Le Ministre
a écrit : « Car Linas-Marcoussis a permis à tout le moins de faire le diagnostic
sévère du mal presque chromosomique qui mine la société ivoirienne et de donner
son nom : La nationalité, sans prétendre être parvenue à le guérir ».
Le Ministre poursuit : « Le débat sur “l’ivoirité” a mis le feu aux
poudres et conduit à l’explosion tragique de septembre 2002 qui a achevé de
disloquer le tissu social et l’unité nationale… Pour cause, le concept
juridique de nationalité n’a jamais été dissocié, sinon pas suffisamment du
concept sociologique d’ethnie ou de race… Oui, quelles formalités ont-elles
accomplies certaines des personnes nées ou qui résidaient en Côte d’Ivoire
avant 1960 pour devenir des Ivoiriens d’origine à partir de l’Indépendance, à
savoir les Akossi, Banzio, Beugré, Brou, Dagrou, Danho, Diagou, Flindé,
Gnoléba, Gnépa, Guédé, Guéï, Irié-Bi, Kapet, Konan, Kassi, Lobognon, Lorougnon,
N’dri, Séry, Tra-Bi, Yapi… En revanche pourquoi les autres Cissé, Diakité,
Diawara, Dicko, Dieng, Djibo, Koné, Kufor, N’Diaye, Sawadogo, Thiam, Traoré,
Wakili, Zaher, nées en Côte d’Ivoire ou y ayant résidé, dans
les mêmes conditions que les premières, ne pouvaient-elles pas devenir
des Ivoiriens d’origine ? ». Enfin, le Ministre, citant le Sénégal,
écrit : « …Ce témoignage ouvre une piste de solution que notre pays devrait
pouvoir emprunter ». Fin de citation. (L’Inter n°
4518 du mardi 25 juin 2013, pp. 6-7).
R. Gbaï Tagro |
D’abord, une question : Quelle est
la nature, la spécificité de notre pays, la Côte d’Ivoire ? La Côte d’Ivoire
est une Terre d’IMMIGRATION, c’est-à-dire un Territoire, un Pays, une Nation
qui accueille les Ressortissants de tous les pays du monde, à l’opposé des pays d’EMIGRATION dont les Ressortissants sortent
nombreux de leur pays pour aller s’installer ailleurs. Aujourd’hui, la Côte
d’Ivoire a 46 % d’Etrangers ou d’Immigrants dont le chiffre est ramené, pour les
besoins de la cause, à 26 % lors d’un séminaire à Yamoussoukro. Voilà la
nature, non pas juridique, mais l’ADN dont l’Eternel Dieu des Armées a doté la
Côte d’Ivoire, qui ne lui permet pas d’être comparée à aucun autre pays sur le
Continent.
Avant la colonisation, la Côte
d’Ivoire existait. Elle avait son Territoire avec ses quatre points cardinaux,
avec son Peuple, son peuplement, avec leurs Ethnies, leurs langues, leurs
patois et leurs sites d’habitation, d’occupation ou de résidence. Même si les
frontières n’existaient pas, tracées et connues comme aujourd’hui, elles
existaient et chacun savait s’il est chez soi ou pas. Les sentiers existaient
qui permettaient les déplacements des personnes et des biens pour les échanges, le commerce ou le troc. Avant la
colonisation, comment s’appelait-elle, cette Côte d’Ivoire ? La réponse est du
ressort des Historiens.
Pendant le temps qu’a duré la
colonisation, avec la relative facilité de déplacement du fait des véhicules et
des routes, les Ressortissants des autres pays (pays d’émigration) sont venus
nombreux en Côte d’Ivoire à partir de 1910. Dans les années 40, avec
l’ouverture des écoles et de l’enseignement du français (l’enseignement
catholique depuis 1895), le développement a commencé à se faire sentir et les Ressortissants
des autres pays vivant en Côte d’Ivoire ont commencé à s’organiser en
Associations dans le but de rester en contact permanent avec leurs pays
d’origine: Association des Dahoméens, Association des Soudanais (l’actuel
Mali), Association des Voltaïques, Association des Togolais, Association des
Nigériens, Association des Nigérians, Association des Sénégalais, Association
des Guinéens… D’autres, pour prouver leur attachement à leur pays d’origine,
ont même donné le nom de leur village voltaïque aux campements qu’ils habitent
ici en Côte d’Ivoire (Koupéla, Garango…).
En 1842, les Français s’emparent de
la zone lagunaire. En 1889, ils imposent leur Protectorat. En 1895-1896, la
Colonie de Côte d’Ivoire, créée en 1893, est rattachée à l’Afrique occidentale
française (A.O.F.) et devient Territoire d’Outre-mer en 1946. La Loi du 5 avril
1946, promulguée le 11 avril, met fin au Travail forcé. Le Référendum du 28
septembre 1958 institue la Communauté franco-africaine. Le 4 décembre 1958, la
République de Côte d’Ivoire est proclamée. Le 26 mars 1959, la Constitution de
la République de Côte d’Ivoire est votée. Le 11 juillet 1960, l’Acte de l’Indépendance
est signé, et le 7 août 1960, l’Indépendance de la Côte d’Ivoire est proclamée
par le Président Félix Houphouët-Boigny.
L’Indépendance proclamée, il
devenait urgent de penser à la situation ou au Statut des hommes et des femmes
présents sur le Territoire avant la colonisation, sans oublier les
Ressortissants des pays étrangers qui ont vécu jusque-là sur le Territoire de
la Côte d’Ivoire pendant la colonisation. Ce Statut, ou cette situation à
laquelle les nouvelles Autorités pensaient, s’appelle « La Nationalité », qui
est le fait pour une personne d’appartenir juridiquement à la population d’un
Etat. Il fallait donc voter une Loi (prescription établie par l’autorité
souveraine de l’Etat, applicable à tous, et définissant les droits et les
devoirs de chacun) pour poser les principes de la Nationalité ivoirienne,
c’est-à-dire écrire pour dire qui a droit à la Nationalité ivoirienne d’origine
(avec ses avantages, ses intérêts et ses obligations) et dire qui peut devenir
Ivoirien par la Naturalisation, mais à sa propre demande.
Le 14 décembre 1961, une Loi (n°
61-415 du 14 décembre 1961), portant Code de la Nationalité est votée. Le Titre
premier de cette Loi parle des « Dispositions generals », Le Titre II de « l’Attribution
de la Nationalité ivoirienne à titre de Nationalité d’origine », le Titre III
de « l’Acquisition de la Nationalité ivoirienne ». La Section 2 parle de « l’Acquisition
de la Nationalité ivoirienne par Déclaration ». La Section 3 de « l’Acquisition
de la Nationalité ivoirienne par Décision de l’autorité publique ». Le
Paragraphe 1er parle de « la Naturalisation ». Le Paragraphe 2 de « la
Réintégration dans la Nationalité ivoirienne »…
L’Article Premier de cette Loi
stipule : « La loi détermine quels individus ont à leur naissance la
Nationalité ivoirienne à titre de Nationalité d’origine ». Article 6 : « Est
Ivoirien tout individu né en Côte d’Ivoire sauf si ses deux parents sont
étrangers ». Article 24 : « L’acquisition de la Nationalité ivoirienne par
Décision de l’autorité publique résulte d’une Naturalisation ou d’une
Réintégration dans la Nationalité accordée à la demande de l’étranger ».
Article 25 : « La Naturalisation ivoirienne est accordée après enquête ».
Article 31 : « Nul ne peut être naturalisé s’il n’est pas de bonnes vie et mœurs».
Article 32 : « Nul ne peut être naturalisé : 1* S’il n’est reconnu être sain
d’esprit. 2* S’il n’est reconnu, d’après son état de santé physique, ne devoir
être ni une charge ni un danger pour la collectivité ». Article 33 : « Les
conditions dans lesquelles s’effectuera le contrôle de l’état de santé de
l’étranger en instance de naturalisation seront fixées par Décret. Il sera
perçu au profit du Trésor, à l’occasion de chaque naturalisation un droit de
chancellerie dont les conditions de paiement et le taux seront fixés par Décret
».
Dans le Code de la Nationalité de
1961 il ne se trouve aucun mot sur le vocable « droit du sol ». La notion de « droit
du sol » est distillée par les rumeurs propagées par ceux qui veulent avoir
droit par arrangement, par la triche en foulant au pied la légalité. Si nous
enlevons la préposition «SAUF» de l’article 6 du Code de la Nationalité de
1961, son intitulé devient: « L’individu né en Côte d’Ivoire est étranger si
ses deux parents sont étrangers ». Comme nous le voyons, il ne suffisait pas
d’être né en Côte d’Ivoire pour être Ivoirien.
Voyant que cette notion de «droit du
sol» prenait le dessus sur l’esprit et l’énoncé mêmes de l’Article 6 de la Loi
de 1961, le Législateur a jugé bon de reformuler l’Article 6 en modifiant la
Loi. Nous arrivons ainsi à la Loi n° 72-852 du 21 décembre 1972, portant Code
de la Nationalité ivoirienne, modifiant celle de 1961. L’Article 7 de la Loi de
1972 stipule: « Est Ivoirien, l’enfant né en Côte d’Ivoire ou à l’étranger dont
la filiation est légalement établie à l’égard d’un parent Ivoirien ». Avant
1972, si vous êtes né en Côte d’Ivoire et que vos deux (2) parents sont
étrangers, vous êtes étranger. Il fallait que vos deux (2) parents soient
Ivoiriens pour être Ivoirien. Après 1972, pour être Ivoirien, il suffit qu’un
de vos deux (2) parents soit Ivoirien.
Ainsi, sur le principe même « du monster
» (à deux têtes) de la Nationalité ivoirienne, les Ivoiriens ne parlent pas le
même langage parce qu’ils ne savent pas comment fonctionne ce « monster ». Il y
a la Nationalité «juridique», ou vraie Nationalité (première tête du «monstre»,
appartenance d’une personne à une Nation par les liens du droit) et la
Nationalité « sociologique », ou fausse Nationalité (seconde tête du « monster »,
pour avoir passé plusieurs années dans un pays). C’est le cas d’une personne
qui a le sentiment d’appartenir à une Nation en raison de sa naissance sur le
territoire de cet Etat. C’est le cas d’une personne qui conserve sa Nationalité
après avoir quitté son pays d’origine et qui s’intègre à la population d’un
autre Etat. C’est aussi le cas d’un étranger qui s’intègre à la population d’un
Etat sans obtenir la nationalité de celui-ci et qui juge normal d’obtenir
frauduleusement les papiers de la nationalité de cet Etat (C.n.i., certificat
de nationalité) sans être naturalisé.Pour illustrer ce dernier cas pour
la Côte d’Ivoire, citons trois exemples : M. Sidya Touré, Mme Aminata Traoré et
M. Koupaki. Le premier exemple, M. Sidya Touré, originaire de la Guinée
Conakry, instruit, cultivé, a vécu en Côte d’Ivoire où il a gravi tous les
échelons de l’Administration ivoirienne: Membre du Comité directeur du
P.D.C.I.-R.D.A., Administrateur des Services financiers à la Direction générale
de la Comptabilité publique et du Trésor, Sous-directeur des Finances
extérieures et du Crédit, Directeur de l’Administration générale et du
Personnel du ministère du commerce, Directeur de la Caisse générale de
Péréquation, Directeur du Cabinet du Ministre du Plan et de l’Industrie,
Directeur du Cabinet du Ministre d’Etat IV, sans être naturalisé, mais avec les
faux papiers de la Nationalité ivoirienne.
En 1990, la Guinée Conakry légalise
le Multipartisme. M. Sidya Touré jette dans la Lagune Ebrié, au pied du pont
Houphouët-Boigny, les faux papiers de sa fausse Nationalité ivoirienne. Il se
rend en Guinée Conakry, son pays d’origine. Là-bas, il créé un Parti politique
et réussit à se faire nommer Premier ministre. Il vit aujourd’hui en Guinée.
Madame Aminata Traoré, deuxième
exemple, Malienne d’origine, était Professeur à l’Université d’Abidjan.
Utilisant les faux papiers de la Nationalité ivoirienne sans être naturalisée,
elle est nommée Ministre de la Culture de son pays d’origine, le Mali. Informée
de sa nomination, elle jette, comme M. Sidya Touré, ses faux papiers dans la
Bia (Aboisso) et se rend au Mali où elle vit aujourd’hui. M. Koupaki, troisième
exemple, a été Conseiller spécial du Premier ministre Alassane Ouattara, avec,
en sa possession les faux papiers de la Nationalité ivoirienne. M. Koupaki est
aujourd’hui Ministre de l’Economie et des Finances de son pays d’origine, le
Bénin.
A partir de ces trois exemples, les
Ivoiriens sont divisés sur la Nationalité en deux camps: Ceux qui souhaitent ou
qui veulent que les Etrangers se naturalisent devant nos Lois pour prouver leur
sincérité dans leur attachement définitif à la Côte d’Ivoire, et l’autre camp,
le R.D.R., qui lutte pour que la Côte d’Ivoire soit un Etat sans principe de
Nationalité, où un étranger arrive à midi et devient citoyen Ivoirien à midi 15
; où un étranger arrive à midi et devient propriétaire terrien à midi 15 ; où
un étranger arrive à midi et devient Président de la République de Côte
d’Ivoire à midi 15.
Voilà l’origine de l’incompréhension
entre les deux camps sur le principe de la Nationalité ivoirienne,
incompréhension et malentendu qui ont produit « septembre 2002 ». Pouvons-nous
continuer le débat sans dire un mot sur « la Charte du Nord » (que le Ministre Bacongo a évité)
lorsqu’ils ont pris la « nationalité » et
« l’ivoirité » comme prétextes pour
produire le « tragique septembre 2002 » ? C’est en 1987, du vivant d’Houphouët,
que M. Koné Séidou, dit Alpha Blondy, a parlé pour la première fois de « la
Charte du Nord ».
En 1991, beaucoup de témoins ont vu
M. Alpha Blondy distribuer des exemplaires de « la Charte du Nord » à la gare
routière de Grand-Bassam d’Abidjan Treichville.
Dans le cadre du Cinquantenaire de
l’Indépendance de la Côte d’Ivoire, le Journaliste Maurice Ferro Bally du
Journal Fraternité matin a produit un papier sur « la Charte du Nord ». Lisons :
« Quand, en octobre 1999, Alassane Ouattara déclarait tranquillement, à Paris :
« On m’empêche d’être candidat à la présidentielle parce que je suis du Nord et
musulman », sa sortie n’était pas innocente. Dans un contexte politique
délétère, elle était destinée à attiser les tensions ethno-régionales,
exacerber les passions religieuses et diaboliser les “ivoiritaires” autorités
ivoiriennes. Au grand dam du Ministre d’Etat, Ministre de l’Intérieur, Emile
Constant-Bombet, qui s’était élevé contre cette campagne qui tirait sur la
fibre ethnique, religieuse et régionale ».
Mais, cette levée de boucliers
arrive trop tard. Le « mal » est déjà fait. Passant l’éponge sur les bourdes du
Premier ministre de Félix Houphouët-Boigny, qui a notamment fait violer des
mosquées à Abobo par des policiers, instauré la carte de séjour, dispersé, à
coups de gaz lacrymogènes et de matraques le congrès constitutif du Conseil
national islamique (C.n.i.) à Adjamé, les ressortissants du Nord se sont mis en
ordre de bataille derrière leur symbole et leur messie : Alassane Ouattara, « l’Ivoirien
du Nord », comme il s’est présenté à l’émission télévisée « Questions au
Premier minister » du 1er octobre 1992.
Houphouët-Boigny entre dans une
colère noire. Ainsi naît, en 1991, la première « Charte du Nord », anonyme,
intitulée « le grand Nord en marche ». Qui aura un clone en 2002. Elle tire
arguments d’abord, du sous-développement du Nord de la Côte d’Ivoire alors que,
selon le document, ce sont les populations du Nord et leur leader, Péléforo Gon
Coulibaly qui, aujourd’hui payés en monnaie de singe, ont été jadis à la pointe
du combat anticolonial auprès de Félix Houphouët-Boigny. Ensuite, de la
disparition de la chefferie traditionnelle et enfin, des frustrations des
populations avec le charnier de Yopougon, les contrôles intempestifs et souvent
humiliants des pièces d’identité. « Mes compatriotes du Nord pensent que
certains Ivoiriens les considèrent comme des personnes n’ayant pas les mêmes
droits. Une sorte de délit de patronyme », analyse Alassane Ouattara (cf. Jeune Afrique n° 2062 du 18 au 24
juillet 2000).
Après avoir pris connaissance de ce
texte largement diffusé sous forme de tracts, Houphouët-Boigny, bien
qu’affaibli par la maladie qui a fini par l’emporter, entre dans une colère
noire. Il flaire, au soir de sa vie, le danger de « la poudrière identitaire
meurtrière » et des conflits d’intérêt qui minent aujourd’hui les bases de la
Nation ivoirienne. Car au-delà de l’affirmation d’une sorte de particularisme,
le texte milite pour l’émancipation du Nord des autres régions du pays et sa
réhabilitation.
« Jouer éternellement les seconds
rôles n’a absolument rien d’honorable pour ses fils. Se prêter à servir
toujours de supports aux autres pour la réalisation de leurs desseins ne peut
que déranger l’amour-propre et la conscience des uns et des autres, avec le sentiment
coupable de notre inaptitude à pouvoir s’entendre, à faire l’union et
l’unanimité autour d’un des nôtres: Alassane Ouattara», selon le slogan : « Un
pour tous, tous pour un ».
(…)
Gbaï Tagro Robert, président du Parti républicain de Côte d’Ivoire
(PRCI).
Titre original : « Débat sur la Nationalité : Comprendre l’origine
de la politique de “rattrapage” ethnique. »
en maraude
dans le web
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de
provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l’unisson avec notre
ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en rapport avec l’actualité ou
l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et aussi que par leur contenu
informatif ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des
mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
Source : Notre Voie 16/07/2013
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire