vendredi 22 mars 2019

DÉCLARATION DE PASCAL AFFI N’GUESSAN SUITE À SA RENCONTRE MANQUÉE AVEC LAURENT GBAGBO

Pascal Affi N'Guessan, président du Front populaire ivoirien
(image d'archives)

Militantes et militants du FPI,
Démocrates ivoiriens,
Mesdames et messieurs,
Je vous écris depuis l'aéroport Charles de Gaulle, d’où je suis en partance pour Abidjan.
Depuis deux jours je suis à Paris en raison de ce que M. Acka Emmanuel, un ami du président Gbagbo, m'a assuré de ce que ce dernier avait accepté de me recevoir à Bruxelles. Il m'a même autorisé à rendre publique l'information relative à cette rencontre.
L'entretien avec le président Gbagbo devait se dérouler en présence de M. Assoa Adou. J’ai fait escale à Paris pour que M. Acka et moi fassions chemin ensemble. À ma grande surprise, à mon arrivée à Paris, M. Acka Emmanuel me fait comprendre que le président Gbagbo exige avant de me recevoir que je fasse, au préalable, une déclaration sur Radio France internationale (RFI). Le journaliste Norbert Navaro m'attendait pour celle-ci.
J'ai trouvé l'esprit de cette déclaration, son contexte et son contenu méprisant, insultant et contraire à l'esprit de réconciliation et d'unité du parti qui m'anime. En conséquence, j'ai refusé, j'ai dit « NON ».
Je n'ai donc pas pu me rendre à Bruxelles pour rencontrer le président Gbagbo. J'ai été bloqué à Paris. Je retourne à Abidjan où, dans les prochains jours, j’animerai une conférence de presse en vue d’éclairer l’opinion publique sur les circonstances et les raisons pour lesquelles la rencontre a échouée.
Pour ma part, je reste toujours disponible et résolument engagé à œuvrer pour l'unité du parti et pour la réconciliation entre les filles et les fils de la Côte d'Ivoire.

Paris, le 22 mars 2019

Pascal Affi N’Guessan, président du FPI


EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenances diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».

vendredi 15 mars 2019

E LA NAVE VA…*


Libres propos sur l’actualité ivoirienne de ces dernières semaines

L’environnement politique de la Côte d’Ivoire jusqu’en 2020 ne manquera pas d’animations, voire peut-être, de perturbations. Et les semaines qui viennent de s’écouler en sont une parfaite illustration. Quand ce ne sont pas les scènes du ménage PDCI-RDR qui se chargent de l'ambiance de l’espace politique, c'est le silence de ce qui nous reste d'« opposition » qui attire notre attention. Depuis quelques semaines, les partisans de Bogota[1], pince-sans-rire, demandent aux Ivoiriens d'être les témoins de la grande injustice dont serait victime leur champion. Prenant son nouveau rôle de victime au sérieux, ce denier va jusqu'à dire aux Ivoiriens qu'il accepta d'abandonner la présidence de l'Assemblée nationale pour la paix dans le pays. Pour un début de « carrière cinématographique », reconnaissons qu'il fait fort. Pour donner un caractère sérieux à son affaire, il reçoit en sa résidence des visites et rend aussi des visites filmées. D’ailleurs, concernant les discours tenus lors de ces visites, ils ressemblent à une pantomime de ceux de Séplou[2]. C’est à croire que lui et son ancien secrétaire à l’Organisation[3], Gbapè[4], ont le même modèle d’homme politique.  Sauf qu’à la différence de leur modèle, ils n’ont pas pris le temps de se former. Pas de quoi leur tenir rigueur ; ne sommes-nous pas à l’ère de « l’Ivoirien nouveau » ?
Au cours de sa visite au Sphinx de Daoukro[5], il se serait agi, selon Bogota, de lui donner les raisons pour lesquelles il aurait « laissé le tabouret »[6] de l’Assemblée nationale, lui dire aussi merci pour son intervention auprès de l’Usurpateur pour la libération de son chef de protocole, Soul To Soul et lui présenter son Comité politique. Selon lui, ce CP, qui n’est pas un  parti politique, serait chargé de réfléchir aux solutions des problèmes des Ivoiriens. Pour quelqu’un qui jugea, il y a peu, que l’usage de la violence était le seul moyen de résoudre les problèmes des mêmes Ivoiriens, nous nous permettrons de douter de la sincérité d’un tel personnage.
Pendant son séjour chez le Sphinx, il a été présenté comme le « fils » de ce dernier et, à ce titre, il a eu droit à une visite guidée par papa Sphinx himself des chantiers du caveau familial de sa nouvelle famille et de la chapelle de son nouveau village. Si ces visites de chantiers n’ont pas l’air d’un adieu, ils y ressemblent. Le PDCI aura-t-il un candidat pour 2020 ? Ou sera-t-il amené à en soutenir encore un autre ? Peut-être un « fils » ? Justes des interrogations !! Une chose est sûre, de retour au bord de la lagune Ebrié, et comme porté par une énergie, le « petit gros » se lança dans une série de visites aux partis dits d’opposition. Parmi ces visites, celle rendue à la branche officielle du « parti à la rose »[7], est intéressante. A la vue des photos, et à la lecture du résumé des discours de cette rencontre, cette phrase que l’on prête à tort ou à raison à Voltaire, vous vient tout de suite à l’esprit : « La politique est le moyen pour des hommes sans principes de diriger des hommes sans mémoire ». Malheureusement, si cette branche du FPI, semble peu faire cas de morale et de pédagogie dans sa démarche, force est aussi de reconnaitre que la branche officieuse de ce parti ne semble pas bien se porter. Depuis la disparition du jumeau[8] de Séplou, à qui l’on reprochait une tiède animation du parti malgré des tournées et meetings, ce parti semble chercher ses marques. A part des déclarations, son radiologue[9] de nouveau S.G.[10], semble plus enclin à répondre aux invitations de la Rue de la Convention[11], à consulter Séplou et à montrer que c’est lui, Adou, le véritable patron du parti. D’ailleurs, présentement en Belgique pour prendre des instructions du président de son parti, il n’a pas manqué de produire un communiqué qui en dit long sur la marche de cette branche, quand nous lisons sous sa plume que : « Son intérim sera pleinement assuré par la ministre et vice-présidente du FPI Odette Sauyet Likikouet. La mise en œuvre des décisions, la gestion et l’administration du parti au quotidien continueront d’être assurées par elle jusqu’au retour du camarade Secrétaire général Assoa Adou, avec lequel elle est en rapport constant ».[12] Dans un parti où le président et le 1er vice-président sont absents, il est quand même surprenant que la 2ème vice-présidence, pourtant pourvue, soit curieusement ignorée. Pourtant, cette 2éme vice-présidence est occupée par la femme du chef d’Adou. Bizarre ! Dans la même période, une rumeur sur l’éventualité d’un divorce dudit couple circula. Bizarre ! Une chose est sûre, pendant qu’Adou se promène, la dame avec son staff constitué parcourt le pays et reçoit beaucoup. Cette ancienne syndicaliste semble ne pas avoir oublié le principe du rapport de force.
Bizarre, aviez-vous dit plus haut ? Mais il y a encore plus bizarre dans la politique ivoirienne. Tenez ! Par exemple, le parti à la case, oui celui qui s’est récemment fardé en RHDP. Il se proclame majoritaire à l’Assemblée nationale, et parti le plus aimé des Ivoiriens, et pourtant refuse catégoriquement l’utilisation d’un bulletin unique pour l’élection d’un de ses champions au perchoir de cette assemblée. Cherchez l’erreur !! La confiance règne vraiment dans la case.  Justement, concernant, l’heureux élu de cette élection à la présidence de l’Assemblée nationale, s’il est vrai, comme on le dit en Afrique, que « la parole accouche sa maman », force est de constater que ce proverbe, ne pouvait pas trouver meilleure illustration en ce monsieur. Même le pseudonyme dont l'affuble les Ivoiriens en témoigne : « Amadou-cimetière », tout un programme ! A vrai dire, en matière de gaffe verbale, pour qui l’a déjà entendu parler, il n’y a pas mieux que ce monsieur, pour le moment, dans le commerce. Chaque fois qu'il ouvre la bouche, surtout en meeting, tout le monde est assuré d’avoir matière à désespérer de la classe politique de notre pays.
Mais ne  dit-on pas qu’il y a un Dieu pour le pauvre ? Ne voulant plus  soumettre les yeux et les oreilles de son serviteur Bernard, le père de Climbié, à ce vaudeville de la classe politique nationale, le Seigneur le rappela. Celui à qui il fit don du bon usage des mots pour orienter et rappeler son dessein pour l’Homme, celui de vivre libre.

Habib Kouadja

(*) Titre de la Rédaction. E la nave va (en français : Et vogue le navire…) est le titre original d’un célèbre film de Fellini.



[1]. Pseudonyme de Guillaume Soro à la FESCI (Fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire).
[2]. Pseudonyme chez les Bété de Gbagbo.
[3]. Blé Goudé était le S.O. de la FESCI, pendant que Soro Guillaume était Secrétaire général de ce syndicat.
[4]. Pseudonyme de Blé Goudé.
[5]. Pseudonyme d’Henri Konan Bédié.
[6]. Terme utilisé par Adama Bictogo, pour parler de la présidence de l’Assemblée nationale.
[7]. Front populaire ivoirien.
[8]. Aboudramane Sangaré.
[9]. Profession d’Assoa Adou, nouveau Secrétaire général de la branche officieuse du FPI.
[10]. Secrétaire général.
[11]. Rue où est maintenant logé le ministère de la Coopération en France.

mardi 12 mars 2019

Tu as accompli le destin auquel Dieu t'avait appelé sur terre

L’hommage d’une fille à son père défunt 
par A.-Christine Binlin-Dadié
« La mort engloutit l'homme, elle n'engloutit pas son nom et sa réputation ».
« Celui qui a planté un arbre avant de mourir n'a pas vécu inutilement ». 
Proverbes africains.

Mon phare m'a quitté, Oh ! Mon lion, cratère éternel, il est imperturbable assis sur le roc. Connaissant mon père, debout dans son combat année après année malgré les attaques et les douleurs qu'il a vécues dans son propre pays, je peux dire que rien n'a pu le détourner de son combat. Il lutta inlassable dans les mots et les gestes ; accueillit les coups venant de tous les horizons ; il accepta tout dans le silence sans convoitise et sans acrimonie ni vengeance ni rancœur en lui ; son chemin fût parsemé d’embûches, de crocs-en-jambe parfois cruels mais, toujours, debout il est resté.
Fils du vent, des éclairs et du tonnerre ; fils de l'immortalité ; en tant que sa fille, le connaissant, je peux dire que mon père est resté imperturbable, indomptable et téméraire. Papa, ta lutte fut un grand exemple du don de soi. À tous les Africains et Ivoiriens qui ont soif de liberté, de dignité et de souveraineté, je peux dire que tu as su nous communiquer ton rêve qui sans aucun doute sera le concret de demain dans ton pays et en Afrique.
Papa, tu as mené ton combat jusqu'au bout. Tu es un miroir fascinant pour tous ceux qui ont compris l'importance de la dignité, de la liberté et de la souveraineté. Ton combat n'a pas été vain, tu as lutté pour le bon combat. Fière de toi, fière de ton combat, de ton engagement, de ta résistance, Papa, je t'ai compris et je te chante. Dans tes pas je marcherai et je transmettrai ton rêve.
Par tes œuvres et tes actions, par l'audace de tes écrits, je peux dire que tu es de la race des géants de ce monde. Tu t'es bâtis un panthéon pour les nouvelles générations africaines. Homme de grand courage, tu représentes pour les esprits nobles, l'inlassable combat pour une Afrique libre, heureuse, digne et souveraine, l'Afrique de la jeunesse pure, intègre et incorruptible. Centenaire, Papa tu es et pour cela à jamais, tu resteras au-dessus du temps.
Simple malgré ta notoriété, humble malgré ta popularité, autant en Afrique qu’ailleurs dans le monde, l’honnêteté et l'humilité n'ont jamais quitté ton âme. Ni or ni argent n'ont pu de dompter ni te détourner de ton combat, personne en ce pays n'a pu t'influencer.
Tu as accompli le destin auquel Dieu t'avait appelé sur terre, tu as semé pour mille générations, tu as été un homme de courage et ta vie n'a été que sacrifice après sacrifice pour ton pays et l'Afrique. Icône tu es et tu resteras. Tu as aimé ton pays Papa, tu as aimé ton continent.
Papa, je loue ta grandeur et la majesté de tes souffrances. Papa, là où tu es maintenant, tu mérites le repos et la paix après ce travail immense que tu as accompli. À jamais tu resteras ma lanterne, je t'aime. Que Dieu te bénisse.

A.-Christine Binlin-Dadié

Source : IvoireBusiness 11 Mars 2019

lundi 11 mars 2019

NOTRE HOMMAGE AU PROFESSEUR BATHÉLÉMY KOTCHY


On n’avait pas encore enseveli l’ami Séry Bailly qu’un autre ami s’en allait. Barthélemy Kotchy, professeur de lettres, président honoraire de l`ASCAD, est mort le 19 janvier. Je l’ai connu de nom et l’ai peut-être entrevu une ou deux fois du temps que nous étions étudiants, lui à Toulouse et moi à Strasbourg. C’était en 1960, l’année de l’« indépendance façon » mais aussi l’année où je présidais l’Union générale des étudiants de Côte d’Ivoire (UGECI) alors que le système houphouéto-foccartien nous avait déclaré la guerre. Quelques-uns de nos soutiens les plus fermes venaient de Toulouse et ils avaient noms Marcel Etté, Barthélémy Kotchy, entre autres. En février 1995, lors de mon premier retour au pays après 36 ans d’errance pour des raisons de convenance personnelle, parmi les trois ou quatre maisons, hors celles de mes proches parents, où mon épouse et moi avons été reçus, il y eut celle des Kotchy. Et cela devint une habitude. A chacun de mes retours suivants, je n’ai jamais manqué d’y faire halte au moins une fois. Nous nous voyions aussi à Paris chaque fois qu’il y passait.
La dernière fois que j’ai revu celui que j’appelais Barth, c’est au mois de juin 2017. Il m’avait invité à déjeuner et ce fut l’occasion de lier connaissance avec René Edi, le seul de ses proches parents encore vivants que je connaisse et à qui je présente mes condoléances.
Un autre proche de Barth m’était bien connu. Déjà à Bingerville, où il était élève à l’EPS et où il venait quelques fois rendre visite à mon père. Puis nous fumes compagnons sur la frégate L’Aventure, de Port-Bouët à Dakar, puis sur le paquebot Médie II, de Dakar à Marseille. Il s’appelait Ernest Boka…
A l’occasion de cet hommage, et comme nous sommes dans la semaine de la Journée internationale des femmes, nous voulons au nom de Barthélémy Kotchy associer celui d’une femme, Marguerite Sacoum, la veuve d’Ernest Boka et l’une des héroïnes du mouvement anticolonialiste ivoirien des années quarante du siècle dernier, dont il a célébré le courage, l’abnégation et la dignité dans le texte ci-après.

Marcel Amondji (11 mars 2019)


HOMMAGE À MARGUERITE SACOUM[1]
PAR BARTHÉLÉMY KOTCHY

Le lundi 30 juillet à 20 h 30, Marguerite Sacoum, la mère, s'est éteinte brusquement dans la plus grande discrétion. C'est une page de l'histoire de la lutte anticolonialiste menée par ces femmes qui se sont distinguées par leur marche sur la prison de Grand-Bassam où croupissaient les militants politiques du PDCI-RDA, qui vient d'être tournée. Mais l'histoire de la Côte d'Ivoire combat­tante ne saurait enfouir à jamais dans l'abîme ceux et celles qui ont sacrifié une bonne partie de leur tendre jeunesse, de leur beauté juvénile, pour que vive la Côte d'Ivoire moderne, hors du joug colonial.
C'est pourquoi entre les plus beaux noms celui de Marguerite Sacoum sera le plus beau. Aux historiens politologues, je laisse le soin d'immortaliser celle qui fut une jeune mère parmi les mères qui ont contribué a fonder la Côte d'Ivoire d'aujourd'hui.
Aussi, pour évoquer le souvenir de celle qui nous quitte, avons-nous choisi de traiter le thème de la Mère qui lui sied si bien en cette circonstance.
En effet, ce concept « Mère » est un concept global. Il signifie toute femme qui a engendré et dont le fruit de sa reproduction est une des composantes de la nation et contribue ainsi d'une manière ou d'une autre à son développement. À ce niveau, nous pouvons dire que la Mère est en général fondatrice parce qu'elle est la base, le socle de toute famille, de tout pays.
Sous l'angle politique, Marguerite Sacoum, comme nous le disions plus haut, est une des mères de la nouvelle Côte d'Ivoire. Enfin, sous un angle étroit et strictement familial, c'est la femme par rapport aux enfants, celle qui les a conçus et qui assure leur protection, leur éducation. C'est dans ce contexte que nous voudrions aborder notre intervention.
Donc, je me bornerai à évoquer le souvenir de la Mère généreuse et tutélaire, dont l'amour le plus puissant est symbolisé par trois valeurs cardinales, à savoir : le courage, l'abnégation et la dignité.

1/ Le courage
Quand en 1957, en vacances en Côte d'Ivoire, je rencontrai pour la première fois la tante Marguerite Sacoum aux côtés de l'oncle Ernest Boka, c'était une femme élégante, rayonnant de toute sa splendeur, signe de lueur de la victoire de cette longue et âpre lutte contre les colonialistes. Nous étions effectivement à l'aurore de la Loi-cadre.
Quand en novembre 1968, je regagnai définitivement la Côte d'Ivoire, je retrouvai Marguerite Sacoum, solitaire, déchue de tous ses privilèges politiques ; démunie, mais entourée de ses cinq enfants mineurs dont elle devait pourvoir aux besoins quotidiens. Et elle n'avait pour seule ressource que le petit commerce de la vente des galettes (alloco).
Faut-il s'étonner de cette déchéance ? La Côte d'Ivoire venait de vivre une période de tempête sauvage, celle que notre ami Samba Diarra qualifie, à juste titre, « de faux complots ». C'est à l'occasion de cette tragi-comédie que le père de ses deux derniers enfants fut immolé en holocauste.
Face au montage ignominieux tendant à salir Ernest Boka, la Mère Sacoum dut prendre énergiquement position pour défendre sa mémoire et la marque d'honneur future de ses petits héritiers. Des lors, elle et sa progéniture furent considérés comme de véritables parias. Elle n'avait pratiquement plus d'amis, sort réservé d'ailleurs aux familles des prisonniers des prétendus complots.
C'est alors que Marguerite Sacoum, la Mère, se remit debout, armée de courage pour assumer son destin et celui de ses enfants. Voilà la Mère, engagée naguère dans la lutte anticolonialiste, muée aujourd'hui en « mère courage » qui doit bander sa volonté et réunir toute sa force morale, toute son énergie physique, prendre de nou­velles dispositions de cœur pour affronter toutes sortes d'adversités afin de sauver les enfants. Il lui fallait :
-   d'abord, se battre pour préserver le patronyme qu'on voulait leur arracher ; or le nom en Afrique n'est pas seulement un signe iden­titaire, mais encore et surtout une force vitale héréditaire ;
-   ensuite, assumer les charges de leur éducation et de leur protection ;
-   enfin, les sentant menacés physiquement, à l'instar de Joseph et de Marie qui, pour sauver Jésus, le nouveau-né, du massacre d'Hérode, l'éloignèrent de Bethléem, la Mère Marguerite Sacoum aussi, dut faire le sacrifice financier pour envoyer à l'étranger ses descendants et les préserver ainsi de tout danger. Peu lui chaut, toute cette gamme de menaces, de médisances et d'humiliations. Elle sut donc demeurer impassible mais vigi­lante et haut les cœurs (sursum corda) dans la lutte et dans la foi.
Seuls comptent alors pour elle la vie et l'avenir de ses enfants. C'est sous cet angle que son courage sera renforcé par le sens aigu de l'abnégation.

2/ L'abnégation
Je voudrais me référer ici au vocabulaire ecclésiastique « abnéga­tion » pour caractériser cet autre pan de vie de la Mère. Le concept signifie alors « renoncement, sacrifice pour autrui de ce qui est pour soi l'essentiel ».
En effet, qui aurait pu penser un seul instant que celle qui avait déjà offert à la Côte d'Ivoire, comme nous le soulignions plus haut, par le biais de son parti, fo PDCI-RDA, une partie de sa jeunesse et qui, par conséquent, était appelée à jouir pleinement du reste de son existence, devait tout d'un coup renoncer à tout, pour le bonheur de ses enfants.
De ce fait, elle qui était, pour ainsi dire, prédestinée à vivre autrement dans une résidence somptueuse a choisi de demeurer dans sa modeste maison de Belleville, à Treichville. Elle qui aurait pu continuer à se parer de bijoux d'or, à s'habiller somptueusement et à vivre paisiblement sa vie, a décidé de se vêtir désormais plus sobrement et de s'engager dans une lutte âpre pour sauver le fruit de ses entrailles. Elle qui naguère était considérée comme un des moteurs féminins de son parti, le PDCI-RDA, toujours au rendez-vous de toutes les manifestations importantes, a dû tout d'un coup, rompre, pendant un bon moment, les amarres qui l'attachaient aux structures fondamentales de son parti.
Aussi choisit-elle dorénavant une existence austère d'ermite toute vouée aux durs labeurs et à la prière, en vue de construire l'avenir de ses enfants. Mais elle ne pouvait concevoir ce don de soi, cet amour profond pour autrui sans cultiver la dignité.

3/ La dignité
Malgré toutes les vicissitudes traversées, jamais je n'ai vu ni entendu Marguerite se lamenter sur sa vie quotidienne. Au contraire, face aux malheurs, elle a toujours adopté une attitude stoïque. Aussi m'a-t-elle souvent rappelé l'enseignement du philosophe grec Zénon dont la doctrine morale consistait à n'obéir qu'à la raison, à se rendre maître de soi, à pratiquer l'effort et à supporter avec fermeté les malheurs de la vie.
Cette conception du philosophe Zénon devant la douleur et le malheur correspond quelque peu à la conception de la vie de la Mère Marguerite Sacoum. Bien sûr que, face à la douleur, au malheur, elle ne gémit ni ne pleure. Mais elle prie et se bat ; elle agit alors pour transformer le malheur en bonheur, l'échec en victoire. Sa vie est une lutte constante contre elle-même pour trouver la mesure pour améliorer son existence, celle de ses enfants et de son environ­nement, car la dignité, c'est avant tout le respect qu'on a pour soi-même, la noblesse qu'on imprime à son comportement, à tous les actes qu'on pose. Elle abhorre les bassesses, elle exige de la hau­teur « Semper in altum ». Toujours le dépassement. Aussi est-elle soutenue par le courage moral, l'effort, l'abnégation.
Nous comprenons alors pourquoi la Mère n'a jamais accepté de chercher à emprunter les voies faciles. Pour elle, dès lors, la dignité est sœur de la lutte, parce qu'elle concourt à l'amélioration de l'existence, donc de la réussite.
C'est en définitive par la porte étroite du courage, de l'abnégation, de la dignité que Marguerite Sacoum « Mère courage », selon le dramaturge allemand Berthold Brecht, qu'elle a contribué à poser les jalons de l'Indépendance de la Côte d'Ivoire et à élever dignement ses cinq enfants.
Alors, cette Mère a-t-elle réussi sa vie ?
Si la réussite pour certains est synonyme de l'accumulation matérielle sans aucun fondement moral et spirituel, je dirai que la Mère Marguerite Sacoum a vécu pour rien. Or selon moi, la réussite, c'est avant tout la réalisation progressive de tous les buts que l'on s'est fixés. Marguerite a été effectivement une mère accomplie : d'abord à l'égard de la nation, elle a participé à sa transformation par la lutte politique ; ensuite au regard de ses enfants, elle s'est acharnée à leur donner une bonne éducation et une solide formation.
Aujourd'hui, elle peut donc servir de boussole à la génération présente et future.
Mère Marguerite Sacoum, ta mission sur terre est bien terminée. Tu peux reposer en paix en terre ivoirienne !

B. Kotchy (Abidjan, le 21 février 2001)

Source : « Quand Barthélémy raconte N’Guessan-Kotchy », Nei-Ceda, Abidjan 2012 ; pp. 151-155.


([1]) - Avant de devenir l’épouse en secondes noces d’Ernest Boka, Marguerite Sacoum avait été l’une des principales animatrices des sections féminines du Mouvement anticolonialiste ivoirien, qui furent particulièrement actives durant l’année cruciale 1950. D’après Henriette Diabaté, « La prise de conscience par les femmes du rôle qu’elles pouvaient jouer a été en grande partie suscitée par Marguerite Sacoum, dont l’époux, Jacob Williams, était l’un des prisonniers ». Elle fut à l’initiative, notamment, de la célèbre « Marche des femmes sur Grand-Bassam ». 

dimanche 3 mars 2019

Eva Joly : « Je rêve pour ce pays que j’aime, d’un réveil collectif » (Extrait de « La force qui nous manque », Editions des Arènes, Paris 2007).


Je n’avais rien compris à ce que l’écrivain Slimane Zeghidour appelle « le secret de famille de la République ».
Au fil de mon enquête, j’ai découvert un monde souterrain
Lorsque j’ai pris en charge l’instruction de l’affaire Elf, j’avais en face de moi les puissants du pétrole français, je n’aimais pas leur arrogance, la façon qu’ils avaient de se servir dans les caisses, mais lorsqu’ils invoquaient les intérêts supérieurs du pays, j’étais prête à les croire.
Je sortais de plusieurs années en détachement au ministère des Finances, entourée de hauts fonctionnaires intègres, d’une compétence absolue.
J’avais confiance dans les institutions de mon pays d’adoption. Je n’imaginais pas que la finalité des dirigeants des sociétés nationales du pétrole fût autre chose que le bien commun. Je traquais les dérives et non le système lui-même.
Pourtant, au fil de mon enquête, j’ai découvert un monde souterrain. Magistrate, limitée par le cadre de ma saisine et des compétences nationales, je devais m’arrêter sur le seuil de certaines portes, qui menaient vers l’étranger.
Je découvrais des chemins qu’il aurait été passionnant de remonter, des connexions qui m’ahurissaient. Avec des chiffres, des comptes, nous avions sous nos yeux le déchiffrage d’un vaste réseau de corruption institutionnalisé, dont les fils étaient reliés en direct à l’Elysée.
Ce n’était pas mon rôle d’en tirer les conclusions politiques, mais j’en ai gardé l’empreinte. Nous avions dessiné alors un vaste schéma, que j’ai toujours avec moi. Il fait huit mètres une fois déplié.
Il serpente depuis le bureau d’un directeur des hydrocarbures d’Elf, jusqu’à des comptes obscurs alimentés par le Gabon, aux mains d’Omar Bongo : quarante ans de pouvoir et une difficulté récurrente à distinguer sa tirelire et sa famille d’une part, le budget de l’Etat et le Gouvernement d’autre part.
J’emporte souvent ce schéma avec moi, au fil des rendez-vous. Je l’étale sur les tables, un peu comme un capitaine au combat sort ses vieilles cartes.
Les positions ont sans doute varié, les techniques de camouflage se sont sophistiquées, mais le système est là : les tyrans sont des amis que la France a placés au pouvoir et dont elle protège la fortune et l’influence par de vastes réseaux de corruption ; en échange ils veillent sur les intérêts et les ressources des entreprises françaises venues creuser le sol. Tout ce beau monde a intérêt à ce que rien, jamais, ne stimule ni les institutions ni l’économie des pays.

La France aide à appauvrir le Gabon.
Et si je m’arrête un instant au Gabon, qu’est-ce que j’y vois ? Un pays riche qui exporte plus de treize milliards de dollars de pétrole brut par an et affiche un PIB par habitant largement au-dessus de la moyenne africaine (6 397 $) ? Ou un pays pauvre où l’espérance de vie est estimée à 55 ans pour les femmes et 53 pour les hommes, ce qui leur laisse un an de moins que les Malgaches nés sur un sol sans pétrole ? Le taux de mortalité infantile est au Gabon particulièrement élevé, le taux de vaccination contre la rougeole est de 40% contre une moyenne de 79% dans les pays en développement.
Voilà où en est le Gabon, chasse gardée de la France, fournisseur des trésors du pétrole et de l’uranium, fief de Total-Elf, la première capitalisation boursière française.
Si les habitants de Libreville n’ont pas bénéficié de la richesse de leur pays, c’est parce que la France s’est accaparée ses ressources minières, avec la complicité d’un Président, enrôlé dès son service militaire par l’armée française et ses services secrets. Placé à la tête du pays à 32 ans par Paris, il était alors le plus jeune chef d’Etat du monde. La France contrôle son armée, ses élections et protège sa fortune.
En retour, Omar Bongo fait table ouverte plusieurs fois par an, Avenue Foch ou l’Hôtel Crillon, où il reçoit les hommes politiques, des publicitaires et les journalistes français qui comptent. Chacun se presse à ces audiences.
Dans les années 1990, un homme politique français de premier plan, alors en fonction, bénéficiait en parallèle d’un contrat de « consultant » signé par Omar Bongo et largement rémunéré. De Roland Dumas, le Président gabonais dit qu’il est un « ami intime ». Prévoyant, il apprécie aussi Nicolas Sarkozy, venu « prendre conseil » en tant que candidat à l’élection présidentielle.
Lorsqu’au cours de l’instruction nous avons perquisitionné au siège de la FIBA, la banque franco-gabonaise, nous avons consulté le listing des clients qui paraissait tenu à la plume sergent-major. C’était une sorte de Who’s Who de la France en Afrique, qui en disait long sur l’envers de la République et des médias.

La France fait semblant d’aider des pays qui sont riches en matières premières.
A ceux qui croient encore à l’aide désintéressée de la France en Afrique, il suffit de consulter les chiffres du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement). La corrélation est régulière entre le montant de l’aide française et la richesse en matières premières.
En clair, celui qui n’a rien dans son sous-sol ne doit pas attendre grand-chose de Paris. Il n’est pas étonnant de retrouver le Gabon comme l’un des premiers bénéficiaires de l’aide publique française au développement. Le résultat est affligeant en termes de système de santé et d’éducation. L’argent s’est perdu en route. Il est justement fait pour cela.
Il ne s’agit pas d’une dérive mais d’une organisation cohérente et raisonnée. Dans chaque audition durant notre instruction, nous entendions parler de pressions physiques, d’espionnage permanent et de barbouzes.
Les perquisitions dans la tour Elf à la Défense livraient une moisson de documents révélant la confusion des genres, nous les transmettions au Parquet de Nanterre, qui se gardait bien d’ouvrir des enquêtes. Car Elf hier, Total aujourd’hui, est un Etat dans l’Etat, conçu par Pierre Guillaumat, un ancien ministre de la Défense, patron des services secrets et responsable du programme nucléaire français, afin de servir les intérêts géopolitiques de Paris.
La Norvège a utilisé son pétrole pour construire et assurer le paiement des retraites futures. La France se sert d’Elf Total pour affirmer sa puissance.
La compagnie intervient dans le golfe de Guinée, au Nigeria, au Congo-Brazzaville, en Angola… Tous ces pays ont connu la guerre civile et la dictature, derrière laquelle la main française s’est fait sentir. Le chaos, lorsqu’il se produit, ne trouble pas le système. Il n’est qu’à voir l’Angola en guerre pendant des dizaines d’années, mais dont aucune goutte de pétrole, jamais, n’a raté sa destination.
Pendant la guerre, les affaires continuaient. Les banques françaises, Bnp-Paribas en tête, ont même profité de l’occasion pour élaborer des montages financiers destinés aux pays en guerre, à des taux affolants, tout en sachant qu’elles ne prenaient pas le moindre risque. L’argent, là aussi, n’a pas été perdu pour tout le monde. C’est un miroir dans lequel il ne faut pas trop souvent regarder les élites françaises.
Depuis que j’ai ouvert le dossier Elf dans mon bureau de la Galerie financière, j’ai voyagé physiquement et intellectuellement bien loin de la Seine et de ses quais gris et bleus… J’ai appris en marchant. A l’arrivée, le tableau est effrayant.
L’Afrique a refait de moi une Norvégienne, fière de l’être. Mon pays est riche, mais, il se souvient d’avoir été pauvre, un peuple d’émigrants regardant vers le nouveau monde américain.
Son esprit de conquête, ses allures vikings sont des traces d’un passé très lointain. Vinrent ensuite les tutelles, danoise puis suédoise, dont il fallut se libérer. Il envoya vers l’Afrique des missionnaires protestants, personnages austères au visage buriné, taillé par la parole chrétienne et l’œuvre humanitaire, plutôt que des nouveaux colons, comme on les croise encore dans les quartiers d’expatriés blancs.
Pendant que la France fondait Elf, la Norvège mettait en place l’exploitation des ressources de la mer du Nord, accumulant un fonds de réserve, aussitôt placé pour les générations futures et soigneusement contrôlé. Ce petit pays des terres gelées est devenu la première nation donatrice en dollars par habitant.
Bien sûr, les pétroliers norvégiens ne sont pas des enfants de chœur. De récentes enquêtes ont montré que certains d’entre eux ont versé des commissions et que la tentation d’abuser de leur pouvoir est permanente. Mais la Norvège n’a pas à rougir de ce qu’elle a fait de son pétrole. Ce que j’ai vu, les rapports internationaux qui l’attestent, est une œuvre d’espoir.
La République française, à la même époque, a mis en place en Afrique un système loin de ses valeurs et de l’image qu’elle aime renvoyer au monde. Comment des institutions solides et démocratiques, des esprits brillants et éclairés, ont-ils pu tisser des réseaux violant systématiquement la loi, la justice et la démocratie ? Pourquoi des journalistes réputés, de tout bord, ont-ils toléré ce qu’ils ont vu ? Pourquoi des partis politiques et des ONG, par ailleurs prompts à s’enflammer, n’ont-ils rien voulu voir ?

L’indépendance politique a été largement une mascarade en Afrique de l’Ouest
Je ne condamne pas. J’ai partagé cet aveuglement. J’étais comme eux, avant de glisser l’œil dans le trou de la serrure et de prendre la mesure de ce secret de famille : la France reste un empire et ne se remet pas de sa puissance perdue. L’indépendance politique a été largement une mascarade en Afrique de l’Ouest.
L’Occident a fermé les yeux, car la France se prévalait d’être le « gendarme » qui défendait la moitié du continent contre le communisme. Les Français ont laissé faire car, astucieusement, De Gaulle et ses successeurs ont présenté leur action comme un rempart contre l’hydre américaine. Elf était l’une des pièces maîtresses de cette partie géopolitique.
Le double jeu a été facilité par la certitude, ancrée dans les mentalités, que « là-bas, c’est différent ». Là-bas, c’est normal la corruption, le népotisme, la guerre, la violence. Là-bas, c’est normal la présence de l’armée française, les proconsuls à l’ambassade ou à l’état-major, les camps militaires. Là-bas, c’est normal l’instruction des gardes présidentielles. Là-bas, c’est normal la captation des richesses naturelles.
D’ailleurs, « tout le monde fait pareil ». Jeune ou vieux, de gauche ou de droite, nul Français ne songe à s’offusquer de voir nos soldats mener, presque chaque année, une opération militaire en Afrique, au Tchad, en Côte d’Ivoire, au Rwanda, quand tous se gaussent de cette Amérique venue faire la police en Irak, en maquillant d’un fard démocratique les intérêts géopolitiques et pétroliers de Washington. Il y a pourtant bien des symétries.
J’ai vu récemment un documentaire sur la guerre du Biafra, quatre ou cinq demi-heures de témoignage brut des principaux acteurs, sans commentaires. Je suis restée sans voix. A ceux qui sont nés après 1970, le Biafra ne dit rien. Dans cette région du Nigeria, riche en pétrole, une ethnie, chrétienne et animiste armée par la France, réclama l’indépendance. S’ensuivit une guerre meurtrière de trois ans, révolte financée depuis l’Elysée via des sociétés suisses.
La télévision française aimait alors montrer les enfants affamés que les militaires français ramenaient par avion pour les soigner, jamais elle ne laissait voir la cargaison de l’aller, remplie d’armes. A l’image maintenant, les anciens collaborateurs de Jacques Foccart, repus dans leurs fauteuils Louis XV, détaillent sans émotion ces montages illégaux. Les officiers, lieutenants d’alors, généraux d’aujourd’hui, racontent ce bon tour le sourire aux lèvres. Fin du documentaire. Pas un mot, pas une ligne dans les livres d’histoire.

La France vit encore comme si en Afrique, elle était chez elle…
Des drames comme celui-ci, l’Afrique en contient des dizaines, soigneusement passés sous silence. Les massacres des Bamiléké au Cameroun par la France du général De Gaulle, le génocide des Tutsi commis par un régime soutenu par François Mitterrand, les assassinats d’opposants, les manipulations d’élections. Le passif de la France sur le continent africain n’a rien à envier à l’impérialisme américain en Amérique latine ou au Moyen-Orient.
Il est à la mode parmi les intellectuels français de se plaindre du mouvement de repentance qui s’est répandu depuis quelques années. Les bienfaits de la colonisation, à inscrire dans les manuels scolaires, ont même fait l’objet d’une proposition de loi, largement soutenue par les députés.
Bien sûr, l’histoire de la France en Afrique ou en Asie du sud-est a compté aussi des aventuriers sincères, explorateurs, instituteurs ou pionniers, qui ont fait corps avec les pays qu’ils ont découverts. A Madagascar, les Vazas, ces pieds noirs malgaches, ne cessent de louer devant moi l’état des routes et des infrastructures françaises au moment de l’indépendance.
Mais les peuples sont comme les familles. On ne peut pas faire le tri de la mémoire. Il est des secrets soigneusement cachés dont l’onde portée va bien au-delà d’une ou de deux générations. Les enfants héritent de tout : du malheur comme du bonheur, de la richesse comme des dettes.
La République française paie aujourd’hui la facture de son passé. Il suffit de dérouler la liste des appellations officielles des Maghrébins nés dans un département français avant 1962 ou sur le sol hexagonal depuis les années 1970. Par la loi, ils furent et sont des Français comme les autres.
Les gouvernements successifs n’ont pourtant cessé d’inventer des périphrases : « indigène musulman », « sujet africain non naturalisé », « JFOM » (Jeune français originaire du Maghreb), « jeune issu de l’immigration », « fils de harkis », « jeune des quartiers », « Arabo-musulman », « Français d’origine arabe », « Français musulman »…
La France vit encore comme si en Afrique, elle était chez elle, et comme si, ses enfants d’ascendance africaine n’étaient pas Français. Le développement de la Françafrique, notre tolérance vis-à-vis des réseaux, tout ramène à ce secret colonial, cet empire qui hante les esprits comme un fantôme. Oui, Total, la première entreprise française, est riche et prospère.
Mais la manière dont la firme s’est bâtie fait partie de l’héritage. Qui osera un jour rendre au Nigeria, au Cameroun, au Gabon, au Congo-Brazzaville, ce que la France leur doit ? Qui contestera les contrats conclus par Areva pour l’uranium du Niger ou ceux des mines d’or de Sadiola au Mali, deux pays parmi les plus pauvres du globe, qui ne touchent qu’une part dérisoire des richesses prélevées dans leur sol ? La République a contracté une dette qu’il lui faudra bien honorer.
Notre prospérité est nourrie de richesses que nous détournons. A certains de ces sans-papiers qui risquent leur vie pour gagner l’Europe, il pourrait-être versé une rente au lieu d’un avis d’expulsion. Je rêve pour ce pays que j’aime, d’un réveil collectif.
Une France digne de son idéal et de son héritage de 1789 est incompatible avec la Françafrique : ce qu’une génération a fait, une autre peut le défaire. C’est possible.


Les intertitres sont de la rédaction.