jusqu’à la réalisation de leur funeste
objectif: remplacer Laurent Gbagbo par Dramane Ouattara, l’homme qui leur
envoyait chaque mois 25 millions de F.CFA quand ils se préparaient à attaquer
le pays au nez et à la barbe de Compaoré, et donne chaque jour l’impression de
travailler plus pour la France et la Cedeao que pour les Ivoiriens. Mais
quelques mois suffirent pour que chacun de ces pays découvre, avec la partition
du Mali, que ce qui arriva à la Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo peut arriver à
tout le monde.
Ce que je voudrais dire en un mot,
c’est que le silence n’est pas toujours recommandable quoiqu’il soit utile à
certains moments. Face à certaines situations, on a en effet le devoir de
parler (haut et fort au besoin) pour que soient entendus les cris des victimes.
Parler non pas parce qu’on a envie de se faire remarquer, ni parce qu’on désire
nuire à X ou à Y, ni parce qu’on cherche à faire fortune sur le dos des
personnes affligées, mais simplement parce qu’on considère que tout homme nous
est un frère. Pour le dire autrement, se taire toujours me paraît à la fois
malsain et indécent. Je fais partie de ceux qui soutiennent que le silence ne
mérite pas que des éloges et que, dans certaines circonstances, il peut être
synonyme de lâcheté et de complicité avec l’iniquité, que ne rien dire devant
l’injustice et le mensonge est dangereux et destructeur non seulement pour les
autres mais pour soi-même.
À titre d’illustration, je ne
citerai ici que le joli poème écrit en 1942 par le pasteur allemand Martin
Niemöller, fondateur de « La Ligue d’urgence des pasteurs » qui
protesta contre la persécution des Juifs et des pasteurs refusant de se
soumettre aux Nazis.
Voici le fameux poème :
« Quand ils sont venus chercher
les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste; quand ils sont
venus chercher les syndicalistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas
syndicaliste; quand ils sont venus chercher les Juifs, je n’ai rien dit, je
n’étais pas Juif; quand ils sont venus chercher les catholiques, je n’ai rien
dit, je n’étais pas catholique. Et puis, ils sont venus me chercher et il ne
restait plus personne pour protester. »
Le malheur qui frappe aujourd’hui
autrui peut me frapper demain si je ne dis rien ou ne fais rien pour le tirer
d’affaire : telle est la leçon qui nous est donnée par Martin Niemöller (…).
Père Jean-Claude Djéréké, chercheur
au Cerclecad, Ottawa (Canada)
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cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui
ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu
qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et
des Ivoiriens, et que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à
faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la «
crise ivoirienne ».
Source : Connectionivoirienne.net 8 juillet 2013
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