lundi 18 mai 2020

Covid-19 en Côte d’Ivoire : politique as usual

© Présidence par David Zamblé

Si certaines personnes espèrent secrètement un monde post-crise covid-19 différent de celui que l’on nous a servi jusqu’ici, nous pouvons déjà, nous Ivoiriens, être sûrs que le nôtre sera semblable à celui d’avant cette meurtrière crise sanitaire.
« Je m’auto-confine pour sauver des vies ». L’usage du préfixe auto dans ce message affiché dans les rues de la commune de Cocody par la mairie, résume à lui seul l’attitude des Ivoiriens dans cette atmosphère mondiale née de la crise du covid-19. La raison de cette auto prise en charge s’est tout simplement imposée à eux. Au moins, pour trois raisons. D’abord, leur grande exposition aux médias étrangers n’est pas faite pour entretenir une certaine quiétude dans les esprits. Ne dit-on pas que la peur se communique ? Nous en avons la preuve. Ensuite, avoir des informations comme celle faisant état de seulement 30 machines[1] à respirer disponibles à Abidjan, ou encore la lecture d’un article comme « A cause du coronavirus : ce qui se passe au CHU de Treichville »,[2] dit clairement à l’Ivoirien qu’il n’a pas intérêt à contracter cette maladie. Enfin, la discrétion, pour ne pas dire l’affligeant silence, de ce qui nous fait office de gouvernement.
Rien qu’à en faire le constat, on en rit. A dire vrai, ce gouvernement s’attendait à tout, sauf à ce « coup » du covid-19. Totalement pétrifié, gardant sa foi aveugle en la communication, il renvoie aujourd’hui de lui, l’image d’un gardien de but qui vient de prendre un but, par panenka. Ses référents habituels, les occidentaux, ayant eux-mêmes maille à partir avec cette crise sanitaire, le gouvernement ivoirien, se contente de jouer la montre, en attendant que ces derniers, annoncent une solution qu’il se précipiterait d’appliquer. En attendant cette solution, il s’est vu contraint de produire des mesures, en réponses à d’autres décisions courageuses, prises par des pays voisins, face au même mal. Ainsi, d’après son agence conseil en communication, RFI[3], le gouvernement ivoirien aurait sorti l’artillerie lourde, pour faire face à cette crise : un plan économique de 1700 milliards de FCFA. Dans ce chapelet de mesures annoncées, par le chef du gouvernement, une a retenu notre attention, celle relative au secteur informel : « la mise en place d’un fonds spécifique d’appui aux entreprises du secteur informel touchées par la crise pour un montant de 100 milliards de FCFA. Cette mesure sera pérennisée après la crise avec une fiscalité simple et des modalités novatrices de financement »[4]. Si on considère qu’a été prise en compte, dans les statistiques de ce secteur, la vendeuse d’Alloco[5] du coin de rue, qui s’acquitte seulement de sa taxe communale, comment fera-t-on pour atteindre cet autre vendeuse, ambulante cette fois-ci, qui passe ses journées à se frayer un passage dans les embouteillages de la ville d’Abidjan en vendant, tout et n’importe quoi ? Quand on sait, que le clientélisme n’a plus de secret pour nos hommes politiques ici, c’est à se demander si cette ligne budgétaire de 100 milliards de FCFA, ne servira pas, encore à entretenir et à élargir une base électorale de personnes que l’on aime voir en prise avec la pauvreté ? 
Base électorale, a-t-on écrit, donc politique. Nous y sommes. Si une « activité » ne connaît pas une baisse de régime, du fait de la crise du Covid-19, en Côte d’Ivoire, c’est bien la politique. Si ce n’était pas le cas, comment comprendre qu’en cette période, les partis et Hommes politiques, s’adonnent à des séances de remise de vivres à des habitants confinés, à grand renfort de publicité ? Quand le parti au pouvoir continue de faire la promotion du processus d’enrôlement, pourtant suspendu chez des pays voisins, pour raison de covid-19, il y a lieu de se poser des questions sur l’intention de ce dernier. Interrogation qui se justifie encore plus avec le harcèlement judiciaire dont fait l’objet certains opposants.

© Présidence par David Zamblé

Dans cette grisaille, Il nous arrive de nous demander, si certaines personnes ne vivent pas dans un monde parallèle au nôtre. Apparemment oui. Alors qu’on évite de s’asphyxier dans cette poudre de perlimpinpin de mesures gouvernementales, des personnes bien en cours, et surtout en mal de publicité, veulent saisir la détresse de chefs d’entreprises, pour faire le mariole et leur offrir leur « aide ». Franchement, la proximité avec la mangeoire nationale, peut vraiment servir de terreau au développement de toutes sortes d’idées. Les perfides dans notre cas. Que l’Etat commence déjà à avoir un discours clair sur la situation des travailleurs en cette période où les entrepreneurs hésitent entre chômage et chômage technique, ça serait déjà un grand pas. Au lieu de cela, on cherche à développer des réseaux, dans un pays où manifestement, depuis une certaine période, des personnes rêvent, et cherchent subrepticement à substituer le suffrage censitaire au suffrage universel.
Pendant que des ivoiriens, las de rester dans ce flou, migrent vers leurs villages, pour mieux observer la situation, et que d’autres, eux s’opposent à l’installation de centres dits de dépistage à proximité de leurs domiciles, le gouvernement n’en a cure. Pour preuve, la publication, cette semaine, des nouvelles règles du code électoral, en ces temps troubles, nous dit que ce gouvernement a mieux à faire, préparer l’élection présidentielle d’Octobre 2020. Mais, qui le sait ? C’est sûrement elle notre serpent d’Airain.
Habib Kouadja
 
 


[1]. Confirmé au journal Afrique de RFI du 28 Mars 2020 de 7h30
[2]. http://www.linfodrome.com/societe-culture/56250-a-cause-du-coronavirus-ce-qui-se-passe-au-chu-de-treichville
[3]. Radio France Internationale
[4]. Discours du 31 Mars 2020 de Amadou Gon Coulibaly
[5]. Friture de banane plantain

mercredi 6 mai 2020

LE ROI NU

Tous les analystes avisés (à l'exception des porte-parole de l'empire et de l'extrême droite) s'accordent à dire que le coronavirus a levé brutalement le voile sur la prétendue prospérité néolibérale afin de mettre à jour la barbarie, ses abîmes d'injustice et d'inégalité.
 
Trump : "Nous avons fait un très bon travail face à coronavirus".
Hans Christian Andersen raconte l'histoire de deux voyous qui s’étaient fait passer pour des tailleurs pour promettre à un roi le plus beau costume imaginable.
Tout le monde admirerait sa tenue, lui dirent-ils, sauf ceux nés d'une liaison extraconjugale de leur mère. Lorsque le roi alla l'essayer, accompagné de ses courtisans, personne, pas même le roi lui-même, ne vit le costume, mais tous pensaient avec angoisse qu'ils étaient les enfants de relations pécheresses et ils décidèrent d’encenser avec enthousiasme les vêtements imaginaires et le génie de leurs créateurs.
Le jour de la fête de la ville, le roi « s’habilla » et, monté sur son cheval, défila dans les rues. Les villageois restaient silencieux, honteux, se croyant indignes de percevoir le costume miraculeux, jusqu'à ce qu'un enfant innocent s'exclama « le roi est nu ! » et parvienne, sans le vouloir, à faire découvrir la farce à tout le monde.
Avec le cri de l'enfant de la fable, le mensonge généralisé se brisa, comme par magie.
Aujourd'hui, la nature inhumaine du capitalisme et sa version la plus obscène, le néolibéralisme, a été mise à nu par le coronavirus. Son visage satanique s’est exposé, sans masque ni rasage. De profondes fissures se sont ouvertes dans le mirage fabriqué par la machinerie de la domination informationnelle et culturelle.
Fidel [Castro] a répété à maintes reprises que le capitalisme et le néolibéralisme conduisent le monde entier au génocide. Et il l'a dit avec une insistance particulière lorsque le socialisme s'est effondré en Europe et que le chœur triomphant de la droite a célébré l'avènement du Royaume absolu du marché comme synonyme de « liberté » et de « démocratie », alors qu'une grande partie de la gauche mondiale battait en retraite, démoralisée.
Tous les analystes avisés (à l'exception des porte-parole de l'empire et de l'extrême droite) s'accordent à dire que le coronavirus a brusquement levé le voile sur la supposée prospérité néolibérale afin de mettre à jour la barbarie, ses abîmes d'injustice et d'inégalité.
La pandémie a fonctionné comme un instrument révélateur qui nous découvre, nous démasque et nous met grossièrement face à la réalité.
L'une des caractéristiques du système, que la pandémie a mise en lumière, concerne le dilemme éthique dans lequel les médecins ont été contraints de choisir (face à la pénurie de respirateurs et de médicaments indispensables, de lits dans les hôpitaux et les unités de soins intensifs) entre les patients qui peuvent être considérés comme « sauvables » et ceux qui sont « irrécupérables », plus âgés, plus fragiles, avec de plus grandes complications.
Cette division cruelle est née au moment où les services de santé et de l'industrie pharmaceutique ont été considérés comme une entreprise lucrative, où il n'y a pas de patients, mais seulement des clients.
En 2013, un ministre des Finances japonais a appelé les personnes âgées de son pays à se faire harakiri pour alléger les charges excessives qui pèsent sur le budget, et récemment le lieutenant-gouverneur du Texas, Dan Patrick, a fait un commentaire semblable. C'est monstrueux, mais nous devons les remercier pour leur franchise didactique.
Selon la doctrine néolibérale, l'État réduit son rôle au minimum et reste au service des entreprises, tandis que le marché, par le biais de la concurrence, divise l'humanité en une minorité de « gagnants », c'est-à-dire de « sauvables », et la grande masse des « perdants » ou « irrécupérables ».  
Désormais en pleine pandémie, la première réaction de certains hommes politiques néolibéraux, comme Trump et Bolsonaro, a été de minimiser l'importance de la pandémie et de regarder ailleurs, notamment pour ne pas nuire à l'économie. Dans leur logique, les coronavirus devaient évidemment se concentrer sur « les perdants », sur la population « jetable », sur les populations « inférieures », migrants ou non, sur ceux dont la vie et la dignité ne valent rien, sur ceux qui devraient finalement se faire harakiri. Or, l'épidémie, comme nous le savons, est allée bien plus loin que prévu, et il a fallu changer d'approche de manière opportuniste.
Tout aussi démagogique et faux le discours des élites qui assure que le coronavirus « nous rend égaux », puisqu'il s'attaque aux riches comme aux pauvres.
Les gens riches (souligne Ingar Solty) peuvent se permettre de payer des soins médicaux 24 heures sur 24. En outre : « ...ils peuvent être testés pour le virus, même s'ils n'ont pas de symptômes, recevoir des concentrateurs d'oxygène, des masques respiratoires, etc., tandis que les travailleurs qui présentent des symptômes de covid-19 doivent se battre pour se faire tester et ensuite payer la facture ».
Les élites, selon un rapport du New York Times, se font construire des établissements isolés, avec un maximum de confort et d’équipements et du personnel clinique spécialisés ; elles se déplacent en yacht ou en avion privé vers des endroits qui ne sont pas encore touchés par le virus. Certaines « célébrités » achètent du gel antibactérien de marque et des masques de protection très chers (et se font des selfies qu’elles exhibent sur les réseaux sociaux). L’un préfère un élégant « masque urbain » de l’entreprise suédoise Airinum, doté de cinq couches de filtres et d’une « finition ultra douce idéale pour le contact avec la peau ». L’autre, celui de Cambridge Mask Co, une entreprise britannique qui utilise des « couches de filtre de particules et de carbone à usage militaire ».
Aux antipodes de ces millionnaires se trouvent les groupes qui, selon Boaventura de Sousa Santos, « ont en commun une vulnérabilité particulière qui date d’avant la quarantaine et qui s’est aggravée avec elle » : les femmes, les travailleurs précaires et informels, les marchands ambulants, les habitants des banlieues pauvres des villes, les personnes âgées, les internés dans les camps de réfugiés, les immigrés, les populations déplacées, les handicapés. En bref, la quarantaine renforce « l'injustice, la discrimination, l'exclusion sociale et la souffrance ».
Sousa Santos se pose (et nous pose) des questions percutantes : « Que doit être la quarantaine pour les sans-abri ? Des gens (...) qui passent leurs nuits dans des canalisations, des stations de métro ou de train abandonnées, des tunnels pour eau de pluie ou (...) des égouts, dans tant de villes dans le monde. Aux États-Unis, on les appelle les "tunnel people". À quoi doit ressembler la quarantaine dans ces tunnels ? ».
Mais une autre question parcourt la planète, au milieu de l'incertitude, de la peur, de l'avalanche croissante du nombre de morts et de personnes infectées, et des images glaciales de cadavres dans les rues : que se passera-t-il après l'épidémie ?
Antonio Guterres lui-même, le Secrétaire général des Nations unies, a déclaré : « ...nous ne pouvons pas revenir à la situation dans laquelle nous étions (...) avec des sociétés inutilement vulnérables à la crise. La pandémie nous a rappelé, de la manière la plus brutale possible, le prix à payer pour les faiblesses des systèmes de santé, des protections sociales et des services publics. La pandémie a mis en évidence et exacerbé les inégalités ».
Atilio Boron, dans la réflexion la plus lucide qui ait été écrite sur cette crise, affirme que « la première victime fatale » de la pandémie « a été la version néolibérale du capitalisme » : « un cadavre encore sans sépulture, mais impossible à ressusciter ».
Le capitalisme, en revanche, comme l'a dit Lénine, « ne tombera pas s’il n’existe pas de forces sociales et politiques pour le faire tomber ». Il a survécu à la « grippe espagnole » et au « terrible effondrement mondial » de la Grande dépression. Il a fait preuve d'une « résilience inhabituelle (...) pour traiter les crises et y compris à en sortir plus fort ». Par ailleurs, à l'heure actuelle, ni aux États-Unis ni en Europe, on ne perçoit ces « forces sociales et politiques » soulignées par Lénine, de sorte qu'il n'est pas réaliste de penser à un effondrement imminent du système capitaliste.
Atilio propose comme hypothèse de travail un monde post-pandémique avec « beaucoup plus d'État et beaucoup moins de marché », des masses populaires plus conscientes et politisées – grâce aux terribles leçons du virus et du néolibéralisme – et « enclines à rechercher des solutions solidaires, collectives et même socialistes ». En outre, au milieu d'une nouvelle géopolitique, avec un impérialisme étasunien discrédité, sans leadership et sans aucun type de prestige international.
Le scénario post-pandémique représente, pour Atilio, un « formidable défi » pour « toutes les forces anticapitalistes de la planète », et « une opportunité unique et inattendue qu'il serait impardonnable de laisser passer ». il nous faut « sensibiliser, organiser et lutter, lutter jusqu'au bout ».
Et d’évoquer Fidel lors d'une réunion du Réseau pour la défense de l'Humanité en 2012 : « ...Si on vous dit : soyez assurés que c’est la fin de la planète et que c’est la fin de cette espèce pensante, qu'allez-vous faire, vous mettre à pleurer ? Je pense qu’il faut lutter, c'est ce que nous avons toujours fait ».
Atilio a raison de se souvenir de Fidel face à la crise, à l'incertitude, à l'horreur et au spectacle du néolibéralisme, nu et ridicule comme le roi de la fable. Et aussi face aux espoirs qui pourraient s'ouvrir. Grâce à ses idées et à son travail, Cuba met son développement scientifique, et le secteur de la santé, et toutes les potentialités de l'État au service de l'être humain, et en particulier des plus vulnérables. Si nous voulons réfléchir avec sérieux à un monde futur plus juste, il faut se souvenir, comme Atilio, de Fidel et de Cuba.
Nos médecins et nos infirmiers internationalistes anticipent, jour après jour, cette utopie dont beaucoup rêvent aujourd'hui.
Abel Prieto (informacion@granmai.cu)

Source : http://solidarite-internationale-pcf.fr 01 mai 2020

samedi 2 mai 2020

GOUVERNER, C’EST AUSSI PRÉVOIR…




5 avr. 2020 [www.lesechos.fr]Le Covid-19, révélateur des exclus du numérique
16 avr. 2020 [www.nouvelobs.com]Le Covid-19, une maladie de pauvres

Des titres comme ceux-là, qu’on pouvait lire chaque jour durant la première quinzaine d’avril, m’ont remis en mémoire un événement auquel j’ai eu le bonheur d’assister en décembre 1991 et auquel j’ai consacré une chronique enthousiaste. Il s’agit du « Forum Santé & développement », qui s’est tenu dans la capitale du Ghana à l’initiative de l’Organisation mondiale de la Santé et du gouvernement ghanéen.
Quelqu’un a parlé de guerre à propos de la crise sanitaire en cours. Ce forum de 1991, c’était, en quelque sorte, un exercice préparatoire à cette sorte de guerre, un Kriegspiel. Il s’agissait de réfléchir à la meilleure façon de nous prémunir contre une éventuelle catastrophe sanitaire et ses inévitables conséquences sociales. Les peuples gagneraient beaucoup à ce que ceux qui prétendent les gouverner s’y adonnent plus souvent, et sérieusement.
A quelque chose, dit-on, malheur est bon. Peut-être Covid-19 enseignera-t-il à Alassane Ouattara et à Emmanuel Macron, son protecteur, que gouverner, c’est aussi prévoir…
M.A.




L’INITIATIVE D’ACCRA[1]

Tenu à Accra du 4 au 6 décembre 1991 à l'Initiative de l'OMS et du gouvernement ghanéen, le Forum Santé et Développement s'est achevé par l'adoption d'une déclaration et d'un programme d'Initiatives qui reflètent bien, à la fois, et les inquiétudes des participants devant la menace d'une crise sanitaire mondiale sans précédent et leur conviction qu'il n'est pas trop tard pour imaginer des politiques de développement qui ne sacrifient pas systématiquement le droit de millions de gens à une existence saine et digne aux objectifs de rentabilité financière des multinationales.
Flagstaff House
Placé sous l'égide de l'épouse du chef de l'Etat ghanéen et des « Premières Dames » d'Egypte, et du Nigeria, le Forum d'Accra avait pour thème central : « La Santé, condition du développement économique ». Il s'agissait de définir les actions susceptibles de « Rompre le cercle de la pauvreté et des inégalités ». En partant des enseignements d’expériences pilotes en cours en Egypte, au Zimbabwe, au Nigéria et au Ghana avec le soutien de l'OMS, les débats s'articulèrent autour de quatre points : le concept de vulnérabilité ; l'état de santé des groupes les plus vulnérables comme indicateur du niveau de développement ; la santé et le rôle des institutions financières ou comment concilier le souci de rentabilité et les besoins des populations défavorisées en matière de santé ; l'alphabétisation fonctionnelle comme moyen d’augmenter la capacité des groupés vulnérables à prendre toute leur place dans la société.
Jerry Rawlings et son épouse
Nana Konadu Agyeman-Rawlings
Dans son allocution d'ouverture, la « Première Dame » du Ghana devait préciser le motif de la réunion en ces termes : « Nous nous sommes assigné pour tâche de trouver des solutions pratiques au problème de la vulnérabilité et nous attendons de ce forum non seulement une déclaration et un plan d'action mais aussi qu'il émette des propositions concrètes en vue de créer des structures capables de jouer un rôle effectif dans la lutte contre le fléau de la vulnérabilité ». Puis ce fut le tour du Directeur Général de l'OMS et du chef de l’Etat ghanéen, présents à la tribune, de donner à l'assistance, chacun à sa manière, un aperçu imagé de l'état de la question.
« Notre souci commun, devait dire le Dr Hiroshi Nagashima, est de préserver la santé de tous les peuples de la planète. C'est  là une préoccupation légitime puisque chaque jour la santé de millions de gens est mise en péril. J'ai prévenu que si nous n'y prenons garde nous allons nous trouver face è une crise sanitaire mondiale d'une grande ampleur. Pour tous les pays, cette crise se caractériserait par un accroissement des risques sanitaires en raison de l'Industrialisation, de l’urbanisation galopante et de révolution des modes de vie et des systèmes de valeurs. Mais les pays en développement supporteraient, eux, un fardeau supplémen­taire du fait des maladies transmissibles associées à la pauvreté ».
Lui faisant en quelque sorte écho, le Président Rawlings com­para d'abord la situation des pays en développement à celle « d'un homme essayant de remonter un escalator au mouvement descen­dant... » : « Les leviers qui comman­dent la vitesse de l'escalator sont entre les mains des nations indus­trialisées, celles qui contrôlent les prix des marchandises et formulent les politiques qui gouvernent le commerce mondial et les relations Internationales ». D'où, conclut-il, l'Importance de « donner à ceux qui en sont venus à accepter la dureté de la vie et les privations comme leur lot, une petite étincelle de confiance dans leur propre capacité, qui leur donnera la possibilité de se libérer eux-mêmes… Il peut s'agir de l’accès à un modeste crédit, d’un cours d’alphabétisation fonctionnelle ou d'une formation en  vue de créer une entreprise rémunératrice… ».
Statue de Kwame NKrumah
Le ton était ainsi donné. Dans leurs rapports introductifs, les « Premières Dames » devaient amplifier et préciser ces notions avant d’avancer des propositions dans le domaine qui leur était imparti.
Le premier thème fut introduit par Mme Rawlings : « Dans son acception la plus large, devait-elle dire en substance, la notion de vulnérabilité inclut la tota­lité des facteurs négatifs ou des causes identifiables qui s'opposent à ce que les individus et les groupes aient une existence socialement et économiquement intéressante… Cette notion peut s'appliquer à toutes les situations où les gens sont victimes de politiques qui ne se soucient pas de la condition des pauvres, de tous ceux qui sont défavorisés par le sort ou par les contingences... Ce qui nous conduits à concentrer notre atten­tion sur les politiques et les projets pouvant le mieux garantir, notamment, une maternité sans risques, une alimentation suffisante, un environnement salubre, l'accès à l'eau potable, aux soins et au crédit, des prix stables, etc... ».
Puis ce fut au tour de Mme Moubarak de parler des rapports entre le niveau de développement d’un pays et l'état sanitaire de sa population : « Si l'importance des revenus, le degré d'instruction, l'espé­rance de vie sont de bons indica­teurs du niveau de développement d'une société, ils se trouvent tous, en dernière analyse, eux-mêmes réfléchis dans l'état de santé... Les groupes les plus vulnérables sont le miroir de la société dont ils réfléchissent tous les aspects de la santé et du bien-être... ».
Mme Babangida évoqua ensuite, avec humour, le caractère houleux que prennent tous tes débats dès qu'il y est question du rôle des banques et des institutions financières parce que « les gens qui ont besoin d'aide financière sont en général ceux dont la voix n'est pas écoutée ou qui ne sont pas assez forts pour se faire entendre »... « Il est grand temps, conclut-elle, qu'on cesse de considérer le développement économique seulement en termes de rentabilité…  Les institutions financières doivent rechercher un équilibre entre l'économique et le social, entre le commercial et l'humanitaire, entre la froide et inhumaine nécessité de la rentabilité et la possibilité pour les gens de vivre une existence plus digne ».
Dans son rapport, Mme Mugabe souligna le fait que l'analphabétisme condamne pratiquement les gens à dépendre d’autrui dans un monde dominé par l’écrit et bientôt par l'ordinateur, et fait ainsi d'eux des incapables sociaux et des poids morts dans le processus d'édification nationale, voire des facteurs d'instabilité sociale et politique. Aussi l'alphabé­tisation fonctionnelle lui apparaît-elle comme le meilleur moyen d'augmenter les possibilités de la société, parce qu'elle est la clé qui permet aux groupes vulnérables de comprendre qu'eux seuls sont capables de se sortir de leur marginalité et de se prendre en charge en matière de santé, de formation et d'emploi, afin de mieux faire face aux difficultés de leur vie.
Vue du parc mémorial Kwame NKrumah
Chacun de ces rapports donna lieu à des débats à la fois exigeants et étonnamment sereins et confiants. Exigence, sérénité et confiance qu'on retrouve dans la déclaration finale, conçue comme un agenda pour les actions futures en vue de réaliser dans les faits les souhaits des participants.
Et le simple observateur que j'étais fut d'autant plus peiné de constater que, quoique représentée par un ministre, la Côte d'Ivoire fut remarquablement absente de ces débats. Mais, n’est-ce pas tout à fait normal, avec les gens qui nous gouvernent ? Car il était question de la dignité des peuples, et ce sont des mots qui n'ont pas de sens pour Houphouët et ses ministres.
Marcel Amondji


[1] - Article paru dans Téré N° 43 du 4 février 1992.