Si le débat actuellement en cours sur la citoyenneté – car
c’est de citoyenneté, plus que de nationalité, qu’il s’agit –, peut avoir une utilité, c’est d’abord parce
qu’il fait sortir maints loups du bois où, déguisés en honnêtes défenseurs des
droits de l’homme ou, s’agissant d’Epiphane Zoro-Bi Ballo, « des droits
humains », ils se tenaient prudemment embusqués jusqu’à ces dernières
semaines. Nos lecteurs pourraient être désagréablement surpris de ce que nous
donnons la parole à de drôles de paroissiens, tels Joël NGuessan ou Epiphane Zoro-Bi
Ballo, manifestement sous influence. Mais le but de ce blog, c’est de
contribuer de notre mieux à la plus complète et la plus précise information possible
de nos compatriotes sur la nature, les causes et les enjeux de cette crise. A
cet égard, ce que nous lisons ces derniers jours sous la plume de certains
suppôts de ce pouvoir fantoche, ce que nous entendons de leur bouche, est très
instructif. Surtout quand, comme c’est le cas ici, le locuteur est ce même juge-certificateur
qui, dès 1999, s’illustrait à Dimbokro, le « village natal » de qui
vous savez… A l’époque, ce Ballo-là était seulement « un magistrat
impartial et courageux, qui faisait honnêtement son travail ».
Aujourd’hui, grâce à ce débat un peu surréaliste, le tout récent adhérent du
RDR se dévoile lui-même comme l’un des Ivoiriens dénaturés dont l’activité sournoise
a contribué de longue date à préparer l’usurpation des Ouattara.
Au passage, n’oubliez surtout pas de savourer la petite
vacherie sur « Houphouët-Boigny qui s’est fait maître d’un développement
déséquilibré en faveur de son village (…) ». Qu’aurions-nous lu sous sa
plume si ce Zoro-là n’était pas aussi un membre éminent du fameux Rassemblement
des houphouétistes… (Etc.) ?
La Rédaction
b
-«
Quels sont vos noms, prénoms, date et lieux de naissance ? »
-«
Je m’appelle Yao Kouassi Clément, né en 1973 à Tiémélékro. » Me répond le
premier à qui je m’adresse.
-«
Quels sont les dates et lieux de naissance de vos père et mère ? »
-«
Mon père est né en 1930 et ma mère en 1940, tous deux à Tiémélékro. »
Après
cet entretien, je lui délivre sans hésiter le certificat sollicité, sa
nationalité ivoirienne m’ayant paru sans conteste établie. Je m’adresse donc au
pétitionnaire suivant. Sur mon interpellation il me décline son identité :
-«
Je me nomme Abou Sidibé, né en 1973 à Tiémélékro. Mes père et mère sont
respectivement nés en 1930 et 1940 tous deux à Tiémélékro. »
Pour
ce pétitionnaire, je suis gagné par le doute et il me faut aller plus loin.
-«
D’où sont venus vos grands-parents avant de s’installer à Tiémélékro ? »
-«
Je n’en ai aucune idée, me répond-il, quelque peu embarrassé. Je sais que mes
grands-parents, commerçants, sont nés dans les années 1910 et 1915 dans la
région de Bongouanou. Et je me suis toujours considéré comme originaire de
cette région. »
Je
lui notifie, à son grand désarroi, mon refus de lui délivrer le certificat de
nationalité, parce que, selon mon entendement, des Sidibé ne sauraient être
considérés comme originaires de Bongouanou ou de Tiémélékro. « Tiémélékro,
c’est chez les Kouadio, N’NGuessan, Koffi, Aboh…. Va chercher ton village ! »
Pourrait-on lui demander. Il ne s’agit guère ici de village natal, mais bien de
village…ancestral.
Ce
récit traduit une réalité quotidienne pour de nombreux Ivoiriennes et Ivoiriens,
et je suis persuadé que beaucoup y retrouveront leurs histoires individuelles,
marquées de traitements discriminatoires et d’indescriptibles frustrations.
Quels critères le législateur a-t-il mis en avant pour déterminer l’attribution
de la nationalité ivoirienne à titre de nationalité d’origine ?, m’avait
demandé une amie mienne, Emérik, qui ne s’expliquait pas les tracasseries et
humiliations qu’elle avait dû subir pour se faire délivrer par la direction
nationale de la Police, un passeport.
-«
Mais les choses sont très simples, lui ai-je répondu avec cet air du juriste
convaincu de son fait. La réponse à ta question se trouve aux articles 6 et 7
du code de la nationalité. Est ivoirien (d’origine) dit l’article 6 :
1-L’enfant
légitime ou légitimé, né en Côte d’Ivoire, sauf si ces deux parents sont
étrangers ;
2-L’enfant
né hors mariage, en Côte d’Ivoire, sauf si sa filiation est légalement établie
à l’égard de ses deux parents étrangers ou d’un seul parent également étranger.
L’article
7 pour sa part dispose qu’est ivoirien (d’origine) :
1-L’enfant
légitime ou légitimé, né à l’étranger d’un parent ivoirien ;
2-L’enfant
né hors mariage, à l’étranger, dont la filiation est légalement établie à
l’égard d’un parent ivoirien. »
Je
n’ai jamais compris les raisons de l’énoncé inutilement rébarbatif de ces
dispositions. Toute cette phraséologie pour simplement dire qu’est ivoirien
l’enfant né en Côte d’Ivoire ou à l’étranger d’au moins un parent ivoirien. Il
n’y a donc qu’à prouver que l’un des parents est Ivoirien pour établir la
nationalité ivoirienne de l’enfant à titre de nationalité d’origine. Pour me
convaincre de m’être bien fait comprendre par cette « apprentie juriste » qui
semblait attacher un très grand intérêt à la question, je pris le risque d’illustrer
mes propos.
-«Je
suis ivoirien, né en 1968, de parents ivoiriens. Mon fils Israël, né en 1997
est donc ivoirien d’origine. » Sceptique, elle enchaîne par une autre question
:
-«De
quelle entité juridique dépend la nationalité ? »
-«
De l’Etat, naturellement » lui répondis-je sans trop savoir où elle voulait en
venir.
Cette
fois, elle prend l’air d’avoir le dessus et poursuit :
-«
La naissance de l’Etat de Côte de d’Ivoire a été officiellement scellée le 7
août 1960, date de son indépendance de la France. Il s’ensuit donc que la
nationalité subséquente ne saurait évidemment préexister à cette date. Est-ce
bien exact ? »
-«
Je le crois. »
-«
S’il en est ainsi, achève-t-elle, quelle est la disposition du code de
nationalité qui règle alors la question de la nationalité ivoirienne de tes
parents qui sont nés avant 1960, donc bien avant l’existence d’une nationalité
dont ils se réclament aujourd’hui ? »
Le
raisonnement on ne peut plus rigoureux de mon « apprentie juriste » me
conduisit à réaliser que le code de la nationalité garde le silence sur cette
question fondamentale : « comment a été réglée au plan du droit la question de
la nationalité des personnes habitant ce territoire colonial appelé Côte
d’Ivoire au moment de son accession à l’indépendance ? » Le code de la
nationalité de 1961, toujours en vigueur, parle d’Ivoiriens et d’étrangers sans
dire le critère juridique permettant d’identifier les uns et les autres… au
départ. Face au silence de la loi, chacun y va de sa méthode. Tandis que certains
se proposent d’établir la nationalité ivoirienne de leurs parents nés avant
1960 par des déclarations sur l’honneur, d’autres produisent des arbres
généalogiques pour rapporter la preuve de leur souche ivoirienne. Le général Guéi
n’avait peut-être pas si tort(1).
Le
professeur Niangoran Boua avait eu l’ingénieuse idée de tenter de combler ce
vide juridique par des arguments anthropologiques. Il soutenait que la Côte
d’Ivoire n’étant pas un no man’s land avant la colonisation, la détermination
de l’Ivoirien d’origine devait se faire par un recours à l’appartenance à l’une
ou l’autre des tribus originairement installées sur ce territoire qui sera plus
tard baptisé Côte d’Ivoire. Il s’agit là d’un argument spécieux qui méconnaît
gravement les exigences de l’Etat moderne tel qu’hérité de la colonisation.
D’une part les tribus en question ne constituaient pas une entité homogène et
aucun sentiment national ne les unissait entre elles. Chacune vivait repliée
sur elle-même dans une attitude de méfiance et de rejet de l’autre. En outre,
les populations de ces tribus occupaient des aires géographiques qui
transcendent pour la plupart les frontières nationales actuelles. On le voit,
la théorie des tribus « fondatrices » ne saurait servir de base à la détermination
de la nationalité ivoirienne. La référence à la tribu recèle également un
risque majeur, celui de renforcer la tribalisation de la vie politique et
d’accentuer le repli communautaire au détriment des valeurs de la République,
proclamée comme une et indivisible par la loi fondamentale. Si je dois ma
nationalité d’origine avant tout à mon appartenance à la sous-tribu Gouro, je
ferai naturellement passer les intérêts de ma tribu avant ceux de la nation.
Koblata, le village de mes ancêtres d’abord, la Côte d’Ivoire ensuite. L’on ne
devrait donc pas en vouloir ni à Houphouët-Boigny qui s’est fait maître d’un
développement déséquilibré au profit de son village, Yamoussoukro, ni à Konan
Bédié pour qui Daoukro(2) et ses environs a été une priorité. Que devient la
Côte d’Ivoire dans tout cela ? Rien qu’un rassemblement hétéroclite de
plusieurs tribus, évoluant chacune de son côté ! En 2000, Madeleine Tchikaya(3)
alors présidente de la « sous-commission Carte d’identité » de la Commission
consultative constitutionnelle et électorale (Ccce), mise sur pied par la junte
au pouvoir après le coup d’Etat du 24 décembre 1999, s’était illustrée par son
engagement en faveur de la pureté identitaire. A travers un document destiné «
à une meilleure sauvegarde de l’identité ivoirienne », elle avait notamment
proposé de « mentionner sur les cartes nationales d’identité les repères
identitaires » indiquant la souche villageoise du bénéficiaire de ladite carte.
Elle estimait par ailleurs que chaque Ivoirien doit « se faire établir sa carte
nationale d’identité dans sa région d’origine, même si on n’y est pas né, où le
pétitionnaire et ses parents sont censés être connus »(4). L’on avait cru à une
grosse farce. Que non ! On peut se nommer Sidibé, être né à Tiémélékro et être
originaire de cette localité parce que ses ascendants y sont installés depuis
plusieurs générations. La proposition de Tchikaya impose plutôt à celui qui
revendique la nationalité ivoirienne d’aller se faire recenser dans son village
ancestral. Il est très clairement ici question de la recherche d’une race
d’Ivoiriens de souche, d’Ivoiriens purs. Je connais à Grand-Bassam(5) une
famille dont les ascendants sont venus du Nigéria dans la période de
l’installation des comptoirs portugais et espagnols sur les côtes bassamoises
dans les années 1700-1800. Dans la perspective de l’application de cette
mesure, l’on priera cette famille d’aller à la recherche de ses origines
ancestrales ailleurs, car Grand-Bassam appartiendrait historiquement aux
peuples Ahizi ou Abouré. Et là encore, il faut se demander de quel Grand-Bassam
il s’agit : la ville qui s’offre à nous aujourd’hui et dont le développement
s’est amorcé progressivement à partir de la pénétration sur ses côtes des
explorateurs portugais, espagnols et ensuite français, ou de ces petits hameaux
de pêcheurs disséminés ici et là, ce qui n’était même pas encore en fait
Grand-Bassam. Grand-Bassam existe tel quel à ce jour parce que des « gens venus
d’ailleurs », installés là depuis plusieurs générations ont contribué à sa création.
L’histoire est dynamique et évolutive. Pourquoi Grand-Bassam ne serait-elle pas
tout autant la ville de ces Haoussa venus du Nigéria ?
Les
prochaines guerres seront des guerres identitaires, liées aux crises de
nationalité, prophétisait un auteur au siècle dernier. L’actualité africaine
nous fait constater aujourd’hui, hélas, combien cette prédiction se trouve
justifiée. De l’Afrique centrale à l’Afrique de l’ouest, le continent est
partout déchiré par des conflits politiques sur fond de revendication
identitaire. Du Rwanda à la Côte d’Ivoire, en passant par la République
démocratique du Congo (Rdc), une même réalité s’impose : le lien entre la
guerre et une citoyenneté ou nationalité mal définie. La Rdc est contrainte d’y
faire face et de régler de façon courageuse la question des Banyamoulingué pour
ramener dans le pays la stabilité politique et la préserver. La Côte d’Ivoire
est quant à elle appelée à gérer avec la plus grande efficacité le problème des
étrangers et des Ivoiriens qui leur sont abusivement assimilés, au risque de
perdre définitivement le contrôle sur une partie du pays et de sa population,
et de plonger l’ensemble de la sous-région dans une instabilité chronique. Le
flou dans la détermination de la nationalité, ajouté au discours politique sur
l’envahissement de la Côte d’Ivoire par les étrangers, met en effet de façon
certaine l’avenir du pays en péril.
NOTES
(1) Journal Officiel
de la République de Côte d’Ivoire, 12 octobre 2000
(2) Henri Konan
Bédié a été le successeur d’Houphouët. Il est l’auteur de la théorie de
l’«ivoirité» qu’il a lui-même qualifié de « nouveau contrat social ». Cette
théorie visait à renforcer le sentiment nationaliste.
(3) Ex-Ministre de
la promotion de la femme sous Houphouët-Boigny, Tchikaya s’est fait appeler par
une partie de la presse ivoirienne « la Le Pen des tropiques » pour les idées
nationalistes qu’elle soutenait au sein de la commission chargée de la
rédaction de nouvelles mesures d’identification en 2000.
(4) Le Patriote,
quotidien Ivoirien du n°778 du jeudi 28 mars 2002
(5) Grand Bassam est
une ville côtière du Sud de la Côte d’Ivoire. Petit village de pêcheurs avant
la colonisation, son développement s’est amorcé à partir de l’installation des
comptoirs commerciaux par les explorateurs portugais et les colons français.
Elle fut la première capitale de la Côte d’Ivoire.
en maraude
dans le web
Sous cette rubrique, nous vous
proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas
nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en
rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et
aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à faciliter la
compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise
ivoirienne ».
Source : Nord-Sud Quotidien 25/07/2013
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