Son nom restera à jamais synonyme de justice, de courage et de vérité
Ce lundi 29 juillet 2013, au cimetière du Père-Lachaise
à Paris, plusieurs centaines de personnes, auxquelles nous nous associons, ont rendu un dernier hommage à Henri
Alleg, qui fut l'un des premiers à dénoncer la torture pendant la guerre d’Algérie.
Dans un court message lu en son nom, Abdelaziz
Bouteflika, président de la République algérienne démocratique et populaire, a
rappelé cette dénonciation de la torture par le militant communiste, estimant
que son ouvrage « La Question »
avait été « un texte majeur »
dans la lutte anticoloniale.
Le secrétaire national du PCF, Pierre Laurent, a salué
un militant dont le nom « restera irrémédiablement
synonyme de justice, de courage et de vérité ».
En réponse aux articles de presse qui ont évoqué les
origines juives d’Henri Alleg, un de ses enfants a souligné que son père était
un « militant internationaliste ayant
en horreur le communautarisme ».
(d’après l'AFP)
SEQUENCES AVEC HENRI ALLEG
Par Arezki Metref
(photo jean Texier) |
Henri
Alleg. C'est le courageux, l'inflexible auteur de La Question. C'est le prestigieux ancien directeur d’Alger
Républicain. C'est l'anticolonialiste intransigeant et pugnace. C'est le
communiste à l’ancienne, clair dans ses positions, pas de concessions
ni d’embrouille. Pour les gens de ma génération, Henri
Alleg est un mythe, et un modèle. En dehors de l'Histoire anticolonialiste dans
laquelle il occupait la place que l'on sait, j'en entendais parler dans le
cercle familial. Il venait à Aït Yenni rendre visite à mon grand-père et à mes
oncles. La première fois que je l'ai rencontré en vrai, j'ai eu cette sensation
étrange d'être en présence d'une légende. Je devais réaliser un dossier sur la
guerre d'indépendance pour un hebdomadaire. Il m'avait raconté son arrestation,
la disparition de Maurice Audin, l'internement et la rédaction de La Question
sur des bouts de papier glissés dans des paquets de cigarettes afin de les
faire sortir de la prison à destination de son avocat. Pudique, il garda le
silence sur les sévices qu'il avait subis, ces
stigmates de la haine colonialiste sur le corps d'un homme libre. Ce qui frappait
chez lui, c'était une très grande intelligence, un humanisme à toute épreuve et
une simplicité de grand homme. Disponible, à l'écoute, il n'avait pas d'a
priori, mais il avait des principes et un idéal, celui de la défense des
intérêts de la classe ouvrière et des peuples. C'était pour lui, la ligne rouge
à ne pas franchir.
Première séquence
Je
l'avais invité à l'Association de culture berbère lors de la réédition
commentée de La Question, en Belgique. Ce devait être en 2002. Bien évidemment,
il possédait cet art du tribun pour captiver son auditoire. Ce dernier
voyageait avec Henri dans les méandres des turpitudes colonialistes qu’il
savait décrire et analyser en dialecticien. A la fin de la soirée, nous nous
sommes retrouvés au métro, et c'est ce vieux bonhomme de 80 ans, à l'époque,
qui se souciait de savoir comment j'allais rentrer. Le contraire eût été de
mise. Il m’expliqua ce que déjà je savais, les lignes à prendre, les
correspondances. Il manifesta un souci protecteur qui m’avait touché.
Deuxième séquence
C'était
en novembre 2005 pour un colloque sur « L'autre Camus ». Nous voulions parler
d’Albert Camus, si possible, autrement que dans les termes de plus en plus
unanimistes qui se forgeaient. Il fallait les intervenants idoines. Je m'étais
souvenu qu'Henri avait été directeur d'Alger Républicain, journal auquel avait
collaboré Camus quelques années auparavant. Il me parut légitime qu'il ait eu
une lecture du journalisme et de la littérature de Camus. Il faut dire que sa
participation à ce colloque avait soulevé un certain émoi. Au point qu'un
intellectuel franco-algérien me dit que donner la parole sur Camus à « un
stalinien » avait quelque chose de pernicieux. Je crois avoir répondu que,
contrairement à beaucoup de non staliniens, ou d'antistaliniens de salon, Alleg
portait dans sa chair le droit de s'exprimer, et dans son parcours et dans ses
combats la légitimité pour le faire. Lorsqu'il prit la parole à ce colloque, je
compris alors pourquoi une telle crainte. C'était une époque où l'on dressait à
Camus une statue de quasi anticolonialiste, ajoutée aux autres statues qu'il
avait déjà de grand écrivain, d'immense journaliste, etc. Patiemment, Henri
Alleg démonta la mécanique du discours de Camus sur l’Algérie. Même ses fameux
reportages sur la misère en
Kabylie brandis souvent comme la preuve irréfutable
de son engagement en faveur des colonisés, Henri Alleg les analysait autrement.
Le sens ultime de ces textes était comme une doléance adressée au système
colonial pour qu’il manifeste un peu moins de dureté à l’égard des colonisés,
une demande compassionnelle d'un peu plus d'humanisme. A aucun moment, le
système colonial n'est remis en cause en tant que tel. Inutile de préciser les
gorges chaudes que son intervention avait suscitées au milieu d'un chantier où
l'idolâtrie de Camus, sans doute méritée sur d’autres terrains que
l’anticolonialisme, battait son plein. Henri Alleg reconnut à Camus sa stature
de grand écrivain, mais il ne voulait pas laisser dans l’équivoque dont on les
drape aujourd’hui les positions de Camus sur la colonisation et surtout sur
l’indépendance de l’Algérie.
(photo El Watan) |
Troisième séquence
Je
le rencontre à un salon du livre à Montpellier. Il m'offre Mémoire algérienne, l’ouvrage qu'il venait de faire publier, et je
lui offre pour ma part Kabylie Story.
Cet échange aura deux conséquences. Je lui ferai une interview pour Le Soir d’Algérie sur son vécu
algérois, lui demandant de me le décrire à travers des lieux emblématiques.
Dans un premier temps, il interpréta ma demande comme une limitation du propos
politique. Il admit cependant lors de la parution que l'angle était plus
intéressant qu’un énième retour descriptif du dernier quart d’heure de la
colonisation, juste à la veille de la guerre de Libération. Autre conséquence
de cet échange, il m'adressa une lettre dans laquelle il exprimait tout net ses
remerciements pour Kabylie Story, ce voyage à travers les villages kabyles qui,
disait-il, relatait toute la beauté de la Kabylie, ainsi que ses combats pour
la survie et la dignité. Il concluait en me disant que ce livre faisait pour
cela bien davantage que de volumineux essais. Je me suis souvenu que c'était le
directeur de presse qui portait son appréciation sur ce qui n'était qu'un
reportage. C'est pourquoi lorsqu'il a été question de publier Roman de Kabylie, je lui ai demandé si
je pouvais reprendre sa lettre en postface tant elle m'avait touché. Il
souhaita la réécrire.
Arezki Metref |
J'ai
tenu à raconter des échanges personnels avec Henri Alleg car je sais
qu'aujourd'hui, sa biographie est dans tous les journaux. Au moment où il s’en
va, on sent comme l’ombre d’un grand homme qui s’efface. Il laisse un vide.
Indéniablement. Il manquera aux combattants pour la vérité et la justice. A son
contact, il nous semblait nous élever à la hauteur de la grande histoire. L’une
des leçons qu’il nous lègue, c’est qu’avec de la conviction, de la
détermination, des principes, un homme peut soulever des montagnes. Il l’a fait
avec La Question.
Source :
Le Soir d’Algérie 21 juillet 2013
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