Interview d’Honorat De Yedagne
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H. De Yedagne |
L’ancien Directeur général de Fraternité Matin et
ancien président de l’Union nationale des journalistes de Côte d’Ivoire (UNJCI)
a décidé de sortir de sa réserve. Il s’est confié à L’Intelligent d’Abidjan.
Loin des
radars depuis un moment, que devient Honorat De Yedagne ?
Je continue de
porter ma croix c’est-à-dire d’assumer ma part d’engagement pour la Côte
d’Ivoire et pour l’Afrique. Je travaille aussi à me reconstruire
psychologiquement, moralement, intellectuellement pour continuer à m’assumer
pleinement et souverainement comme une destinée en marche, donc comme un Homme
debout, toujours prêt, quoi qu’il m’en coûte, à témoigner de ma part de raison,
de ma part d’avenir, dans un pays en déliquescence morale, sans aucune
perspective de sortie de crise à l’horizon, faute d’un leadership efficace.
Qu’est-ce qui
occupe le journaliste que vous êtes, aujourd’hui ?
Cela fait sept
(7) ans que j’ai perdu mon emploi. Pour autant, je me donne les moyens de garder
toujours la tête hors de l’eau et de demeurer une conscience sociale critique
qui peut et doit continuer à parler à la Côte d’Ivoire les yeux dans les yeux.
Vous savez que je cultive à souhait « le parler vrai ». C’est ma marque
distinctive, mon ADN, presqu’une vocation cléricale. C’est le prix à payer si
on veut servir la grandeur de l’Afrique et de la Côte d’Ivoire. Autrement dit,
j’existe et je vis donc à ma façon à moi, mon exil intérieur, sans bruit, sans
tapage, comme une grande quête de soi pour autrui.
Concrètement
comment vivez-vous ?
En toute
sincérité, en plus du soutien moral de mon épouse, je vis grâce à l’aide de mes
amis. Et particulièrement de mes amis nordistes : preuve que cette division
entre le Nord et le Sud qu’on nous vend est factice sinon fabriquée de toutes
pièces pour servir des ambitions meurtrières et mortifères. Je vis de dons en
ce moment et je n’ai pas honte de le dire. Ces soutiens m’aident énormément
dans ma posture de résistance citoyenne à la tentation du pire. Le pire étant,
dans les circonstances actuelles où ce pays court tous les dangers, de céder à
l’appel du ventre qui conduit à toutes les servitudes, à toutes les trahisons,
à tous les reniements, à tous les manquements …contre votre dignité, vos
convictions et votre grandeur d’Homme.
Vous êtes en
train de dire qu’on veut vous trouver du travail et que vous refusez ?
Ceux qui me
connaissent savent que j’ai des opportunités et que certains de mes mentors ont
la possibilité de me faire nommer si je le souhaite, si j’y travaille
véritablement, si je m’y engage en me reniant.
Qu’est-ce que
vous attendez donc ?
Après ma
triste expérience à la tête de Fraternité Matin où ma forte personnalité, mon
indépendance d’esprit et surtout ma vision éditoriale : « Ni neutre, ni
partisan » gênaient visiblement mon ami et frère Laurent Gbagbo, j’ai pris la
décision, et déjà sous son règne, de ne jamais servir un pouvoir dans une Côte
d’Ivoire divisée presque irréconciliable.
Votre
magazine, « Afrique Compétences », que vous lancez avec assez d’ambition est
aujourd’hui l’ombre de lui-même. Qu’est ce qui ne va pas ?
Nous sommes le
premier magazine international que la Côte d’Ivoire ait eu. Nous étions
distribués, à partir de Paris, sur onze pays africains en plus de la Côte d’Ivoire.
C’est donc une vitrine importante pour notre pays quand il voudra se projeter
dans l’avenir. La crise post- électorale a mis un coup d’arrêt brutal à cette
belle aventure éditoriale, après quatre années d’existence. Un de nos mécènes
importants, M. Yves Lambelin y a trouvé la mort. Nous sommes donc à la
recherche de nouveaux financements pour nous relancer. Sinon je le revendrai.
Vous évoquiez,
il y a quelques années, un contentieux avec le quotidien gouvernemental
Fraternité Matin. Contentieux portant sur des dédommagements. Aujourd’hui,
peut-on dire que cette affaire est derrière vous ?
Le contentieux
a été en partie vidé grâce au ministre Sy Savané. Il reste un aspect du
problème qui n’a pas encore été réglé. Mais aujourd’hui, il n’y a qu’un combat
qui compte contre Fraternité Matin. Un combat pour tous ces travailleurs que
j’ai fait partir et qui n’ont connu, depuis onze ans, aucune mesure
d’accompagnement social. Dix (10) jours après ma nomination, ce sont presque
2/5 de l’effectif, (entre 200 et 280 personnes) que j’ai mis au chômage
technique puis licenciés. Figurez-vous qu’au soir de ce vendredi 15 février
2002 – je m’en souviens encore comme si c’était hier – lorsque ces travailleurs
ont reçu chacun leur lettre de mise en chômage technique, il n’y avait aucun
policier à mes côtés pour veiller à mon intégrité physique ni sur l’entreprise.
Et pour cause : j’avais agis contre l’avis explicite de mon ministre de
tutelle, qui lui-même avait reçu injonction de feu Boga Doudou, tout puissant
ministre à l’époque, de ne pas me laisser faire. Je n’ai pas cédé : j’ai mis en
balance ma propre démission. Quatre mois après, tous ces travailleurs ont été
licenciés, me permettant ainsi de sauver le titre. C’était une grande première
dans l’histoire des entreprises publiques : des travailleurs qui consentent à
partir comme ils sont partis pour sauver leur entreprise. Leur sacrifice doit
être reconnu par la nation et les effets compensatoires doivent suivre. C’est
une injustice inacceptable, scandaleuse même.
Qu’est-ce que
vous entendez faire pour ces ex-travailleurs de Fraternité-Matin ?
J’entends donc
mener ce combat pour que l’Etat respecte son engagement. On avait travaillé sur
une proposition qui a été presque entérinée par l’Etat : des mesures d’accompagnement
à hauteur de 650 millions de FCFA. Malheureusement, ce dossier n’a pas encore
trouvé de solutions. L’heure est arrivée pour que je joue un rôle pour que ces
travailleurs puissent entrer dans leurs droits. Ils m’ont fait confiance et je
ne dois pas les trahir. J’ai donc une responsabilité morale vis-à-vis de ces
ex-agents de Fraternité Matin. Ce sont des pères et mères de famille qui sont
aujourd’hui des laissés pour compte. Pourquoi l’a-t-on fait pour d’autres
travailleurs de Côte d’Ivoire, qui, dans les mêmes conditions, ont eu à
bénéficier de mesures d’accompagnement social ? Il me semble que le mépris
souverain, toujours affiché par l’Etat à l’égard des journalistes et de la
corporation dans son ensemble est tel qu’on pense que ce sont des moins que
rien et qu’ils peuvent aller crever comme de bons à rien malgré toutes ces
années qu’ils ont passées au service de leur pays. Je ne peux l’accepter et je
ne l’accepterai jamais !
Un commentaire
sur la gestion de Fraternité Matin version Venance Konan ?
Ce qu’il faut
savoir, c’est que dès mon arrivée à la tête de Fraternité Matin, en 2002, en
vue de construire un pôle éditorial diversifié mais équilibré donc pluriel et
pluraliste, je suis allé chercher Venance Konan à l’Assemblée nationale.
Quelques années plus tôt, Il avait laissé son poste de rédacteur en chef à
Ivoir’Soir pour aller exercer comme chargé de Communication à l’Assemblée
nationale, sous feu Emile Brou. Comme cela arrive souvent dans la profession à
la plupart de nos bons journalistes ou à ceux qui, comme Venance Konan
lui-même, ont été lauréats du prix Ebony. Pour l’histoire, Venance Konan fut le
premier lauréat du prix Ebony. C’était en 1993. C’est donc moi qui suis allé
rencontrer Mamadou Koulibaly alors président de l’Assemblée nationale, son
nouvel employeur, chez lui à domicile, du côté de la Riviera-Palmeraie pour lui
demander de le licencier. Et, je l’ai donc recruté à Fraternité Matin. Cela a
été d’autant plus facile pour moi que Mamadou Koulibaly ne voulait plus de sa
collaboration. Il m’a expliqué qu’à ses yeux, après tout ce qu’il a pu lire de
Venance Konan dans Fraternité Matin et Ivoir’Soir sur Alassane Ouattara, ce
dernier était « un fieffé tribaliste ». C’est la clef pour comprendre la
guéguerre entre les deux hommes qui a surgit, bien plus tard, dans la presse.
Il est
aujourd’hui le directeur général de Fraternité Matin, qu’est-ce que vous pouvez
dire sur sa gestion ?
La gestion
éditoriale de Fraternité-Matin par Venance Konan me rappelle celle, sous l’ère
Bédié, de Michel Kouamé qui avait fait de Ouattara « le mouton noir » de la
politique ivoirienne. Sauf qu’aujourd’hui « le mouton noir » a pour nom :
Laurent Gbagbo. Ironie de l’histoire. Je déplore le fait qu’il y ait
aujourd’hui à Fraternité Matin une ligne éditoriale à sens unique qui ne soit
pas l’expression de la pluralité des courants, des opinions et des idées qui
traversent la société ivoirienne. Je déplore le fait que Venance Konan,
écrivain de renom, se transforme en « plume de service » comme hier déjà sous
Bédié et sous Ouattara aujourd’hui. Avec des écrits qui transpirent parfois la
haine du Bété et du FPI. Comme hier, il ne peut servir la réconciliation
nationale aujourd’hui. Cela n’honore pas l’intellectuel qu’il prétend être et
le prix Ebony qu’il est. Cela ne sert pas l’image de la corporation et de notre
métier.
Vous voulez
dire que la ligne éditoriale « Ni neutre, ni partisan » est brocardée et
gravement mise à mal par Venance Konan ?
Nous exerçons
un métier noble, sauf qu’ici, sous nos tropiques, nous avons du mal à nous
soustraire à cette tentation funeste que tous ces régimes politiques
d’Houphouët à Ouattara en passant par Bédié, Guéi, et Gbagbo ont eu la
tentation de vouloir contrôler. Ces régimes successifs n’ont de cesse de
vouloir nous infantiliser, nous domestiquer, nous asservir, nous embrigader.
Mais nous devons résister : la liberté s’arrache, elle ne se donne pas. Je m’en
vais vous faire une confidence. C’est à cause de Venance Konan que j’ai perdu
mon poste à la tête de Fraternité Matin. Un jour, par l’entremise de Jean
Baptiste Akrou, mon ami et frère, le colonel Logbo, alors aide de camp du
président Laurent Gbagbo, me reçoit chez une de ses amies proches, elle-même
conseillère à la Présidence de la République, pour me lancer cet ultimatum: «
Ou tu pars, Ou tu fais partir Venance Konan ! ». Il exprimait ainsi, sans le
dire tout en le disant, un cri de ras-le-bol au sommet. J’ai résisté et c’est
moi qui suis parti quinze jours plus tard. Venance Konan m’a suivi, un ou deux
mois après. La boucle était bouclée. Gbagbo et le FPI pouvaient respirer, enfin
! Pour tout dire, je ne suis donc pas étonné de voir Venance Konan à ce poste.
J’avais prévenu le président Laurent Gbagbo. Chaque fois qu’il me convoquait à
son sujet pour ses écrits acerbes, je n’avais de cesse de lui dire : « A trop
vouloir t’en débarrasser, tu en feras un faux héros ». Il ne m’a pas écouté et
l’histoire m’a donné raison. Car cinq ans plus tard, c’est mon frère Jean
Baptiste Akrou, une autre plume de service qui remettait son tablier à son «
ennemi intime » Venance Konan. Comme quoi la roue tourne, et elle tournera
encore. La leçon que je tire de cet épisode de ma carrière à Fraternité Matin
est qu’il n’y a pas de liberté acquise sans renoncement, sans sacrifices.
Quel est votre
regard sur la presse ivoirienne en général ?
La presse,
qui, ailleurs, est respectée sinon crainte, est un métier méprisé sous nos
tropiques. Cette profession est constamment victime du mépris souverain des
gouvernants mais aussi des simples citoyens. Malgré le printemps de la presse
et avec lui, le vent de liberté qui a soufflé sur la profession, malgré donc la
parole libérée conquise, malgré la multiplication des titres, nous n’avons pas
réussi à nous réhabiliter aux yeux des différents secteurs de l’opinion
nationale et à faire de notre métier un lieu d’exemplarité et de
respectabilité. Ce métier continue donc d’être fait par ceux qui ne réussissent
pas, ou qui ne peuvent pas réussir ailleurs, ou tout simplement par ceux
d’entre nous qui sont résolument passionnés. Car les meilleurs de la
profession, nos lumières, finissent toujours par la quitter. L’exemple des
lauréats du prix Ebony en témoigne. Le taux de renouvellement de la classe
médiatique, au regard de celui de la classe politique, est le plus élevé en
Côte d’Ivoire pour ne pas dire en Afrique. Alors que les Bédié, les Djédjé
Mady, les Alassane Ouattara, les Laurent Gbagbo, etc. continuent de faire la
politique, leurs équivalents dans la presse sont leurs fils ou leurs petits
fils. Question : où sont passés les Laurent Dona Fologo, les Auguste Miremont,
les Ben Soumahoro, les Danièle Boni Claverie, tous ces devanciers qui pouvaient
leur donner la réplique ? Réponse : de l’autre côté de la barrière. C’est donc
un métier qui ne retient pas ses cadres, ses élites, ses talents, ses
champions, ses lumières. Et pourtant.
Après un tel
constat, que proposez-vous donc ?
Ce que je
propose c’est donc une réflexion globale sur l’économie de la presse. Nous
sommes dans un métier où depuis 1990, date du multipartisme et de l’ouverture
démocratique et donc de la pluralité des titres, « le fameux printemps de la
presse », nous n’avons pas d’éléments moteurs pour le faire évoluer
durablement. C’était comme si les ressorts étaient cassés à jamais : aucune
presse de référence ou même de prestige. Il faut agir. C’est même une urgence
démocratique. Mais le plus scandaleux, c’est que nos gouvernants, quand ils
évoquent ce triste bilan c’est sous l’angle de ce qui les agace souverainement:
ce devoir d’irrévérence, cette forme d’irrespect que cultive avec art et
parfois avec malveillance, cette nouvelle presse. Bédié, avec son art de la
dramatisation, les traitait hier de « journalistes hypocondriaques ». Nos
hommes politiques ne réalisent pas que la presse est la fille aînée de la
démocratie et qu’il faut sauver la presse ivoirienne pour sauver la démocratie
ivoirienne elle-même. Mais sous nos tropiques, comme personne ne veut ni de la
démocratie ni de la presse, on tourne sans cesse en rond. L’impunité et la corruption,
ce sont les deux mamelles de la crise ivoirienne
Vous pensez
que rien n’est fait avec l’assainissement du secteur entamé par le Conseil
national de la presse (CNP) ?
L’action du
CNP tient beaucoup plus de l’effet d’annonce, de la politique spectacle pour
exister. On sait que notre aîné Raphaël Lakpé, journaliste emblématique des
années de braise, est en mission commandée pour casser la presse bleue, la
presse d’opposition. La vérité c’est que cette presse bleue ne peut être
cassée. Elle s’est installée durablement et de façon résolue dans le paysage
politico-médiatique ivoirien. Car la presse d’opposition est une nécessité
vitale pour la démocratie ivoirienne. Aujourd’hui plus qu’hier, elle est le
souffle même de cette démocratie à l’ivoirienne, car tout est fait pour briser
l’opposition. Certes il y a incontestablement des dérives. Mais pour y
remédier, il revient à notre pays de se transformer en se réconciliant définitivement
et irrémédiablement avec la démocratie et l’Etat de droit, en crédibilisant sa
justice, en se donnant des institutions fortes et indépendantes. Des
institutions indépendantes et aussi fortes que la Cour suprême des Etats Unis
ou le Trésor américain. Par ailleurs, vous ne pouvez pas accepter que les
médias publics soient domestiqués, infantilisés, téléguidés et vouloir donner
des leçons de professionnalisme à la presse privée. Qui, elle, a déjà fait
beaucoup d’effort en matière d’esprit d’indépendance. Hier comme aujourd’hui,
je soutiens cette presse d’irrévérence, cette culture d’irrespect.
L’indignation sélective du CNP ne peut prospérer que dans une démocratie qui
marche sur la tête. Car vu sous l’angle de la liberté de la presse, et sous
bien d’autres, la Côte d’Ivoire est un nain démocratique. C’est peut-être vague
de dire que la Côte d’Ivoire est un nain démocratique. La Côte d’Ivoire est un
pays qui se refuse à entrer dans l’Histoire ou plutôt dans la normalité
historique. Un pays qui à chaque élection se soustrait à la normalité
démocratique. Mais le drame de ce pays, c’est que tout le monde se trompe sur
la nature profonde, sur la cause séculaire de la crise ivoirienne. La vraie
nature de la crise ivoirienne procède du fait que ce pays n’a pour seuls
moteurs que l’impunité et la corruption. C’est ce fléau qui a amené la guerre
et c’est ce fléau qui demain déclenchera une autre guerre. L’impunité et la
corruption, ce sont les deux grosses mamelles nourricières de la crise
ivoirienne. On peut divertir les gens, on peut continuer à tromper l’opinion
occidentale en disant que la crise ivoirienne est une crise identitaire. Cela
relève du folklore émotionnel, de la pure politique de bas étage. Le moteur de
la société ivoirienne, depuis Houphouët jusqu’à Ouattara, en passant par Bédié,
Guéi et Gbagbo, c’est l’impunité et la corruption. Il faut que les Ivoiriens,
dans leur ensemble et dans le respect de leurs différences, se mettent d’accord
pour changer de logiciel. Il faut un vrai sursaut moral et éthique, ce que
j’appelle « le choc moral ». Malheureusement, même les 3000 morts de la
dernière crise postélectorale n’ont pas suffi à produire ce « choc moral ». En
faut-il davantage pour arriver à provoquer la prise de conscience nécessaire et
salutaire ? Ce serait alors à désespérer de nous et de nos élites politiques.
Ce serait à désespérer de notre humanité, de l’être profond, de l’Africain qui
habite en nous. On aurait atteint le point ultime de la désespérance humaine.
Comment ?
Soyez plus explicite !
Il faut un «
choc moral », un choc des consciences, il faut comme d’autres l’ont déjà dit,
un vrai sursaut national, un vrai sursaut patriotique pour expurger ce pays de
ses vieux démons, pour sortir de ce « mal être » ivoirien. Nous ne sommes pas
condamnés à nous entretuer pour exister. Il n’y a pas de fatalité historique,
il n’y a que des péripéties de l’histoire propres à tout peuple qui veut
grandir. Des signes qui préparent l’arrivée d’un Jerry Rawlings ou d’un Thomas
Sankara.
« Choc moral
», certes, mais concrètement comment l’envisagez-vous ?
On peut en
sortir par le bas en considérant que tous ces soubresauts, qui nous ont
conduits jusqu’ à la guerre en sont les signes annonciateurs. Des signes qui
préparent l’arrivée d’un Jerry Rawlings ou d’un Thomas Sankara, de quelqu’un
qui par une volonté impériale expurgera notre société des deux grands maux qui
sapent son fondement : l’impunité et la corruption. Mais je compte sur notre
intelligence collective pour sortir par le haut. Certes la Côte d’Ivoire, plus
que jamais, a besoin d’un grand visionnaire et d’un homme de rupture, d’un
grand Homme en somme, le « Nègre Fondamental » qu’évoquait Aimé Césaire. Mais
le triste constat est qu’après la mort du Grand Architecte des cathédrales et
des basiliques, Félix Houphouët-Boigny, nous assistons à l’ère des tâcherons,
des hommes politiques incapables de transcender leurs intérêts partisans et
tribaux pour servir l’intérêt national, l’intérêt général, ce qui est le sens
même de la politique. Reste qu’une sortie par le Haut s’impose à nous, pour
nous éviter d’autres souffrances, d’autres morts, d’autres crimes. Alors donc,
pour nos trois mille morts, tout ce que la Côte d’Ivoire compte comme leaders
et forces sociales organisées y compris l’armée si elle existe encore, doivent
pousser notre classe politique à retrouver, un peu de courage politique
totalement désintéressé, un peu de lucidité critique, un peu d’intelligence
collective émancipatrice et un peu de vision conquérante. le sens de l’intérêt
général, la force du renoncement sacrificiel. Bref nous devons retrouver
l’initiative historique. Pour projeter notre pays définitivement et de façon
irréversible dans la modernité politique, en consacrant à jamais l’Etat de
droit. Et rompre ainsi avec l’ère Houphouët et son héritage, ce monstre à deux
têtes et sans visage qu’il nous a légué : l’impunité et la corruption, ce
monstre qui nous détruit jusque dans le tréfonds même de notre société.
Vous appelez
donc la classe politique dans son ensemble au rassemblement ?
Oui car, un
fort et large consensus républicain s’impose à chacun et à tous, à chacune et à
toutes, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest sans oublier le Centre pour nous
mobiliser et éloigner la Côte d’Ivoire des dangers qui s’amoncellent à
l’horizon et nous sortir de cette impasse politique abyssale qui dure depuis la
mort du premier des premiers, le président Félix Houphouët-Boigny. Pour
construire la grande nation ivoirienne, une « République intelligente et
irréprochable » s’impose, un pays où chaque citoyen est reconnu par la société
rien que par et pour ses talents et son savoir-faire c’est-à-dire pour ce qu’il
vaut réellement. Une République irréprochable parce que fortifiée par ses
institutions et où personne jusqu’ au Chef de l’Etat ne peut et ne doit être
au-dessus de la Loi. Un pays où tout le monde sans aucune exception est
responsable de ses actes et rend compte des actions menées au nom de l’intérêt
général.
Vous êtes en
train de dire que les Ivoiriens payent aujourd’hui le prix des dérives de l’ère
Houphouët-Boigny.
Je suis
d’autant plus à l’aise pour dresser le bilan d’Houphouët que je me définis
moi-même comme un houphouétiste de gauche. Et le seul hommage qui lui ait été
rendu sous l’ère Gbagbo l’a été à mon initiative, à l’Hôtel Ivoire avec la
parution d’un livre-témoignage et une grande exposition-photos.
Incontestablement, cet homme fut un très grand visionnaire, un grand homme
d’Etat, un grand Africain, un homme Hors pair. Doublé d’un grand animal
politique: dans un contexte de guerre froide, il a su intelligemment arrimer
son pays et son régime au camp occidental et protégé par ce camp, il a su créer
les conditions de la stabilité politique pour nous faire entrer dans l’ère de
la modernité sous l’impulsion de politiques de développement hardies, sources
de progrès social et économique incontestables. Mais, Houphouët-Boigny c’était
aussi, au plan économique, le développement d’une « économie de la dépendance »
avec le binôme café-cacao, une économie extravertie qui dans les années 70 a
commencé à connaitre ses limites. Et ses premiers craquèlements. Résultat :
depuis trente ans la Côte d’Ivoire est placée sous les fourches caudines des
institutions de Bretton Woods : Banque mondiale, FMI, ce qui, avouons-le, n’est
pas une marque distinctive de réussite. Mais surtout, Houphouët au plan
politique, c’était aussi la corruption: « le temps des grilleurs d’arachide ».
En effet, la corruption fût l’une des véritables composantes de son système
politique, de son mode de régulation politique : le prix de la stabilité ; un
instrument qu’il a su manier avec art et dextérité, en Côte d’Ivoire, en
Afrique et même dans le monde. Le prix Félix Houphouët-Boigny décerné par
l’UNESCO en est une illustration. Le président équatoguinéen, avec plus de ressources
que lui, y est pas parvenu plus difficilement.
C’est une
charge sans concession que vous faites.
Houphouët-Boigny
a fait de la transformation des ressources économiques en ressources
politiques, c’est-à-dire de la corruption, un instrument de gouvernance et cet
instrument a été perpétué par tous ceux qui lui ont succédé. Au point
qu’aujourd’hui, le seul parti qui rassemble véritablement les Ivoiriens et les
Ivoiriennes, le seul parti visible dans nos marchés, dans nos rues, dans nos
villages, dans nos villes, dans nos administrations, dans nos commissariats,
nos hôpitaux, dans nos cimetières, nos entreprises, nos écoles, dans nos
mosquées, dans nos églises, dans nos temples, dans nos organisations. Bref dans
tous les espaces publics, dans toutes les strates de notre quotidienneté et de
la société, et plus grave encore, dans nos consciences d’homme, c’est le parti
de la corruption. Les Ivoiriens dorment en pensant corruption et se réveillent
en pensant corruption. Si le mot corruption pouvait être remplacé par celui de
travail, nos prouesses économiques auraient étonné le monde entier. Je voudrais
vous illustrer tout cela de façon simpliste mais loin de la caricature. La
présidence de la République est la première source de corruption
Allez-y donc ?
J’ai établi
une chaine sommaire voire symbolique de la corruption dans ce pays. Le policier
subalterne vole parce qu’il sait que son commissaire vole. Le Commissaire de
police vole, parce qu’il sait que son directeur général vole. Le Directeur
général de la Police vole parce qu’il sait que son ministre vole. Et pour ne
pas froisser mon ex-confrère et ami, le ministre d’Etat Hamed Bakayoko, je
dirai que les ministres volent parce qu’ils savent que leur président vole. Et
le président de la République vole parce qu’il sait qu’il n’a de compte à
rendre à personne dans ce pays, ni à l’armée, ni même à la justice. En Côte
d’Ivoire, depuis Félix Houphouët-Boigny jusqu’à Ouattara, la présidence de la
République est la première source de corruption. Cette chaîne est le moyen par
lequel tous les Ivoiriens sont reliés car aucun secteur n’est épargné, tout le
tissu social en est imprégné jusque dans ses profondeurs.
Avez-vous des
chiffres, des faits.
Un ordre de
grandeur pour vous convaincre si besoin en est. Quand la Côte d’Ivoire se donne
par exemple 5000 milliards FCFA de budget – un chiffre théorique s’entend – ce
sont 2000 milliards FCFA soit 2/5 de ce budget qui vont dans « les poches
mafieuses de la République », celles, de nos dirigeants et de leurs dévoués au
titre de l’enrichissement illicite. Les 3000 milliards, restant, serviront à
payer la dette, les salaires et à « faire du développement » (?). La corruption
dans notre pays a atteint les sommets de l’Etat et la base de notre société, et
sape les fondements même du vivre ensemble. Ne pas le reconnaitre c’est faire
preuve de cécité politique et cela est encore plus suicidaire. Un seul fait
pour en témoigner. Pendant les négociations de Linas Marcoussis, en France, qui
va constituer un tournant historique dans la crise ivoirienne, un des futurs
ministres de la République, m’a joint au téléphone pour savoir si le ministère
de la Communication était un ministère riche. Lorsque je lui avais fait état
jusqu’à la caricature de l’indigence des entreprises sous tutelle dans ce
ministère, et qu’il avait compris qu’il ne pouvait rien pomper comme argent, il
m’a lancé : « Jamais, je n’accepterai ce portefeuille ministériel ». Et
d’ajouter en riant : « Moi, je ne suis pas là pour enrichir et accompagner les
autres ». Et effectivement, il ne l’a pas accepté, le poste fut attribué à
Guillaume Soro. C’est dire que nous sommes passés en trente ans d’une crise
économique, à une crise politique puis à une crise morale, c’est-à-dire le
stade ultime et fatal où, si rien n’est fait, tout s’étiole et périclite pour
nous plonger dans les abysses du désarroi et de l’effroi sans fin.
Pour vous,
concrètement qu’est-ce qu’il faut faire pour le bien de la Côte d’Ivoire ?
Nous devons
objectivement faire ensemble le constat que la démocratie par les urnes ne nous
a pas rassemblés : elle nous a divisés, elle nous pousse à nous entretuer. Et
pourquoi ? Parce que nous avons commencé par la fin et non par le commencement:
la démocratie par les urnes devrait être l’aboutissement d’un processus de
renaissance politique, culturelle, institutionnelle, économique, sociale de la
nation. Avec une seule et unique préoccupation : quelle Côte d’Ivoire pour
demain face au défi de la Globalisation ? Nous devons donc nous réinventer
autrement. En partant des leçons du passé pour nous construire une citoyenneté
nouvelle et conquérante sans exclusion : « l’Ivoirien nouveau ». Cela passe par
des transformations, des changements, des ruptures radicales qu’un parti tout
seul ne peut porter ou incarner. Il faut un gouvernement de sauvegarde
nationale pour asseoir ce rêve d’une « République Intelligente et Irréprochable
» où chacun et tous, chacune et toutes ont leur place mais jamais au-dessus de
la Loi. Il faut réinventer l’Etat ivoirien par des réformes audacieuses et de
grande ampleur au plan institutionnel, constitutionnel, politique, social,
culturel et économique. Il faut réinventer de nouveaux modes de régulation
sociopolitique qui s’établissent en dehors de la corruption et de l’impunité et
qui convoquent la transparence et la responsabilité. Il faut engager la Côte
d’Ivoire dans une vraie modernité politique qui passe par le deuil de l’ère
Houphouët, dans ce qu’il a de scandaleux et d’inadapté: l’impunité et la
corruption mais aussi la Françafrique, le franc CFA, l’emprise du binôme
café-cacao, le mépris de la culture, la domestication de la presse, la
fascination de l’Occident, la vassalisation de l’armée et de la justice,
l’instrumentalisation des organisations professionnelles, des corps intermédiaires
et des partis politiques.
Vous en
appelez donc à une troisième République
Il faut sortir
de cette 2ème République qui nous a conduits à la guerre et à des élections
calamiteuses. La démocratie par les urnes avec cette constitution de la
deuxième République n’a pas été la seconde chance qu’on attendait. Depuis la
mort d’Houphouët-Boigny, la vie politique en Côte d’Ivoire s’est crispée sinon
figée. Il faut rééquilibrer les pouvoirs au sommet de l’Etat avec des
institutions fortes et indépendantes en réhabilitant l’Assemblée nationale, qui
aura un contrôle sur tous les actes de l’Exécutif jusque dans les nominations
dans les hautes fonctions et l’exécution du budget. Il faut consacrer, au plan
constitutionnel, le principe de l’appel à candidatures pour des postes
stratégiques de l’Etat et pour les régies financières. Il nous faut créer de
grandes institutions économiques et de développement indépendantes du champ
politique, à l’image du MIT japonais, de l’INSEE en France, etc. Déjà le BNETD
s’y prête. Il faut totalement et définitivement redonner l’indépendance au
pouvoir judiciaire afin que, quel que soit le président qui nous gouverne, il
ne puisse être au-dessus de la Loi. Il faut réhabiliter la Cour des comptes, le
Conseil constitutionnel, la Cour suprême, etc. A l’ère de la globalisation et
de la mondialisation, il nous faut sortir de ce modèle économique qui, depuis
plus de trente ans, nous enserre dans la pauvreté et la décadence et sert
plutôt la grandeur de la France et de l’Occident. Nous devons créer de nouveaux
sillons de développement. Revitaliser et moderniser notre secteur agricole et
nos terroirs ruraux. Il nous faut convoquer le génie et l’inventivité de nos
jeunes, de nos chercheurs, de nos universitaires, de nos entrepreneurs. Il nous
faut achever toutes ces grandes réformes par l’institutionnalisation de la
démocratie et l’accès au pouvoir par les urnes. C’est un impératif historique
et catégorique. L’heure de l’ancrage démocratique a sonné. Une nouvelle Côte
d’Ivoire doit naitre des cendres de nos 3000 morts. Ils connaîtront ainsi la
résurrection parce que, nous-mêmes, nous nous sommes résolument et hardiment
engagés dans la voie de la rédemption ! Tous les pays qui, à un moment de leur
histoire, ont été capables d’un tel sursaut en termes d’innovations politiques
et institutionnelles, en termes de choix économiques audacieux, ont fait des
pas de géant. Ces pays pensez aux Dragons d’Asie- ont réussi à faire de grands
bonds qualitatifs parce qu’ils ont choisi de se projeter résolument et souverainement
dans l’avenir.
Avec toutes
ces idées que vous développez, êtes-vous prêt à répondre aujourd’hui à l’appel
de la Nation pour apporter votre touche au développement de la Côte d’Ivoire ?
Je me
considère comme quelqu’un qui a une responsabilité à assumer dans la société
ivoirienne. Je l’ai déjà assumée hier. Je l’assumerai demain. Ce sens du
renoncement, cette culture de l’impensé, Zadi Zaourou me l’a enseigné lors de
nos cours d’idéologie politique et je l’ai moi-même expérimenté à Fraternité matin.
Jamais, en effet, dans l’histoire de la presse publique, en général, et de
Fraternité matin, en particulier, un directeur général n’a autant donné de sa
personne pour garantir l’indépendance ou plutôt l’autonomie éditoriale à ses
journalistes: ils n’ont jamais été aussi libres et aussi responsabilisés ! Je
vais vous étonner ! Savez-vous que pendant mes cinq années de gestion, jamais
je n’ai lu un seul article d’un journaliste de Fraternité Matin, avant
parution. La censure n’a jamais existé à Fraternité Matin. Elle est intervenue
une seule fois sur ordre direct du président Laurent Gbagbo. C’était pendant
les heures chaudes de la crise ivoirienne. Et il m’a invoqué l’impératif de
sécurité. J’ai eu ce jour-là le sentiment que c’était malgré lui, à son corps
défendant. Jamais dans l’histoire de Fraternité Matin, on a eu un directeur
général qui, pendant ses cinq ans de gestion, n’a écrit un seul éditorial. Je
me suis refusé jusqu’au bout à faire de Fraternité Matin la vitrine d’un parti
politique au pouvoir. Et les gens ont pu voir ainsi Fraternité Matin, qui était
le 7ème journal au moment où je prenais fonction, redevenir, deux mois après,
le premier journal de Côte d’Ivoire. J’ai réinventé la ligne éditoriale avec le
slogan « Ni neutre, ni partisan ». Malheureusement, ce slogan n’a pas survécu à
mon départ. On l’a fait disparaitre, marquant ainsi le retour triomphal à la
langue de bois. J’ai toujours proclamé que mon horizon d’Homme ne s’arrêtait
pas à un cabinet présidentiel ou encore moins à un cabinet ministériel. Cela
vous donne une idée de ma vision, de ma personnalité et surtout, de mon esprit
d’indépendance.
J’insiste. Si
on vous fait appel en ce moment pour servir la Côte d’Ivoire, allez-vous
cracher là-dessus ?
Ma norme à
moi, ma profonde conviction d’homme est que je ne sers la Côte d’Ivoire que
quand elle est réconciliée avec elle-même et avec les valeurs de progrès. J’ai
profondément mal à la Côte d’Ivoire quand elle est aussi profondément divisée :
ma part d’humanité souffre avec elle et avec tous ceux qui sont victimes de
cette division. Je me sens, jusqu’au plus profond de moi-même, solidaire de
leurs destins. Je ne peux me réjouir du sort qui est fait à tant de gens en
exil, ou privés de liberté, quand ils ne sont pas chassés de leurs plantations.
Sans doute, pour certains, ce sont là des trophées de guerre, mais, pour moi et
pour tant d’autres, c’est le comble de la bêtise en politique.
Alors
concrètement quelle est votre solution pour réconcilier les Ivoiriens ?
Ma solution
est simple. Je prône « une réconciliation par les valeurs et par les grands
principes démocratiques ». Sortons du folklore émotionnel qu’on nous sert à
longueur de journée ! Sortons des incantations verbales du genre : « il faut
que le Bété salue le Dioula, il faut que le Dioula salue le Baoulé, il faut que
le Baoulé salue l’Adjoukrou ». Retrouvons plutôt la sagesse de l’Attougblan
parleur. Faisons parler le génie politique qui est en nous et en chaque peuple.
Posons-nous la question de savoir : d’où nous venons et où nous allons ? La
réponse est en nous et non hors de nous. N’allons surtout pas la chercher à
Paris mais ici, dans la sagesse millénaire de nos peuples, dans notre capacité
à nous réinventer, à ne pas perdre l’initiative historique. Nous ne sommes pas
des damnés de la terre. Collectivement et individuellement, nous n’existons pas
sur la terre par hasard. Nous ne sommes pas une fiction de l’Histoire. A notre
façon, nous devons contribuer à réinventer cette grande fresque universelle que
l’Occident veut écrire sans nous en y apportant, notre part de lucidité
critique, notre part d’humanité, notre singularité.
Je ne vous
suis pas concrètement. Tout cela veut dire quoi ?
Parce-que nos
problèmes sont concrets : ce sont des milliers de morts qui attendent que
justice leur soit rendue. Les sociétés occidentales, qui nous imposent une
lecture prétendument universelle mais réellement univoque de l’Histoire, sont
les sociétés les plus individualistes. Dans les grandes villes, les voisins ne
se saluent pas et meurent les uns après les autres, en s’ignorant, presque dans
la solitude. Et pourtant ils ne se haïssent pas au point de s’entretuer tous
les matins. Mieux, ils vivent en harmonie. Interrogeons-nous alors: qu’est ce
qui les réconcilie, qu’est ce qui les rassemble et transcende leurs égoïsmes ?
Ce sont les valeurs de justice, de droit, d’égalité, de transparence et la
solidarité institutionnalisée qu’ils ont en partage et qui garantissent aux uns
et aux autres les mêmes chances et les mêmes droits. C’est la démocratie,
l’Etat de Droit. C’est surtout le fait que ces sociétés aient élevé la vie
humaine au rang de valeur sacrée. Travaillons donc à transformer la société
ivoirienne par l’ancrage des grandes valeurs démocratiques, sociales et
humaines. C’est ce que j’appelle « la réconciliation par les valeurs et les
principes démocratiques ». Pouvez-vous donner concrètement quelques exemples
d’actions qui plombent, à vos yeux, le processus de réconciliation nationale ?
Je ne suis pas de ceux qui disent que si Gbagbo est à La Haye, Ouattara et Soro
doivent l’y rejoindre aussi. Sans doute ont-ils raison. Mais pour moi, la place
de nos hommes politiques, c’est ici en Côte d’Ivoire et nulle part ailleurs.
Leurs erreurs doivent nous aider à grandir et à aller vers un seul but: élever
la vie humaine, celle des Ivoiriens comme celle des autres, au rang de valeur
sacrée. Gbagbo à La Haye, à mes yeux, plus qu’une erreur, c’est une faute
politique devant l’Histoire. Je peux aussi joindre ma modeste voix à ceux qui
dénoncent ces nominations tribales, cette justice à deux vitesses, ces médias
embrigadés, ces marchés de gré à gré, cette impunité rampante pour les délits
économiques, la construction de cette armée vouée à maintenir une ethnie au
pouvoir, ces emprisonnements selon l’humeur du prince.
Vous
connaissez savoir les conditions dans lesquelles le Président Ouattara a trouvé
ce pays.
Laurent Gbagbo
était à peine au pouvoir que des assaillants tentaient un coup d’Etat qui s’est
transformé en une guerre presque sans fin. Lui aussi peut prendre prétexte de
cela pour justifier l’injustifiable. Non ! Et non ! On nous a fait espérer un
Ouattara nouveau, bonifié par les épreuves, généreux en esprit, prêt au pardon.
Un peu plus de deux ans après, il n’est toujours pas au rendez-vous de
l’Histoire, mis à part son coup de maître à l’université. Ouattara est
confronté à deux types d’Ivoiriens parmi ses non partisans. Il y a ceux qui
sont des opposants résolus et déterminés, les irréductibles, les plus nombreux
sans doute, qui souhaitent sa perte politique sinon sa mort physique. Et il y a
ceux qui, comme moi, considèrent que, bien qu’il ait gagné une guerre et non
une élection, il peut être une chance pour la Côte d’Ivoire ou du moins qu’il
faut lui donner sa chance. Dans mon cas, en dehors de la facture idéologique
très profonde qui nous sépare (ayant toujours considéré, hier comme
aujourd’hui, que les politiques ultralibérales qu’il nous applique, chaque fois
qu’il est aux affaires, sont inopérantes et inefficaces en Afrique) nous nous
respectons dans nos différences.
Vous vous
connaissez alors.
Oui ! Pour
l’anecdote, au hasard de mes pérégrinations journalistiques, je me suis trouvé
à l’interviewer à Dakar au siège de la BCEAO (Banque centrale des Etats de
l’Afrique de l’Ouest, ndlr) dont il était le gouverneur. Nos échanges Off et le
fait qu’il ait pris le temps de m’interroger sur la date de parution de
l’interview qu’il venait de m’accorder, m’avait laissé entrevoir qu’il avait un
agenda caché ou tout au moins qu’il se préparait à jouer un grand rôle en Côte
d’Ivoire. D’ailleurs, quand je lui avais fait noter la date de parution, il fit
ce commentaire qui en dit long : « C’est un bon timing ! » Quelques semaines
après la parution de cette interview, il fut nommé président du Comité
interministériel, puis, trois mois après, Premier ministre. Lui, à Washington
et moi à Abidjan, nous nous sommes parfois rencontrés à des conférences
internationales à Monaco, à Paris ou même à New York quand ce ne sont pas dans
les avions qui nous transportaient. Ainsi, à trois mois des élections
présidentielles, nous nous sommes parlé très brièvement dans l’avion qui nous
ramenait de Paris. Mais jamais je ne me suis prévalu de cette interview et des
relations qui en sont nées pour espérer de sa part un quelconque privilège ou
même un simple rendez-vous personnel. Et cela dure depuis décembre 1989.
Pourquoi
n’allez-vous pas vers lui pour vous parler, pour lui faire part de vos attentes
?
Laissez-moi
poursuivre et vous comprendrez mes motivations ! Cette posture de renoncement
qui est la mienne, cette distanciation critique que j’entretiens à son égard,
l’avait marqué. Un jour, convié en ma qualité de président de l’Union nationale
des journalistes de Côte d’Ivoire, par le ministre Ally Coulibaly à un cocktail
de presse que le couple Ouattara, de passage à Abidjan venu de Washington,
offrait, j’ai été présenté à son épouse par le journaliste Guy-André Kieffer
avec qui elle conversait aimablement. Elle prit ainsi le temps de me faire part
de l’admiration sans bornes que son mari me portait pour mon intégrité morale
et le respect de mon métier. Aux yeux de Ouattara, je passais pour être un
homme singulier dans la profession. Je ne sais si aujourd’hui encore, il
continue de le penser depuis mes dernières déclarations politiques que j’assume
pleinement et souverainement. Peu m’importe ! Car aujourd’hui c’est moi qui
veux le juger sur sa capacité à étonner la Côte d’Ivoire, l’Afrique et le Monde
en projetant la Côte d’Ivoire dans l’avenir, dans cette modernité politique.
Pour me voir, moi aussi lui vouer une admiration sans bornes. Pour l’heure, il
n’en prend pas le chemin.
Justement, on
peut vous prendre au mot. Vous avez, en effet, soutenu Laurent Gbagbo pendant
la crise postélectorale, vous avez quitté la Côte d’Ivoire pour un exil sans
doute doré et vous êtes rentré tranquillement au pays.
Pourquoi un
exil doré ? Je suis revenu au pays et alors ? Sans doute, ne suis-je pas un
danger pour le régime Ouattara et pour la République des FRCI. Sans doute, ma
grande gueule ou mon parler vrai, c’est selon, font-ils partie du paysage
politico-médiatique ivoirien. Je suis dans une posture de défiance et
d’irrévérence vis-à-vis de tous les régimes qui se sont succédé en Côte
d’Ivoire, d’abord, en tant que journaliste donc une conscience sociale critique
et ensuite, en tant que président de l’UNJCI donc, premier défenseur de la
corporation. Et cela d’ Houphouët à Gbagbo sans aucune exception.
Houphouët-Boigny ne vivait-il pas, lorsque j’ai fait appeler le prix
d’excellence, attribué chaque année à nos meilleurs journalistes, Prix Noël X.
Ebony ? Noël X. Ebony fut le seul journaliste de la grande époque du parti
unique qui lui a résisté. Avez-vous oublié la marche de protestation que j’ai
organisée contre Robert Guéi et son régime militaire, suite à la bastonnade
qu’il a fait infliger au journaliste Joachim Beugré (aujourd’hui maire de
Jacqueville) pour dénoncer « la délinquance d’Etat » ? Gbagbo est mon frère et
mon ami, mais je n’ai pas hésité à l’interpeller sur les antennes de RFI,
accusant son régime d’utiliser les pires méthodes d’intimidation de la Gestapo
quand il fit arrêter le journaliste Ouattara Mohamed Junior, installé désormais
à Paris. Laurent Gbagbo était alors en visite officielle au Cameroun et avait
mal pris la chose. Il me le fit savoir avec ménagement lorsque Seydou Diarra me
nomma comme son conseiller à la Communication au Forum pour la Réconciliation
nationale.
Et sous l’ère
Bédié ?
Avez-vous
oublié les arrestations d’Hamed Bakayoko et les autres. Qui était là pour dire
« Non » ? En tant que secrétaire général de l’UNJCI, j’ai pondu une déclaration
forte et sans concession. Vous savez qui me l’a fait payer à l’époque ? Michel
Kouamé, devenu directeur général de Fraternité Matin. Avant sa nomination à ce
poste, il m’avait promis par le truchement de mon ami et mentor Yao Noël son
neveu, un poste de grande responsabilité. Je fus finalement le dernier chef de
service qu’il nomma, je dirai par la force des choses et cela presque à
quelques mois du coup d’Etat qui le fit quitter le pays avec Bédié. Conséquence
pour moi : ma carrière fut ainsi bloquée au point qu’avant de devenir à mon
tour Directeur général de Fraternité Matin, je gagnais à peine 225 000 FCFA de
salaire mensuel net. Ayant démissionné entre temps du poste de chef de service
Economie pour me consacrer pleinement à l’UNJCI, j’ai automatiquement perdu
l’indemnité de 50.000F de chef de service. Voilà mes faits de guerre ! J’ai beaucoup
donné à la Côte d’Ivoire pour que je la regarde dans les yeux pour dire haut et
fort ce que je pense des princes qui nous dirigent.
Mais cette
fois nous sommes sur le terrain politique et vous avez pris position pour un
camp contre un autre, en l’occurrence contre le camp actuellement au pouvoir.
Et vous circulez dans ce pays sans vous sentir inquiété, n’est-ce pas là le
signe que la réconciliation est en marche ?
C’est pour moi
le temps de la clarification. Pendant ces élections, j’ai voté pour Gbagbo par
reconnaissance, par amitié et par conviction. Si c’était à refaire, je le
referais mille fois. Sans aucun regret. Quand la Côte d’Ivoire souffre, je
souffre avec elle. Je ne triche pas ! J’ai quitté la Côte d’Ivoire parce que
j’ai trouvé nécessaire de partir hors du pays pour me ressourcer. En aucun
moment, ma vie n’a été mise en danger. Mais les domiciles de mes voisins très
proches du régime Gbagbo étaient occupés par les FRCI quand ils n’ont pas été
pillés. Ce qui n’était pas fait pour me rassurer. Mais il me faut être clair
pour aujourd’hui et pour demain, pour l’histoire. Je n’ai pas attendu les
élections pour marquer mon désaccord avec les interférences néo- coloniales de
la France dans la politique ivoirienne. Avez-vous déjà oublié cette lettre
historique que m’avait adressée dans sa colère homérique, l’ambassadeur de
France, feu Renaud Vignal, lorsque j’avais pris à partie l’attitude ambigüe de
son pays au lendemain de l’attaque du 19 septembre 2002 dont la Côte d’Ivoire
venait d’être victime. Une année plus tard, j’ai été censuré par TV5 qui s’est
refusée à diffuser l’interview que je leur ai accordée dans le jardin de
l’Hôtel Ivoire pour une émission consacrée à la Côte d’Ivoire que devait animer
la journaliste vedette Epoté Durand. Dans cette interview, j’expliquais
justement à cette chaîne que le problème de la Côte d’Ivoire, ce n’est pas
Ouattara et que les Ivoiriens se trompaient de combat, d’objectif mais que
plutôt le problème de la Côte d’Ivoire, c’est la France. Les évènements ne m’ont-ils
pas donné raison ? Si TV5 garde ses archives, même pour des interviews non
diffusées, vous pouvez retrouver cette intervention. Chaque fois qu’un Africain
est applaudi par des Blancs, il faut commencer à le soupçonner.
C’est donc une
constance chez vous la lutte contre une certaine France.
Je fais partie
du courant des économistes africains et tiers-mondistes qui pensent qu’un pays
ne peut pas se développer dans la dépendance. Et cela n’a rien à voir avec
Gbagbo ou Ouattara ou les élections en Côte d’Ivoire. Moi, je suis par exemple
contre le franc CFA et cela n’a rien à voir avec Gbagbo ou Ouattara. A mes
yeux, tous ceux qui militent pour le maintien du franc CFA font partie des
élites africaines corrompues. Et Gbagbo lui-même n’a pas échappé à cette «
fatalité africaine », au contact de la réalité du pouvoir. Savez-vous ce qui
sous Gbagbo a coûté à Mamadou Koulibaly le non renouvellement de son
portefeuille ministériel ? Ses déclarations fracassantes, en tant que ministre
de l’Economie et des Finances, sur la nécessaire flexibilité du franc CFA par
rapport à l’euro. Gbagbo nous avait envoyés en mission aux Etats Unis avec
l’ancien premier ministre Seydou Diarra avec qui j’entretiens une relation
filiale. Et nous en sommes revenus pour lui dire ce que le FMI (Fonds monétaire
internationale, ndlr) et la Banque Mondiale pensaient de ces déclarations :
elles n’en pensaient pas du bien. Imaginez donc ce que la France elle-même
pouvait bien en penser. On ne peut pas être Africain digne de ce nom et militer
pour un système néo colonial qui nous maintient dans la dépendance et donc dans
l’exploitation. Là-dessus, c’est Malcom X qui nous avait prévenus. Il disait
ceci : « Chaque fois qu’un Africain est applaudi par des Blancs, il faut
commencer à le soupçonner ». J’en ai fait une des grilles de lecture de la vie
politique internationale et du rapport de l’Afrique avec l’Occident. Pour
conclure, je dirai que, dans l’absolu on peut être ni pro-Gbagbo, ni
pro-Ouattara mais pour la Côte d’Ivoire et contre la France. Cette approche
binaire : ou pro-Gbagbo ou pro-Ouattara qui a cours dans nos médias est
simplificatrice des positionnements et des situations plus complexes des uns et
des autres.
Donc vous
considérez que la France a porté Ouattara au pouvoir ?
Je répondrai à
votre question sans biaiser. Mais permettez-moi de vous livrer une confidence
quant à mon rôle, si modeste soit-il, de go-between dans cette crise
ivoirienne. Vous savez qu’à un moment donné, dans cette crise ivoirienne, le
médiateur international Albert Tévoédjrè, avait quelques difficultés à
s’accorder avec le Chef l’Etat, Laurent Gbagbo, quant au recours à l’article 48
pour permettre la candidature d’Alassane Ouattara aux élections présidentielles
en Côte d’Ivoire. J’étais encore Directeur général de Fraternité Matin,
lorsqu’Albert Tévoédjrè me convia à un diner dans sa résidence à la Riviera
Golf. Il me fit alors part de sa préoccupation qui était la suivante : faire
jouer un rôle à Laurent Dona Fologo pour qu’il mette en place un scénario de facilitation.
Et je me suis prêté au jeu. Effectivement, je suis allé persuader le président
Laurent Dona Fologo qu’il avait une partition à jouer. Et que le temps était
venu pour lui de la jouer. Je n’ai jamais donc été opposé par principe à la
candidature de Ouattara à cette élection présidentielle en Côte d’Ivoire. Et
cela était un point de divergence fondamental avec certains de mes amis de
gauche, membres du FPI. Toutefois, je suis opposé à la façon dont le président
Ouattara est arrivé au pouvoir. Si c’était mon ami et frère Laurent Gbagbo qui
venait au pouvoir de la même façon, j’y serais opposé. Comme j’ai été toujours
opposé au coup d’Etat contre Bédié en 1999. Pour ceux qui connaissaient ma
proximité avec Mme Guéi, ils savent que si je n’avais pas été opposé au coup
d’Etat contre Bédié, j’aurais eu à jouer un grand rôle dans ce pays déjà sous
le règne du Général Robert Guéi. J’étais en effet très lié à Mme Guéi que j’ai
soutenue pendant ses luttes syndicales pour la conquête du Syndicat national des
enseignants du primaire public de Côte d’Ivoire. Je l’ai connue en tant
qu’institutrice et directrice d’école dans une école située à Adjamé non loin
des tours administratives du Plateau. Et je m’y étais rendu souvent pour la
rencontrer et prendre un verre avec elle.
Voulez-vous
dire que vous êtes toujours loin des positions alimentaires ?
Mon ventre ne
commande pas ma raison. Vu sous cet angle, je ne suis pas un Ivoirien. Je n’ai
pas applaudi le coup d’Etat de 1999, je n’ai pas adoubé le régime de Robert
Guéi. Bien au contraire, j’ai initié une marche de protestation des
journalistes, et cela pour la première fois dans l’histoire de ce pays, et de
surcroît contre un régime militaire issu d’un coup d’Etat, pour défendre l’un
des nôtres. Comme tant d’autres à cette époque, j’aurais pu baisser la culotte
(ce n’est pas un jeu de mot) et dire à Mme Guéi : « Ecoutez, vous êtes là au
pouvoir, c’est le temps pour vous de regarder votre ami Honorat parce que quand
vous étiez en train de vous battre contre Mme Alangba au niveau du syndicat
national des enseignants du primaire public, on n’a pas été nombreux à vous
soutenir dans la presse ». Il faut aussi savoir que lorsque j’ai perdu mon
poste à Fraternité Matin, j’ai eu un dernier déjeuner avec le Président Laurent
Gbagbo, par l’entremise de son épouse Nady Bamba. Laurent Gbagbo nous a réunis
à quatre après le déjeuner : lui, Nady Bamba, Kébé Yacouba et moi. Je voulais
comprendre les raisons de mon limogeage et lorsque j’ai compris que lui, le
président Laurent Gbagbo, mon ami et mon frère, y était pour quelque chose,
alors yeux dans les yeux, face-à-face, je lui ai dit qu’à partir de cet instant
là quand je serai sorti de ces lieux, qu’il ne me nomme à aucun poste public.
Et jamais depuis que je suis parti de Fraternité Matin, je n’ai négocié mon
retour à un poste public. Ma déclaration contre la France lors de cette
émission télévisée (Une émission d’une chaîne italienne sur la crise
postélectorale en 2011 reprise par la Radiodiffusion télévision ivoirienne
(RTI)) ne visait donc pas à lui faire plaisir pour espérer une quelconque grâce
de sa part. Ce sont des propos d’un homme de conviction, d’une conscience
engagée pour l’Afrique et pour la Côte d’Ivoire.
Un commentaire
sur la gestion de Laurent Gbagbo que vous avez côtoyé de si près.
Ce n’est pas
le temps d’exercer un quelconque droit d’inventaire du régime Gbagbo. Par
respect pour la situation qu’il vit. Attendons encore quelques jours ou
quelques mois. Car j’ai bon espoir qu’il sortira de La Haye. Sa place est ici
en Côte d’Ivoire et nombreux sont les Ivoiriens qui l’attendent. Je vais juste
donc me contenter de m’interroger : Gbagbo a-t-il bien géré ce pays ? Si
c’était le cas, pourquoi l’attaque du 18 septembre 2002 a-t-elle été possible ?
Je vais plus loin : si on avait eu une armée dotée d’une conscience politique,
les choses ne se seraient-elles pas passées autrement ? En effet, cette armée
en voyant ce pays divisé en deux, ne l’aurait-elle pas accusé de haute trahison
puis ne l’aurait-elle pas traduit devant une cour martiale ?
Honorat De
Yedagne en train de dire que l’armée devrait faire partir Gbagbo dès 2002.
Une simple
interrogation pour susciter le débat et dans le prolongement de cette
réflexion, je me pose la question de savoir si on avait à cette époque-là une
armée et des dirigeants dignes de ce nom. Sans doute faut-il mettre tout cela
sur le fait qu’ils étaient novices.
Cette
interrogation est-elle aussi valable pour l’actuelle armée ivoirienne ?
Y a-t-il une
armée en Côte d’ivoire ?
Je vous pose
la question.
Je me pose
juste la question.
Est-ce à dire
que vous êtes menacé ou en insécurité ?
Mais pourquoi
voulez-vous qu’on soit menacé d’abord ou en état d’insécurité pour s’interroger
sur l’existence d’une armée républicaine à la hauteur des défis qui guettent la
Côte d’Ivoire ? J’observe qu’aujourd’hui il y a une armée qui est mise en place
pour maintenir un homme, un régime au pouvoir. Mais cela n’en fait pas une
armée républicaine. On n’est pas loin du modèle togolais : une armée tribale au
service d’un régime et d’un clan. Il faut savoir que le seul intérêt qui doit
compter pour une armée républicaine, c’est l’intérêt national et la défense des
institutions de la République.
A vous
entendre, doit-on craindre le prochain processus électoral qui démarre en 2015
?
C’est le PIT
qui a eu raison avant l’heure, en appelant à une conférence nationale
souveraine pour vider tous les contentieux nés de l’ère Houphouët-Boigny. Quand
on voit le tableau politique de ce pays avec tous ces clignotants qui sont au
rouge : une transition politique pour asseoir une citoyenneté nouvelle en
rupture avec l’héritage moral désastreux d’Houphouët-Boigny s’impose. La Côte
d’Ivoire doit se retrouver avec elle-même, autour d’un consensus politique
fort, le plus large possible, pour réussir son entrée dans la modernité
politique. Et pour arriver à ce consensus fort, il faut impliquer l’ensemble
des partis politiques et des forces sociales organisées. Sans doute, va-t-on
attendre d’autres morts, d’autres crimes, d’autres élections calamiteuses, pour
voir se produire ce « choc moral » qui tuera en nous la peur de l’autre et nos
ambitions égoïstes et claniques.
Vous avez
beaucoup d’idées. Est-ce à dire qu’on vous retrouvera bientôt sur le terrain
politique pour briguer un poste électif, un poste aux élections municipales ou
législatives à venir ?
Mon rêve pour
la Côte d’Ivoire, c’est d’être à un niveau de responsabilité où l’on travaille
à faire entrer ce pays dans la modernité politique. Le propre des maires et
autres, c’est la course à l’enrichissement illicite, aux fausses factures et
aux surfacturations de toutes sortes. En Côte d’Ivoire, je n’ai jamais
rencontré de maire. Je n’en connais pas. Vous pouvez prendre l’exemple de
Cocody, s’il y avait un maire digne de ce nom, Cocody ne serait pas ce qu’il
est aujourd’hui. Il faut faire une loi qui contraint les maires au résultat.
Interview réalisée par Raymond Dibi (L’Intelligent
d’Abidjan)
en maraude dans le web
Sous cette rubrique, nous
vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas
nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en
rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et
aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à faciliter la
compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise
ivoirienne ».
Source : Connectionivoirienne.net 9 novembre 2013