dimanche 30 octobre 2011

Bédié, toute honte bue…


« Comment le Pdci est-il arrivé à se mettre au service de celui, de ceux qui l'ont dégagé du pouvoir d'Etat, pour ensuite en faire un vulgaire accompagnateur d'une organisation criminelle contre la Côte d'Ivoire ? » Bernard Konan Kouamé (Le Temps 28/10/2011)

« Aujourd'hui, tartufferie de l'histoire, c'est Henri Konan Bédié en personne qui est aux avant-postes de la déferlante Ouattara, défendant ce qu'il a combattu de sa propre signature, au nom d'une machine à broyer du Gbagbo et à maintenir la Côte d'Ivoire dans ses habits de colonie française… » Fabien D'Almeida (Le Nouveau Courrier 04/10/2011)

Il n'est pas, dit l'adage, de victime plus lamentable que la victime consentante. Soixante ans après Félix Houphouët, dont il se prétend le fils spirituel, Bédié nous en administre une nouvelle preuve. Le voilà réduit à l'état éminemment précaire de l'amiral qui a brûlé tous ses vaisseaux, et qui se trouve par le fait à la merci de ses ennemis. Et néanmoins il affecte encore des poses d'un vainqueur trônant à son pinacle ! Il est condamné à passer le reste de son existence courbé sous les fourches caudines de ceux qui l'ont renversé le 24 décembre 1999, et cependant il semble vivre cet état comme le degré le plus honorifique de sa longue et chanceuse carrière politique. A le voir si tranquille, si infatué, étalant à la face du monde sa graisse et sa bonne conscience comme s'il était lui-même absolument vierge et sans taches, et à l'entendre proférer contre Laurent Gbagbo, sa famille et ses compagnons actuellement emprisonnés, ces jugements à l'emporte-pièce dont il semble s'être fait une spécialité depuis qu'il n'est plus que l'auguste d'Alassane Ouattara, on en mourrait de rire, n'était le rapport étroit de ce personnage aux allures de magot chinois avec notre interminable tragédie nationale…
Car Henri Konan Bédié n'est pas en train de jouer dans une pièce de théâtre ou dans un cirque. Dans cette capitale étrangère où il faut qu'ils aillent tous lorsqu'ils veulent honorer la mémoire de Félix Houphouët sous prétexte de décerner le prix Unesco qui porte son nom, il nous représente…
Au fait, ce prix, en quoi diffère-t-il, par exemple, de celui que le président de Guinée équatoriale peine à fonder à travers la même institution parce que la France lui suscite toutes sortes d'obstacles ? Les intentions d'Houphouët étaient-elles plus pures que celles d'Obiang ? L'argent légué par lui à l'Unesco était-il plus propre que celui de l'Equato-Guinéen ? Chacun sait qu'à l'instar des autres kleptocrates dont la France sait si bien s'accommoder pourvu qu'ils soient bien dociles et bien malléables, Houphouët ne faisait aucune différence entre ses biens personnels, certes considérables, et les biens de l'Etat et de la nation. Alors, qu'est-ce qui justifie cette solennité dispendieuse à laquelle, d'ailleurs, le peuple ivoirien toutes classes confondues, n'a jamais pris le moindre intérêt – n'est-ce pas, d'ailleurs, la principale raison de sa célébration si loin du pays ? – et qui, à y bien regarder, sert moins à honorer Houphouët qu'à procurer à ses soi-disant disciples un avantage comparatif notable sur leurs concurrents lors des compétitions politiques. Les manœuvres tortueuses de Paris visant à obliger l'Unesco à ne pas accepter la création d'un prix Obiang destiné à promouvoir la recherche scientifique – c'est autre chose, tout de même, qu'une très improbable « recherche de la paix » ! – alors qu'il étale sa complaisance vis-à-vis de la grand-messe annuelles des houphouétistes, prouve bien que ce qui est en jeu, c'est seulement la préservation d'une sorte de monopole françafricain autour du fonds de commerce qu'est devenu le nom d'Houphouët. Voilà pourquoi c'est toujours à Paris que tout le monde vient recevoir son prix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix alors que l'Unesco existe dans toutes les capitales du monde.
Une seule fois la règle ne fut pas observée. C'était l'année où le lauréat était le roi d'Espagne… Et pourquoi la remise de son prix au souverain espagnol eut-elle lieu à Abidjan et non à Paris ? Je n'en sais rien précisément, mais je soupçonne que c'est parce qu'il était impensable que le chef d'un Etat souverain aille spécialement dans une capitale étrangère pour y recevoir une distinction de la main de personnalités elles-mêmes étrangères à ce pays. Certes il y avait une sorte de précédent : Nelson Mandela et Frederick De Klerk, les deux premiers lauréats ex æquo, vinrent spécialement à Paris pour y recevoir leur prix des mains de son fondateur, et en présence du président de la République française. Mais il s'agissait évidemment d'un cas tout particulier : De Klerk n'était pas là en tant que le chef de l'Etat raciste sud-africain qu'il était alors mais, tout comme Mandela, en tant que l'un des principaux partenaires dans le processus révolutionnaire qui se déroulait dans leur pays. Quant aux autres chefs d'Etat en exercice qui ont aussi reçu leur prix à Paris, on observera que ce fut toujours au cours d'une visite officielle en France avec, accessoirement, un arrêt au siège de l'Unesco…
Mais, vous dites-vous peut-être in petto, pourquoi ces digressions qui semblent nous entraîner hors du sujet de cet article ? Je réponds par une autre question : est-il normal qu'un acte qui s'apparente à un rituel religieux – puisqu'aussi bien le culte d'Houphouët est pour ses prétendus disciples quasi une religion révélée – ait lieu dans une capitale étrangère plutôt que dans la ville où celui dont il s'agit de célébrer la mémoire régna, ou bien dans celle où se trouve son mausolée ? Nos houphouétistes diront sans doute que Paris est le siège de l'Unesco. Soit. Mais, justement, cela n'avait pas empêché d'honorer le roi d'Espagne à Abidjan plutôt qu'à Paris. Cette exception, du seul fait qu'elle fut possible et qu'alors personne ne cria au sacrilège, ne devrait-elle pas devenir la règle ? Ce qui aurait en outre l'avantage de faire de ce prix un autre symbole de notre souveraineté. En revanche, la farce que nos deux « frères-Cissé » de luxe sont allés jouer à Paris devant la brochette d'autres fantoches en exercice ou à la retraite qu'ils avaient conviés à partager leur bonheur de s'être réconciliés sur le dos de Laurent Gbagbo, est une nouvelle preuve de l'aliénation d'une certaine faction politique ivoirienne, celle dont ils sont les chefs de file.
Mais revenons à Bédié… Qui eût cru, au lendemain du putsch de décembre 1999, qu'il retrouverait un jour une place quelconque dans le paysage politique ivoirien ? Or le voici revenu, du moins en apparence, à un niveau de considération et d'estime qu'il n'avait jamais atteint, même lorsqu'il détenait le pouvoir suprême. A croire que c'est lui le vrai gagnant du long bras de fer postélectoral qui, du 28 novembre 2010 au 11 avril 2011, opposa les patriotes ivoiriens aux laquais du néocolonialisme français d'ici et d'ailleurs.
Ironie du sort ! Sans le coup d'Etat réussi du général Guéi qui, à sa propre surprise, le réduisit à néant en quelques heures ; sans la tentative manquée de septembre 2002 qui se transforma en rébellion ; et sans les fraudes massives dans les régions dominées par les soi-disant « forces nouvelles » de Guillaume Soro et consort, Bédié n'occuperait pas cette place confortable et lucrative, qui lui promet en théorie une fin de vie plus digne que celle d'Houphouët ! Pour atteindre ce bonheur – si c'en est un –, il lui aura suffi de se coucher, tel un chien bien dressé, aux pieds de ceux qui, depuis leurs bureaux de Paris, font et défont les carrières de leurs marionnettes africaines. Il n'est que de se rappeler comment, en décembre 1999, lui et sa famille quittèrent le pays depuis la base française de Port-Bouët. Au moment de les embarquer dans l'hélicoptère qui allait les transporter au Togo, un militaire français compatissant – mais peut-être était-il en réalité plus méprisant que compatissant –, aurait ramassé une motte de terre pour l'offrir à l'un de ses fils qui l'accompagnait, comme un lot de consolation ! A Lomé, où il fit d'abord étape, il fut accueilli, avec les honneurs dus au rang dont il venait d'être déchu, par des officiers tous bien noirs, mais coiffés de képis comme on n'en porte plus que dans l'armée française Puis, de là il fut conduit à Paris, comme le prisonnier qu'il était mais qu'il ne devait pas paraître. Subtilité de cette diplomatie de purs voyous que les Français pratiquent en Afrique depuis les prétendues indépendances de leurs colonies. Car où aurait-on pu le conduire ? Jadis on convoyait cette sorte d'exilés involontaires vers la Côte d'Ivoire, et Houphouët faisait semblant de les accueillir par bonté, librement. Depuis sa disparition, cette Côte d'Ivoire-là a aussi cessé d'exister. Ce fut donc Paris. Chance ! Bédié y possédait justement un luxueux appartement au numéro 15 de la rue Beethoven… Il y attendra confortablement la suite des événements sans faire mystère de sa rancune vis-à-vis de ses tombeurs apparents, ni de son désir de revanche. Longtemps les auteurs du putsch de décembre 1999 seront donc les seuls objets de son ressentiment. Mais il changera son attitude à leur égard dès qu'ils prendront Laurent Gbagbo pour cible à partir du 19 septembre 2002. Aubaine ! Robert Guéi étant mort et la situation de Ouattara n'étant toujours pas clarifiée à cette époque, le seul obstacle à un come back, c'était Gbagbo. Or si cette fois encore la France tutélaire ne vola pas au secours du président démocratiquement élu, elle s'adjugea néanmoins un rôle d'arbitre armé et s'arrogea une telle liberté de circulation, d'ingérence et d'intervention sur toute l'étendue du territoire ivoirien que sa présence en tant que soi-disant force impartiale d'interposition relevait bien plus proprement de l'« occupation militaire ». Vue de la rue Beethoven, cela voulait clairement dire que la France ne verrait aucun inconvénient à la chute de Gbagbo, qu'elle y pousserait même très volontiers. D'ailleurs la comédie « interivoirienne » de Linas-Marcoussis, prolongée par la farce « afro-onusienne » de Kleber, montrera bientôt que son choix était fait depuis longtemps, et qu'il ne s'agissait plus que d'y mettre telles formes qui le rendissent plus facile à avaler aux Ivoiriens et à l'opinion internationale. Hélas ! Par une levée en masse comparable à celle du peuple Rda à la charnière des années 1940 et 1950, la jeunesse patriote ivoirienne fit échouer ce complot cousu de fils blancs. Et comme Gbagbo se rangea tout de suite derrière elle, lui et cette jeunesse magnifique qui ne voulait que défendre l'intégrité et l'indépendance de sa patrie devinrent les bêtes noires de notre exilé de luxe.
Le 22 décembre 1999, Bédié avait conclu un discours aux accents ultranationalistes par cette formule qui évoquait de glorieux échos africains, et qui sonnait d'autant plus étrangement dans la bouche d'un « disciple d'Houphouët » : « L'intégration à la communauté nationale est un processus et non pas le résultat d'un coup de baguette magique à effet instantané. A fortiori est-il concevable, et même convenable, quoi qu'on puisse juridiquement le faire, de chercher à tirer parti, de façon la plus intéressée, d'une éventuelle appartenance à plusieurs nationalités ? Quelles sont ces personnes qui se disent Ivoiriennes les jours pairs et non Ivoiriennes les jours impairs ? N'y a-t-il donc pas, dans nos formations politiques, assez de personnalités ivoiriennes présentant les qualités requises pour être des candidats valables à l'élection présidentielle ? Oserais-je ajouter que dans les pays où certains se donnent volontiers en modèles, voire en censeurs, il existe des dispositions légales semblables aux nôtres et qui s'appliquent aux conditions de l'éligibilité à la magistrature suprême. C'est ce lien fort entre nationalité et citoyenneté qui fonde la souveraineté et l'indépendance de la Nation. Aujourd'hui, cette souveraineté et cette indépendance sont grossièrement mises en cause par des personnes et des organisations qui s'arrogent la faculté de décider de ce qui est bon pour les Ivoiriens. Nos aînés n'ont pas lutté pour l'indépendance pour que nous acceptions aujourd'hui de nouvelles soumissions. La nationalité, la citoyenneté, la démocratie et la souveraineté nationale sont les quatre côtés d'un carré magique qu'il nous faut défendre avec calme et détermination devant ces ingérences inacceptables. C'est aux Ivoiriens de décider par eux-mêmes, pour eux-mêmes, et de choisir librement l'un d'entre eux pour conduire le destin de la Nation en refusant les aventures hasardeuses et l'imposture insupportable. » A Marcoussis c'est un tout autre son de cloche qu'il fera entendre. C'est lui qui inventa et, avec Pierre Mazaud, fit adopter l'appellation « forces nouvelles » pour désigner les rebelles. En fait ce ne fut pas vraiment une surprise. En effet, dès le lendemain du coup manqué du 19 septembre 2002, il avait appelé à des arrangements qui ne pouvaient conduire qu'à un partage du pouvoir entre le gouvernement légitime et les bandes d'assassins du 19 septembre 2002.
Quand il était au pouvoir, Bédié n'attendait de ses opposants que la soumission à ses oukases. Sinon il faisait jeter en prison ceux qu'il pouvait attraper, lançait des mandats d'arrêt internationaux contre ceux qui n'étaient pas à sa portée. Quant à partager le pouvoir… Voici comment il concevait la chose du haut de sa grandeur : « Bien que nous soyons élu avec une large majorité, qui ne souffre pas de contestation, nous avons pensé utile d'ouvrir plus grandement le gouvernement, dans la tradition africaine. (…). Nous appelons les opposants pour qu'ils apportent eux aussi leur contribution. Mais sur la base du programme gouvernemental de développement économique, social et culturel du pays qui a été approuvé par le peuple. De plus, ce programme a été établi en collaboration avec les bailleurs de fonds ; il est incontournable. Nous ne sommes soumis à aucune contrainte en décidant de cette ouverture. Ceux qui pensent que nous avons besoin d'eux nécessairement pour gouverner se trompent. »
Son zèle capitulard à Marcoussis, annonciateur de celui qu'il déploiera tout au long de la dernière campagne présidentielle en vue de diaboliser Laurent Gbagbo et ses camarades du Fpi devenus ses pires ennemis comme s'ils étaient les responsables de sa chute brutale en décembre 1999, dénote une forte édulcoration de ses sentiments nationalistes tels qu'exposés tout au long de ce discours qu'il avait jeté comme un défi à la face « des personnes et des organisations qui s'arrogent la faculté de décider de ce qui est bon pour les Ivoiriens ». On peut penser – ce n'est pas interdit – que son séjour parisien en tant qu'exilé politique « façon » y est pour quelque chose. On l'y aura sans doute beaucoup aidé à bien se convaincre que ce qui est bon pour les Ivoiriens, c'est justement que ce soient ces personnes et ces organisations-là qui décident de leur sort à leur place. Jean-Marc Simon, dont on se demande parfois s'il ne se sent pas plus gauleiter qu'ambassadeur, ne s'en cachait pas quand il déclarait, le 17 juin 2011, devant un aréopage de collabos réunis à la mairie de Port-Bouët : « Après dix années de souffrance, voici que la France et la Côte d'Ivoire que certains, poursuivant des buts inavoués, ont voulu séparer d'une manière totalement artificielle, se retrouvent enfin dans la joie et dans l'espérance. (...). Nous avions su inventer vous et nous, sous l'impulsion du président Félix Houphouët-Boigny et du Général de Gaulle, cet art de vivre ensemble qui étonnait le monde et qui faisait l'envie de toute l'Afrique. » (Le Nouveau Réveil 18 juin 2011).
Nous n'avons pas oublié qu'à Bédié aussi, juste avant qu'on le fasse chasser par Robert Guéi, on reprochait de trahir ce précieux legs d'Houphouët et Foccart… A ce propos, regardez qui l'on trouve aujourd'hui dans le proche entourage du gourou du Rhdp. Ce ne sont plus des Jean-Noël Loucou, ni même des Niamkey Koffi ou des Gnangni NDa, ces nationalistes sincères même si leur positionnement civique n'était pas toujours absolument dénués d'ambiguïtés ; mais des Ka Zion, des Konan Banny, des Venance Konan, des Tiburce Koffi, c'est-à-dire des francolâtres décomplexés, des émules attardés des traîtres Kouassi Ngo et Bani Bro, des gens pour qui les mots « nation », « indépendance », « souveraineté », quand on les applique à la Côte d'Ivoire, n'ont pas plus de sens qu'ils n'en avaient pour Houphouët ou pour Foccart.
Le 11 avril 2011, tout le monde a pu voir Bédié se féliciter, et féliciter Guillaume Soro pour la capture de Laurent Gbagbo que des soldats français venaient juste de leur apporter sur un plateau. Le fait n'a pu surprendre que ceux qui ne connaissent pas l'histoire de notre demi-siècle d'indépendance. Car il y a longtemps que le Bédié qu'on aperçut ce jour-là pense, parle et agit dans celui que ses nouveaux courtisans nous vantent comme un grand seigneur magnanime. J'ai dit ailleurs dans quelles circonstances je l'avais découvert, à la charnière des années 1958 et 1959. Le gourou du Rhdp était déjà un arriviste sans scrupules et même, avant la lettre, un « ivoiritaire ». A cette époque, le gérant du Foyer des étudiants de la Côte d'Ivoire, rue François-Mouthon, s'appelait Zinsou – je ne me rappelle plus son prénom. Il était né en Côte d'Ivoire et sa mère était une Baoulé. Mais, comme son père était un Dahoméen, certains étudiants contestaient le droit de cet « étranger » à gérer « leur » foyer. Au congrès de 1958, ce courant trouva son héraut en la personne de Bédié…
En 1965, ayant eu, par une faveur spéciale d'Houphouët et pour des raisons connues d'eux seuls, l'insigne honneur de prononcer le discours de clôture du congrès du Pdci-Rda, Bédié s'essaya à jouer les moralistes : «  Celui qui entreprend de détruire une œuvre de valeur humaine sera, à coup sûr, anéanti lui-même par sa propre action. » C'était une allusion transparente et parfaitement odieuse au destin tragique d'Ernest Boka, mort le 6 avril 1964 dans la geôle d'Assabou, à Yamoussoukro, où il avait été emprisonné quatre jours plus tôt. On a su plus tard que Bédié, alors ambassadeur à Washington, avait été l'un des témoins, aux côtés d'Houphouët, de l'incident au cours duquel Boka fut battu à mort.
A la fin des années 1980, la Côte d'Ivoire croulait sous le poids d'une dette colossale qui excédait largement ses capacités de remboursement. D'autant qu'elle connaissait dans le même temps une fonte drastique de ses revenus due à l'effondrement du prix du cacao. Sous l'effet de cette crise dite de la dette, le fameux « modèle ivoirien de développement » commençait à prendre eau de toutes parts. Bédié était alors, depuis une dizaine d'années, le président de l'Assemblée nationale. A ce titre il discourait solennellement, deux fois l'an, à l'occasion de l'ouverture des sessions du parlement, et ses discours étaient intégralement publiés dans la presse gouvernementale, la seule d'ailleurs qui existait à l'époque. Deux de ces discours valent la peine qu'on s'en rappelle aujourd'hui.
Le premier fut prononcé le 1er octobre 1986. Je l'ai longuement cité dans « La dépendance et l'épreuve des faits » (L'Harmattan 1988). Je me contenterai donc, ici, de reproduire la conclusion du commentaire que j'en fis dans le même ouvrage : « (…) compte tenu de la fonction à laquelle M. Bédié est désormais promis au moins à titre intérimaire, on pourrait considérer son discours de ce 1er octobre 1986 comme la charte de l'« après-Houphouët » ; une sorte de profession de foi destinée à rassurer les partenaires « expatriés » sur ses intentions pour le tout proche avenir. La réaffirmation de la disponibilité exclusive de l'Etat houphouétiste à leur égard doit être particulièrement soulignée. C'est une constante de la politique houphouétiste : l'empressement de l'Etat à garantir son appui aux intérêts « expatriés » n'a d'égal que celui qu'il met à fuir ses responsabilités vis-à-vis des Ivoiriens et de la Côte d'Ivoire. »
Trois ans plus tard, lors de l'ouverture de la session budgétaire 1989, c'est dans l'histoire ancienne de l'Angleterre que ce président du corps législatif ivoirien rêvait à haute voix d'aller chercher la solution – et quelle solution ! – aux problèmes sociaux et sociétaux des Ivoiriens, dont il était l'un des principaux responsables, et qui étaient devenus plus graves que jamais : « L'Angleterre – d'où je reviens de mission –, plus précisément l'Angleterre de l'époque préindustrielle a connu, elle aussi, un paupérisme de masse. Depuis la fin du XVe siècle, l'Angleterre était confrontée aux difficultés croissantes de l'entretien et de l'emploi des pauvres. Le mouvement de création des exploitations agricoles fermées avait multiplié le nombre des vagabonds et des mendiants. La montée de l'insécurité, les tensions et les violences sociales avaient conduit l'Etat à freiner ces mouvements, à mettre en place une répression sévère contre ces masses paupérisées et marginalisées en prenant des mesures de mise au travail forcé. » Ça ne s'invente pas !
Assurément, ce dut être un vrai jeu d'enfant de persuader l'auteur de tels propos, futur auteur des « Chemins de ma vie », qu'il n'est pas n'importe qui et que son destin personnel ne saurait donc être confondu avec celui de la masse des autres Ivoiriens. Dès lors il n'y a rien d'étonnant à ce que notre homme, désormais converti en apôtre du droitdel'hommisme, soit prêt à déférer à la Cour pénale internationale (Cpi) tous les Ivoiriens qui ne participent pas à sa coalition des laquais de la Françafrique, baptisée « Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix ». Cette organisation, créée à Paris comme par hasard, n'est que la figure fardée pour être plus présentable de la conspiration contre l'indépendance de la Côte d'Ivoire, dont le premier acte fut la tentative d'usurpation du 7 décembre 1993 et qui vient de connaître son aboutissement le 11 avril 2011. Comme Bédié n'est certainement pas incapable d'apercevoir la logique qui mène du premier de ces deux événements, dont il faillit faire les frais, jusqu'au dernier, dont il joue à être l'un des grands profiteurs, il faut croire que c'est volontairement qu'il a baissé sa culotte devant ses ennemis au lieu de leur résister. C'est exactement ce que, toute honte bue, Houphouët choisit aussi de faire en 1950 dans le bureau de François Mitterrand, et qui lui profita si bien et si longtemps. Mais les temps ont changé depuis 1950, et plus encore depuis 1990, l'année où, ayant fini par comprendre au bout de trente ans ce que leur avait coûté cet acte de lâcheté de celui auquel ils avaient fait confiance si longtemps, les Ivoiriens le lui firent bien comprendre un certain 2 mars…
Il n'est pas du tout assuré qu'on puisse refaire aux Ivoiriens le même coup une deuxième fois.
Marcel Amondji

mercredi 26 octobre 2011

ÇA N’ARRIVE PAS QU’AUX AUTRES…

Et si cette histoire de soldats sénégalais refusant de retourner dans leur patrie avant d’avoir perçu l’intégralité de leurs primes était l’une des retombées du rôle éminent que le président Abdoulaye Wade a joué dans le renversement de Laurent Gbagbo ?
Rappelez-vous ! En décembre 1999, la mutinerie de soldats qui devait conduire au renversement de Bédié avait pour prétexte le non versement des primes qui leur étaient dues au titre de leur participation à une mission de L’ONU en République Centrafricaine. Ces soldats accusaient leurs supérieurs de retenir des parts importantes des sommes qui leur étaient destinées. Ce que ces derniers démentaient, sans toutefois réussir à convaincre, tant le traitement médiatique très hostile à Bédié brouillait comme à dessein les tenants et les aboutissants de l’affaire. Cette confusion fit beaucoup pour la réussite de ce qui n’était qu’un complot savamment monté en vue de déstabiliser le régime de Bédié. Un tel scenario n’est évidemment pas pensable en ce qui concerne le Sénégal. Pour de nombreuses raisons :

1 - Le mouvement d’humeur des 200 soldats sénégalais est, de toute évidence, un mouvement spontané dont l’objectif correspond sans doute très exactement à ce qu’eux-mêmes en disent. Il n’y a aucune arrière-pensée politique. Personne, sinon peut-être quelques officiers subalternes, ne se tient derrière eux pour les pousser à exiger toujours plus jusqu’à ce que le pouvoir n’en puisse plus. Ils n’appartiennent pas à un corps d’élite rapidement monté en vue de coups politiques tordus, comme l’était la fameuse Firpac au sein de laquelle la plupart des mutins de 1999 et futurs rebelles de 2002 avaient fait leurs classes avant d’aller se perfectionner dans le cadre de la mission de l’ONU pour la République Centrafricaine, d’où ils revinrent fin prêts pour ce qu’on attendait d’eux, et avec ce prétexte en or : les autorités ne leur avaient reversé qu’une infime partie de ce qu’ils avaient théoriquement gagné au service des Nations Unies !

2 - L’armée sénégalaise est une vraie armée dans laquelle une situation comme celle qui a conduit au renversement de Bédié ou comme celle qui a permis, à partir du 19 septembre 2002, de miner méthodiquement le régime de Gbagbo jusqu’à sa chute finale le 11 avril 2011, ne prospérerait pas comme cela fut possible dans une Côte d’Ivoire qui n’a jamais eu une armée digne de ce nom.

3 - Personne, en dehors des opposants sénégalais, ne souhaite vraiment la chute du président Wade. Surtout pas la France sans l’accord et l’assistance de laquelle tout changement est impossible dans son pré carré.

La présente affaire des 200 Sénégalais montre que les mutins ivoiriens de 1999 avaient probablement raison sur ce point, même s’ils avaient évidemment tort d’en faire grief à leur hiérarchie qui, en l’occurrence, aura seulement péché par inexpérience. Car des contingents de nombreux autres pays participant à des missions de l’Onu, connaissent sans doute les mêmes problèmes en ce qui concerne la différence entre les primes effectivement perçues individuellement par chaque homme et les sommes versées à ce titre par l’Onu à leurs pays respectifs sans qu’on y observe des mouvements comme celui qui entraîna la chute de Bédié ou comme celui qui affecte cette unité sénégalaise de l’Onuci. Ou peut-être y en eut-il. Car tout est toujours possible. Mais on ne peut pas le savoir, parce que de tels mouvements n’ont aucune chance de prospérer dans des pays possédant une armée digne de ce nom, c'est-à-dire un corps professionnel solidement organisé et encadré et soumis à une discipline stricte, la discipline étant la première des qualités que leur état exige d’eux pour être véritablement et constamment à la hauteur de leur tâche.

Cette affaire nous enseigne pourtant une grande leçon. Mais avant de dire laquelle, rappelons ce qui s’est passé récemment au Burkina Faso. Des soldats burkinabés, retour eux aussi d’une des missions de maintien de la paix de l’Onu, se sont mutinés pour les mêmes raisons que nos mutins de 1999 et que les 200 sénégalais de l’Onuci. Blaise Compaoré n’avait certainement rien à craindre d’eux, car il bénéficie d’une assurance en béton contre cette sorte de risques : la protection que la France lui accorde sans mesure depuis 1987 pour les immenses services qu’il lui a déjà rendu et qu’il est toujours prêt à lui rendre. Aussi, le fait lui-même est sans importance. Mais là où il devient tout à fait intéressant, c’est quand on nous apprend que la plupart des soldats mutinés étaient des natifs de la Côte d’Ivoire qui étaient revenus dans le pays de leurs parents pour y faire carrière. Il me plaît assez d’imaginer que ces jeunes binationaux ivoiro-burkinabés se sont révolté parce qu’ils étaient scandalisés par la manière dont la France instrumentalisait l’une de leurs deux patries dans sa volonté d’asservir l’autre.

C’est un peu la même leçon que je tire du cas des 200 Sénégalais de l’Onuci. Comme le Burkina Faso de Blaise Compaoré, le Sénégal d’Abdoulaye Wade a été très en pointe dans ce qu’on appelle « la crise postélectorale ».

Juste retour des choses…

Marcel Amondji



Affaire « 200 soldats refusent d’embarquer pour Dakar »
Hamadoun Touré (Onuci) :
« C'est au gouvernement sénégalais de s'en occuper »
 
''C'est une affaire qui regarde le gouvernement sénégalais. L'Onuci ne traite pas directement avec les soldats, nous traitons avec le pays. C'est au pays concerné de s'occuper de ses soldats''. Telle est la réaction du porte-parole de l'Onuci Hamadoun Touré, le 17 octobre 2011 au téléphone, sur le problème relatif aux 200 soldats sénégalais de l'Onuci en fin de mission qui refusent d’embarquer pour Dakar.
Le porte-parole militaire de l'Onuci, le Colonel Raïs pour sa part nous a confié hier que ''c'était une incompréhension au sein des troupes. L'officier responsable a réglé le problème. Mais, je précise que c'est une affaire nationale. Ils partiront au plus tard le 18 octobre 2011''. En réponse à cette sortie, des soldats sénégalais, l’état-major des armées du Sénégal a publié un communiqué en fin de semaine dernière, donnant des précisions sur les règles des primes onusiennes. Ainsi, en plus d’une prise en charge totale pendant la mission, ''la prime (en liquide) est payable au Sénégal, le jour même de l’arrivée du contingent depuis la plate forme de l’aéroport militaire de Yoff ou l’accueil est organisé'', selon un communiqué repris par l’Agence de Presse Sénégalaise (Aps). L’état major relève au passage que la prime en question ''fait l’objet de revendications irréalistes et sans fondement légal de la part de certains militaires'' et signale que les membres de contingents précédents ayant servi dans les mêmes conditions sont rentrés dans leurs droits suivant les mêmes règles. Rappelons que les Commandos spéciaux de 200 soldats sénégalais, qui ont fini de boucler une année de mission en Côte d’Ivoire, ont refusé le 15 octobre 2011, de quitter Yamoussoukro pour Abidjan et ensuite pour Dakar. Ces casques bleus sénégalais exigent le versement intégral de leurs primes journalières d’intervention, après une année de mission «spéciale» en Côte d’Ivoire. Selon le quotidien sénégalais ''lequotidien.sn'', l’Onu rétribue les soldats à 100 000 francs CFA par jour. Durant tout le temps de la crise postélectorale, ils ont assuré la sécurité de l’hôtel du Golf où vivaient le Président Alassane Ouattara et le Premier ministre Guillaume Soro. Ce dernier avait d’ailleurs refusé le départ des Sénégalais pour la capitale politique. A travers ce redéploiement, l’état-major général des armées sénégalaises a voulu les traiter au même titre que les camarades du contingent sénégalais qui participe à la Mission d’intervention de l’Onu en Côte d’Ivoire (Onuci). Selon cette source, au lieu de 36 millions de francs Cfa d’indemnités annuelles, le Sénégal veut honorer le soldat de première classe à 4,5 millions de francs Cfa. Soutenus par un groupe d’officiers subalternes, ces militaires avaient adressé une missive d’alerte au Président de la République, Abdoulaye Wade. Dans cette lettre, ils avaient marqué leur détermination à rentrer dans l’intégralité de leurs fonds à l’instar de leurs frères d’armes, casques bleus, avec qui ils ont opéré en Côte d'Ivoire.

K.A.Parfait

(source : SOIR INFO 18 octobre 2011)

vendredi 14 octobre 2011

DES NOUVELLES FRAÎCHES DE MAMADOU KOULIBALY



L’empêchement de la tenue de la deuxième session 2011 du Parlement, organisé par le régime du coup d’Etat du 11 avril, avec la complicité du president de cette institution lui-même, a été l’occasion pour Marthe Agoh, la première vice-présidente de l’Assemblée nationale, de sortir de sa réserve pour nous livrer quelques vérités sur la conception pour le moins égocentrique que Mamadou Koulibaly avait de sa fonction et sur les bizarreries de son comportement depuis la tentative de putsch du 19 septembre 2002. Ce sont apparamment des informations qu’elle détient depuis longtemps ; mais une sorte d’omerta de parti l’avait retenue jusqu’ici de les livrer au public. On peut regretter que cela vienne si tard, et alors que ce faux type a déjà leurré tant de gens notamment au sein du Fpi… Mais ne dit-on pas qu’il n’est jamais trop tard pour bien faire ? Il faut remercier cette élue courageuse et désintéressée de cette action citoyenne exemplaire.
Marthe Agoh s’est confiée à “Notre Voie”. Ecoutons-la.
le CVBB

“Mamadou Koulibaly a trahi le peuple ivoirien”
Une interview de Marthe Amon Agoh, première vice-présidente de l’Assemblée nationale.

Notre Voie : Madame la première vice-présidente, les Ivoiriens ont été surpris de voir la semaine dernière que les portes de l’Assemblée nationale ont été fermées aux députés au moment où vous alliez à l’ouverture de la 2ème session ordinaire de l’année. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Marthe Amon Agoh : En terme de surprise, je suis la première à être véritablement surprise. Je ne pouvais jamais m’imaginer un tel scénario. Je ne sais si on a déjà vu à travers l’humanité, le président d’une institution mettre fin au fonctionnement de cette institution de cette manière-là. Je pourrais qualifier cela d’infanticide. C`est-à-dire, quelqu’un qui tue son propre enfant. C’est ce qui s’est passé. C’est pourquoi j’ai immédiatement fait une conférence de presse pour prendre le peuple que nous représentons à témoin. Mais également pour prendre à témoin tous les peuples du monde assoiffés de démocratie.
N.V. : Qu’est-ce qui s’est passé pour qu’on en arrive à cette situation ?
M.A.A. : Je ne sais vraiment pas ce qui a pu conduire à cette situation, parce que les choses se sont passées comme elles ont l’habitude de se passer dans cette assemblée nationale. Mamadou Koulibaly a été très souvent absent aux activités de l’assemblée nationale. Pour la petite histoire, les journalistes se sont souvent demandé « où est passé Mamadou Koulibaly ». Et je l’ai toujours suppléé comme le disent nos textes. Ce n’est donc pas nouveau ce qui s’est passé. C’est même l’absence de Koulibaly qui était devenue la règle dans cette assemblée, si je peux ainsi le dire. Dans la deuxième république, il a été prévu un président et un 1er vice-président del’assemblée nationale. Ceci justement pour suppléer le président en cas d’absence. Et dans le règlement de l’assemblée nationale, je le supplée dans toutes ses fonctions. J’assume même aussi la vacance du pouvoir au cas où le président ne peut pas le faire pour diverses raisons. Et cela est écrit dans la constitution. Cela dit, tous les textes précisent que c’est bien le président qui convoque toutes les plénières, puisqu’il est le chef de l’administration. Et moi je le seconde. Et donc quand il n’est pas là, je le remplace. Et très souvent, je suis prise de court puisqu’il ne me prévient même pas de son absence. Et c’est fréquent. Et c’est toujours comme ça que Koulibaly a fonctionné avec moi. J’ai fini par m’habituer. Donc je prends toujours mes précautions. Je ne sais pas ce que Koulibaly recherchait, mais c’est comme ça qu’il fonctionnait avec moi. C’est dire que je ne suis pas surprise. Pour tout dire, les choses se sont passées la fois dernière comme elles se passent depuis toujours.
N.V : C’est-à-dire…
M.A.A.: L’article 62 dit que chaque année, l’Assemblée nationale se réunit de plein droit en deux sessions ordinaires. Je dis bien de plein droit ! La première session s’ouvre le dernier mercredi du mois d’avril. Donc pour cette année, elle devrait s’ouvrir le 27 avril 2011. La deuxième session commence le premier mercredi du mois d’octobre. Donc c’était bien le 5 octobre dernier. Ces deux sessions sont obligatoires et tout député digne de ce nom doit s’y conformer. Vous remarquerez que l’Assemblée nationale est la seul institution pour laquelle la constitution a pris la précaution de fixer la date de l’ouverture des sessions. Même les dates des conseils de ministres ne sont pas fixées par la constitution. Pour l’Assemblée nationale, les dates sont fixées par la constitution. Et au risque de me répéter, la constitution dit bien que l’assemblée nationale se réunit de plein droit.
N.V. : Qu’est-ce que cela veut dire ?
M.A.A.: Cela veut dire que l’Assemblée se réunit obligatoirement à ces deux dates. Les députés n’ont pas le choix. Et cela s’impose à tout citoyen, y compris le président de la République. Une fois qu’on est en dehors de ces deux dates, si on convoque les députés, c’est une session extraordinaire. Et c’est une procédure particulière qui est aussi réglée par la constitution. Cela veut dire qu’en dehors de ces deux sessions vous ne pouvez pas donner du travail aux députés si ce n’est en session extraordinaire.
N.V. : Alors comment se préparent les sessions quand ces dates constitutionnelles arrivent ?
M.A.A.: Pour voir le fonctionnement de l’assemblée nationale, il faut s’en référer au règlement administratif. Nous sommes des grands responsables. Quand on vous confie une mission, c’est à vous de vous organiser pour remplir au mieux cette mission. Vous mettez alors en place des règles de fonctionnement. C’est ce qu’on appelle le règlement intérieur. Le règlement intérieur de l’Assemblée indique donc que c’est le bureau de l’Assemblée nationale, composé du président de l’assemblée, du 1er vice-président, des autres vice-présidents et des questeurs qui, assisté du secrétaire général nommé par le président, prépare les travaux de l’Assemblée. Le bureau se réunit deux fois dans le mois. Et donc quand approchent les dates constitutionnelles, c’est le secrétaire général qui attire l’attention du président. C’est alors que le président et le 1er vice-président, assistés du secrétaire général, préparent l’ordre du jour et convoquent la réunion du bureau de l’assemblée en vue de la préparation des travaux de la session. Il est écrit clairement dans nos textes que j’assiste le président dans la préparation des réunions. Mais Koulibaly n’a jamais voulu que je l’assiste bien que cela soit écrit noir sur blanc. C’est un vieux débat sur lequel je ne reviens pas. Il dit qu’il aime travailler seul. Donc en réalité, on ne s’est jamais mis à trois pour préparer les réunions. C’est peut-être pour cela aussi qu’il ne m’a jamais prévenu de son absence. Je pense même que s’il avait la possibilité de se faire suppléer par le secrétaire général pour présider les travaux des sessions, il l’aurait fait. Mais hélas ! La constitution ne l’y autorise pas. Et donc j’ai pris l’habitude d’interpeler moi-même le secrétaire général quand les dates arrivent pour savoir si le président sera là ou pas. Parce que si je suis surprise et que je ne suis pas préparée, c’est moi qui risque de prendre la honte. Cette année, en avril, malgré les coups de canon, j’ai pris mes responsabilités pour voir s’il y avait quelqu’un à l’assemblée. J’ai cherché le président Koulibaly en vain. J’ai donc envoyé mon chef de cabinet voir le directeur de cabinet du président de l’Assemblée. Celui-ci a dit qu’il ne savait pas où se trouvait Koulibaly. Nous étions donc dans ces démarches quand je vois dans Fraternité Matin que le président Koulibaly a tenu une conférence de président sans m’y convier. Et à la sortie de cette conférence, il déclare avoir invité le président nouvellement installé à la tête du pays à l’ouverture de la première session.
N.V. : Que s’est-il passé ensuite ?
A.A.M : Le jour de l’ouverture de la session, je me suis apprêtée comme tout député pour m’y rendre en dépit du fait je n’avais pas vu de communiqué convoquant les députés. Et mon personnel qui m’avait devancé m’appelle pour me dire qu’ils ont vu seulement quelques députés, mais pas le président de l’Assemblée. Et comme je ne peux pas l’avoir au téléphone. Je précise que depuis plus d’un an, Koulibaly ne m’a jamais appelé au téléphone et il ne m’a jamais prise au téléphone. Je travaille avec lui à travers son personnel et le secrétaire général. Donc ce n’est pas nouveau. Toute la journée on est resté là sans nouvelle de Koulibaly et la session n’a pas été ouverte. J’avoue que jusqu’à présent, je n’en connais pas les raisons.
N.V. : Lui avez-vous posé la question ?
M.A.A.: Mais je vous dis que je n’ai pu avoir Koulibaly au téléphone. Je n’ai pas de contact personnel avec le président de l’Assemblée nationale.
N.V. : Vraiment ?
M.A.A.: Mais c’est pourtant la réalité hélas ! Koulibaly communique avec moi à travers le secrétaire général ou le directeur de cabinet. Mais depuis près d’un mois, je n’arrive pas à avoir même le secrétaire général. Quelquefois quand je l’ai, il me dit qu’il est au village aux funérailles, et quand il vient il ne me rappelle pas. Donc j’ai pris des précautions. Donc, le jour de l’ouverture de session, je me suis préparée comme tout député pour me rendre à l’ouverture de la session. Mais tout en me préparant aussi psychologiquement à le relayer en sachant que s’il n’est pas là c’est moi. Mais mon chef de cabinet qui m’a devancée m’a dit qu’il a vu la voiture du président. J’étais donc toute heureuse à l’idée que je n’aurais rien à faire puisqu’il allait présider lui-même l’ouverture. Du moins je le pensais sincèrement. Et donc j’arrive et j’appelle dans son bureau pour savoir voir s’il est vraiment là, sa secrétaire me dit qu’il n’est pas là. Surprise ! On me dit qu’il est là mais il est caché dans une autre salle. Mais on empêche les gens d’accéder à lui.  Pour moi il n’est pas là, c’est tout ! Je prends donc les dispositions pour le suppléer comme d’habitude. C’est à ce moment que j’apprends que l’hémicycle est fermé. Je dis comme ça : l’hémicycle est fermé ? Je demande qu’on appelle le secrétaire général, il n’est pas là non plus. Je dis donc : fouillez-moi tout le bâtiment et appelez-moi le personnel que vous trouverez en place. C’est comme ça deux membres du personnel sont venus me voir. Je leur dis, vous savez qu’aujourd’hui c’est l’ouverture de la session ordinaire. Le président de l’Assemblée n’est pas là. Et quand il n’est pas là c’est moi qui le remplace. C’est alors que Mme Diaby a pris la parole pour dire que certaines personnes ont pris l’habitude de tenir des réunions à l’Assemblée sans demander l’autorisation. C’est ce qu’elle a expliqué au secrétaire général et celui-ci lui a donné l’ordre de fermer l’hémicycle et de ne pas l’ouvrir tant lui n’a pas donné l’ordre de le faire.
N.V. : Le président de Koulibaly savait que ce jour-là l’ouverture solennelle de la 2ème session aurait lieu ?
M.A.A.: Mais il savait très bien, après toutes les démarches que j’ai faites et dont j’ai parlé plus haut.
N.V. : Mais le président Koulibaly parle de vice de procédure.
M.A.A.: Je suis désolée, il n’y a pas eu de vice de procédure. Demandez-lui à quel niveau la procédure a été viciée. Qu’il vous montre le texte qui subordonne l’ouverture de la session à la tenue de la réunion de la conférence des présidents. Les textes sont là sous mes yeux. La conférence des présidents prépare seulement les travaux de la session. Et surtout posez-lui la question de savoir qui convoque cette conférence des président qui, pour lui, doit être préalable à l’ouverture. Les textes disent bien que c’est lui qui doit la convoquer. Alors s’il sait que la conférence des présidents est préalable à l’ouverture de la session, pourquoi ne l’a-t-il pas convoquée alors que la date butoir de l’ouverture de la session était arrivée ? En réalité la conférence des présidents établit seulement le programme de la session. Mais cela peut se faire après l’ouverture de la session dont la date est incompressible. On peut ouvrir la session et après convoquer la conférence des présidents pour établir l’ordre du jour. Ça ne peut pas empêcher la tenue de l’ouverture de la session. Donc ce qu’il dit est faux. La date de l’ouverture est constitutionnelle. Tant qu’elle n’a pas eu lieu, les députés ne peuvent pas travailler. C’est comme l’année académique à l’université. Tant qu’on n’a pas ouvert l’année académique, les professeurs ne peuvent pas programmer d’examen. En dehorsdel’année académique, tout examen n’est pas valable.
N.V. : Quelle analyse faites-vous de cette situation ?
M.A.A. : L’infraction est tellement grave que je ne trouve pas de mot pour la qualifier. Sans constitution, notre pays n’existe pas en tant qu’organisation juridique. C`est-à-dire qu’il n’y a pas d’Etat. Or si nous sommes d’accord qu’un peuple sur un territoire donné s’organise avec des règles, la constitution est la loi fondamentale. C’est la constitution qui définit la forme de gouvernement pour un pays. Notre constitution dit que l’Etat de Côte d’ivoire est une République indépendante et souveraine. Vous savez que tous les Etats ne sont pas des Républiques. Donc si tu paralyses l’assemblée nationale, tu fais un Etat manchot. Ce n’est plus une république. C’est ce que Mamadou Koulibaly vient de faire. L’Etat de Côte d’Ivoire est amputé d’un de ses moyens d’expression. C’est vous dire la gravité de l’acte de Mamadou Koulibaly. Le président de la république est le détenteur exclusif du pouvoir exécutif. Et le parlement légifère. C’est-à-dire qu’il vote les lois qui doivent permettre au président de gouverner. C’est une précaution très importante pour l’équilibre et l’harmonie de la société. Pour que une fois élu, le président ne prenne pas le peuple en otage en faisant ce qu’il veut. C’est la situation dans laquelle Koulibaly a mis le peuple de Côte d’Ivoire en paralysantl’Assemblée nationale. C’est une trahison qui ne dit pas son nom.
N.V. : Mais dans l’entendement du président Koulibaly, l’Assemblée n’est pas dissoute puisqu’il revendique encore le statut du n°2 du régime…
M.A.A.: Mais on ne l’a pas élu pour ça. C’est ça la plaie de l’Afrique. C’est cela la plaie de nos intellectuels. Ils courent toujours après les positionnements personnels. L’Afrique est malade pour cela, elle est soumise à l’Occident pour tout ça. Ils sont très, très égoïstes et méchants. Parce qu’ils ne pensent qu’à eux. Mais le pouvoir est un service. Il cherche un intérim conformément à la constitution. Mais lui-même il ne respecte pas la constitution. La même constitution te dit que tu dois ouvrir la session ordinaire à une date précise. Et tu ne l’as pas ouverte. Est-ce que tu existes en tant président de l’Assemblée pour être intérimaire du chef de l’Etat ? Tu te prévaux du grade de président de l’Assemblée et tu fermes l’hémicycle. Or l’Assemblée a un rôle à jouer. Sa mission principale ce n’est pas l’intérim. Moi aussi la constitution fait de moi aussi l’intérimaire au cas où. Mais ce n’est pas là l’essentiel. Le parlement doit être le gardien du pouvoir exécutif. C’est comme ça que nous avons fait échouer Marcoussis qui était un complot contre l’Etat de Côte d’Ivoire. Ce n’est pas pour rien que le GTI proposait la dissolution de l’Assemblée. C’est parce qu’elle était un frein à la réalisation du complot contre la Côte d’Ivoire. En réalité, c’est le coup d’Etat de 2002 que Koulibaly vient de parachever en paralysant l’assemblée nationale. Pour moi il en est un des acteurs. Il y en a qui étaient chargés de démolir l’exécutif. Neutraliser le président de la République, le tuer s’il faut. Ils n’ont pas pu le tuer, ils ont réussi à le mettre en prison. Et comme pour les députés, on ne peut pas le faire, Koulibaly a été chargé de neutraliser l’Assemblée dont il est le président. C’est une haute trahison du peuple de Côte d’Ivoire. Moi je n’ai jamais pensé que Koulibaly pouvait en arriver là. Et vous voyez qu’il ne nie pas d’avoir fait fermer l’hémicycle, il tente plutôt de se justifier. En parlant de la conférence de président. Si tel est le cas, pourquoi il n’a pas ouvert en avril alors qu’il a tenu la conférence des présidents ?

Interview réalisée par Boga Sivori pour Notre Voie.
(source : abidjan.net 12/10/2011)