mercredi 18 juillet 2018

16 juillet 2018 : une journée des dupes à l’ivoirienne

1 – BILAN DE L’ASSEMBLÉE GENERALE CONSTITUTIVE
DU PARTI UNIFIÉ D’ALASSANE OUATTARA

Les lampions se sont éteints hier sur l’assemblée générale constitutive du RDR unifié. Cette cérémonie a vu la participation du RDR, de l’UDPCI et de petits morceaux dissidents des autres partis. Le PDCI-RDA, l’autre poids lourd de l’alliance a refusé non seulement de s’engager dès maintenant dans cette unification mais aussi de s’associer d’une manière ou d’une autre à la cérémonie. Cette analyse se veut un bilan sans concessions de la démarche du parti cher à Félix Houphouët-Boigny.

ECHECS
Le président Henri Konan Bédié avait attiré l’attention sur le fait que les militants de son parti ne devaient pas se rendre à la cérémonie. Il avait insisté sur le fait que ceux qui s’y rendraient s’excluaient de facto du PDCI-RDA puisqu’on ne peut appartenir à deux partis simultanément.
Il a cependant été donné de constater que tous les ministres et président d’institution issus du parti étaient présents même s’ils ont pris le soin de le faire en leur nom propre. Le fait qu’ils y soient allés est un échec pour le président du parti qui n’aura pas su tenir ses troupes.
L’autre échec que l’on peut stigmatiser, c’est la cacophonie au niveau de la communication. Le PDCI-RDA a semblé ne pas maitriser sa communication donnant lieu à des communiqués successifs dont le tout dernier était truffé de fautes grossières. L’enjeu communicationnel n’a pas été maitrisé tandis que le RDR a mis les petits plats dans les grands afin de s’assurer de faire entendre son message. Le PDCI-RDA a donné l’impression de réagir à chaud en n’anticipant pas les coups adverses. De surcroit, lorsque Denis Kah Zion, patron du Nouveau Réveil, le quasi journal officiel du PDCI joue à un jeu trouble, cela n’est pas fait pour participer à la clarté du message.

REUSSITES
La première réussite et la plus importante est que le PDCI-RDA ne soit pas signataire du parti unifié. Son logo a d’ailleurs disparu des affiches et c’est la plus grande victoire de HKB. M. Ouattara qui a compris que son parti unifié manquerait de crédibilité sans le PDCI-RDA au double enjeu non seulement de la mobilisation mais aussi de l’appartenance à Houphouët-Boigny a contrairement à ses habitudes tenu un discours qui laisse entrevoir que les négociations vont se poursuivre, ou du moins qu’il le souhaite. Un parti d’Houphouëtistes sans le parti crée par Houphouët n’a aucune crédibilité et c’est le plus gros coup que le président Bédié a joué à son ex allié réfractaire aux débats d’idées.
L’autre réussite, c’est l’absence de tous les cadres du PDCI-RDA en dehors de ceux qui occupent des responsabilités dans le pouvoir. C’est le signe que le RHDP est une affaire de partage du gâteau. D’ailleurs Patrick Achi lors du bureau politique avait affirmé que sa base rejette le parti unifié. Il est donc loisible d’affirmer que ceux qui ont fait le déplacement protège leurs intérêts personnels au lieu de l’intérêt du parti et ce message est entièrement perçu par les militants. À titre illustratif, le bureau politique du PDCI RDA, c’est plus de 1000 cadres. Combien étaient présents hier au parti unifié ? À peine une vingtaine.
Par ailleurs, c’est aussi une réussite de constater qu’aucun cadre du PDCI-RDA présent n’a osé usurper la signature du PDCI-RDA comme cela a été le cas pour les autres partis. Même M. Adjoumani, le plus euphorique d’entre eux ne s’y est pas risqué. Ce qui laisse penser que le PDCI et ses cadres sont dans une vaste stratégie consistant à pousser M. Ouattara le plus loin possible avant de se désolidariser. Vrai ou faux ? L’avenir nous situera.

ET MAINTENANT ?
Avec la cérémonie d’hier, M. Ouattara a abattu sa carte mais il n’a plus la main pour la suite des évènements tandis que le président Bédié a encore une grosse marge de manœuvre. La première, c’est de sanctionner tous les cadres indélicats. En dehors de M. Adjoumani, je pense qu’il faut encore trainer les pas pour les autres. Il ne faut pas insulter l’avenir.
La seconde carte, c’est de répondre à un rassemblement par un rassemblement beaucoup plus imposant. Le président Bédié peut tendre la main à l’opposition pour une coalition beaucoup plus grande et plus mobilisatrice. C’est un secret de polichinelle que le parti unifié dans sa composition actuelle est ultra minoritaire face à une coalition PDCI-RDA+PRO-GBAGBO+PIT+MFA+UPCI+LIDER. Toute personne qui prétend le contraire est un charlatan, un diseur de bonne aventure. Le prochain combat sera les élections municipales et régionales. 
Si le PDCI-RDA se met avec les autres membres de l’opposition pour demander la libération des prisonniers politiques, la recomposition de la CEI, etc., M. Ouattara se retrouvera dos au mur.
Le jeu ne fait que débuter. Malheur au vaincu ! #ÉpiCèTout

2 - LES RISQUES ENCOURUS PAR LE PRÉSIDENT BÉDIÉ
La première partie traitait des échecs et des réussites du PDCI-RDA en ce qui concerne l'assemblée générale constitutive du parti unifié. Analysons maintenant les risques encourus par le président Bédié et le PDCI RDA.
C'est un secret de polichinelle. Quand M. Ouattara veut quelque chose, il se donne les moyens de l'obtenir quitte à piétiner la loi s'il le faut. En dépit de ce qu'il affirme, il sait qu'un RHDP sans le PDCI-RDA n'a aucune saveur idéologique et populaire. M. Ouattara va donc tout donner afin que la signature du PDCI-RDA se couche sur les documents du parti unifié.
Deux schémas s'offrent à lui dans ce cas : soit il réussit à convaincre le président Bédié qui signe (ce qui est très peu probable actuellement) soit il lui arrache la signature du parti et je pense que c'est ce schéma déjà utilisé à maintes reprises qui sera réédité.
La décision du dernier bureau politique du PDCI-RDA qui remet la question du parti unifié après la présidentielle et le congrès en 2020 est déjà contestée en justice. Cette dernière va rendre un verdict en faveur des plaignants qui vont s'y appuyer pour faire convoquer un congrès extraordinaire ou ordinaire et organiser une élection à la tête du parti. Congrès qui sera bien entendu boudé par le président Bédié et les militants du PDCI RDA. Le RDR se chargera du remplissage et M. Ahoussou Jeannot ou M. Kablan Duncan sera élu président du parti. Dans la même foulé, les documents relatifs au parti unifié seront signés. Ce groupe de dissidents aura la légalité tandis que HKB conservera la légitimité et la popularité.
Une fois que j'ai affirmé cela, il appartient à la direction du parti d'anticiper. Le message de M. Ouattara hier, c'était des menaces quand il dit ne pas vouloir d'un PDCI-RDA divisé en blocs. C'est maintenant qu'il faut montrer la capacité de résilience du PDCI RDA. Il faut faire monter la jeune génération au créneau en rassemblant même les frustrés potentiels comme KKB et Yasmina Ouegnin. Ils ont eu tort d'avoir eu raison trop tôt. Le président Bédié doit clairement affirmer son ambition de ne pas briguer un mandat. Cette posture donnera de la légitimité à sa démarche.
Quoi qu'on dise, le PDCI-RDA a les cartes en main. Mais de bonnes cartes ne servent à rien si on ne sait pas lire le jeu.
Au jeu d'échecs, les fous sont les plus près du roi. #ÉpiCèTout


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Source : Page FBK de Kyria Doukoure 17-18 juillet 2018RÉDACTION
(Le titre et les sous-titres sont de la Rédaction)

lundi 16 juillet 2018

Mondial 2018. L’Afrique aussi est championne du monde de Foot

DIX PAYS AFRICAINS REPRÉSENTÉS DANS LA SÉLECTION DE DIDIER DESCHAMPS
Kylian Mbappe, Ousmane Dembele et Presnel Kimpembe (de G à D)
célèbrent la victoire de la France au Mondial 2018 à Moscou le 15 juillet.
JEWEL SAMAD / AFP.
Selon Paris Match, la victoire de la France au Mondial 2018 est aussi une victoire pour le continent africain, dont sont originaires 14 joueurs, ce qui représente plus de la moitié de la sélection de Didier Deschamps.
On comprend donc l’engouement de la victoire des bleus partout en Afrique, d'Abidjan à Brazzaville, de Yaoundé à Kinshasa, d'Alger à Conakry, de Rabat à Bamako, pour ne citer que ces capitales-là.
Sur le terrain, parmi les onze joueurs qui débutent cette finale du Mondial 2018 à Moscou, cinq sont d’origine africaines. Et pas des moindres : les deux Camerounais, Kylian MBappe (moitié algérien, moitié camerounais) et Samuel Umtiti (né à Yaoundé) ; Paul Pogba, né à Lagny-sur-Marne de parents Guinéens (d’ethnie Kpelle) ; N’Golo Kanté, originaire du Mali et Blaise Matuidi, né à Toulouse de parents qui ont fui l’Angola pour la République démocratique du Congo.
Au début de la seconde mi-temps, rentre le milieu de terrain moitié Congolais Steven Nzonzi ; puis le lyonnais Nabil Fekir dont les parents sont originaires de la Wilaya de Tipaza en Algérie ; et Corentin Tolisso, né de père Togolais. Le reste de l’équipe compte encore six joueurs originaires du continent : Steve Mandanda, le gardien de l’OM né à Kinshasa en RDC ; Benjamin Mendy, né dans l’Essonne, originaire du Sénégal ; Presnel Kimpembe, moitié Congolais et moitié Haïtien. Né en France de parents marocains, Adil Rami s’est rendu célèbre en formant un couple avec l’actrice Pamela Anderson. Djibril Sidibé, est né à Troyes de parents Maliens et Ousmane Dembele, né à Vernon avec des ascendances du Mali, du Sénégal et de la Mauritanie. « Ça a toujours été une richesse pour le football et les sports français », a déclaré Didier Deschamps en conférence de presse.
Au total 10 pays africains sont représentés dans l’équipe de France championne du monde : le Cameroun, le Mali, la Guinée, l’Algérie, le Maroc, le Togo, la République démocratique du Congo, l’Angola, le Sénégal et la Mauritanie. On comprend mieux l’engouement du contient pour l’équipe de France. A l’instar de l’ancien défenseur de l’AJ Auxerre, Taribo West, aujourd’hui pasteur à Lagos, qui nous confiait soutenir la France depuis la défaite du Nigéria. « Et aussi parce que j’ai beaucoup d’amitié pour Didier Deschamps que je connais bien ». « C’est fédérateur, rassembleur », a commenté l’ancien international Youri Djorkaeff.
Marienta
Source : IvoireBusiness 16 Juillet 2018.

jeudi 12 juillet 2018

PALABRE DE HOUPHOUËT-TRISTES…*

CHANGER NOTRE VIE ? LA BONNE BLAGUE !
Ça ne nous regardait pas, leur palabre-là. C’est vrai, c’est entre eux, les houphouët-tristes. Mais les bruits de leurs querelles, sont arrivés jusqu’à nos oreilles. Comment on va faire ? Les oreilles entendent tout, les yeux voient tout. On ne pouvait pas fermer nos oreilles, ni nos yeux.
On a tout entendu, on a tout vu aussi. Parce que ce sont nos voisins d’à côté. Eux et nous, on habite dans même cour, mais chacun a ses problèmes.
Donc nous, on ne va pas mettre notre bouche dans leur affaire, parce que c’est entre eux.
Mais quand même, si ça fait rire, faut pas nous on va rigoler ? Même si on dit.
On peut quand même s’affairer : un débat portant sur affaire de « mariage » à l’assemblée nationale a créé « divorce » entre mari RDR et sa femme PDCI.
C’est pas bizarre ça ? Jusqu’ààà le mari a jeté les affaires de sa femme dehors ; il a pris les clés de leur maison, surtout celle de la cuisine, là où on mange-là, et puis, il est parti en Italie, pour voir le Pape. On dit qu’on appelle ça : « dissolution ».
Ko, gouvernement là, on a « dissolutionné » ça. Monsieur « Solution », il a renvoyé tout le monde. PDCI oh, RDR oh, UDPCI oh, les « à côté à côté » aussi oh, il les a tous « gbrah* » !
Mais mes chers camarades, chez le Pape là, c’est pas Eglise ? Ou bien on prie pas là-bas aussi ? Parce que le « dis-solutionneur » est rentré là-bas avec son cœur chaud. Or on dit : « Si ton cœur est chaud, faut laisser ça à l’entrée de l’Eglise ; faut partir te réconcilier avec ton frère d’abord avant de venir prier Dieu » (Fouillez dans la Bible, ça y é dedans).
Mais le mari « la dis-solution », lui il s’en fout. Femme-là n’a qu’à se fâcher. Si elle veut, elle n’a qu’à parti’ pour toujours ! Même si elle l’a aidé à grouper sur Gbagbo. Ça c’était avant, quand ça chauffait-là. Si y a gbangban*, les toubabous sont là. Ils vont prendre sa défense, comme au début.
Maintenant, lui, il est « krangba », comme « boulon » que mécanicien de derrière rail a serré. C’est pas lui qui donne l’argent de manger chaque fin du mois à sa femme, mamie PDCI ?
Mercredi 11 juillet 2018, H. Konan Bédié accueille A. Ouattara à Ivosep
QUI SONT LES DINDONS DE LA FARCE ?
En tout cas, c’était pas notre affaire, parce que affaire de couple, on connaît jamais d’avance ce qui peut se passer. Surtout quand ils vont entrer tous les deux dans la chambre. On sait pas ce que le mari va dire, ou promettre à sa femme. D’ailleurs, il paraît que c’est aujourd’hui ils vont se voir, pour régler affaire-là (une rencontre au sommet, un G2 entre Kôrô* Bédié et môgô* Ouattara).
Surtout si la femme, elle n’est pas compliquée comme madame PDCI. Si monsieur « dis-solution » augmente l’argent de popote et puis son argent de poche, sa bouche va se fermer net. Cette femme-là, nous on la connaît, y a longtemps, elle a cinquante ans, mais elle ne veut pas changer. Son affaire d’argent, c’est tout ce qui l’intéresse.
Voilà affaire-là. Nous on les regarde et puis on rit seulement. Mais faut pas que dans leur palabre-là, ils vont venir marcher sur nos pieds.
Parce que nous, comédie comme ça-là, on n’est pas dedans. Pour le moment, on les regarde seulement.

Par Yeux voient, bouche parle
(*) - Titre original : « Yeux voient, bouche parle ! Kôrô Bédié – Ouattara tchê : dis-solution ? »
LEXIQUE : Gbrah = chasser, renvoyer ; Kôrô = vieux, grand frère ; Môgô = homme, monsieur ; Gbangban = troubles, crises, guerre

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Source : La Dépêche d'Abidjan 23 Novembre 2012

mardi 10 juillet 2018

AFRIQUE. MACRON, LE VENTRE DES FEMMES ET LES VIEILLES LUNES COLONIALISTES


En désignant le taux de fécondité comme une entrave au développement de l’Afrique, le président de la République occulte les dynamiques démographiques à l’œuvre sur le continent. Et réactive les vieux préjugés essentialistes.


Emmanuel Macron avait déjà donné, avec les kwassa kwassa qui « pêchent peu » mais « amènent du Comorien », un aperçu de sa « pensée complexe ». Précipité, en fait, de cynisme, d’arrogance satisfaite et de condescendance néocoloniale. Le 8 juillet [2017], en marge du G20, le président français a récidivé avec, encore, un cliché aux relents racistes et colonialistes. « Le défi de l’Afrique (…), il est civilisationnel. (…) Quand des pays ont, encore aujourd’hui, sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien », a-t-il asséné. Bien dans les pas de Nicolas Sarkozy, qui assurait en 2007 à Dakar : « Le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire ». Les champs de bataille diffèrent : là, l’histoire ; ici, le ventre des femmes. Mais la matrice idéologique reste la même.

UNE VIEILLE LECTURE ESSENTIALISTE ET FIGÉE
On pense, bien sûr, à la hiérarchisation des sociétés qui forge la vision hégélienne d’une Afrique obscure, coupée des mouvements du monde, étanche aux progrès des sociétés humaines, peuplée d’hommes et de femmes esclaves des lois naturelles. « Ce qui détermine le caractère des Nègres est l’absence de frein. Leur condition n’est susceptible d’aucun développement, d’aucune éducation. Tels nous les voyons aujourd’hui, tels ils ont toujours été. Dans l’immense énergie de l’arbitraire naturel qui les domine, le moment moral n’a aucun pouvoir précis. Celui qui veut connaître les manifestations épouvantables de la nature humaine peut les trouver en Afrique. Les plus anciens renseignements que nous ayons sur cette partie du monde disent la même chose. Elle n’a donc pas, à proprement parler, une histoire. Là-dessus, nous laissons l’Afrique pour n’en plus faire mention par la suite. Car, elle ne fait pas partie du monde historique, elle ne montre ni mouvement, ni développement (…) ; ce que nous comprenons, en somme, sous le nom d’Afrique, c’est un monde anhistorique non développé, entièrement prisonnier de l’esprit naturel et dont la place se trouve encore au seuil de l’histoire universelle », professait Georg Wilhelm Friedrich Hegel à l’aube des grandes conquêtes coloniales.[1] Cette vieille lecture, essentialiste et figée, inspire toujours, pour le pire, les discours politiques projetés, depuis l’Occident, sur le continent. « Dans l’entendement de notre temps, chaque fois qu’on prononce le nom Afrique, on ne convoque pas seulement un fait physique, spatial ou géographique. On met aussi en branle, parfois inconsciemment, une série d’images, une foule de préjugés, d’attributs supposés typifier les êtres qui habitent cet espace physique, leurs coutumes et leurs manières de vivre et de faire », remarque le penseur Achille Mbembe.[2]
Ici, le préjugé est d’autant plus grossier qu’il occulte les dynamiques démographiques à l’œuvre sur le continent. « Le taux de fécondité moyen en Afrique est passé de 6,7 enfants par femme dans les années 1960 à 4,4 aujourd’hui. La transition démographique y est donc bien enclenchée, avec des différences entre sous-régions, entre pays, entre zones urbaines et zones rurales », explique le démographe burkinabé Jean-François Kobiané, directeur de l’Institut supérieur des sciences de la population (ISSP) de Ouagadougou. Dans le nord du continent, cette transition est très rapide et les taux de fécondité, avec 2 à 3 enfants par femme, approchent désormais de ceux que l’on observe dans les pays occidentaux. Dans les ex-colonies françaises d’Afrique de l’Ouest, le mouvement est plus lent. Certainement pour des raisons historiques, liées à la colonisation. Le 30 juillet 1920, une loi française y interdisait toute « propagande » visant à promouvoir les méthodes contraceptives, l’avortement, l’accès à la planification familiale, sous peine de lourdes sanctions. « Dans ce contexte, il a fallu attendre les années 1990 pour voir émerger, en Afrique de l’Ouest, les premières politiques sérieuses de planification familiale, engagées, en Afrique anglophone, dès l’aube des indépendances », explique Jean-François Kobiané. Dans ces dynamiques contrastées, la baisse du taux de mortalité compense celle de la fécondité et la population croît de 2,5 % par an. D’ici à 2050, la population d’Afrique pourrait doubler, pour atteindre 2,4 milliards de personnes. Trop noirs, trop pauvres, trop nombreux ? Là se loge certainement l’angoisse d’une Europe terrifiée par les migrations comme par sa perte de centralité dans le monde. Mais cette croissance démographique africaine est-elle un frein au développement, comme le suggère Emmanuel Macron ? « Non, répond Jean-François Kobiané, elle peut même devenir un formidable levier de développement, à condition qu’elle s’accompagne d’investissements massifs dans la santé, dans l’éducation, dans la création d’emplois qualifiés ». À condition, aussi, de mettre fin au pillage des ressources du continent par les puissances occidentales et leurs multinationales, d’éteindre les conflits allumés et alimentés par les ex-métropoles coloniales, de lever les tutelles économiques, politiques et culturelles d’un autre temps. Voilà le défi civilisationnel digne d’être relevé.

Rosa Moussaoui

Source : https://www.humanite.fr 18 Juillet 2017

[1] - G. W. F. Hegel, la Raison dans l’Histoire.
[2] - Écrire l’Afrique-Monde, sous la direction d’Achille Mbembe et Felwine Sarr, Philippe Rey, 2017.

dimanche 8 juillet 2018

Les écailles commencent à tomber des yeux de certains partisans de Ouattara

Il y a quelques jours, des vivants, c’est-à-dire des personnes pas encore mortes, ont dû abandonner maisons et biens pour partager le même territoire que des morts. Depuis quelques jours, des hommes et des femmes sont obligés de dormir dans un cimetière avec leurs enfants. Cela se passe à Port-Bouët, une commune située à l’entrée d’Abidjan quand on quitte l’aéroport international F. Houphouët-Boigny. De mémoire d’Ivoirien, c’est du jamais vu ! Qui eût songé à une telle bizarrerie ? En tout cas, pas Madame Hortense Aka Anghui qui dirigea la commune de Port-Bouët pendant plus de trois décennies.
L’ancienne maire doit se retourner dans sa tombe et se demander, de là où elle se trouve à présent, pourquoi la vie de ces gens a basculé dans la catégorie des sans domicile, du jour au lendemain. Et ceux qui communiquent avec les morts lui répondront: Parce que Dramane Ouattara a exigé leur déguerpissement ; parce que son gouvernement leur a demandé, sans préavis et sans l’assurance d’un nouveau toit, de quitter le quartier dans lequel certains d’entre eux sont nés et ont grandi. Livrés désormais aux caprices du vent et de la pluie, exposés aux moustiques et aux maladies de toutes sortes, ces malheureux pères et mères de famille ne sont cependant pas inconnus du RDR ni du président d’honneur de ce parti. En effet, et c’est l’une des choses qu’ils ont en commun avec les délogés de Cocody Danga, de Gobelet et de Washington, ce sont eux qui ont battu campagne, bataillé, blessé, insulté, voire tué pour que Dramane Ouattara soit au pouvoir. Ils l’ont soutenu et défendu, bec et ongles, parce qu’ils le considéraient comme un des leurs ; parce qu’ils croyaient avec d’autres ressortissants de la CEDEAO que l’Éburnie était un no mans’s land ou bien appartenait à tout le monde. Ils le croyaient dur comme fer, tout comme ils étaient persuadés que leurs parents avaient construit ce pays, sué eau et sang pour qu’il soit ce qu’il est aujourd’hui. Pour eux, si ADO, leur « frère », arrivait au pouvoir, ce serait la fin de leur galère dans ce pays où coulent le lait et le miel. Tout cela, ils le croyaient vraiment et se croyaient intouchables jusqu’à ce maudit jour où des bulldozers rasèrent leurs pauvres habitations. Ils comprirent alors que la méchanceté ou la bonté n’est pas forcément là où on l’imagine et que l’homme en qui ils avaient mis leur confiance n’était guère différent des politiciens menteurs et sans cœur.
Je les ai vus dans mon rêve d’hier, ces hommes et femmes chassés manu militari d’Abattoir. Ils avaient encore les yeux hagards et avaient été rejoints dans le cimetière de Port-Bouët par les déguerpis de Washington, de Cocody Danga et de Gobelet. Tous disaient avoir perdu leurs illusions sur ce faux-frère et sur une Côte d’Ivoire réconciliée. Alors que des femmes essayaient tant bien que mal de calmer leurs rejetons tenaillés par la faim ou la soif, un homme monta sur une tombe. Wédraogo était son nom mais tout le monde l’appelait « Wed ». Il était apprécié et respecté. Pour n’avoir pas dormi quatre nuits durant, il était un peu nerveux. Il demanda le silence, chose qu’il obtint sans trop de difficultés, puis délivra le discours suivant : « D’abord, nous devons reconnaître notre tort d’avoir laissé un individu ingrat et cruel nous manipuler et nous opposer à des gens qui nous ont ouvert et leurs portes et leurs cœurs. Combien d’entre nous n’ont pas pris part aux meetings et marches du RDR, cotisé et combattu pour ce parti alors que la loi ivoirienne ne nous y autorisait pas ? Nous pensions, en agissant de la sorte, défendre une cause juste et noble. Mais ceux que nous avons aidés hier nous ont tourné le dos. Contre nous, ils ont fait ce qu’aucun autre président avant eux n’a osé faire : détruire nos maisons, brutaliser des femmes âgées et des enfants, nous faire dormir dans un cimetière. J’ai appris, ce matin, qu’ils ont commencé à s’en prendre aux serviteurs de Dieu (prêtres, pasteurs et imams) qui les ont interpellés ces jours-ci sur la justice sociale et la bonne gouvernance. Nous devons, ensuite, savoir que ni les pleurs, ni les lamentations ne nous ramèneront ce que nous avons perdu. Si nous voulons sortir vite de cette situation, il nous reste une seule chose à faire : nous solidariser avec tous ceux que ce régime dictatorial et sanguinaire a frustrés, dépossédés, humiliés, roulés dans la farine ou persécutés. Nous-mêmes, malgré tous les sacrifices consentis, nous avons été traités comme des moins que rien ; c’est en monnaie de singe que nous avons été payés. Qu’avons-nous encore besoin de preuves pour admettre que ce régime est violent et inhumain et qu’il mérite d’être dégagé le plus tôt possible ? ».
Wed fut longuement ovationné. C’est comme s’il avait dit ce que la foule désirait entendre. Il fut davantage applaudi quand il termina son speech par cette phrase : « Aucune dictature n’est éternelle. La justice et la liberté finiront par triompher et un jour nouveau se lèvera sur ce pays qui a tant donné en Afrique mais dont la générosité n’a pas toujours été appréciée à sa juste mesure ».

Jean-Claude DJEREKE

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Source : Connectionivoirienne.net 8 Juillet 2018

mercredi 4 juillet 2018

AMINATA DRAMANE TRAORÉ : « LES MIGRANTS SONT LES RÉFUGIÉS D’UNE GUERRE ÉCONOMIQUE »

Pour l’essayiste Aminata Dramane Traoré, ancienne ministre de la Culture du Mali, la « crise migratoire » est d’abord le symptôme de l’échec d’une marche forcée vers le libre-échange.
En quoi les procédures de tri appliquées aux migrants relèvent-elles des logiques néolibérales, capitalistes ?
Aminata Dramane Traoré : Je pense, d’abord, que cette politique de l’« immigration choisie » ne date pas d’aujourd’hui. Nicolas Sarkozy, celui qui a prononcé le discours sur « l’homme africain » à Dakar, revendiquait cette politique de tri. Les dirigeants européens savent parfaitement que le défi est éminemment économique. Ils ont cruellement besoin des richesses des pays d’origine de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants dont ils ne veulent pas sur leur sol. Ceux qui organisent la chasse à l’homme sur leur territoire, en mer, dans le désert sont largement responsables de la paupérisation de ces populations. On occulte complètement les causes historiques et structurelles de l’errance de ces hommes et de ces femmes, la responsabilité des pays européens dans la destruction des écosystèmes, du tissu économique et social qui pousse des populations à s’exiler. On parle de « migrants économiques », comme si le commerce ne prenait pas la forme, aujourd’hui, d’une guerre livrée à des peuples qui n’ont rien demandé. Toute l’histoire de la relation Union européenne-ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique – NDLR) se résume à une marche forcée vers le libre-échange, de la convention de Yaoundé, en passant par Lomé I, II, III, jusqu’à l’accord de Cotonou et aux accords de partenariat économique. Cette question du libre-échange est au cœur du sort de tous les migrants, qu’il s’agisse des Latino-­Américains ou des Africains. La particularité de notre situation, c’est le retour d’un racisme anti-Noirs qui n’a jamais été aussi décomplexé depuis les indépendances. Les passagers de ces embarcations de fortune, en Méditerranée, sont en majorité des Noirs. On les désigne comme des « migrants économiques ». Ce qui signifie : ces gens-là, les Subsahariens, ne fuient pas des guerres. Mais comment peut-on prétendre aujourd’hui qu’il n’y a pas de guerre au Mali, au Nigeria, en Centrafrique ? Ceux qui nous ont embarqués dans ces guerres osent aujourd’hui projeter d’ouvrir des centres européens de tri dans ces mêmes pays.
La frontière européenne se déplace en effet vers les pays de provenance des migrants…
Aminata Dramane Traoré : Là encore, ces logiques de sous-traitance de la violence policière, institutionnelle contre les migrants se déploient depuis longtemps. Les premières personnes blessées, tuées à Ceuta et Melilla se heurtaient déjà à cette frontière européenne délocalisée. Nos pays sont sommés, par ailleurs, de signer des accords de réadmission des migrants : « Reprenez vos gens mais, pendant ce temps, libéralisez davantage, ouvrez vos frontières à nos entreprises accompagnées de nos armées ! »
Officiellement, la mission des militaires français de l’opération « Barkhane » se concentre sur la lutte antiterroriste. Mais cette opération se redéploie avec, pour épicentre, le Niger et, pour objectif, le contrôle des migrants. Qu’en pensez-vous ?
Aminata Dramane Traoré : Je n’ai jamais eu d’illusions sur les missions de « Serval », puis de « Barkhane ». En fait, on criminalise les migrants sous prétexte qu’ils auraient des opportunités économiques chez eux alors qu’on sait parfaitement que, dans ces pays, l’État, les services et les biens publics ont été détruits par les plans d’ajustement structurel. À un jet de pierre de Paris, en Seine-Saint-Denis, ce sont les mêmes maux, l’État est absent, les conditions d’accès aux soins, à l’éducation se dégradent. Les mêmes logiques sont à l’œuvre. Au terme de plusieurs décennies de coopération, d’accords économiques, nous nous retrouvons dans une situation ingérable. En 2015, alors qu’était célébrée l’Année européenne du développement, surgissait cette « crise migratoire », dans une concomitance très frappante. Les conséquences des ingérences en Libye et en Syrie explosent aujourd’hui à la figure des dirigeants européens, qui se tournent vers les victimes de ces situations pour leur dire : « Restez chez vous ! ». Mais comment peut-on survivre dans ces économies de guerre ? En fait, nous assistons à un naufrage moral de l’Europe, du commerce international et de la finance.
Ceux que l’on désigne comme des « migrants économiques » sont-ils des réfugiés de guerre, des réfugiés climatiques ?
Aminata Dramane Traoré Avec les conséquences du changement climatique, les sécheresses récurrentes, l’insécurité alimentaire vient compliquer encore des situations déjà intenables. Ces migrants sont donc en effet des réfugiés climatiques et des réfugiés de guerre. Aujourd’hui, c’est la hiérarchie militaire française, le commandant de l’opération « Barkhane » lui-même, qui affirme qu’il n’y a pas de solution militaire au Mali. Le Sénat français admet que cette stratégie a atteint ses limites. Les attaques de ces derniers mois témoignent d’une dangereuse dégradation de la situation sécuritaire au Sahel. Il faut une solution politique malienne. Mais, de grâce, qu’on nous laisse définir nous-mêmes cette réponse politique, en lui donnant un contenu social, culturel, écologique, en imaginant une autre économie. La question migratoire comme la question sécuritaire sont d’abord des symptômes de l’échec du néolibéralisme.

Source : https://www.humanite.fr 28 Juin 2018

dimanche 1 juillet 2018

L’«appui décisif» de Hollande derrière l’élection de chefs d’État africains

La France de Hollande a apporté un « appui décisif » aux chefs d’État africains membres de l’Internationale socialiste, selon le chef de l’opposition burkinabè, Zéphirin Diabré, qui estime, par ailleurs, que la France « n’est pas (toujours) neutre » quand il y a des élections au Burkina Faso.
Zéphirin Diabré est le chef de file de l'opposition burkinabè (CFOP). Sputnik l'a interviewé à Ouagadougou, la capitale du pays. Il dresse le bilan des quatre années qui ont suivi l'insurrection populaire qui a chassé du pouvoir Blaise Compaoré. Diabré s'exprime aussi sur le poids du «système» qui a favorisé l'élection d'un ancien proche de Compaoré à la tête du pays. Marc Roch Christian Kabore qui a rejoint l'opposition en février 2014 et prit part à la chute du régime, quelques mois plus tard.
SputnikQuatre ans se sont écoulés depuis la seconde révolution burkinabè. Qu'est-ce qui a changé ?
Zéphirin Diabré : Rien, sinon pire, pour ce qui est de la gestion par le gouvernement actuel. Beaucoup de choses, en revanche, au niveau de la prise de conscience de la population. Il y a une maturité qui a gagné en puissance.
Sputnik : Beaucoup s'attendaient à ce que vous soyez élu à la présidentielle de 2015, puisque vous étiez la figure de proue de l'opposition contre Blaise Compaoré. Qu'est-ce qui s'est passé ?
Zéphirin Diabré : La politique répond aussi à des paramètres locaux. Il y a notamment le poids de certaines forces sociales qui choisissent d'aider un candidat contre un autre.
Sputnik : Des ressorts communautaires ?
Zéphirin Diabré : Pas forcément, mais les grands électeurs. Le poids de l'argent. Ça a beaucoup pesé lors de la campagne.
Spuntik Les réseaux de l'ancien parti au pouvoir, le CDP, auquel appartenait l'actuel président, Roch Marc Christian Kabore, avant de rompre avec Compaoré ?
Zéphirin Diabré : Tout à fait, l'actuel parti au pouvoir est constitué à hauteur de 70% par des membres du CDP [parti de Blaise Compaoré, ndlr] qui a changé de casquette. Donc, le candidat Kaboré [l'actuel président, ndlr] a bénéficié de l'appui des réseaux du CDP, composés de militants, d'organisateurs, de responsables sociaux et d'opérateurs économiques. C'est tout ça combiné qui donne une puissance de frappe à un candidat.
Sputnik Pendant le temps où vous étiez opposant, vous n'avez pas construit votre propre réseau ? Vous êtes-vous pris au piège, en étant dans la contestation sans préparer d'initiative
Zéphirin Diabré : Nous sommes nés en 2010. La première élection à laquelle nous avons participé, c'est en 2012. Les élections 2014. En quatre ans, nous sommes devenus la deuxième force politique du pays. Mais en quatre ans, est-ce que vous pouvez dépasser en termes d'implantation trente ans d'implantation d'un parti au pouvoir ?
Sputnik : Vous avez parlé du poids de l'argent, c'est-à-dire ?
Zéphirin Diabré : Des opérateurs économiques choisissent un candidat. Les hommes d'affaires ont choisi dans leur grande majorité le candidat du MPP, qu'ils connaissaient sans doute mieux, avec lequel ils ont fait des affaires. Donc ils se sont dit que s'il était là, il pourrait garantir nos affaires.
Sputnik Donnant, donnant. De la corruption donc… ?
Zéphirin Diabré : Tout à fait ! Je ne suis pas sûr qu'ils le referaient, parce que là, ils ont la gueule de bois. On parle de révolution, mais c'est plus subtil. Une élite a estimé que Blaise Compaoré était fichu. Elle l'a sacrifié pour continuer à faire des affaires. C'est la continuité du même système.
Sputnik Qu'est-ce que vous appelez système au Burkina ?
Zéphirin Diabré : Les forces politiques, économiques, sociales, qui se coagulent et qui, pendant les 27 ans de règne de Compaoré, ont profité du régime.
Sputnik : Aujourd'hui, y a-t-il un cadre législatif pour réglementer les comptes de campagne ?
Zéphirin Diabré : Non.
Sputnik : Est-ce une revendication que vous portez ?
Zéphirin Diabré : C'est la [question de la, ndlr] mise en application qui se pose, parce que nous sommes un pays informel. Dans les autres pays où tout se fait par une comptabilité oui, mais ici ?
Sputnik Donc, ça ne sert à rien de poser le cadre législatif ?
Zéphirin Diabré : Si, si. Puisqu'il y a la corruption, donc ça sert à attirer l'attention.
Sputnik Donc, est-ce que c'est une revendication que vous avez portée ?
Zéphirin Diabré : Je sais que dans le nouveau code électoral, la question s'est posée. On a dit qu'il faut qu'on surveille le financement des campagnes. Mais, même en Europe, tout le monde sait qu'on n'arrive pas toujours à contrôler ces flux-là.
Sputnik Oui, mais ça commence toujours par poser un cadre, non ?
Zéphirin Diabré : Tout à fait. Il faut surveiller. Par exemple, on a fait en sorte que les publicités soient interdites lors de la dernière présidentielle. Ça, ce n'est pas mal.
Sputnik Mais en tout cas, ce n'est pas quelque chose à l'ordre du jour…
Zéphirin Diabré : C'est un débat. Parce que c'est quand même important. Pour le financement, c'est compliqué. Cela suppose d'avoir une comptabilité régulière, qu'on cesse de sortir l'argent d'une manière informelle, pour qu'on puisse tracer les fonds.
Sputnik Mais vous, vous n'entendez pas être le porte-voix de ce combat ?
Zéphirin Diabré : Oui, tout à fait. Bien que je n'aie pas de proposition précise, parce que l'environnement sociologique est assez spécifique. Mais on peut y réfléchir.
Sputnik : Vous vous êtes récemment prononcé pour le référendum constitutionnel, qui va coûter six milliards de CFA…
Zéphirin Diabré : La démocratie n'a pas de prix.
Sputnik : Tout de même, la population se sent peu concernée par ces projets institutionnels. Elle ne voit pas toujours le lien avec le développement.
Zéphirin Diabré : D'abord, il faut savoir qu'il s'agit d'une promesse de campagne (de Kaboré). Il faut bien que les gens sachent ce qu'ils veulent. Si vous élisez un candidat, il faut qu'il applique son programme. Mais c'est vrai que les exercices de renforcement de la démocratie ne suscitent pas l'enthousiasme. Le développement ne suit pas. Mais ce n'est pas non plus une raison pour ne pas résoudre les questions institutionnelles.
Sputnik Il y a des problèmes institutionnels aujourd'hui au Burkina ?
Zéphirin Diabré : Oui, puisqu'il y a ce besoin de passer à une autre Constitution. Moi aussi j'estimais que la Constitution a des insuffisances.
Sputnik: Réduire les pouvoirs du Président ?
Zéphirin Diabré : Entre autres choses, oui.
Sputnik : Mais vous ne pensez pas qu'on a besoin au Burkina Faso d'un leadership fort ?
Zéphirin Diabré : Ce n'est pas à moi de le dire, mais aux Burkinabè. Mais le leadership n'est pas lié aux pouvoirs constitutionnels. Le leadership dépend plutôt de la personnalité et de la capacité à diriger une nation. On ne peut pas le réduire à une somme de pouvoirs que l'on vous donne.
Sputnik Est-ce que vous pensez que le Burkina Faso a tiré le meilleur parti de la multipolarité, ou bien est-il resté prisonnier des vieux paradigmes de la coopération classique Nord-Sud ?
Zéphirin Diabré : Le Burkina a manqué d'imagination. Il n'a pas assez bien vendu son insurrection. C'était pourtant une étape historique que tout le monde nous a enviée. Il n'a pas pu engranger de bénéfices de cela, contrairement à un pays comme la Tunisie. Pour le reste, on n'a pas imaginé une autre manière de voir l'économie. Mais cela n'est pas étonnant puisque le schéma classique renvoie à ceux qui nous ont formés.
Sputnik : La France, les États-Unis…?
Zéphirin Diabré : Oui, je vois que là on va un peu vers la Chine. C'est une sorte de retour aux sources (Les relations entre le Burkina Faso et la Chine ont repris, en mai 2018, à la faveur de la rupture des relations entre Ouagadougou et Taipei, ndlr)
Sputnik Mais il n'est pas difficile, pour vous, de vous libérer du paradigme traditionnel ? Il ne peut y avoir des pressions, par exemple, pour ne pas sortir du vieux carré traditionnel ?
Zéphirin Diabré : On ne demande l'avis de personne. D'ailleurs, la part de la France est moins significative qu'on ne le pense. Prenons le secteur bancaire. La première banque est burkinabè, la deuxième et la troisième sont africaines. La première banque française n'arrive qu'après. Pareil pour l'industrie ou les entreprises ici.
Sputnik Où le poids de la France se manifeste-t-il au Burkina Faso ?
Zéphirin Diabré : En économie, ce poids est moins important que ce qu'on a tendance à penser. Sur le plan militaire, il y a une aide, une coopération. Sur le plan politique, sans aucun doute, peut-être, que de temps en temps, le gouvernement de la France ne doit pas être neutre quand les élections se passent ici. Par exemple, je sais que beaucoup de chefs d'État de la sous-région, qui ont été élus dans l'ère Hollande, ont bénéficié d'un appui décisif parce qu'ils étaient socio-démocrates et membres de l'internationale socialiste.
Sputnik Dans le processus d'élection ?
Zéphirin Diabré : Bien-sûr.
Sputnik : Vous pensez que c'est le cas du Président Kaboré aussi ?
Zéphirin Diabré : Je n'ai pas de preuves, mais je sais que ça s'est passé quand Hollande était au pouvoir. Et tel que je connais les gens de gauche, les socio-démocrates membres de l'Internationale socialiste ont tendance à favoriser les membres de l'Internationale, comme au Mali ou au Burkina.
Sputnik Vous n'avez pas encore annoncé votre candidature pour la prochaine élection ?
Zéphirin Diabré: Non. Je trouve indécent, alors que nous sommes en train d'enterrer nos morts victimes du terrorisme, alors qu'il y a la famine qui frappe, que des gens ne pensent qu'à annoncer leur candidature. Pourquoi est-on aussi pressé ?
SputnikVous parlez du président Kaboré qui a annoncé ces jours-ci sa candidature ?
Zéphirin Diabré : Il faut faire son travail d'abord. La moitié du mandat n'est pas la fin du mandat. Mais cela veut dire qu'on est obnubilé (par la réélection), ou qu'on a peur de quelque chose. S'il est pressé pour annoncer sa candidature aujourd'hui, c'est que, peut-être, au sein de sa propre formation, on entend des voix qui se demandent s'il est le meilleur candidat du parti. Il est alors obligé d'annoncer sa candidature pour couper court à ce débat.
Sputnik Vous êtes économiste de formation, et avez été enseignant chercheur à Harvard. Quelles faiblesses structurelles ont en commun toutes les économies africaines ?
Zéphirin Diabré : Il y a d'abord la capacité d'imaginer une trajectoire, à s'y maintenir sur le long terme. On a trop de révolutions et de nouvelles idées chaque fois. Des pays comme la Malaisie ou Singapour ont su le faire. Chez nous, en revanche, dès qu'il y a un changement, même au sein d'une direction, on efface et on recommence. On n'a pas de trajectoire. C'est un point qui caractérise beaucoup d'économies africaines. Le deuxième aspect, c'est la prédation. La différence entre la corruption en Afrique et en Asie est remarquable. Je ne sais pas comment ils ont fait, mais ils arrivent à allier la corruption et le développement. Nous, notre corruption est contre le développement. En Asie, il y a la corruption, mais ils arrivent à avancer tout de même. Alors que nous, c'est la corruption sans qu'on avance.

Propos recueillis par Safwene Grira

Source : https://fr.sputniknews.com 29 juin 2018