samedi 25 avril 2020

« Vous avez été un acteur majeur du développement minier et pétrolier de la Côte d’Ivoire »…

L’HOMMAGE DE MOUCTAR KONÉ À PAUL AHUI


À mon frère aîné, mon ami, mon patron…

  Un proverbe malinké dit : « Vos frères ou sœurs ne se limiteront pas à ceux ou celles issus du sein de votre mère ; le Seigneur, par ses insondables voies, vous en offrira d’autres, certes différents, mais tout aussi remarquables ».
  En effet depuis ce 8 Octobre 1974, que j’ai été affecté à vos côtés à la Direction des Mines et de la Géologie, vous êtes devenu pour moi, un frère, un guide, un modèle.
 

  J'ai découvert en vous l'homme droit, rigoureux, honnête, méticuleux, juste et généreux.
  Vous m’avez toujours tendu une bouée de sauvetage, chaque fois que la situation était critique, voire sans issue.
En effet alors que j’avais les pires difficultés à intégrer la fonction publique ivoirienne, naufragé, sans espoir ni soutien, au bord de la dépression, vous me faisiez prendre confiance en moi-même et de l’assurance.
  Si vous n’aviez pas été là à ce moment, ma vie aurait basculé ; je ne serais pas devenu le père de famille stable et respecté des siens que je suis.
  Je vous ai connu en tant que grand acteur de développement, discret, certes, mais efficace et ayant de la vision.
  Vous avez initié de grands projets, tels que la télédétection appliquée à la géologie, la Banque des données du Sous-sol, le forage pétrolier offshore « Gazelle », entièrement exécuté par des Ivoiriens. Ces projets ont eu un impact significatif sur la connaissance du sous-sol ivoirien.
  Vous avez été un acteur majeur et avant-gardiste du développement minier et pétrolier de la Côte d’Ivoire.


  Vous avez donné à votre pays plus que vous n'en avez reçu. En effet, qui ne se souvient de ce grave accident qui a failli vous emporter, alors que vous reveniez de mission, et dont vous avez porté les séquelles à vie.
  Vous avez pleinement accompli votre mission sur cette terre, aujourd'hui éprouvée par la maladie comme elle ne l’a jamais été auparavant. Priez pour nous.
  Patron, vous n’étiez pas que grand géologue ; vous étiez aussi un grand peintre, un écrivain et un poète amoureux de Kipling. Vous étiez un homme de culture, quelque peu méconnu.
 Humble intègre et compétent, tous vos collègues le reconnaissaient chaque fois que j’évoquais votre nom à des réunions auxquelles je vous représentais.
 Mon frère Paul Ahui, vous avez été pour moi le guide, le modèle, le bienfaiteur, l’homme que je n’oublierai jamais
Reposez dans la paix du Seigneur.
  Toutes mes condoléances les plus sincères et très attristées à Madame Ahui, à vos enfants, à toute votre famille.
MOUCTAR KONÉ
Vendredi 17 avril 2020

dimanche 19 avril 2020

Papa, aujourd’hui ton sourire lumineux est devenu éternel


L’ancien Directeur Général de Petroci Paul William Ahui, décédé le 10 avril, a été inhumé hier, à Parigné-L’Évêque près Le Mans, où il résidait depuis quelques années avec son épouse. Dans les conditions du confinement dû à la pandémie, la cérémonie s’est déroulée dans la plus stricte intimité familiale. Sa fille Gina (Mme Allangba), en son nom et au nom de sa sœur Nadie (Mme VanZandt), absente, a lu cette oraison que nous publions ci-après à l’intention de ceux de nos amis lecteurs, nombreux, qui connaissaient le défunt et auraient aimé pouvoir l’accompagner.

La Rédaction


Paul et Annick avec l'un de leurs petits-enfants, 
le jour de sa Première Communion

Je voudrais tous vous remercier d’être venus aujourd'hui accompagner notre père à sa dernière demeure.
Papa était un bel homme avec une étincelle dans les yeux et un sourire lumineux. 
On dit qu'un sourire est une clé qui ouvre la serrure d’un cœur, il n'est donc pas étonnant que son sourire ait ouvert le cœur de Maman, et le cœur des nombreuses personnes qui l'ont connu. Son sourire était expressif et nous savions facilement ce qui le rendait heureux ; regarder un match de football, manger son plat préféré d'Attiékè accompagné de sauce claire que maman avait tendrement appris à lui préparer, visiter son petit village natal de Petit-Bassam sur les bords de l'océan Atlantique, ou nous raconter ses histoires d'enfance sur la terrasse de notre maison à la lumière d'une lampe à pétrole.  Ce ne sont là que quelques souvenirs parmi tant d'autres. 
Issu d’une famille de dix enfants, il était le fils d’un modeste prédicateur. A l'âge de 3 ans il fut adopté par la famille Anoma. Cet événement s'est avéré être une bénédiction. Son père adoptif, Le Vieux Anoma, le considéra comme son propre fils en le scolarisant et en le guidant dans la vie. Sa famille adoptive lui est toujours restée proche et nous savons qu'aujourd'hui ils sont avec nous en pensées et prières pour leur frère bien-aimé.
C’est pendant qu’il était au lycée du Mans que nos parents se sont rencontrés. Papa venait à Parigné-L’Evêque pendant ses tournois de football, et c’est ici qu’ils se sont connus.  Mariés depuis 1959, ils ont vécu une union exemplaire, d’un amour sans condition, qui a duré plus de 60 ans. 
Derrière ce sourire se cachait un homme de principes, honnête, et soucieux du bien-être de toute sa famille.  Un homme qui avait un espoir profond pour le développement de sa patrie bien-aimée. Il a souvent passé son temps à aider et encourager de nombreux jeunes étudiants, et ses neveux et ses nièces, pour leur faire découvrir la valeur d’un enseignement supérieur leur transmettant le flambeau qu'il avait reçu du Vieux Anoma. Il était rigoureux et attendait de nous de même ; une exigence peu appréciée par ses filles, adolescentes à l'époque.
Sa carrière professionnelle d’ingénieur géologue l'a conduit dans plusieurs régions du monde, du Brésil à l’ancienne Tchécoslovaquie, en passant par Singapour, jusqu'aux Etats-Unis et bien d’autres pays encore. Il a parcouru les régions inexplorées de la Côte d’Ivoire à la recherche de minéraux pour l’exploitation minière. Il a participé à plusieurs projets avec les Nations-Unies, le Corps de la Paix, et a travaillé avec diverses compagnies pétrolières internationales.  A la fin de sa carrière, il dirigeait la société de Pétrole de Côte d'Ivoire (PETROCI) tout en travaillant sans relâche contre la corruption rampante dans ce secteur.
Il était aussi un homme de foi. Absorbé par sa vie professionnelle, il prenait toujours le temps d'assister aux offices de l’église de Petit-Bassam que son père, John Ahui, avait bâtie en Côte d’Ivoire et il participait passionnément à son administration. Son église était vibrante et résonnait d’hymnes chantés sans complexes et dans un style exubérant, un peu comme la musique du gospel noir américain. Et il aimait chanter le gospel. Il y a quelques mois, lorsque j'ai appelé mes parents des États-Unis, j'ai chanté une des chansons qu'il nous avait apprises quand nous étions petites et j'ai été touchée lorsque maman m'a dit que cela l'avait fait sourire.
Paul dans son jardin, à Parigné-L'Evêque, près Le Mans
Ce sourire, nous avons toujours voulu le mériter et il était d’autant plus précieux accompagné de compliments. Il était sévère envers nous, mais nous ne lui reprochons pas ça car c’est grâce à ses conseils et aux soins de maman que nous avons réussi nos études et notre vie.
Pendant ces dernières années, le plus dur pour nous était de ne pas l’entendre parler, lui qui aimait tant raconter des histoires et faire rire ses petits-enfants. Son sourire avait perdu son éclat et il semblait avoir été pris comme prisonnier de cette maladie.  Il nous était pénible de le voir souffrir quand il ne pouvait pas s’exprimer. Mais, aujourd'hui, malgré notre chagrin, nous sommes soulagées de le savoir libéré de cette souffrance. Cette maladie n’a terni ni nos souvenirs ni sa personne, et nous nous réjouissons en sachant qu’il est accueilli par le Seigneur qui l’attend les bras ouverts à côté de Vivie, sa chère fille, notre sœur aimée, de ses parents, et de tous ses frères et sœurs.
Aujourd'hui Papa, ton sourire lumineux est devenu éternel.  Repose en paix.
Nous ne t’oublierons jamais.

Nadie VANZANDT-AHUI 
Gina ALLANGBA-AHUI

samedi 18 avril 2020

Covid-19 : la crise sociale ivoirienne, menace réelle ou hypothèse alarmiste ?

Innocent Gnelbin
En Côte d’Ivoire, une série d’incidents violents révélerait un malaise social entre le gouvernement et les populations, d’après certains observateurs qui mettent en garde contre une crise sociale d’envergure. Le pouvoir fustige, de son côté, « les prêcheurs d’une apocalypse qui n’arrivera pas ».
Le coronavirus sera-t-il le casus belli d’une crise sociale d’envergure en Côte d’Ivoire ? Pour Innocent Gnelbin, la question ne se pose pas car « la crise sociale est déjà là ! La question est donc plutôt de savoir l’ampleur qu’elle prendra », déclare cet analyste politique au micro de Sputnik.

Des manifestants bloquant une route lors d'une protestation
contre la construction d'un centre de dépistage du COVID-19
à Yopougon, une banlieue d'Abidjan (Côte d'Ivoire)
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Des incidents liés à l’épidémie de Covid-19

Les 5, 6 et 7 avril derniers, une vague d’incidents violents a été enregistrée en Côte d’Ivoire, les premiers du genre depuis l’annonce officielle du premier cas confirmé de coronavirus le 10 mars.
Il y a d’abord eu l’opposition musclée de riverains à l’installation de centres de dépistage volontaire à Yopougon, Koumassi, deux communes d’Abidjan. Puis, à Bangolo, les citoyens sont sortis massivement pour barrer la route à un camion de la Pharmacie de la santé publique, soupçonné de convoyer dans cette ville de l’ouest du pays un vaccin expérimental contre le coronavirus qui serait potentiellement mortel.
Toutes ces manifestations ont nécessité une intervention vigoureuse des forces de l’ordre, combinée à la diplomatie des autorités locales, pour un retour au calme.
Interrogé par Sputnik, l’analyste Sylvain N’Guessan, de l’Institut stratégique d’Abidjan, estime que ces soulèvements résultent d’un manque de communication. Une réalité que l’on admet volontiers du côté des autorités ivoiriennes.
« La stratégie de communication du gouvernement pose manifestement problème, vu ce qui s’est passé à Yopougon, Koumassi et Bangolo. Rien n’empêchait, par exemple, le maire de Yopougon ou ses conseillers de rencontrer avant tout les riverains pour leur expliquer l’action qui devait être menée », déclare Sylvain N’Guessan.
Sur ce défaut de communication, voire d’implication, Innocent Gnelbin partage l’avis de Sylvain N’Guessan. Ce dernier a, en effet, déclaré que vu la « nature complexe » de cette crise sanitaire inédite et les nécessaires mesures contre le Covid-19, « il aurait certainement fallu que le gouvernement rencontre les acteurs politiques pour établir une sorte de consensus national dans le combat engagé ».
« Cela aurait eu pour avantage de donner une plus grande légitimité au gouvernement pour la prise de mesures fortes comme l’état d’urgence ou même un éventuel confinement total. Il est dommage qu’il en ait été autrement », déplore Innocent Gnelbin.
Et s’il en a été autrement, ce ne serait pas sans lien avec les relations exécrables entre pouvoir et opposition qui prévalent au sein de la classe politique. La crise actuelle est-elle autre chose, d’ailleurs, qu’une des nombreuses facettes de ce malaise ivoirien, dont les racines profondes remontent bien plus loin ?
« Le problème, en effet, est bien plus profond qu’une crise de confiance. La crise de confiance suppose une adhésion au départ puis une distanciation par la suite. Ce qui n’est pas le cas ici. On ne le dira jamais assez, mais le processus de réconciliation entamé après la crise postélectorale (2010-2011) est un échec. Une partie de la population ne reconnaît pas le pouvoir en place. Et cette frange suspecte, à tort ou à raison, tous les actes que pose le gouvernement », explique-t-il.
Mais la potentielle crise sociale repose, également, sur des considérations plus objectives qui brident l’élan ivoirien pouvant compromettre, dès lors, l’efficience des mesures de riposte de Yamoussoukro.

Une crise sociale inévitable ?

Au 16 avril, la Côte d’Ivoire enregistrait 688 cas confirmés, 193 guéris et six décès. 
Dans le but de freiner la propagation de la maladie, le gouvernement a pris des mesures strictes comme l’instauration d’un couvre-feu nocturne sur tout le territoire, le confinement de la capitale économique Abidjan, ainsi que la fermeture des établissements scolaires et de loisirs, des lieux de culte et des commerces non essentiels.
Pour un pays en voie de développement, le poids économique de ces dispositions se fait sentir à mesure que les jours s’égrènent.
« Plusieurs emplois sont déjà détruits dans le secteur de la restauration, du spectacle, des boîtes de nuit, de l’enseignement privé, de l’informel... Il est à craindre, si la crise sanitaire perdure, que les mesures financières et sociales prises par le gouvernement se révèlent insignifiantes », redoute Innocent Gnelbin.
En effet, pour atténuer l’impact de cette crise sur les populations et les acteurs économiques des secteurs formels et informels et permettre également de préparer une reprise rapide des activités dès la fin de la pandémie, le gouvernement ivoirien a adopté, début avril, un important plan de soutien économique, social et humanitaire.
Ce programme ambitieux, évalué à 1.700 milliards de francs CFA (2,6 milliards d'euros), soit environ 5% du PIB du pays, risque pourtant de ne pas suffire. Et certains observateurs craignent que les plaintes et frustrations de la population, qui se manifestent de plus en plus, notamment sur les réseaux sociaux, ne muent, à force, en défiances ouvertes. 
«Il faut que les autorités ivoiriennes soient extrêmement proactives afin de juguler cette crise sociale qui pourrait rapidement prendre l’allure d’un chaos social. Il le faut afin d’éviter au pays des émeutes dont il aurait du mal à se remettre», poursuit Innocent Gnelbin.
Lui emboîtant le pas, Sylvain N’Guessan juge « certain » que si la situation occasionnée par l’épidémie perdure, « il va en résulter des troubles ». Pour ce qui est de la nature ou de la gravité éventuelle de ces troubles, « tout dépendra de la réaction du gouvernement », affirme-t-il.
« Souvenons-nous de la révolution tunisienne de 2011. Tout est parti de l’immolation d’un jeune vendeur. Le pouvoir a tellement mal géré cette situation qu’elle a fini par embraser presque toute l’Afrique du Nord. Tout dépendra donc de la réaction du gouvernement. Dès qu’il y a mort d’homme, les choses peuvent dégénérer très facilement. Et dans l’histoire de la Côte d’Ivoire, il y a des références comme la mort de l’étudiant Apkélé Apkélé qui a presque coûté au pays une année blanche en 1990 », rappelle Sylvain N’Guessan.
Du côté des autorités ivoiriennes toutefois, on juge « alarmiste et sans fondement réel »
Joël N'Guessan
la menace de turbulences sociales d’envergure. Joint par Sputnik, Joël N’Guessan, cadre du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), se veut rassurant : « C’est curieux, sous d’autres cieux où le Covid-19 a occasionné des dizaines de milliers de morts et des chômeurs par millions, la situation est stable, mais en Côte d’Ivoire où le tableau est nettement moins dramatique, certains se plaisent à prédire l’apocalypse. Les heurts survenus lors de l’installation de centres de dépistage n’ont résulté que d’un problème de communication et ne présagent rien d’autre », s’agace cet ancien ministre des Droits de l’Homme.
Et de rappeler qu’en débloquant 1.700 milliards de francs CFA dans le cadre du plan de soutien économique, social et humanitaire précité, « la Côte d’Ivoire démontre ainsi sa capacité à supporter le coût financier de cette crise sanitaire ». De quoi faire taire, à son avis, les « prêcheurs d’une apocalypse qui n’arrivera pas ».

Roland Klohi

Source : fr.sputniknews.com 17 avril 2020

vendredi 17 avril 2020

Le coronavirus n’a plus de vieux à tuer sur ce continent

GAUZ
(jeuneafrique.com)
Pour endiguer la pandémie de coronavirus, l’Europe a choisi de se confiner et l’Afrique lui a emboîté le pas. Le problème se pose pourtant en termes bien différents, selon que l’on habite à Paris ou Abidjan. Il est temps que nos dirigeants fassent preuve d’indépendance et d’originalité, et proposent enfin une véritable éducation populaire.
La Côte d’Ivoire est un pays jeune, à l’image de tous les pays d’Afrique. Sa pyramide des âges ne ressemble pas à celle des pays occidentaux, et toute réflexion solide pour l’exécution d’une politique publique doit en tenir compte. « Les pays ayant une population jeune doivent investir davantage dans les écoles », apprenait-on au collège. On dirait que nos dirigeants ont séché les cours !
L’épidémie de coronavirus apparaît dans ce théâtre. Panique générale ! L’Occident se confine et se ferme (ce n’était déjà pas facile d’y aller avant). Comme un chien devenu fou parce que son maître a peur, l’Afrique fait de même. À l’exception remarquable du Bénin, tous ses dirigeants répètent au mot près les discours des leaders européens. Quand Manu dit « con… », Sall répond « … finement ». Quand Angela crie « fermez… », une chorale Cedeao répond « … les frontières ». Tremblez d’effroi, tremblez de peur ! (Bonjour Karaba.)

Pyramide des âges
Puisque la peur est distillée par des chiffres, opposons-lui des chiffres. Au 30 mars, en France, l’âge moyen des testés positif au coronavirus était de 62,5 ans, l’âge moyen en service de réanimation était de 64 ans, et 84 % des personnes décédées étaient âgées de 70 ans et plus.
C’est le moment de ressortir la pyramide des âges – souvenez-vous, celle qu’on étudie en classe de quatrième – et de comparer. En France, 20,3 % de la population a plus de 65 ans – c’est 1 habitant sur 5. En Côte d’Ivoire, 3 habitants sur 100 appartiennent à cette tranche d’âge. Autrement dit, le coronavirus est une maladie de la pyramide des âges, et les angoisses de Chamalières ne sont pas véritablement celles de Guibéroua !
Le nord de l’Italie compte un nombre record de personnes âgées en Europe, le coronavirus n’y pose donc pas les mêmes problèmes qu’en Chine, où le virus est apparu. Alors imaginez-vous l’Afrique !

UN QUINQUAGÉNAIRE À BOUAKÉ EST UN MIRACULÉ

Là commence mon vrai point. Accrochez-vous ! En raison de l’âge de la population en Occident, le coronavirus y est un problème très grave. Il pose un défi civilisationnel, et questionne son mode de vie, sa société. L’Afrique n’est pas concernée de la même façon pour la simple raison que, depuis soixante ans, l’incurie de ses hommes politiques, l’avidité des places financières, les foutaises des plans d’ajustement dits structurels, toutes les ambitions à la petite semaine d’aventuriers sans foi ni loi ont déjà fait le travail : il n’y a plus de vieux à tuer sur ce continent.
En Afrique, l’espérance de vie ne dépasse pas 62 ans. Le Niger et l’Ouganda ont 15 ans d’âge moyen ! Oui, vous avez bien lu, et vous pouvez vérifier. L’Afrique a 20 ans. Chaque jour, sa jeunesse est un atout vendangé parce que la mort précoce est un talent continental. Un quinquagénaire à Bouaké est un miraculé. Dans mon Babi natal, depuis la fac, on m’appelle « vieux père Gauz ». Une des chansons qui font danser les assemblées religieuses s’intitule Mon nom est écrit là-haut là-bas. Le gars ou la go qui fait la liste ne chôme pas. (Bonjour mon petit Arafat.)

Pas la même guerre
« Devoir vivre dans le voisinage de sa propre mort, la contempler en tant que réelle possibilité. Telle est, en partie, la terreur que suscite le confinement chez beaucoup ». J’ai lu à haute voix cette phrase d’Achille Mbembe à ma bande d’artisans de Grand-Bassam, et on a ri. Ils sont convaincus que l’auteur est gaulois ou anglo-saxon, parce que « vivre dans le voisinage de sa propre mort » est notre sort depuis des lustres. Cadeau de nos politiques !
On comprend très bien les peuples meurtris d’Europe et d’Amérique. On est solidaires, et on sait qu’ils vont s’en sortir, eux qui depuis si longtemps savent penser à eux seuls, à leur aisance matérielle, eux qui ont couru le monde des siècles durant et qui ont bâti la préciosité de leur vie sur la négligence de celle des autres. Ils vont s’en sortir. Ils ont le matériel politique, historique et culturel pour.

SANS PROPOSITIONS FINES, ON NE PEUT PAS CONFINER UNE POPULATION
QUI N’A PAS PLUS DE DEUX REPAS EN RÉSERVE

Nous ne vivons pas le même combat, nous ne faisons pas la même guerre que ceux qui ont travaillé si dur pour que leurs populations vivent le plus longtemps possible en profitant des bienfaits de leur système. Définitivement non. Il n’y a pas de vieux à tuer chez nous. Pauvre coronavirus !
Ainsi, il ne peut pas y avoir chez nous la même réaction contre l’épidémie qu’en Allemagne ou en Espagne. Sans propositions fines, on ne peut pas confiner une population, au demeurant peu menacée, qui n’a pas plus de deux repas en réserve. Sans propositions fines, on ne peut pas confiner un individu qui ne peut pas trouver à manger s’il ne sort pas de chez lui. Sans propositions fines, on ne peut pas confiner de la même façon un jeune Abobolais et un vieux Munichois.

LES DIRIGEANTS DU CONTINENT ONT UNE RÉACTION DE CLASSE

Les dirigeants africains ratent une belle occasion de faire preuve d’intelligence, d’originalité, d’indépendance, de fabriquer un discours subtil, d’imposer une nouvelle hygiène intellectuelle et sanitaire. Le moment est idéal pour proposer une véritable éducation populaire en lieu et place des médiocres et coûteuses communications gouvernementales.

Amateurisme de haut niveau
Politique vide du Covid, amateurisme de haut niveau. Les autres trouveront, et on suivra. En attendant, effrayons-nous de leurs psychoses. En réalité, les dirigeants du continent ont une réaction de classe. Classe sociale, classe d’âge, ils sont plus près des Européens qu’ils admirent que des Africains qu’ils dirigent. En moyenne, un président africain est âgé de 64 ans et demi, il est au pouvoir depuis onze ans et dirige des gamins de 20 ans qui ne vont pas dépasser la soixantaine.
En guise de conclusion, et pour que les grands penseurs ne montent pas sur leurs petits canassons, je vais préciser les choses que ce texte ne dit pas :
– Il ne dit pas que c’est bien fait pour l’Europe.
– Il ne dit pas que le confinement est une mauvaise chose.
– Il ne dit pas que le Covid-19 ne tue pas de jeunes.
– Il ne dit pas qu’il n’y a pas de malades du Covid-19 en Côte d’Ivoire.
À ceux qui racontent que cette crise va changer les choses, qu’il y aura un avant – et un après –, à vous qui découvrez la critique de la société de consommation et confiez les lendemains meilleurs aux soins d’une molécule d’ARN, je rappelle juste cette date : 2008… et ce proverbe malinké : le chien ne change jamais sa façon éhontée de s’asseoir.

Gauz, écrivain ivoirien

Source : Jeune Afrique 16 avril 2020

dimanche 5 avril 2020

POUR LA RÉHABILITATION D'ERNEST BOKA



EN HOMMAGE À ERNEST BOKA À L'OCCASION DU 56e ANNIVERSAIRE DE SON ASSASSINAT DANS LA PRISON PRIVÉE D’HOUPHOUËT, NOUS PUBLIONS CE TEXTE DE SON PARENT, FEU LE Pr BARTHÉLÉMY KOTCHY, POUR EXIGER LA RECONNAISSANCE DE CE CRIME TOUJOURS IMPUNI ET LA RÉHABILITATION D’UNE VICTIME EXEMPLAIRE.
LA RÉDACTION

En prélude à mon propos, permettez-moi d'évoquer, avec piété, la mémoire du père et de la mère d'Ernest Boka. Le premier a supporté stoïquement cette mort du fils. Il n'a pu cependant lui survivre longtemps. Quant à la seconde, elle n'a pas résisté au choc dont elle traîna les séquelles jusqu'à la mort.
Permettez-moi de saluer le peuple Abbey et plus singulièrement la population de Grand-Morié qui, sur l'information de l'ancien chef de canton, Kanga Assoko, malgré l'interdiction du président de la République de desceller le cercueil, et la présence des militaires, l'a ouvert.
Désastre ! Le corps d'Ernest Boka portait des hématomes à des endroits divers, ses membres étaient fracturés, sa boîte crânienne défoncée. Sont-ce là des signes de pendaison ?
Permettez-moi de rendre un hommage déférent à la tante Marguerite Sacoum qui a osé défier le président de la République en cette circonstance tendue, tissée de mensonges. Elle a subi, par la suite, toutes sortes d'humiliations et a été réduite, près de dix ans, à l'extrême dénuement. Malgré tout, elle est demeurée digne et a élevé ses enfants dans l'honneur et le respect du souvenir de leur père.
Hommage à son éminence le cardinal Bernard Yago ! Il a honoré l'Église catholique en refusant de cautionner toutes les turpitudes du pouvoir. Il s'est donc rendu à Grand-Morié, a prié pour le défunt et l'a enterré selon les règles théologiques : il balaya ainsi du revers de la main la thèse du suicide.
Le président Houphouët-Boigny ne lui pardonnera jamais un tel désaveu.
Hommage au professeur Georges Lavau ! Il connaissait parfaitement son ancien brillant étudiant et ami, Ernest Boka. Aussi, par son honnêteté intellectuelle et son courage, n'hésita-t-il pas à réfuter la thèse du suicide dans son article du 23 avril 1964, paru dans le journal Le Monde.
Nous savons qu'il fut accablé d'injures honteuses de la part de certains féaux du président de la République. À ce titre, certains passages de la correspondance de l'ancien ministre des Forces Armées de Côte d'Ivoire, M'Baya Blé Kouadio, étaient si bas que les responsables du journal Le Monde ont dû les extraire (cf. Le Monde, du 13 mai 1964). Peu lui chaut ! L'essentiel pour Georges Lavau était d'honorer la mémoire d'un homme de valeur.

Ernest Boka, homme de valeur
Le tableau des figures évoquées ci-dessus traduit bien la valeur et la dimension de la personnalité d'Ernest Boka et situe d'emblée la question de sa mort et de sa réhabilitation dans la double perspective nationale et internationale. C'est dire qu'il faut se garder de ramener l'affaire Boka, pour des raisons alimentaires et de politique politicienne, à un cadre strictement familial ou ethnique. Sur ce terrain d'ailleurs, ceux qui se réclament exclusivement de lui font entorse à la tradition Abbey. Les Abbey, en effet, ne sont pas matrilinéaires mais patrilinéaires. Dans cette optique, ce ne sont pas les frères qui héritent du frère, mais ce sont les enfants, surtout s'ils sont majeurs. Et dans le contexte purement familial, ils sont premiers responsables de tous les problèmes concernant leur père.
Mais là n'est pas l'essentiel de notre propos !
D'ailleurs Ernest Boka fut un homme trop digne ! Aussi ne mérite-t-il guère que l'on se joue de sa mémoire. Celle-ci ne doit pas constituer pour les aventuriers de divers horizons un fonds de commerce, « une assurance » pour reprendre ce vilain mot de son frère maternel, Anoma ; encore moins servir de tremplin aux politiciens au rancart en quête de voie rédemptrice.
Ernest Boka est un homme d'envergure, un humaniste. C'est pourquoi il est mort debout pour la défense des idées nobles. Il est mort effectivement non pas pour les causes de sa famille ou celles de son ethnie, mais pour la sauvegarde des valeurs nationales et uni­verselles, à savoir : la vérité, la justice, la liberté de pensée et d'opinion, la démocratie, etc. Aussi mérite-t-il d'être honorablement réhabilité.

La voie de la réhabilitation véritable
Il importe donc de réhabiliter Ernest Boka non seulement selon la coutume ou la voie politicienne, mais selon les lois républicaines.
Il ne s'agit pas de dire qu'il a été réhabilité et continuer à écrire qu'il s'est pendu (cf. Fraternité Matin du 20 septembre 1994) et, dans cette ambigüité, chercher à lui bâtir une tombe et célébrer des funérailles.
De fait, lorsque, le dimanche 9 mai 1971, le président Houphouët-Boigny a avoué verbalement qu'il n'y a pas eu de com­plot en 1963-1964, il n'avait, à vrai dire, réhabilité personne.
Si aujourd'hui, le président Bédié qui est notre contemporain et universitaire comme nous, lui qui a fait des études de droit avant de s'engager dans celles de l'économie veut vraiment réhabiliter l'an­cien président de la Cour suprême, il a intérêt à emprunter la voie de la modernité, en se conformant à la procédure légale.
Ernest Boka a été en effet accusé d'avoir participé en compagnie de ses amis Amadou Koné, Charles Donwahi, Samba Diarra, Issa Bamba... à l'organisation d'un prétendu complot tendant à assassiner le président de la République. Il a même été considéré par ce dernier comme « le principal instigateur ». Ses amis ont été arrêtés, jugés et condamnés dès janvier 1963. Dans la suite logique de ce « complot », il a été arrêté lui aussi le 4 avril 1964, et le lendemain 5 avril, il a été battu à mort. Et pour justifier son forfait, le chef de l'État s'est employé à salir sa mémoire en montant un scénario des plus rocambolesques.
Ce double crime a besoin d'être réparé proprement par une réha­bilitation saine et digne. Aussi importe-t-il de :
1)  Créer une commission d'enquête chargée de faire la lumière sur les circonstances de la mort d'Ernest Boka ;
2)  À l'issue de cette procédure, le président de la République devra demander au Tribunal d'élaborer un rapport.
Au regard de cet acte, le chef de l'État saisira l'Assemblée nationale qui procédera au vote de la réhabilitation de l'ancien président de la Cour suprême et de tous les prisonniers de Yamoussoukro et de Dimbokro (1963-1964).
C'est donc après cette procédure qui caractérise un État de droit et se révèle plus apte à rétablir donc Ernest Boka dans toute sa dignité et son honorabilité et, par voie de conséquence, celles de sa progéniture, que l'on peut envisager de construire sa tombe et d'organiser des funérailles à l'image de sa personnalité.
Pour le moment rien ne presse et l'exemple de l'affaire Dreyfus doit nous servir de leçon.
En dehors de cette voie légale, tout le reste ne sera que supercherie. Par conséquent, le président Bédié a intérêt à agir selon les institutions républicaines.
Ernest Boka reste une figure remarquable de la jeunesse ivoirienne. Il symbolise la droiture, le courage, la vérité et incarne les vertus cardinales de la démocratie.
C'est pourquoi son assassinat a été ressenti par les jeunes de l'époque comme une atteinte à la lutte que mène la jeunesse africaine consciente pour le progrès social.
Ernest Boka symbolise ainsi l'idéal des valeurs universelles, lui qui a osé réagir courageusement en démissionnant de son poste de président de la Cour suprême face à l'arbitraire et aux mensonges grossiers du président Houphouët-Boigny et de ses misérables séides. Dans cette perspective, sa mémoire ne peut qu'appartenir à la collectivité nationale et internationale.
C'est pourquoi tous ceux qui écrivent ou évoquent l'histoire de la Côte d'Ivoire d'Houphouët-Boigny, lui rendent toujours un hom­mage mérité.

Barthélémy KOTCHY

Extrait de « Quand Barthélémy raconte N’Guessan-Kotchy », Nei-Ceda, Abidjan 2012 ; pp. 151-155.