À propos de « La Côte d’Ivoire & la France, telles Sisyphe & son rocher », de Marcel Amondji
Ce
nouvel essai politique, qui se divise en deux parties, est une compilation
d’articles complémentaires. Cette disposition favorise une lecture facile de
l’œuvre, dans la mesure où elle permet au lecteur de librement choisir le texte
par lequel, il voudrait bien commencer sa lecture. La première partie de
l’œuvre, présente certaines des dernières réflexions de l’auteur sur les
rapports entre la Côte d’Ivoire et la France. Dans la deuxième, dont le contenu
n’est guère éloigné de celui de la première, il offre aux lecteurs, des
éléments pour penser un autre avenir politique de la Côte d’Ivoire.
Dès
les premières lignes, l’auteur met les pieds dans le plat, comme pour inviter,
à plus de vigilance, les Ivoiriens, quelque peu distraient par leurs leaders
politiques :
« Comme
colonisateurs, les Français ne sont ni pires ni meilleurs que les autres mais,
le problème avec eux, c’est qu’ils ne savent pas s’arrêter ».
Partant
de ce constat, se fier à un discours de la classe politique française annonçant
un hypothétique changement dans les relations entre la France et la Côte
d’Ivoire serait contreproductif pour les Ivoiriens. Par une analyse d’actes
posés par des présidents français de bords politiques différents, Marcel
Amondji met le doigt sur cette constante qui les lie tous, à
savoir :
«…pour eux
tous, et en toutes circonstances, il n’y a et il ne saurait y avoir qu’une
seule et unique manière d’envisager la relation entre leur pays et le nôtre : à
eux d’y décider toujours souverainement de tout ; à nous de leur obéir toujours
plus servilement. Faute de quoi, ils nous « cassent » d’une façon ou d’une autre ».
Pour
garder cette constance dans la gestion de la relation entre la France et la
Côte d’Ivoire, l’existence d’un système pourrait-il être envisagé ? Marcel
Amondji n’a aucun doute sur la réponse à cette interrogation : les
relations entre la France et la Côte d’Ivoire relèvent d’un système.
Imperméable aux changements du locataire de l’Elysée, ce système, qualifié
de « système houphouéto-foccartien »,
par notre auteur, a pour raison d’être, le maintien de la nation ivoirienne
dans un état d’« indépendance sans la souveraineté ». Dit autrement
:
« C’est un
système fondé sur le principe de l’incapacité voulue et organisée des
autochtones de telle sorte qu’il ne puisse y avoir en Côte d’Ivoire ni une
société civile reconnue comme sujet naturel de sa propre histoire, ni, a
fortiori, une classe politique, puisque cette dernière ne peut exister comme
une réalité tangible là où l’existence de la première est empêchée ou
niée ».
Comme
tout système, le système houphouéto-foccartien, peut connaître des crises.
Cependant, l’observation de ces dernières, n’est pas chose aisée car elles sont
habituellement présentées sous des apparences autres que ce qu’elles sont en
réalité. Justement, sur ce point, les lectures d’articles comme « DE
QUOI LA "CHARTE DU GRAND NORD" ÉTAIT-ELLE LE NOM ? » et « L’AFFAIRE
OUATTARA & LA CRISE DE L’HOUPHOUÉTO-FOCCARTISME » sont vivement
recommandées. Ces articles seront de véritables cures de désintoxication pour
les lecteurs restés trop longtemps exposés au discours de médias étrangers, et
français en particulier, sur les supposées origines xénophobes de la
« crise ivoirienne ». Le lecteur comprendra de lui-même que derrière
toutes ces crises, nées après un certain 7 décembre 1993, se jouait tout
simplement des séances de casting organisées par la France pour la sélection du
nouveau garde-chiourme de sa « plantation » Côte d’Ivoire. Pas plus.
L’existence
de crises du système, ne veut pas dire que ce dernier fonctionne sans
personnel. Ainsi, tout le long de sa lecture, le lecteur fera la rencontre des
hommes officiels et officieux de ce système. Qui est par exemple Monsieur
Jean ? La seule lecture du texte consacré à ce monsieur permet de saisir
la gravité de l’existence, pour une nation, d’un système comme le système
houphouéto-foccartien. Pour ceux qui, parmi les lecteurs, pourraient
être tentés de s’essayer à facilement accuser Marcel Amondji d’être un
anti-français, prière leur est faite, de préalablement lire, L’ITINÉRAIRE
D’UN JUSTE ; article que M. Amondji consacre à l’anticolonialiste
français Gaston Donnat.
Marcel
Amondji, c’est aussi un style, dense fusion d’histoire et d’analyses
politiques. Les anciens lecteurs ne seront pas déçus, et les nouveaux n’auront
pas de souci à se faire. Ces derniers, après la lecture de ce livre, se
mettront, à coup sûr, à la recherche des précédents livres de l’auteur. Ces
deux groupes de lecteurs, pourront même s’ils le souhaitent, simple
proposition, commencer la lecture du livre par l’article ASSABOU ET
MARCOUSSIS, DEUX TRAGÉDIES IVOIRIENNES, belle illustration du style de
l’auteur.
Après la lecture de quelques textes décrivant
la réalité du système houphouéto-foccartien, le lecteur pourrait être poussé à
se demander si vouloir se sortir d’un pareil système ne relèverait pas plus
d’une gageure que d’autre chose. Ce défaitisme, annonciateur de la fatalité,
est rejeté par M. Amondji :
« Non,
notre patrie n’est pas vouée à être éternellement cet appendice de la France
qu’Houphouët nous a légué. Tôt ou tard le jour viendra où, réellement et
totalement délivrée de l’emprise du colonialisme français, elle se montrera
enfin telle que nos pères la rêvaient vers le milieu des années 1940.
C’est-à-dire un pays dont les habitants naturels font leurs propres lois et
créent eux-mêmes, librement, les bases matérielles de leur développement
économique et de leur progrès social ».
Pour
lui il n’y pas de doute, si les Ivoiriens veulent mettre fin à cette situation,
il faudrait qu’avec lucidité, ils acceptent que ce changement espéré relève
d’eux :
« …ne nous
berçons pas d’illusions : aucun compromis ne nous délivrera de cette dépendance
; elle ne finira que du jour où nous serons en mesure de prendre nous-mêmes
notre destin en main sans attendre la permission de quiconque, sans
marchandages, et sans faux « facilitateur » cachant dans son dos la « cinquième
colonne » de nos opiniâtres prédateurs ».
Une
fois conscient qu’eux seuls sont en capacité d’en payer le véritable prix, il
faudrait que ce projet de libération devienne la priorité de leurs priorités :
« Vous le
savez évidemment : le seul vrai problème de la Côte d’Ivoire, celui auquel il
est absolument impératif de s’attaquer avant d’espérer entrevoir la moindre
lueur dans le pot au noir qu’est notre destinée nationale depuis que nous
l’avions confiée à un individu cupide et veule comme Félix Houphouët, c’est
l’étroitesse et l’opacité de ses rapports avec la France. Est-ce un pays
indépendant, un Etat souverain, ou un de ces « territoires d’outre-mer » que la
France s’entête à maintenir sous sa tutelle aux quatre coins du globe, où des
gens venus d’ailleurs sont tout tandis que les autochtones, eux, sont privés de
leurs droits naturels ? Et si c’est ce qu’elle est, la Côte d’Ivoire est-elle
vouée à le rester éternellement ? Et lui serait-il défendu de rêver d’être
autre chose un jour ? Et qu’est-ce qui nous obligerait, nous ses citoyens
naturels, à accepter un tel destin pour notre patrie ? Si la moitié ou même un
quart seulement de ceux qui battent quotidiennement le pavé de Paris et
d’Amsterdam depuis deux ans se posaient de telles questions et les examinaient
surtout de façon sereine, leur unique mot d’ordre serait : « Indépendance ! ».
Parce que l’indépendance une fois acquise, le reste suivrait… Je ne dis pas que
ce serait automatique ; je dis que la voie vers l’avenir dont nous rêvons pour
nos petits-enfants serait alors ouverte et il ne dépendrait plus que de nous,
de nos efforts, de nos sacrifices, qu’un jour ce rêve devienne la réalité ».
L’ancien
leader syndicaliste étudiant[1]
a l’âge et l’expérience pour lui. Il parle d’un système qu’il a observé et
subi. Pourtant, malgré toute la réalité décrite, dans ce livre, le lecteur ne
le refermera pas sans avoir été contaminé par cette espérance de l’auteur qui
l’irrigue :
« Tout ce que nous avons vu ces
dernières années, notamment depuis le putsch de 1999, a montré que délivrer la
Côte d’Ivoire de l’emprise de l’houphouéto-foccartisme et de son corollaire,
cette absolue suprématie que la France a conservée sur nous après le 7 août 1960,
ne sera pas une tâche facile. Mais, pas facile ne veut pas dire impossible. Car
ce que nous avons vu depuis le putsch a aussi confirmé deux autres constantes
de notre histoire : malgré toutes les violences de nos ennemis – car comment
nommer les massacreurs du 4 novembre 2004 devant l’hôtel Ivoire et sur le pont
Charles de Gaulle et ceux d’avril 2011 dans tout Abidjan, ceux qui leur
donnaient les ordres et ceux qui les ont couverts ? Cette France qui, sans
l’avoir déclarée et en violation de la lettre des traités liant nos deux pays,
s’est livrée à une guerre des plus atroces contre nous ? –, malgré toutes les
violences de nos ennemis donc, dans leur masse les Ivoiriens n’ont jamais
renoncé à récupérer leurs droits spoliés, à commencer par le droit d’être les
seuls maîtres chez eux. Et, en eux, l’extraordinaire capacité de résistance
dont firent preuve leurs aïeuls et leurs pères face aux conquérants ou pendant
la période coloniale, n’est pas épuisée ».
La lecture
de La Côte d’Ivoire & la France, telles Sisyphe & son rocher est
une véritable bouffée d’oxygène, dans cette atmosphère politique ivoirienne
polluée par des compromissions et des futilités qui ont eu pour conséquence de
refaire de l’évidence de l’après 11 avril 2011 (Le 7 août 1960, la France, dans
la réalité, n’est pas partie), un sujet tabou.
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[1] - Élu en décembre 1959 pour un mandat d’un
an, Marcel Amondji était le président de l’Union générale des Etudiants de la
Côte d’Ivoire (U.G.E.C.I.) durant l’année où la Côte d’Ivoire devint « indépendance ».