mercredi 30 août 2017

ÉLOGE DE L’IMPOPULARITÉ

Ibrahima Bacongo Cissé
Quand le ouattariste inconditionnel Cissé Bacongo fait le « libre penseur » dans le vain espoir qu’on prendra son maître pour un génie, et lui-même pour un patriote.

Comment ne pas éprouver, dans le contexte socio-politique national actuel, la justesse de cette boutade, qui ne manque pas de piquant ni de sens, même si elle est abusivement élevée au statut de sagesse du temps ou de vérité axiomatique : « la Côte d’Ivoire, c’est la Côte d’Ivoire » ! Bien évidemment, la Côte d’Ivoire ne peut pas être l’Algérie, le Bénin, la Mauritanie, le Sénégal ou tout autre pays. Mais, n’est-ce pas là une image, rhétorique, pour souligner la spécificité de la Côte d’Ivoire, Terre d’espérance, pays de l’hospitalité où il fait bon vivre, même dans la bourrasque, et dont le Peuple se caractérise par un optimisme proche de l’insouciance. Est-ce à dire, pour autant, que les Ivoiriens sont condamnés, à jamais, comme par fatalité, à ne rien apprendre, ni à ne rien oublier ? Il y a bien lieu de le craindre ! En ce sens, l’état d’esprit belliciste des principaux responsables de la classe politique est un signe inquiétant. Depuis plusieurs semaines, tout se passe comme s’ils n’avaient pas tiré le moindre enseignement d’un passé, pourtant récent, dont le pays peine encore à effacer les balafres. Que l’opposition s’oppose – sans jeu de mots – à la politique mise en œuvre par le pouvoir en place, c’est son rôle, qu’elle pourrait évidemment jouer autrement et mieux ! Que des partis alliés au pouvoir revendiquent, avec insistance, leur tour de rôle à la tête de l’Etat en 2020 a de quoi se poser des questions, notamment celle de l’éthique en politique et des fins de la politique. Qu’un autre de ces partis alliés s’épuise dans une guerre singulière, contre soi-même est un signe de désespérance. En somme, tout porte à croire que la seule offre faite par l’ensemble de la classe politique aux Ivoiriens consiste à leur présenter des candidats pour prendre la place de l’actuel occupant du fauteuil présidentiel… Aussi, convenait-il de mettre le holà, en rappelant à toutes et à tous l’éthique en politique et les fins de l’action politique, comme l’a fait le président de la République dans son adresse à la Nation du 6 août 2017.
On se souvient des différents mouvements sociaux de début de second mandat du président de la République encore auréolé d’un taux de confiance de plus de 80% des électeurs ayant pris part à l’élection présidentielle d’octobre 2015. Ils n’avaient rien à voir avec des grèves classiques ou courantes de fonctionnaires et agents de l’Etat ou de travailleurs du secteur privé. Les premiers sont survenus comme une échappée de vapeur, en réaction au réaménagement technique du gouvernement opéré en janvier 2016. A travers des accusations directes de trahison présumée, de douloureux cris de révolte sincères et touchants et divers sentiments diffus de frustration exprimés, violemment et à visage découvert, par voie de presse et sur les réseaux sociaux, ces mouvements conduits par d’authentiques et de présumés partisans ont porté un coup d’arrêt brutal à la période d’état de grâce dont jouissait jusque-là le président de la République.
La seconde vague a explosé, sans préavis, quasi-simultanément dans toutes les grandes métropoles du pays, probablement par effet de contagion. Elle a eu pour prétexte la cherté du coût de la vie ou les prix sur les marchés. Il en a été ainsi de ce qu’il a été convenu d’appeler « la crise des factures d’électricité» baptisée crise « des 200 facebookers », « l’affaire du prix des denrées sur les marchés » et « la crise du renouvellement des permis de conduire ». Il n’est pas jusqu’à la clameur publique soulevée par la mise en œuvre effective d’une ancienne et banale circulaire encore en vigueur de la Direction générale des Douanes, relative à « la déclaration en douane des effets personnels », que la pratique avait couvert d’une épaisse chape d’oubli, qui avait ajouté à la surchauffe sociale déjà perceptible à l’œil nu.
Banals mouvements d’humeurs sans lendemain, selon certains politiques, à travers des analyses déjantées agrémentant des dîners tardifs bien arrosés ! Manipulations politiciennes et manœuvres de déstabilisation, pour les officines de propagande politique et les « sécurocrates » en charge de faire prendre conscience de lui-même au bon petit peuple. Peut-être l’une ou l’autre de ces deux explications, peut-être les deux à la fois, parce qu’il ne faut rien exclure ! Tel était, en tous les cas, le contexte social dans lequel se sont déroulés les deux scrutins ayant suivi l’élection présidentielle d’octobre 2015 : le référendum du 30 octobre 2016 et les élections législatives générales du 18 décembre 2016.
Concernant le référendum, les responsables et les appareils des partis politiques alliés du RHDP, porteurs du projet de Constitution de la 3ème République, étaient déterminés, du moins à travers la communication plus que par les actions de terrain, y compris pendant la période légale de campagne, à en faire un remake de l’élection présidentielle.
Faut-il rappeler, ici, que la campagne officielle a été lancée dans un stade Félix-Houphouët-Boigny rempli au tiers. Malgré une communication exubérante déployée avant et pendant l’événement. Malgré également les appels à la mobilisation lancés aux militants et sympathisants des différents partis alliés du RHDP et le ramassage gratuit des populations du District autonome d’Abidjan et de nombreuses autres villes du pays, par autobus et cars de transport en commun communément appelés wouroufatôh. Malgré, enfin et surtout, le paiement de perdiems, âprement négociés, aux personnes qui acceptaient de faire… le détour.
L’opposition a eu beau jeu alors de pérorer que son appel au boycott actif et/ou citoyen du référendum a été entendu cinq sur cinq. Mais, les élections législatives, qui ont eu lieu trois mois après le référendum, ont apporté un démenti cinglant à ce hourra de victoire, qui avait tout l’air d’une tentative de récupération politicienne peu glorieuse et guère habile.
Ces élections législatives, est-il besoin de le rappeler, ont enregistré la participation de toute l’opposition, qu’elle soit légaliste, légitimiste ou républicaine, à visage découvert ou sous le masque finalement impudique de candidatures indépendantes. Elle a battu campagne, sur l’ensemble du territoire national, dans ses fiefs présumés ou supposés comme ailleurs, avec les discours et les mots, qui la rendaient audible et visible et les moyens publics et privés dont a pu disposer chaque candidat des différentes chapelles politiques. Malgré tout, les électeurs, militants ou sympathisants politiques ou simples citoyens de la société civile, n’ont pas fait preuve d’un enthousiasme débordant, lors de ces scrutins.
Le même phénomène, sous une forme plus flagrante, s’est manifesté lors des différentes actions de rue organisées par l’opposition, toute tendance confondue, pour protester contre la politique menée par le pouvoir en place. Malgré les appels à la mobilisation lancés sur le ton du drame, de l’indignation et du tragique, les masses populaires attendues se sont résumées, à chaque occasion, à deux tondus et trois pelés, y compris les badauds des lieux où ont eu lieu, à dessein, les rassemblements.
Au temps où Bacongo "réformait" la Fonction publique...
La classe politique, toutes tendances confondues, semble indifférente à une analyse froide et sereine de ce phénomène inédit et pernicieux, ne serait-ce que par des méthodes empiriques, à travers ses appareils et leurs structures d’animation et de mobilisation, avant ou sur la base d’une enquête d’opinions conduite selon les règles de l’art. Or, une compréhension de la tectonique du phénomène pourrait lui permettre d’élaborer une stratégie efficace de remobilisation de ses militants et sympathisants et de reconquête du terrain.
Ainsi, l’opposition, qui assume son statut, s’oppose, bi-entête (sic), à la politique menée par le pouvoir en place, en niant tous les acquis réalisés par celui-ci, sans bénéfice d’inventaire. Plutôt que de proposer d’autres projets de société assortis de programmes de gouvernement d’alternance, au lieu d’offrir des solutions ou des voies autres que celles mises en œuvre par le pouvoir en place pour changer le quotidien des Ivoiriens, en lieu et place de la critique féconde des actions et du bilan de celui-ci, la seule offre politique qu’elle fait actuellement aux Ivoiriens, à travers son discours, consiste à instrumentaliser la réconciliation nationale présentée comme une donnée et à exiger (de quelle autorité, ivoirienne ou étrangère ?, serait-on tenté de se demander) la libération « des prisonniers politiques », en particulier l’ex-Président Laurent Gbagbo et Blé Goudé. En fait, cela ne devrait pas surprendre, puisqu’elle a fait ses preuves à la tête de l’Etat, avec le bilan que l’on sait, de 2000 à 2010.
Quant à l’un des partis alliés au pouvoir, il semble ne plus assumer son statut, depuis belle lurette. Rarement on l’a senti concerné par la gestion des différentes crises auxquelles a eu à faire face le pouvoir dont il est comptable de l’action : crise des factures d’électricité, crise des prix sur les marchés, grèves des étudiants et des fonctionnaires, mutineries militaires. Rarement on l’a vu endosser le bilan des gouvernements successifs auxquels il participe pourtant. Presque jamais il n’est intervenu dans le débat public sur le procès de l’ex-Président Laurent Gbagbo et de Blé Goudé à La Haye, au moment où les amis et les partisans de ces derniers font feu de tout bois sur les antennes et les ondes des télévisions et des radios internationales. Critiquerait-il, ouvertement, la gestion du pouvoir en place qu’on trouverait une certaine cohérence ou logique au fait qu’il réclame, à cor et à cri, l’alternance en sa faveur en 2020, une alternance adultérée, sans la moindre promesse, même d’un espoir illusoire, qui constitue, jusqu’à nouvel ordre, son leitmotiv, sa seule offre politique.
Enfin, celui des partis alliés qui est considéré par les autres, plus à tort qu’à raison, comme le véritable détenteur du pouvoir, semble avoir abandonné son projet du « Vivre ensemble », la réalisation de l’ambition partagée de faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent à l’horizon 2020, pour se laisser balloter, diviser et emporter par une guerre absurde entre les « pro » de « ses éléphants ». La dernière mutinerie de la soldatesque de mi-mai 2017 a donné une dimension tragique et porté à son point culminant cette guerre intestine menée dans la presse écrite et les tranchées numériques des réseaux sociaux, sous la forme d’une guérilla urbaine virtuelle, sans qu’on puisse en deviner une issue autre qu’un suicide collectif et un chaos général, dont la clé de compréhension devrait relever plutôt de l’ésotérisme ou du mysticisme politique. Alors qu’il est engagé dans les préparatifs de son 3ème Congrès Ordinaire, l’instance où toutes les contradictions qui le traversent devraient pouvoir être débattues, où le linge sale devrait être lavé, en famille, un moment de catharsis collective.
A l’évidence, le discours politique tourne à vide, sans cible, ni objet. Les homélies, les prêches et les sermons politiques, de plus en plus électriques et véhéments et de moins en moins audibles et crédibles, même relayés massivement par les réseaux sociaux, à mesure que la ligne d’horizon de 2020 semble se rapprocher, montrent, jusqu’à l’aveuglement, que la classe politique s’écoute plus qu’elle n’écoute les populations devenues citoyens d’un monde plus que jamais intégré. On ne saura jamais insister, assez, sur le rôle dévastateur d’allumeur de mèche ou de propagandiste joué par certains journalistes, fidèles de chapelles politiques. La classe politique laisse penser que les bouleversements politiques qui s’opèrent à travers le monde ne sont, pour elle, que de simples accidents et des bégaiements de l’histoire.
Or, il est permis de se poser la question de savoir s’il n’y a pas une parenté directe entre ces bouleversements que les instituts de sondage d’opinions et les médias mondiaux n’ont guère vu venir et le phénomène d’apathie qu’on observe dans le comportement des populations ivoiriennes, en général. Ce phénomène n’est-il pas l’expression d’une défiance à l’égard des politiques, la traduction de la perte de crédit dans leurs discours, la preuve d’un rejet de leurs méthodes, de leurs pratiques, de leurs « us et coutumes » et du refus des appartenances héritées ou de quelque aristocratie nostalgique ou encore la manifestation d’un besoin de renouvellement du personnel politique ?
La tentation est prégnante de répondre par l’affirmative à ces interrogations. D’autant plus que les Ivoiriens d’aujourd’hui, jeunes comme adultes, femmes et hommes, militants et sympathisants de partis politiques ou non, sont tous connectés au reste du monde grâce au net. Ils sont des quartiers huppés, mais aussi et surtout des zones de non-vie des bidonvilles et quartiers précaires, tels que « Adjouffou, Derrière Warf, Gonzagueville, Jean Foly, Vridi Canal, Zimbabwe » à Port-Bouët, « Aklomiambla, Bia-Sud, Campement, Quartier Divo, Soweto, Zoé Bruno » à Koumassi, « Biabou, Bokabo, Derrière Rail, Djibi-derrière cimetière, Klouétcha » à Abobo, « Bromakoté, Djakouakou, Ouatt-City, Sodeci-Soleil » à Adjamé, « Boribana, Gbébito, Locodjoro, Mossikro » à Attécoubé, « Doukouré, Gbinta, Kowët, Mamie Faitêh, Nouveau Quartier Extension, Pays-Bas, Yamoussoukro, Yao Séhi, Wassakara » à Yopougon. Ils ont conscience, plus que jamais, du pouvoir qu’ils détiennent. Ils participent tous, directement et personnellement, à longueur de journées et de nuits, par des post ou des « like », sur les réseaux sociaux, aux débats d’enjeux nationaux et mondiaux. Ils savent que le droit qu’ils ont de voter aux différentes élections est une arme fatale. De ce fait, tous sont devenus plus exigeants, quant à la prise en compte de leur vécu par les politiques. On pourrait se contenter de relever, à cet égard, les critiques instinctives, acerbes et dépréciatives voire les procès à charge dont le pouvoir en place est l’objet, dans certains milieux populaires, autres que les chapelles politiques. Or, les acquis du bilan de celui-ci, seulement en six (6) ans à la tête de l’Etat, sont évidents, dans tous les domaines de la vie économique, culturelle, politique et sociale, au point où des observateurs avertis et dignes de foi parlent d’un second miracle que la Côte d’Ivoire connaît sous le régime du Président Alassane Ouattara. C’est dire que dans ses modalités actuelles d’exercice, la démocratie est en train d’être frappée d’obsolescence, du fait des réseaux sociaux.
Le maître et son serviteur
Si la classe politique veut éviter de connaître la même désagrégation ou désintégration que celle survenue dans d’autres pays, elle gagnerait à être plus attentive aux angoisses des populations, à leurs douleurs, leurs doutes, leurs impatiences, leur mal-être et leurs peurs, mais également à leurs aspirations profondes, leurs attentes, leurs ferveurs, leurs incandescences et leurs rêves. Plutôt que de persister dans une posture consistant à regarder le peuple avec des lunettes d’hier et, le prenant de haut et se substituant à lui, à tenir le même discours paternaliste des pères fondateurs des années des indépendances… Elle ne saurait être suspectée, ni, a fortiori, reconnue coupable, d’un quelconque péché de populisme. Encore que le populisme, qualifié par François Lenglet (in « Tant Pis ! Nos enfants paieront ») de « déferlante planétaire », dans le contexte socio-économique et politique actuel, structure désormais et jusqu’à nouvel ordre la vie des démocraties libérales, à travers le monde… Pour preuve, tous ces présidents, Premiers ministres ou leaders politiques surgis de nulle part, notamment dans les vieilles démocraties occidentales.
Ces nouveaux acteurs ne sont pas des accidents... de l’Histoire contemporaine en train de s’écrire en lettres de feu, de larmes et de sang, mais bien l’expression du besoin de changement de l’ordre actuel par un ordre nouveau.

Cisse Ibrahim Bacongo
Titre original : « Vers l’éveil d’une conscience nationale ? »


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Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».


Source : Partis Politiques 29 août 2017

NOTRE COMMENTAIRE

De quoi parle-t-il au juste ? A bien y réfléchir – car il ne suffit pas de le lire pour le comprendre, tellement, à force de vouloir trop prouver, le Bacongo s’embrouille lui-même –, tout ce bla-bla seulement pour dire que la Côte d’Ivoire possède un président de la République génial, encore plus génial qu’un certain « père fondateur » ; un président de la République à qui tout réussi… Si, si ! Ne vous laissez donc pas impressionner par les taux de participation dérisoires lors des scrutins présidentiel, législatifs ou référendaire ; les grèves et les manifestations de travailleurs salariés, de commerçantes ou d’étudiants, signes d’un mécontentement grandissant chez les citoyens de toutes les catégories ; ni même par les mutineries récurrentes de militaires et autres corps habillés, etc. Ce n’est rien ; ça veut seulement dire qu’il manque à la Côte d’Ivoire un peuple (gens des « quartiers huppés » et gens des « zones de non-vie des bidonvilles et quartiers précaires » confondus) vraiment digne d’un président de la République tel qu’Alassane Ouattara ; un peuple capable de le comprendre et de l’aimer comme il le mérite…
Et où donc est la nouveauté ? C’est un malheur que bien d’autres peuples ont connu avant nous ; le cas peut bien être grave, mais il n’est jamais désespéré. Voici, par exemple, la sorte de solution que le poète et dramaturge Bertold Brecht préconisa en son temps et pour son pays, après que le peuple y eut gravement démérité du gouvernement en se soulevant contre lui le 17 juin 1953 :

« Après le soulèvement du 17 juin
Le secrétaire de l’Union des écrivains
Fit distribuer des tracts dans la Stalinallee
On y lisait que le peuple
Avait tourné en dérision la confiance du gouvernement
Et ne pourrait reconquérir cette confiance
Que par un travail redoublé. Ne serait-il
Pas plus simple que le gouvernement dissolve le peuple
Et en élise un autre ? ».
(B. Brecht : « La Solution »)

Pourquoi, citoyen Bacongo, ne pas essayer le même remède puisque, selon vous, c’est de la même sorte de maladie que souffre notre pauvre patrie depuis que la France lui a imposé à coups de bombes le génial monument d’incapacité et d’impopularité dont vous êtes le fougueux et déhonté thuriféraire ?
Allez ! vite, un bon geste : sauvez-nous de nous-mêmes !

Marcel Amondji (30 août 2017)

lundi 7 août 2017

Indépendance ou La fin de la longue nuit

Un seul homme peut-il porter sur ses seules épaules la destinée d’un peuple si grand ? Un soir d’aout 1960, le peuple d’Eburnie quittait enfin la longue nuit du colonialisme.
22 octobre 1946, ils étaient 148 à embarquer sur la frégate F707 de la marine nationale Française. Ces 148 jeunes sélectionnés parmi les meilleurs élèves de la colonie ivoirienne s’apprêtent à poursuivre leur formation en métropole. Premier député de la colonie à siéger au parlement français, Dia Houphouët vient de tenir une promesse de campagne : former une génération de cadres ivoiriens. Visionnaire, il vient de poser les premières fondations de cette nation en devenir. Ces 148 jeunes devront être prêts lorsque le Soleil des indépendances se lèvera sur la terre d’Eburnie.
La Frégate L'Aventure photographiée le 7 avril 1955
Alcide Dioulo, Alphonse Bissouma Tapé, Bakary Coulibaly, Marie-Thérèse Brou, Camille Adam, Ernest Boka, Gervais et faustin Coffie, Jean Konan Banny, Jean-Baptiste Pango, Joseph Aka Anghui, Memel Fôte, sont du voyage. Arrivés le 8 novembre 1946 en métropole, les 148 premiers boursiers de Côte d’Ivoire débutent leur quête de connaissances pendant que sur leur terre natale règne un parfum de révolte.
LE TEMPS DU COMBAT
1945, Alexandre Douala Manga Bell, Gabriel d’Arboussier, Jean-Félix Tchicaya, Yacine Diallo, Fily-Dabo Sissoko, Sourou Migan Apithy, Lamine Guèye, Léopold Sédar Senghor et Dia Houphouët rentrent au palais Bourbon pour représenter les peuples colonisés d’AOF et d’AEF.
Pionniers du combat pour l’indépendance, l’abolition du travail forcé et du code l’indigénat, l’attribution de la citoyenneté française à tous les ressortissants d’Outre-mer, la liberté de réunion et d’association de la presse seront leurs premières victoires face au système colonialiste. Ils créent également le Rassemblement Démocratique Africain à Bamako en 1946, parti qui rassemblera sous un même étendard tous les mouvements africains luttant pour l’émancipation des colonies.
Le combat pour l’indépendance prend un tournant décisif avec la création du rassemblement démocratique africain (RDA). Dia Houphouët futur ex-leader nationaliste mène la fronde contre l’administration coloniale qui ne pourra pas résister longtemps à la pression de l’histoire. Soutenu dès sa création par le parti communiste, le RDA et sa branche ivoirienne, le PDCI ne vont cesser d’être combattus par l’administration coloniale qui ne tolère par les accents indépendantistes de ce mouvement.
Les dirigeants du RDA subiront brimades, humiliations, licenciements, emprisonnement, intimidations. Le RDA ploie sous les coups de butoir du colon qui ne se ménage pas pour réprimer ce mouvement soutenu par les masses africaines.
Dans la colonie ivoirienne, la répression contre le RDA et son chef se fait intense. La colonie est en ébullition.
Ainsi trois ans après le départ des 148 « Aventuriers », l’administration coloniale dirigée par le gouverneur Péchoux arrête, le 6 février 1949, plusieurs dirigeants du PDCI-RDA : Bernard Dadié, Mathieu Ekra, René Séry-Koré, Jean-Baptiste Mockey, Albert Paraïso, Philippe Vieyra, Jacob Williams. Seul manque à l’appel …Dia Houphouët.
« Ils nous braquaient de leurs fusils et nous ont demandé qui était armé. J’ai levé le doigt. Ils m’ont demandé de sortir mon arme. Je leur ai brandi le stylo que j’avais dans la poche. Ils ont ri, les crétins ! C’est avec ce stylo que, de l’intérieur de la prison de Bassam, j’ai écrit mes « Carnets de prisons » et les articles qui ont mis le feu à l’administration coloniale ». (Bernard Dadié)
Enfermés à la prison de Grand Bassam, les prisonniers entament une grève de la faim. Dehors le peuple se soulève pour demander la libération de leurs leaders. Les femmes prendront la tête de ce mouvement. Le 24 décembre 1949, elles marchent sur la prison pour demander la libération des membres du PDCI-RDA et lancent le boycott des commerces français. Elles subiront les foudres d’un régime aux abois. L’histoire se souvient d’Anne-Marie Raggi, Marie Koré, Maguerite Sackoum, Odette Yacé et de Mme Ouezzin Coulibaly.
Le 22 mars 1950 le procès des dirigeants débute, Dia Houphouët, leader du PDCI, ne viendra pas soutenir ses compagnons. Prétextant une maladie, il préfèrera se réfugier à Yamoussoukro, se contentant d’un simple télégramme de soutien.
« Regrette absence côtés vaillants camarades, victimes colonialistes aux abois- STOP mauvais état santé m’a empêché exprimer vive voix solidarité avec sublimes défenseurs peuple opprimé d’Afrique… Sommes… entièrement d’accord sur but à atteindre émancipation Afrique… Union avec forces démocratiques métropolitaines groupées autour avant-garde Parti communiste français, union avec forces démocratiques monde entier sous-direction grand socialisme Union soviétique guidé par chef génial le grand Staline en vue créer par lutte commune condition réaliser avènement, ère liberté, paix, Fraternité ». (Dia Houphouët)
REPLI TACTIQUE OU TRAHISON
La répression contre le RDA devient sanglante et meurtrière. Le colon tue à Bouaflé, à Séguéla, à Dimbokro… On compte plus d’une centaine d’innocents tombés sous les balles du colon. Les réunions du PDCI-RDA sont interdites. L’étau se resserre autour du chef du RDA. La rumeur de son arrestation couve. Un mandat d’arrêt est lancé contre lui le 26 janvier 1950. Acculé par le gouverneur Péchoux, il craint pour sa vie.
Un homme sera le symbole de la violence et de l’acharnement du colon : le 29 janvier 1950, le sénateur Victor Biaka Boda, membre actif du PDCI et fervent nationaliste, meurt en martyr dans des conditions troubles.
La mort du sénateur est un tournant dans le combat pour l’émancipation de la colonie ivoirienne. Dia Houphouët se réfugie en France, loin du tumulte, et s’apprête à céder sous la pression de l’occupant. Le 18 octobre 1950, le RDA publie un communiqué qui acte son désapparentement au parti communiste.  Cet acte de reddition marque la fin des idéaux nationalistes du RDA. A partir de cette date, le PDCI-RDA ne sera plus qu’un faire-valoir. C’est le début de la collaboration de Dia Houphouët.
 «Oui mes frères, un vent de nationalisme souffle sur le monde entier- la mystique de l’indépendance qui ne règle rien, qui ne règle pas les rapports entre les hommes. Avec foi, nous africains et j’entends tous ceux qui travaillent ici pour un avenir meilleur blancs et noirs nous tous nous devons unir nos efforts dans un esprit de compréhension mutuelle et de confiance totale afin que nous puissions opposer victorieusement à cette mystique : celle de la Fraternité ». (Dia Houphouët)
Les idées indépendantistes et anticolonialistes trouvent un écho puissant dans le Paris des années 50. Les 148 étudiants ivoiriens baignent dans ce foisonnement idéologique et se préparent à rentrer pour servir leur pays.
La décennie 50 sera calme ; les soubresauts de la fin de la décennie 40 sont loin. La collaboration avec le colon se passe sans encombre. Sékou Sanogo, Dignan Bailly, Kacou Aoulou, Ouezzin Coulibaly, Victor Djedje Capri, Auguste Denise, Etienne Djaument animeront la vie politique pré-indépendance.
L’union Française, la loi cadre, la communauté Française, finiront par accoucher d’une indépendance factice, octroyée sans combattre. Le 7 août 1960, Dia Houphouët devient le premier président de la nouvelle République de Côte d’Ivoire. Les 148 « Aventuriers » prennent, pour certains, le chemin du retour pour participer à la construction de ce nouvel Etat. Fort des compétences acquises, ils sont prêts à relever le défi du développement. Mais leurs espoirs seront vite étouffés…

Joël Nandjui


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Source : http://ayidjrinkaaba.mondoblog.org 7 juillet 2017

samedi 5 août 2017

Les 10 victoires du Président Maduro

Le président Nicolas Maduro
Depuis l’arrivée au pouvoir de Hugo Chavez, le pays a dû affronter une série d’obstacles politiques, sociaux et économiques aussi bien internes qu’externes, qui se sont accentués lors de la présidence de Nicolas Maduro. Ignacio Ramonet analyse ici l’année 2016, l’année la plus compliquée de la révolution bolivarienne.
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Début 2016, pour les autorités de Caracas, la situation était très compliquée. Pour principalement trois raisons : 1) L’opposition néolibérale avait gagné les élections législatives de décembre 2015 et contrôlait l’Assemblée Nationale. 2) Le prix du pétrole, principale ressource du Venezuela,  était tombé à son niveau le plus bas depuis longtemps. 3) Le président des Etats Unis, Barack Obama venait de signer un décret où le Venezuela était présenté comme une « menace non usuelle et extraordinaire pour la sécurité nationale et la politique extérieure des Etats Unis »[1].
Autrement dit, la révolution bolivarienne semblait être à la défensive sur les trois champs décisifs que sont la politique, l’économique et la géopolitique, alors que la contrerévolution, aussi bien interne qu’externe pensait avoir, enfin, à portée de main le pouvoir au Venezuela.
Tout cela dans un contexte de guerre médiatique de longue durée contre Caracas, qui avait commencé avec l’arrivée au pouvoir de Hugo Chavez en 1999 y qui s’est intensifiée à partir d’avril 2013, en atteignant des niveaux inédits de violence depuis l’élection de Maduro.
L’atmosphère de harcèlement agressif et permanent par les media se traduit par une désinformation insidieuse sur le Venezuela qui jette le trouble même chez de nombreux amis de la révolution bolivarienne. Dans cette ère de la « post-vérité », la pratique du mensonge, de la fraude intellectuelle  et de la tromperie éhontée n’est pas sanctionnée par aucune conséquence négative, que ce soit en termes de crédibilité ou d’image.  Tout se vaut, tout sert dans cette « ère du relativisme post-factuel ». Même les faits et les données les plus objectifs ne sont pas pris en considération. On n’accepte pas non plus l’argument – si évident dans le cas du Venezuela – du complot, de la conjuration, de la conspiration. Le nouveau discours médiatique dominant dénonce par avance et ridiculise le « prétendu complotisme » comme on reprend un « récit éculé » qui ne peut qu’être rejeté avec mépris.
Début 2016, tout donc semblait très difficile pour le président du Venezuela. Au point que l’opposant acharné, et néolibéral, Henry Ramos Allup, passablement enivré avec sa majorité parlementaire, s’est permis d’affirmer dans son premier discours, en janvier 2016, comme président de l’Assemblée Nationale, qu’il allait enlever Maduro du pouvoir dans « un délai ne dépassant pas six mois ». S’inspirant sans doute du coup d’Etat institutionnel contre Dilma Roussef au Brésil, il pariait sur une victoire à un éventuel référendum qui révoquerait le président.
Les  choses étaient ainsi quand le président Maduro a surpris tout le monde, dans une série magistrale de coups d’échecs que personne n’a vu venir – et qui était parfaitement légale selon la Constitution. Il a renouvelé, comme celle-ci l’y autorise, les membres du Tribunal Suprême de Justice (TSJ), organe supérieur du pouvoir judiciaire, dont la « Salle Constitutionnelle » a le dernier mot en matière d’interprétation de la Constitution.
Aveuglée par sa superbe, l’opposition a alors commis deux erreurs majeures : elle a décidé d’ignorer les avertissements du TSJ, en acceptant que siègent à l’assemblée trois députés de l’Etat d’Amazonie dont l’élection, en décembre 2015, avait été suspendue pour cause d’irrégularités. Face à cet affront, le TSJ n’a pu que décréter que la présence de ces trois députés « non élus régulièrement » enlève toute validité aux décisions de l’assemblée. Le TSJ a en fait jugé que l’Assemblée était en état de désobéissance et que, par conséquent, « toutes ses décisions seront considérées comme étant nulles ».  En raison de ses propres erreurs, non seulement l’Assemblée Nationale n’a pas réussi à légiférer, ni à exercer son contrôle sur le gouvernement, mais, comme le reconnaissent de prestigieux spécialistes de droit constitutionnel, elle s’est elle-même annihilée, elle a dilapidé son pouvoir et s’est, en fait, auto dissoute[2]. Telle fut la première grande victoria de Nicolas Maduro en 2016.
Obsédée par son désir de renverser le président, l’opposition a aussi décidé d’ignorer les conditions légales (article 72 de la Constitution) – en l’occurrence, les étapes à suivre, telles qu’elles sont consignées dans la réglementation – lorsqu’elle a voulu lancer, en 2016, un référendum demandant la révocation du président[3]. Un autre fracassant échec pour elle. Et une autre victoire de Nicolas Maduro.
Même ainsi, il est arrivé un moment, en mars-avril 2016, où tout s’est énormément compliqué. Aux coups de boutoir habituels des forces hostiles à la révolution bolivarienne est venue s’ajouter une sécheresse exceptionnelle, la deuxième en importance depuis 1950, accompagnée de chaleurs extrêmes, dues au phénomène El Niño. Au Venezuela, 70% de l’énergie électrique est fournie par les barrages, la principale centrale hydroélectrique étant celle du Guri, dont le niveau a été réduit au minimum, faute de pluies.
La contrerévolution a essayé de tirer parti de la situation pour multiplier les sabotages électriques, en cherchant à créer le chaos énergétique, le mécontentement social et susciter des mouvements de protestation. Le danger était particulièrement grand, au problème électrique s’ajoutant, du fait de la sécheresse persistante, le manque d’eau potable.
Le président Maduro a toutefois agi à nouveau avec célérité, en adoptant des mesures drastiques : il décida de substituer des millions de lampes à incandescence par d’autres, beaucoup moins gourmandes en électricité ; il donna l’ordre de remplacer les vieux appareils d’air conditionné par de nouveaux, également moins gourmands ; il décréta la mi-journée de travail dans l’administration publique et un plan spécial de limitation de la consommation électrique et d’eau.
Il parvint ainsi, grâce à ces mesures audacieuses, à éviter une crise énergétique majeure[4], tout en obtenant une de ses victoires les plus populaires de l’année 2016.
Un changement de paradigme
Un autre problème important, peut-être le plus grave, auquel a dû faire face le gouvernement – conséquence en partie de la guerre économique contre la révolution bolivarienne – est celui de l’approvisionnement alimentaire. Il faut se rappeler qu’avant 1999, 65% des Vénézuéliens vivaient dans la pauvreté. Sur dix vénézuéliens, seulement trois consommaient régulièrement de la viande, du poulet, du café, du lait,… Pendant les seize dernières années, la consommation alimentaire a littéralement explosé, faisant un bond de 80%, grâce à l’investissement social massif par la révolution.
Ce changement structurel explique, à lui tout seul, pourquoi la production nationale d’aliments, bien plus importante que l’on croit[5], s’est trouvée être insuffisante.
La demande ayant augmenté massivement, la spéculation s’est déchaînée. Face à une offre structurellement limitée, les prix ont augmenté de manière vertigineuse, le marché noir explosant littéralement. Beaucoup de personnes achetaient les produits subventionnés par le gouvernement pour les revendre à des prix bien plus élevés (le « bachaqueo »). Certains allaient même jusqu’à les « exporter » dans les pays voisins (Colombie, Brésil) où ils les revendaient pour le double ou le triple de leur prix subventionné. Privant ainsi de ces produits les plus humbles, et le pays de ses dollars, devenus plus rares avec l’effondrement du prix du pétrole. Une telle situation scandaleuse ne pouvait durer.
Une fois de plus, le président Maduro a décidé d’agir avec fermeté. Il a d’abord – point très important – changé la philosophie de l’aide sociale. Il commença par corriger une erreur majeure qui se commettait au Venezuela depuis des lustres. Il décida que l’Etat, au lieu de subventionner les produits, ne subventionnerait plus que les personnes, de sorte que les pauvres, ceux qui en ont réellement besoin, soient les seuls à avoir accès aux produits subventionnes. Pour tous les autres, les produits se vendent au prix du marché. Ce qui évite la spéculation et le « bachaqueo »[6].
La seconde mesure décisive du président fut l’annonce que tout allait être fait pour changer le caractère économique du pays, pour qu’il passe d’un « modèle de rente » à un « modèle productif ». Il définit à cet effet « quinze moteurs »[7] pour réanimer l’activité économique, aussi bien du secteur privé que du secteur public et de l’économie communautaire.
Ces deux décisions essentielles se sont matérialisées par la création des CLAP (Comités Locaux d’Approvisionnement et de Production), une nouvelle forme d’organisation populaire. Les représentants des communautés organisées fournissent, à un prix réglementé, des colis de biens alimentaires. Beaucoup d’entre eux proviennent d’une nouvelle production nationale.  Les CLAP devraient approvisionner, dans les prochains mois de 2017, environ quatre millions de familles modestes. On peut voir là une autre grande victoire du président Maduro.
L’investissement social
Une autre victoire, et non des moindres, de cette année 2016 si difficile, est constituée par le record en matière d’investissement social, qui a atteint 71,4% du budget du pays. Un record mondial. Aucun autre pays de la planète ne consacre presque les trois quarts de son budget à l’investissement social.
En ce qui concerne la santé, par exemple, le nombre d’établissements hospitaliers a été multiplié par 3,5 depuis 1999. Et l’investissement dans un nouveau modèle humain de santé publique a été multiplié par dix.
La Misión Barrio Adentro (« mission au cœur des quartiers ») – qui a pour objectif de s’occuper des malades dans les aires urbaines les plus humbles – a réalisé presque 800 millions de consultations et sauvé la vie à un million et demi de personnes. Huit Etats ont ainsi été couverts à 100% en 2016, alors que l’objectif était de six.
Une autre victoire sociale fondamentale, non mentionnée par les grands média, concerne les retraites. Avant la révolution, à peine 19% des retraités recevaient une pension, les autres subsistaient souvent dans la misère ou en étant à la charge de leurs familles. En 2016, le pourcentage de retraités qui reçoivent une pension, même s’ils n’ont pas cotisé pendant leur vie active, a atteint les 90%. Un record en Amérique du Sud.
Une autre victoire du même ordre – et que les grands média se gardent bien, aussi, de mentionner – est celle obtenue par la Mission Logement, qui est chargée de  construire des logements sociaux, à un prix réglementé, pour les familles modestes.
En 2016, elle a construit 359.000 logements – à titre de comparaison, un pays développé comme la France n’a construit, en 2015, que 109.000 logements sociaux. Se rajoutent à cela les 335.000 logements réhabilités dans le cadre de la Mision Barrio Nuevo Tricolor, qui a attiré les éloges du célèbre architecte Frank Gehry, auteur entre autres du Musée Guggenheim de Bilbao et du Musée Louis Vuitton de Paris. Au point qu’il a déclaré vouloir  s’y impliquer. Soit presque 700.000 logements sociaux construits ou rénovés  en 2016. Un nombre sans équivalent dans le monde.
Depuis le début de son mandat, en 2013, le président Maduro a déjà remis près d’un million et demi de logements à des familles modestes. Un record mondial passé sous silence par tous les médias hostiles à la révolution bolivarienne. Et que beaucoup de ses amis oublient parfois de mentionner.
Des liens internationaux
Rappelons, pour finir, quelques-unes des brillantes victoires obtenues sur le plan géopolitique.  Avoir empêché,  par exemple, que l’Organisation des Etats Américains (OEA), dominée par Washington, condamne Caracas comme le prétendait son secrétaire général, Luis Almagro, qui invoquait la « Charte Démocratique » contre le Venezuela.
Ou bien le succès du XVIIème sommet du Mouvement des Pays Non Alignés (MNOAL) réalisé en septembre 2016 dans le Centre de Conventions Hugo Chavez de l’île Margarita, avec la présence de nombreux chefs d’Etat et de gouvernement, les représentants de cent vingt pays ayant manifesté leur solidarité avec le Venezuela.
Pour finir, rappelons le rôle important du président Maduro, qui a effectué de nombreuses tournée internationales dans ce cadre, dans la réussite inespérée d’un accord entre pays OPEP et non-OPEP pour la réduction concertée des exportations de pétrole. Accord qui, signé fin novembre 2016, a freiné la chute du prix du pétrole qui, de 24 dollars en janvier est passé au-dessus des  45 dollars fin décembre 2015.

Ignacio Ramonet, Directeur de l’édition espagnole du Monde Diplomatique
Source : http://www.les-crises.fr 1er août 2017

[1]. Voir Ignacio Ramonet, “Venezuela candente”, Le Monde diplomatique en español, janvier 2016. http://www.monde-diplomatique.es/?url=editorial/0000856412872168186811102294251000/editorial/?articulo=2ebf5b30-e930-4492-971c-2fb37aa6e443
[2]. Cf. BBC Mundo, 24 octobre 2016 : http://sumarium.com/se-ha-vuelto-irrelevante-la-asamblea-nacional-en-venezuela/
[3]. “L’article 72 de la Constitution du Vénezuela stipule que le référendum révocatoire peut avoir lieu après la première moitié du mandat présidentiel. Dans le cas de Maduro, le mandat a commencé le  10 janvier 2013, et se finira le 10janvier 2019. La mi-mandat est donc au 10 janvier 2016. La confusion sur la date à laquelle la convocation au référendum peut avoir lieu tient à ce que Hugo Chavez est mort le 5 mars 2013, avant d’être remplacé par Maduro. Mais selon l’article 231 de la Constitution, l’actuelle période présidentielle a commencé le 10janvier 2013 et non le 19 avril. Cf. la déclaration de Tibisay Lucena, présidente du Consejo Nacional Electoral (CNE), le 9 aôut 2016. http://albaciudad.org/2016/08/cne-referendo-revocatorio-para-2017/
[4]. Avec l’arrivée progressive des pluies, fin mai, le niveau du barrage Guri a monté, et le président a décrété, le 4 juillet, la fin du rationnement électrique.
[5]. Depuis 1999, le gouvernement bolivarien a investi comme aucun autre dans l’agriculture, avec la priorité d’augmenter la production locale. Le Venezuela est auto suffisant en pommes de terre, poivrons, tomates, oignons, ails, céleri, yuca, auyama, laitues, choux, coriandre, citron, melon, quayaba, bananes entre autres. 80% du riz est de provenance nationale. 85% pour le fromage et la  charcuterie. Concernant le poulet et la viande bovine, les importations ne sont que de 24%. Elles sont de l’ordre de 15% pour les carottes, les lentilles et les pois chiches.
[6]. Cf. Pasqualina Curcio Curcio, “La Mano visible del Mercado. Guerra económica en Venezuela”, Editorial Nosotros Mismos, Caracas, 2016.
[7]. Les 15 moteurs sont 1. Agroalimentaire. 2 Pharmacie. 3 Industrie. 4 Exportations. 5 Economie communautaire, sociale et socialiste. 6 Hydrocarbures. 7 Petrochimie. 8 Produits miniers. 9 Tourisme national et international. 10 Construction. 11 Produits forestiers. 12 Industrie militaire. 13 Télécommunications et Informatique. 14 Banque publique et privée. 15 Industrie de base.

vendredi 4 août 2017

AMBASSADEUR OU GARDE-CHASSE ?

Au centre, Gilles Huberson dans son élément

Le profil musclé de Gilles Huberson,

nouvel ambassadeur de France à Abidjan


Le profil sécuritaire du nouvel ambassadeur de France traduit clairement les inquiétudes françaises sur les menaces de déstabilisation qui pèsent sur le régime ivoirien
On devine l’embarras du président Alassane Ouattara face à la proposition de Paris de nommer comme ambassadeur Gilles Huberson pour succéder à Georges Serre. Lequel était devenu au fil de ses cinq ans de présence à Abidjan, un quasi ambassadeur de la Côte d’Ivoire auprès de la France, avec une vision partielle et partiale de la crise qui couve à Abidjan. Sous Hollande et Fabius comme sous Sarkozy, la France ne refusait rien à Alassane Ouattara. Georges Serre apparaissait comme un ambassadeur inamovible, comme le furent jadis Michel Dupuch (quatorze ans de bons et loyaux services) ou Jacques Raphael-Leygues (seize ans). Ces temps-là apparemment sont révolus.
Gilles Huberson était jadis, dit-on, proche de Brice Hortefeux et de Michel Roussin, un autre officier de Gendarmerie  et fin connaisseur de la Côte d’Ivoire qui fut l’ancien ministre de la coopération (1993-1994) d’Édouard Balladur. Le très discret Gilles Huberson est un Saint-Cyrien, devenu officier supérieur de la Gendarmerie, en terminant au grade de chef d’escadron. Il fut notamment le commandant militaire de l’Hôtel Matignon sous Balladur puis Juppé (1993-1996).

Un parcours brillant
Ce n’est qu’en 1996 qu’il rejoint le Quai d’Orsay d’abord en détachement puis pour débuter une carrière de diplomate qui le mènera en Malaisie puis au Canada. Gilles Huberson est ensuite devenu le responsable de la sécurité des ambassades et des Français de l’étranger. En 2005, il participe à la création d’une cellule internationale de négociation pour les prises d’otages en liaison avec le GIGN et le RAID. Après son passage réussi à la Direction des Français de l’Etranger et à la Direction de la Sécurité, il est nommé, en 2012 responsable de la Mission Mali-Sahel afin de coordonner les questions politiques, sécuritaires et de développement. Son passé de militaire et de spécialiste du renseignement ont été bien utiles pour cette mission novatrice, qu’il a mené avec succès.
Tout naturellement, en 2013, il est appelé à remplacer prématurément l’ambassadeur en poste à Bamako où sa proximité avec les militaires est patente. Dans le cadre d’un large mouvement diplomatique, il est nommé ambassadeur à Maurice, en septembre 2016.

Le primat des questions sécuritaires
Sa mission dans l’Océan Indien sera donc écourtée pour cette nouvelle mission qui le ramène en Afrique où les questions sécuritaires et de lutte contre le terrorisme dominent le paysage diplomatique.
Le président ivoirien attendait plutôt la nomination de Jean-Marc Châtaigner, diplomate de carrière au parcours dédié au développement et à la coopération internationale via le ministère de la Coopération, l’AFD puis l’IRD. Cet ancien ambassadeur à Madagascar avait été apprécié à Abidjan lors de son séjour à la mission de coopération de 1992 à 1995. Etant donné la situation du pays et surtout les perspectives politico-économiques inquiétantes, Paris a préféré un spécialiste des crises et des questions sécuritaires à un développeur, fut-il de grande qualité.


http://mondafrique.com


NOTRE COMMENTAIRE

Alors, Excellence, toujours fier de vous ?

Ainsi, pendant que leurs masques et leurs agents subalternes, les Soro, les Ouattara mâle et femelle, les Bédié, etc., bavardent, gesticulent et se contorsionnent afin de captiver notre attention pour la fixer sur des enjeux improbables comme l’émergence, la réconciliation, etc., les Français eux ne blaguent pas. Ils songent à renforcer les défenses de leur chasse gardée. D’où le choix de ce Gilles Huberson pour remplacer Georges Serres à la tête de l’ambassade de France en Côte d’Ivoire. Impossible en la circonstance de ne pas penser au glorieux architecte de l’édifice aujourd’hui fort mal en point, que celui-ci va repasser à celui-là, j’ai nommé l’ambassadeur Jean-Marc Simon (2009-2012). C’est à lui que s’adresse cette question. Mais n’anticipons pas.
La préférence ainsi donnée à un « chien de guerre » sur l’un ou l’autre des deux « pékins » d’abord envisagés pour cette ambassade – qui, décidément, n’en est pas vraiment une[1] – donne indirectement raison à ceux qui croient et qui disent qu’il n’y aura aucune avancée vers une solution définitive de la soi-disant « crise ivoirienne » aussi longtemps que la France n’y assumera pas, totalement et en toute honnêteté, sa part immense de responsabilité. Je pense à ce propos récent de l’exilé Damana Adia Pickas en réaction aux ridicules entreprises diversionnistes d’un Guillaume Soro très certainement poussé par les mêmes gens qui avaient déjà fait de lui leur couverture après l’échec de la tentative de coup d’Etat de septembre 2002 : « Une réconciliation en Côte d’Ivoire sans la France serait une escroquerie morale… »[2].
Mais cette préférence, c’est aussi le signe que, pas plus que leurs prédécesseurs, ceux qui gouvernent aujourd’hui la France ne sont prêts à reconnaître que ce que leurs créatures et eux s’obstinent à traiter comme une banale « crise ivoirienne » c’est, en réalité, la crise des relations franco-ivoiriennes telles qu’eux et nous en avons hérité de la longue complicité de Félix Houphouët et Jacques Foccart. Cette complicité qui ne fut, quand on envisage ses conséquences sur la vie politique dans notre pays depuis 1959, qu’un attentat permanent contre la liberté, la dignité et l’indépendance de notre peuple.
Loin de n’être qu’un banal phénomène conjoncturel, c’est une crise structurelle affectant en profondeur tous les rouages de l’Etat ivoirien, ou de ce qui en tient lieu. Car, contrairement à ce que Houphouët aimait à raconter quand il voulait faire son politicien de génie, ce qui manque cruellement à la Côte d’Ivoire, notre patrie, c’est un Etat vraiment digne de ce nom. Un Etat national au service exclusif du pays et de ses habitants naturels d’abord. Un Etat puisant ses ressources principalement dans l’intelligence et le travail de ses citoyens. Un Etat capable de créer par lui-même les moyens adéquats pour résoudre ses problèmes internes, et pour se protéger d’éventuelles agressions, quelle qu’en soient la nature et l’origine.
Si un tel Etat existait, personne, même à Paris, n’aurait pu imaginer, plus de 50 ans après la proclamation solennelle de l’indépendance de la Côte d’Ivoire, d’y envoyer un ancien chef d’escadron de gendarmerie – choisi apparemment, qui plus est, en raison de cette seule qualité – comme ambassadeur. Car, alors, la Côte d’Ivoire ne serait pas pour ceux qui gouvernent à Paris seulement une base logistique et une tête de pont pour leurs opérations en cours aux confins méridionaux du Sahara, comme l’affirmaient récemment le chef des « Forces françaises de Côte d’Ivoire (FFCI) » et son adjoint[3] mais, véritablement, la patrie des femmes et des hommes qui « y ont toutes leurs tombes », c’est-à-dire les descendants directs de ceux qui vivaient déjà là bien avant 1893, et par conséquent leurs ayants droit légitimes.

* * *

Depuis le commencement de cette crise, qu’on peut situer à la charnière des années 1989 et 1990, la France – je veux dire les oligarchies qui la gouvernent – n’a qu’une seule préoccupation vis-à-vis de la Côte d’Ivoire : y poursuivre la politique qu’elle y a toujours faite, ce qui implique d’y maintenir inchangé le système qui permettait cette politique. Félix Houphouët ayant alors largement fait son temps après 30 années de règne sans partage, il fallait certes le remplacer, mais en veillant bien à ce que, sous l’angle de la dépendance de la Côte d’Ivoire vis-à-vis de la France, son remplaçant lui ressemble comme si c’était son clone. D’où les efforts déployés depuis cette année-là, mêlant selon les circonstances ruses et coups de force, pour imposer Alassane Ouattara comme chef de l’Etat fantoche.
Objectif atteint le 11 avril 2011, à la grande satisfaction de Jean-Marc Simon – nous y voilà –, qui à cette époque-là faisait ici l’office du « gauleiter ». Le 17 juin 2011, lors d’une cérémonie organisée à la mairie de Port-Bouët « pour célébrer la coopération ivoiro-française et aussi saluer le rôle joué par la force Licorne dans le dénouement de la crise postélectorale », il dévoilera triomphalement le fin mot de cette stratégie criminelle : « Après dix années de souffrance, voici que la France et la Côte d'Ivoire que certains, poursuivant des buts inavoués, ont voulu séparer d'une manière totalement artificielle, se retrouvent enfin dans la joie et dans l'espérance. (...). Nous avions su inventer vous et nous, sous l'impulsion du président Félix Houphouët-Boigny et du Général de Gaulle, cet art de vivre ensemble qui étonnait le monde et qui faisait l'envie de toute l'Afrique »[4]. C’était, croyait-il peut-être, aussi grandiose que s’il avait pour de vrai ressuscité la momie de Félix Houphouët… Et, naturellement, peu lui importait que ce fût au prix du massacre de centaines de jeunes Ivoiriens civils et militaires ! Dans le livre qu’il a consacré à ses prouesses africaines, il écrira à ce propos : « Il n’y a aucun regret à avoir, la France a fait ce qu’elle avait à faire… »[5].
Désolé !, Monsieur l’ambassadeur de France, mais ce n’est pas ainsi que ça se passe. Toute action doit être jugée non pas uniquement d’après ce qu’elle a rapporté à celui qui l'a faite, surtout lorsqu’il s’agit d’un homme nanti d’autant de pouvoir qu’un ambassadeur de France en Côte d’Ivoire, mais aussi, mais surtout d’après les conséquences qu’elle peut avoir, dans l’immédiat et/ou à plus long terme, pour autrui. Lisant le récit nombriliste de votre geste ivoirienne, une question n’arrêtait pas de me titiller : tous ces morts… seulement pour qu’Alassane Ouattara et sa femme s’arrogent les titres improbables de président de la République et de Première dame de Côte d’Ivoire ?! Car, tout de suite après cette phrase terrible, vous écrivez : « Désormais, Alassane Ouattara est véritablement le président de la Côte d’Ivoire. (…) il peut enfin s’installer dans le bureau de Félix Houphouët-Boigny, (…). Il va lui falloir réconcilier les Ivoiriens entre eux, (…). Il va lui falloir restaurer l’Etat, ressusciter l’armée, mis à mal par dix ans de crise, et consolider la justice »[6]. Ce qui, soit dit en passant, vous a valu, par ricochet si je puis dire, quelques belles récompenses : dignité d’ambassadeur de France ; Commandeur de La Légion d’Honneur… Et aussi, sans doute, un substantiel supplément de revenus… Chapeau l’artiste !…
Sauf que vous avez parlé trop vite. Vous auriez mieux fait d’attendre de voir de quoi vos créatures étaient capables.
A l’heure où la France missionne un « Monsieur muscles » pour reprendre en main sa vieille chasse gardée et, s’il se peut, sauver votre chef-d’œuvre de la ruine complète qui menace, on est tenté de vous demander : Alors, Excellence, toujours fier de vous ?

Marcel Amondji (03 août 2017)



[2] - Voir, dans ce blog : https://cerclevictorbiakaboda.blogspot.fr/2017/07/une-reconciliation-en-cote-divoire-sans.html 
[3] - Voir, dans ce blog : https://cerclevictorbiakaboda.blogspot.fr/2017/02/les-internautes-ivoiriens-tels-des.html
[4] - Le Nouveau Réveil 18 juin 2011. Voir aussi : http://www.notrevoie.com/develop.asp?id=39552
[5] - J.-M. Simon, Secrets d’Afrique ; p. 329.
[6] -Ibid. ; p. 330/331.