samedi 16 décembre 2017

En France, « les militaires ont pris la main sur la diplomatie africaine »

Sans rompre avec la tradition républicaine de primauté du politique, le soft power militaire inspirerait de plus en plus les orientations de la diplomatie africaine de la France. Décryptage avec Hichem Ben Yaïche, expert en géopolitique et spécialiste de l’Afrique subsaharienne et Philippe Hugon, chercheur responsable de l’Afrique à l’IRIS.
« Aujourd'hui, les militaires ont pris la main sur la diplomatie. C'est-à-dire que, sans rompre pour autant avec la tradition républicaine qui affirme la suprématie du politique sur le militaire, on remarque qu'ils [les militaires, ndlr] ont de plus en plus voix au chapitre dans le processus de prise de décision qui touche à la diplomatie africaine », a constaté Hichem Ben Yaïche, rédacteur en chef de trois revues africaines.
Cet expert en géopolitique et spécialiste de l'Afrique subsaharienne explique à Sputnik comment, selon lui, l'influence de l'armée pèse de plus en plus sur la diplomatie française en Afrique. Ce soft power « s'est imposé de lui-même », car les militaires ont « l'imperium du terrain », où ils sont en première ligne et dont ils ont développé une expertise leur donnant accès à une légitimité, qu'ils revendiquent.
« En période de crise, on apprend à gérer des situations complexes. Et c'est ce qui donne avantage aux militaires en leur permettant d'exercer cette influence pour passer leurs points de vue », ajoute Ben Yaïche.
Mais ce constat s'analyse aussi comme un corollaire de la diplomatie de crise menée dans nombre de pays africains, même si elle est également active sur d'autres volets, notamment économiques. La crise malienne a confirmé cette orientation de la politique africaine de la France, en dépit du désir de « rupture » affiché par François Hollande en tout début de son mandat.
« Cette crise [malienne, donc, ndlr] et "le tournant de l'opération Serval" (2012) qu'elle a entraînée, a été l'élément déclencheur qui a fait entrer l'Afrique dans les priorités géopolitiques » de l'ancien Président, d'après Ben Yaïche.
Près de 4.000 militaires français sont en effet déployés aujourd'hui au Sahel, dans le cadre de la Force Barkhane, où se concentre la principale présence militaire française en Afrique.
Raison pour laquelle Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères (2012-2016), « a été prié de ne pas se mettre très en avant. On lui a même enlevé le pré carré africain » au profit des militaires et de Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense, promu de facto « ministre de l'Afrique ».
« Il est vrai qu'aujourd'hui, la direction Afrique du Quai d'Orsay est effacée alors qu'elle a toujours eu un rôle moteur par le passé. Les militaires ont pris la place laissée vacante par les diplomates. L'effacement de la direction d'Afrique du Quai d'Orsay a créé un vide. Aujourd'hui la politique africaine est surtout sécuritaire et non plus fondée sur une stratégie d'influence. La France se contente d'opérations militaires et de discours », analysait déjà, il y a deux ans, Laurent Bigot, ancien diplomate français, dans un numéro du Magazine de l'Afrique.
Cette tendance serait en train de se confirmer en dépit de la « la démission forcée » du chef d'État-major de l'armée, le général Pierre de Villiers, qui s'est confronté au chef de l'État sur le surcoût budgétaire des opérations extérieures de la France. Après une semaine de crise, en juillet dernier, le numéro 1 de l'armée française avait estimé « ne plus être en mesure d'assurer la pérennité du modèle d'armée » auquel il croyait ni de « soutenir les ambitions » de la France. Une polémique enfla, aussitôt alimentée par les irréductibles de la diplomatie militaire, notamment par les lobbies militaro-industriels français, autre facette de ce soft power.
« Il y a eu une levée de boucliers et toute une campagne orchestrée contre Macron, accusé de vouloir sacrifier l'armée », estime Ben Yaïche, estimant que « ces lobbies exercent un rôle important qui entend, aussi, engager un bras de fer avec le chef d'État sur le processus de prise de décision militaire ».
Un secteur qui relève pourtant de son domaine réservé de par l'article 15 de la Constitution. Une rupture de l'étroite affinité qui a toujours régné, selon Christophe Boisbouvier, auteur de Hollande l'Africain, entre le complexe militaro-industriel et les lieux de pouvoir politique ? Rien n'est moins sûr.
Le 13 décembre, une réunion de soutien à la nouvelle force antiterroriste G5 Sahel s'est tenue en région parisienne. À l'occasion de ce sommet, auquel ont été conviés les Présidents burkinabè, malien, mauritanien, nigérien et tchadien, les bailleurs de fonds (principalement l'Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis, les États-Unis et l'Union européenne) ont acté un soutien financier destiné à la force africaine. Ben Yaïche estime que cette décision va aussi, à terme, dans le sens souhaité par l'armée française, dans la mesure où elle réduirait les coûts de sa présence, tout en maintenant le cap des impératifs sécuritaires.
Un avis corroboré par le Think Tank international Crisis group : « sans se désengager complètement du Sahel, la France et les autres pays européens présents dans cette région tentent de limiter leur présente militaire au sol et de diminuer le coût financier de leurs opérations extérieures, en délégant une partie de celles-ci à leurs partenaires africains et à des drones », analyse un rapport produit le 12 décembre.
À travers la mise en place effective de la force G5 Sahel, « il y a effectivement cet objectif de désengager progressivement Barkhane, qui ne peut assurer à elle seule la lutte contre le terrorisme dans la bande sahélo-saharienne », reconnaît Philippe Hugon, directeur de recherche à l'Institut des Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), responsable de l'Afrique, dans une déclaration à Sputnik.
Mais l'objectif est surtout d'établir, à terme, « une pax Africana », à travers la responsabilisation des pays africains concernés, appelés à prendre en charge leurs propres défis sécuritaires. L'instrument est « la coopération militaire régionale, qui se substituera à des armées nationales défaillantes », selon Hugon.

Safwene Grira

Source : Sputnik 14 décembre 2017

vendredi 15 décembre 2017

Laurent Gbagbo à la Cpi : Une prise d’otage française

« Pourquoi un chef d’Etat africain doit-il payer de sa liberté pour les objectifs de politique étrangère propres à la France dans une instance internationale censée rechercher la justice ? ».
Le président Laurent Gbagbo à la CPI
Le 8 décembre 2017, contrairement à ce qu’elle avait annoncé, la Cour pénale internationale (Cpi) n’a pu terminer les auditions des témoins présentés par l’accusation dans l’affaire le procureur c. Laurent Gbagbo/Charles Blé Goudé. Il lui reste un dernier témoin qu’elle a prévu entendre les 17 et 19 janvier 2018 pour boucler cette phase du procès. Mais, déjà, le bilan qui peut être fait, montre suffisamment les insuffisances de l’instruction, car, après l’audition de 81 témoins et experts, les observateurs sont restés sur leur faim, encore en attente, jusqu’à ce jour, des preuves irréfutables des crimes pour lesquels le président Laurent Gbagbo est poursuivi, en application du « plan commun » qu’il aurait conçu pour « conserver le pouvoir par tous les moyens, y compris par l’emploi de la force contre des civils ».
Les uns après les autres, les plus hauts gradés de l’armée ivoirienne en fonction sous le président Laurent Gbagbo et sur qui l’accusation avait fondé beaucoup d’espoir en tant que témoins clés,  n’ont pas confirmé le « plan commun ». Ils  ont plutôt présenté la crise postélectorale au cours de laquelle les crimes auraient été commis,  comme le prolongement de la tentative de coup d’État de 2002 menée contre le président Laurent Gbagbo qui s’est muée en une rébellion dirigée par M. Guillaume Soro, un allié de M. Ouattara. Ils ont présenté l’accusé comme un homme de paix, qui cherchait plutôt à protéger les populations civiles, et exposé le dénuement total de l’armée ivoirienne qui, manifestement, n’avait pas été dotée en  moyens pour conduire une guerre qu’elle n’a, du reste, pas préparée.
Relativement aux quatre événements principaux sur lesquels l’accusation a reposé ses convictions, les témoignages ont renforcé les doutes quant à la réalité de deux d’entre eux : la répression de la marche des femmes pro-Ouattara le 3 mars 2011, et le bombardement du marché Siaka Koné le 17 mars 2011. Des éléments concordants font apparaitre ceux-ci plutôt comme une manipulation dans le but de fournir le prétexte à l’adoption, le 30 mars 2011, par le Conseil de sécurité des Nations unies, de la résolution 1975 qui empêchait « l’utilisation d’armes lourdes contre les populations civiles », et dont l’interprétation abusive a permis aux troupes françaises et onusiennes d’intervenir militairement pour donner le coup de grâce au régime du président Laurent Gbagbo en avril 2011.
Quant à la marche du 16 décembre 2010 sur la radiotélévision ivoirienne, plusieurs témoins, parmi lesquels des généraux, ont contesté son caractère pacifique, puisque des hommes armés, qui s’étaient infiltrés parmi les manifestants, ont attaqué les Forces de défense et de sécurité peu de temps après qu’elle a débuté.
En définitive, la phase d’audition des témoins de l’accusation a confirmé la vacuité du dossier et posé avec plus d’acuité, la question de l’opportunité du procès, mise en exergue à l’occasion  d’autres étapes antérieures de la procédure. Dans un tel contexte, les révélations faites par Médiapart prennent toute leur signification, car, combinées avec d’autres sources, elles contribuent à lever un coin de voile sur la raison véritable du transfèrement du président Laurent Gbagbo à la Cpi, qui ne réside pas dans la volonté d’incarcérer un criminel. Fanny Pigeaud (Médiapart) écrit en effet que, dans le contexte de la crise postélectorale de 2010-2011, « dans un premier temps, la CPI est … agitée comme une menace puis, au mépris manifeste des règles de procédure, manœuvrée comme la meilleure façon d’éloigner Laurent Gbagbo de la scène politique ». C’est donc pour atteindre cet objectif que la France a actionné un certain nombre d’acteurs.

Une manipulation française
Les révélations de Médiapart ont mis en lumière l’action de certains hauts fonctionnaires de la diplomatie française, particulièrement ceux qui avaient déjà officié à la Cpi comme collaborateurs de son procureur, pour certains en tout cas, ou même y travaillent toujours. Ainsi, le procureur de la Cpi a été démarché par la diplomate française Béatrice Le Fraper – qui fut directrice de cabinet d’Ocampo et principale conseillère à la CPI de 2006 à juin 2010 – soit pour lui suggérer de parler avec Ouattara, soit pour connaître le contenu de ses conversations avec celui-ci. Ces suggestions et curiosités de décembre 2010 et d’avril 2011 aboutissent au déclenchement de la procédure puisqu’elles conduisent Alassane Ouattara à saisir la Cpi à travers ses courriers du 14 décembre 2010 et du 3 mai 2011, même si à ces différentes dates, il n’avait pas encore prêté serment en tant que président de la République et donc n’avait aucune qualité pour le faire. Dans le même laps de temps, la direction Afrique du ministère français des affaires étrangères, à travers son responsable Stéphane Gompertz, s’est mis en relation téléphonique avec un « collaborateur » français du procureur de la Cpi, pour envisager le scénario juridique visant à maintenir Gbagbo en prison et renvoyer l’affaire à la CPI.
Cependant, il faut recourir à d’autres sources pour comprendre que  l’activisme de ces diplomates s’explique par l’ingérence outrancière dans le dossier, des plus hautes autorités gouvernementales françaises. Dans son ouvrage « Côte d’Ivoire. Le coup d’Etat » (Ed. Duboiris, 2011. Annexe 8), Charles Onana publie une lettre adressée le 25 février 2011 au président nigérian Goodluck Jonathan, par Nicolas Sarkozy, dans laquelle le président français lui suggère de « penser à trouver un Etat sous régional qui se chargera d’ester devant la Cour pénale internationale », en ce qui concerne le président Laurent Gbagbo. Il convient de signaler qu’à cette date, trois des quatre évènements majeurs sur lesquels la Cpi s’appuiera plus tard pour accuser le Président Laurent Gbagbo, ne s’étaient pas encore déroulés.  Mais, manifestement, peu importe pour le président français qu’il y ait eu des crimes imputables au président Gbagbo. Après avoir joué un rôle déterminant dans sa chute et son arrestation, le 11 avril 2011, le Président Nicolas Sarkozy veut aller plus loin sur le « cas Gbagbo ». Selon africaintelligence daté du 21 avril 2011, « Nicolas Sarkozy, en contact téléphonique quasi-quotidien avec Alassane Ouattara, souhaiterait que le nouveau président adresse un signal fort au club des chefs d'Etat africains, en envoyant son adversaire déchu devant la Cour pénale internationale (CPI) ».
Cette obsession présidentielle française sera exécutée à la lettre par les membres du gouvernement français. A la fin du mois de mai 2011, c’est le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, qui obtient le consentement de Ban ki Moon, le secrétaire général de l’ONU pour le transfèrement du président Laurent Gbagbo à la Cpi, en marge du sommet du G8  qui s’est tenu en France. Il pavait ainsi la voie au procureur de la Cpi, Luis Moreno-Ocampo, qui demandera, un mois plus tard, le 23 juin 2011, l’ouverture d’une enquête sur de possibles crimes, de guerre et contre l’humanité.
Le 29 septembre 2011, c’est au tour de Michel Mercier, ministre français de la justice, d’effectuer une visite conjointe étrange à La Haye, avec Coulibaly Gnenema, son homologue ivoirien. Les deux hommes rencontreront le Président de la Cpi. Alors que le ministre ivoirien plaidait pour un transfèrement du président Laurent Gbagbo à la Haye, le ministre français promettait le soutien entier de son pays dans le cadre des enquêtes relatives à l’affaire Gbagbo Laurent. Faut-il s’étonner alors que le 3 octobre 2011, c’est-à-dire le tout prochain jour ouvrable suivant cette visite conjointe, la Cpi ait décidé de l’ouverture d’une enquête en Côte d’Ivoire ?
Plus tard, soit trois jours avant le transfèrement du président Laurent Gbagbo à la Cpi, le 29 novembre 2011, Paris servira de cadre à d’ultimes concertations pour boucler l’opération.  Outre le diplomate Stéphane Gompertz, le procureur de la Cpi Ocampo y arrivera pour rencontrer le président français, Nicolas Sarkozy et Alassane Ouattara, son homologue ivoirien.
Ainsi, la France s’est retrouvée engagée dans la procédure à toutes les étapes : à la saisine de la Cpi, à la demande d’enquête, à la décision d’ouvrir une enquête et au transfèrement du président Laurent Gbagbo. C’est sous sa dictée que les différentes impulsions ont été données à chaque fois, par le régime Ouattara ou par la Cpi.
Mais, la France ne s’est pas contentée de faire incarcérer le président Laurent Gbagbo. Trois semaines après l’audience de confirmation des charges (19-28 février 2013), et avant même que la défense du Président Gbagbo ne dépose ses soumissions écrites (28 mars 2013), sans doute informé de la faiblesse du dossier de l’accusation, Laurent Fabius, alors ministre des Affaires étrangères, s’est précipité le 21 mars 2013 à La Haye. François Mattei écrit à cet effet que « Laurent Fabius s’y est … rendu après l’audience de confirmation des charges, pour discuter avec l’ambassadeur… de l’avancée du dossier. D’après nos sources, les derniers jours avant que les juges ne rendent leur verdict, le cabinet du ministre s’agite et tente de savoir ce que pourra être la décision » (Pour la vérité et la justice, p.289).
Le résultat de cette action diplomatique est désormais connu. Face à une insuffisance de preuves manifeste, plutôt que de prendre une décision infirmant les charges et libérer conséquemment le président Laurent Gbagbo, la Cpi optera pour une décision d’ajournement, tout en demandant à la procureure de fournir des preuves supplémentaires. Plusieurs sources ont d’ailleurs rapporté qu’« il a fallu l'intervention du ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, pour que la CPI renonce en juin 2013 à infirmer les charges en faveur du président Laurent Gbagbo ». Michel Galy, politologue et sociologue français, est encore revenu sur ce scandale récemment dans le nouveau courrier (N°1741 du lundi 04 Décembre 2017) en confiant qu’« il est connu que Fabius est allé à la Haye pour demander le maintien de Laurent Gbagbo à un moment où l’absence de charges aurait dû mener à sa libération ».

Indépendance et impartialité compromises
Comme il est loisible de le constater à travers cette chronologie, c’est la France qui a pensé la stratégie du transfèrement et l’a suggérée aux autres acteurs. M. Ouattara, en bon exécutant servile, a alors accompli les actes nécessaires, de saisine de la CPI. L’Onu a donné une caution internationale au transfèrement. Quant à la Cpi, ses organes se sont prêtés au jeu, en actionnant la procédure et en prenant les décisions nécessaires. S’il y a  donc un « plan commun » que la CPI cherche vainement dans le camp Gbagbo, c’est bien manifestement du côté de ce quatuor de conspirateurs qu’il se trouve.
A la suite d’une telle collusion avec les français, hauts fonctionnaires et membres du gouvernement, le procureur Ocampo Moreno peut-il  prétendre n’avoir subi aucune influence de leur part dans le traitement du dossier ivoirien ? Où est l’indépendance de l’institution lorsque l’une de ses chevilles ouvrières, en l’occurrence  le procureur, se laisse dicter ses actes par des personnes extérieures ? Où est l’indépendance de la Cpi si les procédures qu’elle doit utiliser lui sont suggérées de l’extérieur par un Etat dont l’implication dans la crise ivoirienne est de notoriété publique, sans aucune confrontation avec ses mécanismes internes ? Où est l’indépendance de l’institution lorsque la décision d’ouverture d’une enquête est soumise au financement d’une affaire spécifique d’un Etat intéressé ?  Pourquoi Ocampo s’adresse-t-il à des français diplomates ou hommes politiques pour envisager ensemble le fondement juridique d’un éventuel transfèrement ou encore renvoi de l’affaire par un Etat tiers ? Manifestement, les incitations, instructions diverses et pressions voilées des diplomates et autres hommes politiques français sont constitutives d’une ingérence extérieure inappropriée dans cette affaire ivoiro-Cpi. Et la France était d’autant plus mal placée qu’elle était partie prenante dans la crise ivoirienne.
Plus encore, peut-on soutenir que dans la situation en Côte d’Ivoire, il y a eu vraiment une absence de parti pris ? La Cpi a-t-elle fait preuve de neutralité, d'équité, et d'objectivité lorsque, dès le départ, l’un des protagonistes de la crise, en l’occurrence Alassane Ouattara, est aussi étroitement associé à la recherche d’une base juridique pour poursuivre son adversaire politique, et même impliqué dans une opération de détention abusive ? Incontestablement, il y a des raisons de douter de cette impartialité lorsque le procureur de la Cpi, Ocampo Moreno, s’érige en conseiller de Ouattara quand celui-ci doit présenter la situation judiciaire de la Côte d’Ivoire aux diplomates. Le Procureur de la Cpi, Luis Moreno-Ocampo, est-il dans son rôle lorsqu’il adresse le 27 mars 2012 une lettre de félicitations à Soro Guillaume, ex-chef de la rébellion, après sa désignation à la tête du Parlement ivoirien ? Dans toutes ces situations, il ne semble pas possible d’éliminer toute subjectivité dans l’attitude du procureur de la Cpi. Il ne faut donc pas s’étonner que des années après, aucun mandat d’arrêt n’a été lancé contre les animateurs du camp Ouattara qui a pourtant enclenché la rébellion et la guerre postélectorale en Côte d’Ivoire, et du côté de qui les organisations non gouvernementales des droits de l’homme ont documenté les crimes les plus atroces ?

Comment mettre fin à un procès inique
Que faire devant une violation aussi flagrante de ses devoirs d’indépendance et d’impartialité par le procureur Ocampo Moreno, surtout que, même parti, c’est le document de notification de charges qu’il avait rédigé, qui a servi de support pour l’audience de confirmation des charges, après une légère modification opérée par son successeur ?
Certes, le Statut de Rome prévoit la possibilité de récusation d’un procureur dont l’impartialité aurait été mise en doute. Mais Ocampo n’est plus là pour être récusé. De toute façon, à quoi aurait-il servi de récuser le seul procureur, puisque les révélations de médiapart montrent que Nicolas Sarkozy, le président français, avait fait du dossier ivoirien une affaire d’Etat et mis en branle tout le réseau diplomatique français ? Or, ils sont nombreux les Français qui travaillent à la CPI, y compris au sein du bureau du procureur.
En outre, il est de plus en plus question dans les médias et les réseaux sociaux de faire arrêter le procès après les révélations de Médiapart. En s’interrogeant sur la procédure idoine, le cas kényan nous revient en mémoire. En décembre 2014, l'accusation avait retiré les charges contre le président Uhuru Kenyatta parce qu’elle n’avait pas assez de preuves pour prouver sa responsabilité criminelle présumée, au-delà de tout doute raisonnable. Puis, le 13 mars 2015, la Chambre de première instance, notant le retrait par l'Accusation des charges portées à l'encontre de M. Kenyatta, avait décidé de mettre fin à la procédure dans cette affaire.
Dans le cas du président Laurent Gbagbo, le procureur et son bureau ont fini de présenter leurs témoins. Peuvent-ils, à la fin de ce cycle, faire eux-mêmes une autoévaluation, constater que les preuves présentées n’ont aucune consistance et retirer les charges contre le président Gbagbo ? De son côté, la défense peut-elle se contenter des déclarations des témoins produits par l’accusation et prendre le risque de demander que les juges se prononcent dès maintenant, en ne produisant ses propres témoins à décharge et les preuves abondantes dont elle dispose et qui pourraient indisposer des acteurs majeurs de cette crise ? Vu le caractère hypothétique de ces voies, il semble difficile d’envisager d’autre issue au procès, qu’une éventuelle décision d’acquittement qui ne pourrait intervenir qu’à la fin de tout le processus judiciaire.
C’est pour toutes ces raisons que, dans l’intervalle, la liberté provisoire a été envisagée comme une porte de sortie honorable pour la Cpi. Depuis, la décision d’ajournement, les observateurs ont pensé que les juges y recourraient pour prendre en compte les données pertinentes du procès : insuffisance de preuve décidée par deux juges sur trois, et confirmée par les témoignages à décharge de l’accusation. Mais, à ce jour, les juges n’ont pas encore accepté de lever le dernier obstacle à cette libération provisoire, à savoir l’existence d’un réseau de partisans qui pourrait empêcher le président Laurent Gbagbo de se présenter à la justice.
F. Tano 
Après les révélations de Médiapart qui nous informent suffisamment que le président Laurent Gbagbo a été incarcéré pour des motifs autres que la commission de crimes, et les interventions, plutôt à décharge des témoins produits par le procureur, cet argument peut-il toujours être soutenu ? Quel intérêt son réseau de partisans aurait-il à le retenir, sachant qu’aucune charge sérieuse ne pèse contre lui ? Pourquoi un chef d’Etat africain doit-il payer de sa liberté pour les objectifs de politique étrangère propres à la France dans une instance internationale censée rechercher la justice ? La Cpi a-t-elle été créée pour couvrir les déportations contemporaines que l’aventure coloniale avait initiées ?

Félix TANO (Maître de conférences agrégé en droit public et sciences politiques), 14 Décembre 2017

Source : CIVOX. NET 15 Décembre 2017

jeudi 14 décembre 2017

La leçon de Nana Akufo-Addo, président du Ghana

Les médias francophones, dont on connaît la propension au nombrilisme, y ont à peine prêté attention, quand ils ne l’ont pas tout simplement passé à la trappe.
Une indifférence équivalente au peu d’intérêt manifesté par les Ghanéens lors de la visite éclair chez eux, le 30 novembre, d’un chef d’État français quasi inconnu à Accra et qui tranche avec l’engouement démesuré suscité par les apparitions charismatiques de « Jupiter » à Ouagadougou et à Abidjan. Pourtant, le discours de neuf minutes chrono qu’a improvisé en anglais le président du Ghana, Nana Akufo-Addo (voir ci-dessous, à 10′ et à 20′), devant son hôte de quelques heures valait le détour et mérite qu’on y revienne. Cet avocat formé à l’université d’Oxford, fils d’un ancien président renversé par un coup d’État, trois fois candidat et deux fois battu, au pouvoir depuis onze mois, a profité de l’occasion pour délivrer à ses pairs africains une implacable leçon de choses et à un Emmanuel Macron visiblement admiratif la démonstration qu’il existe encore un fossé culturel entre le parler-vrai des chefs d’État anglophones et le parler déférent, pour ne pas dire obséquieux, de beaucoup de leurs homologues francophones.
Que dit Akufo-Addo ? Un : « Il est temps que les Africains cessent de conduire leur politique sur la base de ce que soutiennent ou souhaitent les Occidentaux, l’Union européenne ou la France. Ça ne marche pas, ça n’a jamais marché, ça ne marchera jamais. Arrêtons de nous demander ce que la France peut faire pour nous. La France fait de son mieux pour elle-même d’abord. Il est anormal que, soixante ans après l’indépendance, la moitié du budget ghanéen en matière d’éducation dépende de la charité des contribuables européens. Il est temps que les Africains financent eux-mêmes leurs dépenses de santé et d’éducation. Il est urgent de rompre avec notre mentalité d’assistés et de mendiants éternels ».
Deux : « L’émigration des Africains, c’est d’abord notre responsabilité à nous, gouvernants africains. Partout et toujours, en Italie et en Irlande au XIXe siècle comme en Afrique aujourd’hui, ce qui impulse les migrations, c’est l’incapacité à offrir aux jeunes la possibilité de travailler chez eux. Nos jeunes ne vont pas en Europe par plaisir, ils y vont à cause de nos échecs. L’énergie, l’ingéniosité, la résilience dont font preuve ces migrants pour traverser le désert et la Méditerranée doivent être investies ici, en Afrique. Oui, nous voulons que notre jeunesse reste ici ».
Alors inversons les choses, soyons autosuffisants, sortons de l’aide. We can do it !
Trois : « Mais, pour cela, il faut de la bonne gouvernance, il faut des dirigeants qui utilisent l’argent public non pas pour eux-mêmes mais pour le peuple, il faut des dirigeants qui rendent des comptes, il faut des institutions fortes. Je me pose souvent la question : pourquoi la Corée du Sud, la Malaisie et Singapour, qui ont acquis leur indépendance en même temps que nous et qui, en 1960, avaient un revenu par tête inférieur à celui du Ghana, appartiennent-ils aujourd’hui au premier monde et nous au troisième ? Que s’est-il passé ? Qu’est-ce qui n’a pas marché ? Je ne vois pas d’autre réponse que celle-ci : c’est notre responsabilité, pas celle des autres. En réalité, quand nous prenons en compte les immenses richesses de notre continent, c’est nous, Africains, qui devrions être en mesure d’aider le monde. Alors inversons les choses, soyons autosuffisants, sortons de l’aide. We can do it ! ».
Neuf minutes pour tout dire, ou presque. « Si vous aviez besoin d’avoir la preuve qu’une nouvelle génération de leaders en Afrique croit dans une nouvelle histoire pour l’avenir et la jeunesse, vous l’avez », a conclu Emmanuel Macron. Nouvelle génération ? Pas vraiment : Nana Akufo-Addo a 73 ans, un long passé de politicien et de ministre derrière lui. Langage différent : assurément. Le président ghanéen parle comme un Kagame, un Desalegn ou un Magufuli. Il y a chez lui un peu du Dambisa Moyo de Dead Aid (« l’aide fatale ») et une très grande « décomplexion » par rapport à l’héritage colonial. Bien rares encore sont les chefs d’État francophones à oser emprunter ce chemin. Quand on pense qu’il y a quelques mois à peine le Guinéen Alpha Condé faisait trembler ses pairs en les appelant à « couper le cordon ombilical avec la France »…

François Soudan (François Soudan est directeur de la rédaction de Jeune Afrique).

Source : Jeune Afrique 11 Décembre 2017.

COMMENTAIRES

Ajoutez M. Soudan que les... (Soumis par zogbe Ali le lun, 12/11/2017 - 22:14)

Ajoutez M. Soudan que les rares présidents francophones qui ont osé tenir ce type de discours se sont vu coller une rébellion aux fesses, avec en bonus un séjour à la CPI pour les plus résistants. Ça crève les yeux ça, non ? On n'a pas besoin de faire un dessin !


mercredi 13 décembre 2017

FAUT-IL DÉSESPÉRER DE L’UNITÉ AU SEIN DU FRONT POPULAIRE IVOIRIEN (FPI) ?

Est-il juste de croire que le FPI redeviendra ce grand parti qui a porté les espoirs de changements et de démocratisation de la société ivoirienne dans les années 1990 ?
Depuis la fin de la crise postélectorale qui a vu l’arrestation et le transfert du Président Laurent Gbagbo à la prison de la CPI, à la Haye en Hollande, le Front Populaire Ivoirien est frappé par de très fortes dissensions qui ont vu dans un premier temps l’éviction de la tête du parti de Mamadou Koulibaly sensé assurer l’intérim du Président statutaire Pascal Affi N’Guessan, à l’époque incarcéré à Bouna dans le nord du pays. Dès lors, Mamadou Koulibaly, pourtant dauphin constitutionnel du président Laurent Gbagbo, a plié bagage pour son propre parti – Leader – à partir duquel il tente d’exister sur l’échiquier politique national.
Mais au FPI les palabres ont continuées pour se cristalliser dans une lutte sans merci entre partisans du président statutaire Pascal Affi N’Guessan, qu’on accuse de vouloir « tourner la page Laurent Gbagbo », et les partisans de son vice-président Aboudramane Sangaré, qui soutien assurer l’intérim de Laurent Gbagbo depuis le Congrès illégal et contesté de Mama en fin d’année 2014.
D’un côté, sans une réelle stratégie et des objectifs précis, les partisans de Sangaré Aboudramane commencent à s’interroger sur sa démarche qui jusque-là consiste à tout boycotter tout en profitant des largesses du pouvoir en place (rente, sécurité, autorisation de manifester sous le sceau du FPI, etc.). De l’autre côté, les partisans du président statutaire Pascal Affi N’Guessan continuent de participer au jeu politique en multipliant les offensives diplomatiques, la participation aux diverses élections, les rencontres et conférences publiques, débats télévisés.
D’un côté comme de l’autre, chaque camp réalise son impuissance face aux dérivent totalitaires et dictatoriales des gouvernants. L’horizon semble donc sans issues. La nécessité d’aller à l’union, à la réconciliation interne commence à se dégager de plus en plus.
On peut aussi remarquer que, d’une part, les accusations sans réels fondements utilisées contre Pascal Affi N’Guessan pour vouloir l’écarter de la tête du parti, s’effondrent au fil du temps. La vérité sur les vraies raisons de la division apparaît progressivement en surface. Ce qui a pour résultat de décourager ceux qui y avaient crus et seuls les inconditionnels et radicaux qui sont allés très loin, trop loin même dans les attaques sont restés figés.
D’autre part, les combattants fatigués, les militants désespérés et désemparés s’orientent vers des ailleurs pas forcément meilleurs mais où ils espèrent trouver le couvert ou à défaut éviter les humiliations et les brimades qui sont le lot quotidien de tous ceux qui se réclament de l’ancien Président Gbagbo. Pour d’autres encore, le changement, c’est carrément prendre une option et changer d’activités, dégoutés par ce qui se passe au sein d’un parti pour lequel, ils étaient prêts à tout, jusqu’au sacrifice suprême. Tout ceci déteint négativement sur le Front Populaire Ivoirien.
Ainsi, le président statutaire et plusieurs autres responsables du parti appellent à l’union en vue de la remobilisation pour les échéances futures. C’est d’abord Pascal Affi N’Guessan lui-même qui, avant les élections de 2015, a continuellement appelé à l’union. Le point culminant de sa démarche se situe à la veille du référendum sur la nouvelle constitution ivoirienne où le président du FPI, pour inciter ses amis à taire les palabres et aller à l’union, a signé la pétition pour la libération du président Laurent Gbagbo. Alors que cette pétition avait été lancée par le camp Sangaré, son adversaire interne. Ces derniers jours, c’est le président Gbagbo qui s’est impliqué fortement et a obtenu le report sine die de l’organisation du Congrès par Pascal Affi N’Guessan en vue de donner une chance à la médiation qu’il a entamée pour réconcilier les parties adverses. Affi N’Guessan lui-même mobilise ces proches en les sensibilisant à l’union.
Dans le camp des dissidents l’on prône aussi l’union, depuis l’implication de Laurent Gbagbo, mais selon Justin Katinan Koné, porte-parole de celui-ci, cette union doit se faire autour de Sangaré Aboudramane selon le vœu du président Gbagbo. Ce qui semble ne pas gêner le président statutaire Pascal Affi N’Guessan qui avait dit, lors d’une conférence publique : « Si Sangaré m’appelle, toute affaire cessante, je cours vers lui ». Seulement, Affi N’Guessan ne va pas courir à l’aveugle vers Sangaré car l’enjeu ici, c’est la réforme du parti en vue des élections futures. Quel est donc le cadre de discussion que proposera Sangaré autour duquel, semble-t-il, cette union doit se faire ? Selon quelles modalités allons-nous à l’union ? Est-ce que le principe du « Gbagbo ou rien » ou du « match retour » est encore d’actualité ? Quelle ligne politique sommes-nous prêts à défendre ? Autant de questions qu’il faudra discuter selon l’esprit du « asseyons-nous et discutons » pour relancer la machine du Front Populaire Ivoirien, qui, malgré tout, en tenant compte de son projet, incarne les espoirs de démocratisation du pays, là où le RHDP rêve d’un retour au parti unique.

Une contribution de Georges Aka, Secrétaire national FPI/Europe


EN MARAUDE DANS LE WEB
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, ou que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».


Source : www.ivorian.net 

mardi 12 décembre 2017

1000 FAUSSES CNI PAR JOUR

 

Ils en délivraient 1000 par jour à Abidjan, au moment de notre enquête. Sur la base de vrais faux extraits de naissance et/ou certificats de nationalité. Les demandeurs, exclusivement des non Ivoiriens, payaient la somme de 20.000FCFA et, au bout de 48 heures, devenaient « Ivoiriens » avec leur vraie fausse CNI, en poche. Pendant les contrôles, les policiers n'y voient que du feu. De jour en jour, les contrefacteurs non inquiétés, se perfectionnent.
« Monsieur Assalé, depuis que j'ai lu votre enquête, j'ai peur pour le pays. On était plus ou moins informés de ce genre de choses, on a parfois pris des faussaires, mais ce que vous révélez là, après avoir infiltré ce réseau jusqu'à ce niveau en risquant votre vie, est inacceptable. Nous avons fait des demandes d'autorisation, mais elles ne sont pas encore venues, pour agir réellement... », m'avait dit un officier des RG. Ils n'ont jamais eu ces autorisations. Pourquoi ? Je n'en sais rien.
Aujourd'hui, avec ces fausses CNI, des individus s'offrent tous les droits. Ils peuvent aller vider votre compte en banque, intercepter un transfert d'argent, participer aux élections dans votre commune, vendre votre maison en votre nom, pour leur compte mais à votre insu (j'ai eu à travailler sur le cas d'un professeur d'université devenu « fou » après que des gens eurent vendu sa maison en son nom et pour leur compte), exproprier vos enfants, etc.
On nous avait promis que désormais, la CNI s'obtiendrait pour les Ivoiriens, au bout de quelques jours. Mais à ce jour, des demandeurs sont dans l'attente depuis près de deux ans. Pendant ce temps, par milliers, des non Ivoiriens deviennent chaque jour, de vrais faux Ivoiriens, dans le silence de tous.
Quand on enquêtait, j'avais égaré ma CNI, photocopie ci-jointe. Pour les besoins de l'enquête, je m'étais fait établir cette fausse CNI de couleur Orange, en payant 20 mille francs.
Dénoncer ce genre de choses, ce n'est pas magnifier une quelconque xénophobie. C'est attirer l'attention des décideurs sur ce qui, à terme, pourrait faire s'effondrer toute la République. Parce que les fraudeurs et autres faussaires ont démultiplié leurs productions. Je le sais. Et je le dis. A mes risques et périls. En toute conscience.

Tiémoko Assalé

Source : La Dépêche d'Abidjan 12 Décembre 2017

EN GUISE DE COMMENTAIRE

mercredi 29 novembre 2017

Un ex-général croate s'empoisonne lors d'une séance du Tribunal de la Haye

Accusé de crimes contre la population musulmane de Bosnie-Herzégovine, l’ex-général croate Slobodan Praljak a rejeté « avec mépris » le verdict de la Chambre d’appel du Tribunal pour l’ex-Yougoslavie de la Haye avant d'ingurgiter un poison, provoquant la suspension de son audience. Selon les médias locaux, l'ex-général est mort peu après.
L'ancien officier supérieur de l'armée croate, Slobodan Praljak, a avalé une fiole de poison après que la Chambre d'appel du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie de la Haye a refusé de réduire sa peine. En 2013, M. Praljak a été condamné à 20 ans de prison.

Âgé de 72 ans, Slobodan Praljak a ingurgité un liquide inconnu, déclarant qu'il n'était pas « un criminel de guerre » et qu'il rejetait « avec mépris » le verdict du Tribunal, a fait savoir Sky. 
L'audience du Tribunal a été suspendue, des médecins ont été dépêchés pour venir au secours du détenu. Selon les médias locaux, l'ex-général est mort peu après.
La semaine dernière, le Tribunal pour l'ex-Yougoslavie a condamné le commandant de l'armée de la République serbe en Bosnie Ratko Mladic à la réclusion à perpétuité.

Source : https://fr.sputniknews.com 29.11.2017

La crise des relations franco-ivoiriennes expliquée à Emmanuel Macron

André Prochasson, président de CI-RDV
Lettre ouverte du président de l’association Côte d’Ivoire : rechercher et dire la vérité (CI-RDV) au président de la république française à l’occasion du Ve Sommet Union africaine-Union européenne qui se tient à Abidjan.
Grenoble, le 24 novembre 2017

Monsieur le Président de la République,

Le 5ème Sommet Union africaine-Union Européenne se tiendra les 29 et 30 novembre 2017 à Abidjan, sur le thème « Investir dans la jeunesse pour un avenir durable ».
À l’approche de cette date, je me permets de vous rappeler notre courrier du 7 juin dernier, qui a de plus fait l’objet de deux courriels à votre Conseiller en charge de l’Afrique.
Monsieur le Président, comment écrire une nouvelle page des relations de notre pays avec la Côte d’Ivoire sans prendre en compte les responsabilités de la France ?
En effet, la France est intervenue directement et indirectement à de multiples reprises ; notamment l’intervention militaire d’avril 2011 en soutien à Monsieur Alassane Ouattara, qui a laissé des traces durables au sein des populations.
Le passé nous oblige ; il vous oblige.
Pourquoi, à long terme, est-il de l’intérêt supérieur de la France de changer de politique africaine ?
Le passé dans les relations entre la France et les pays d’Afrique est lourd de la traite négrière et de l’esclavage, des guerres coloniales et de la colonisation, et enfin, des indépendances entrecoupées de multiples interventions militaires.
Néanmoins, la francophonie et la francophilie sont deux composantes majeures des relations entre de nombreux Africains et Français, qui y sont très attachés.
Mais force est de constater que, dans le contexte de la mondialisation, la jeune génération devenant démographiquement prépondérante n’acceptera plus ce que ses aînés ont supporté.
En effet, même atténué par l’aide au développement et les actions caritatives, le caractère inégal des relations économiques, aggravé par les changements climatiques, ne peut que conduire à l’exil et l’émigration, à la violence et la guerre…
Il est donc de l’intérêt supérieur de la France d’engager une transition vers un nouveau paradigme dans les relations entre la France et l’Europe avec l’Afrique.
Ce nouveau modèle doit être fondé sur le principe de partenariats « gagnant-gagnant » ou mieux, de « juste échange ».
Cette transition implique le long terme, mais il est urgent d’agir aussi à court terme.
Pourquoi, à très court terme, est-il de l’intérêt supérieur de la France d’agir pour la libération des prisonniers politiques et le retour des exilés en Côte d’Ivoire ?
Les quelques libérations au compte-gouttes à l’approche d’évènements internationaux ne doivent pas faire illusion.
La société ivoirienne reste profondément divisée.
La réconciliation est – et restera – impossible tant que ne seront pas libres et rétablis dans leurs droits les prisonniers politiques et les exilés suite aux évènements de 2011 auxquels la France a participé activement.
La capacité de la Côte d’Ivoire à jouer un rôle stabilisateur au sein de la région en est affaiblie.
L’image de la France en Afrique est affaiblie.
Ces questions pourraient résonner dans les rues d’Abidjan, les 29 et 30 novembre.
C’est pourquoi, Monsieur le Président, sont attendus une parole forte et des actes de la part de la France, la France pays de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789, Paris ville de la signature de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Monsieur le Président, votre parole et vos actes doivent converger en faveur de la libération et l’acquittement de tous les prisonniers politiques, ainsi que du retour des exilés avec réintégration dans leurs droits.
Cette initiative de votre part est attendue, espérée et sollicitée, non seulement en Côte d’Ivoire, mais aussi en Afrique et à travers le monde, par des femmes et des hommes épris de Justice et de Paix.
Ce sera un acte fort et une étape indispensable vers le nécessaire changement dans les relations entre la France et l’Afrique.
Enfin, ce sommet est dédié à la jeunesse africaine.
Nos concitoyens épris de Liberté ne manqueront pas de se poser cette question majeure :
Quel « avenir durable » lorsque tant de jeunes Africains sont contraints à l’immigration au péril de leur vie ?
En effet, une bonne part des raisons et des solutions aux problèmes d’asile et d’immigration se trouve d’abord dans le pays de départ, où sévissent toutes les formes de persécutions, d’exploitation et de pillages des richesses, des hommes, des femmes, et trop souvent des enfants.
Puissiez-vous percevoir ces innombrables appels et signaux de détresse avant qu’il ne soit trop tard, pour la France aussi…
Une réelle transition dans les politiques africaines de la France et de l’Europe est possible.
Monsieur le Président, sachant pouvoir compter sur votre détermination, je vous prie, au nom de notre association, d’agréer l’expression de ma profonde déférence.

Signé : André Prochasson, président de Côte d’Ivoire : Rechercher et Dire la Vérité (association 1901)
Contact : ci-rdv@orange.fr

lundi 27 novembre 2017

Le Zimbabwe est-il bien cet enfer décrit très souvent par la presse occidentale ? Pas si simple, répond René-Jacques Lique.

R.J. Lique
Le Zimbabwe est-il bien cet enfer décrit très souvent par la presse occidentale ou l’écrivaine britannique Doris Lessing, prix Nobel de littérature ? Pas si simple, répond René-Jacques Lique, ancien journaliste de l’AFP spécialiste de l’Afrique Australe, auteur d’une biographie du président Robert Mugabe.[i]
Vous jugez très durement la couverture du Zimbabwe par les médias occidentaux qui portent un jugement assez unanime et sans concession sur le régime de Robert Mugabe. Pourquoi ?
Que les médias aient un jugement unanime et sans concession sur Mugabe, c’est une certitude. Mais j’ajouterai : partial, engagé et mensonger.
« Partial » parce qu’ils ne veulent voir qu’une face du Zimbabwe et que leur vision de l’histoire globale de ce pays s’arrête le plus souvent à 1980, date où Robert Mugabe est arrivé au pouvoir après avoir mené une très longue guerre d’indépendance coûteuse en vies humaines contre une régime raciste et ségrégationniste ignoble, d’abord quand la Rhodésie était une colonie britannique puis quand le Blanc Ian Smith en a proclamé unilatéralement l’indépendance vis-à-vis de Londres.
Si l’on oublie ou si l’on met de côté le très lourd passé de ce pays, depuis 1888, année où l’affairiste britannique Cecil Rhodes posa pied sur cette terre d’Afrique australe, alors on ne comprend rien au Zimbabwe des années 80 ni à celui d’aujourd’hui.
« Engagé », parce qu’il ne faut pas me faire croire que les journalistes ne connaissent pas le passé particulièrement odieux et injuste des régimes politiques qui ont dirigé ce pays avant Mugabe, et que ne pas en parler, c’est nier volontairement une partie des problèmes du présent. J’y reviendrai à propos de la terre pour répondre à votre deuxième question, mais, quand je lis dans des centaines et des centaines d’articles que Mugabe « confisque » la terre aux propriétaires blancs, et que jamais, absolument jamais, on ne s’interroge pour savoir comment ces « braves » fermiers Blancs ont acquis ces milliers d’hectares de terres agricoles – car au Zimbabwe on parle en milliers et non en centaines ou en dizaines comme en Europe –, alors nul doute que ce traitement de l’information, avec de graves omissions, est délibérément engagé. Et quand on s’engage, l’on ment parfois un peu, souvent passionnément.
Deux exemples seulement, mais j’en ai des dizaines en cartons.
Le premier : le bilan des victimes de ce que l’on a appelé les « massacres du Matabeleland », dans les années 1982-1983. C’est un gros post-it que les journalistes collent avec plaisir dans le dos de Mugabe quand ils rappellent son parcours.
J’ai épluché des dizaines d’articles évoquant ces événements, tant dans la presse francophone qu’anglophone. Les bilans cités vont de 5.000 morts à 40.000 morts et, le plus souvent à la louche, entre 10.000 et 20.000 morts.
Sauf que le bilan réel de ces affrontements, entre d’un côté, l’armée de Mugabe, et de l’autre, les partisans de son vice-président Joshua Nkomo et ceux que l’on appelait alors les « dissidents », un bilan, dressé en 1997 dans un rapport intitulé Briser le silence et établi par les plus farouches adversaires de Mugabe, les membres de la Commission catholique Justice et Paix, a dénombré, après des mois d’enquête, seulement 2.750 tués, tout en ajoutant qu’il y eut « sans doute plus » de victimes. Rien d’autre.
En compulsant mes archives, je n’arrivais pas à comprendre pourquoi tous les journalistes parlaient de 10 000 à 20 000 morts tout en citant comme source de leurs articles ce rapport Briser le silence. Je n’ai trouvé qu’un seul article, je dis bien un seul, dans le Daily Telegraph londonien, qui, en avril 2008, citant ce même rapport, rappelait, lui, ce seul bilan de 2.750 morts. La même semaine, le quotidien français Libération écrivait : « La répression aurait causé 20 000 à 30 000 morts ». Merveilleux conditionnel, qui autorise tout. Et désolé, mais ces journalistes ne sont pas des perdreaux de l’année, qu’ils ne plaident pas l’ignorance.
Le deuxième exemple que je vous citerai pour illustrer la mauvaise foi partisane des médias, est celui de la « dame décapitée ».
Fin avril 2002, Andrew Meldrum, correspondant du quotidien britannique The Guardian, raconte l’histoire horrible d’une pauvre Zimbabwéenne, favorable à l’opposition, qui a été décapitée à la hache par des partisans de Mugabe devant ses deux malheureuses petites filles. La même histoire est aussitôt reprise par les agences de presse, puis brodée de nouveau dans un autre journal londonien, The Independent. Andrew Meldrum et tous les journalistes occidentaux n’avaient en fait que repris et réécrit le récit de ce crime qu’avait publié le Daily News, un quotidien d’opposition du Zimbabwe.
Aucun, je dis bien aucun journaliste, n’a essayé de vérifier la véracité de ces faits pour le moins extraordinaires ! Une décapitation à la hache avec une motivation politique, cela n’est pas fréquent et mérite sans doute une investigation poussée. Mais on est au Zimbabwe, alors allons-y : répercutons l’info, faisons circuler, et on vérifiera après. Quand Andrew Meldrum et les journalistes du Daily News ont été traduits en justice pour diffusion de fausses nouvelles, ce fut un déchaînement contre le vilain Mugabe qui profitait de cette histoire pour brimer la presse et verrouiller la liberté d’information. Ah, oui !, j’ai oublié de vous préciser que toute cette histoire était complètement inventée et qu’elle était sortie par le biais d’un communiqué du MDC de Tsvangirai. Pas un média ne s’est attardé sur la crédibilité douteuse de ce parti d’opposition qui affirmait au monde entier que ses partisans étaient décapités à la hache, mais tous ont joué haro sur Mugabe, pourfendeur de la liberté de la presse. Si cette attitude n’est pas un traitement de l’information partisan, engagé et volontairement mensonger, cela y ressemble beaucoup ou alors les mots n’ont plus de sens.

Un authentique héro africain
Quel bilan tirez-vous de la gestion du pays par Robert Mugabe, 89 ans, qui vient de se faire réélire pour la 5e fois après 33 ans de pouvoir ? Notamment de la réforme agraire, aux résultats souvent présentés comme catastrophiques par Libération ? Ainsi, dans un pays considéré autrefois comme le grenier à blé de l’Afrique australe, « la faim est en progression » : « un habitant sur quatre des zones rurales » risque « d’avoir besoin d’une aide alimentaire », dixit le Programme alimentaire mondial (PAM).
Vous oubliez dans votre citation que le PAM précise que l’actuelle pénurie est due « à des conditions météo défavorables, à la rareté et au coût élevé des inputs agricoles comme les semences et les engrais, et au prix élevé des céréales dû à la mauvaise récolte de maïs ». Maintenant, si vous me demandez si c’est bien raisonnable de se porter candidat à sa succession à 89 ans, je vous dirai non.
Votre question comporte deux points : le bilan de la gestion du pays par Mugabe et la réforme agraire.
Je n’oserai vous dire que le Zimbabwe va bien ni que son économie et ses secteurs sociaux sont performants. C’est une évidence. Mais là encore, à qui la faute ? Au seul Mugabe ou, pour partie aussi, à la communauté internationale et à ses bras armés que sont la Banque mondiale et le FMI ? Et là encore, les médias ont de solides œillères quand il s’agit de comprendre pourquoi des secteurs comme l’éducation ou la santé sont en ruines. Est-ce que Mugabe s’est levé un beau matin en décrétant de réduire les salaires des fonctionnaires, des enseignants et du personnel soignants de 50% ; en décidant de la fin du contrôle des prix des produits de premières nécessité ; en mettant fin à la gratuité de certains services sociaux ; ou cela lui a-t-il été imposé dès 1992 par un plan d’ajustement structurel concocté par le FMI et la Banque mondiale ? La réponse est dans la question. Pour ce qui est des compressions des dépenses de l’Etat, le Zimbabwe a dû subir dix fois ce que l’Union européenne impose à la Grèce aujourd’hui. Du jour au lendemain, on a décrété la misère pour tous. Alors comment s’étonner que les profs, les médecins ou les infirmières se soient exilés en Afrique du Sud pour y trouver des salaires dignes de leur travail.
C’est même ce plan d’ajustement structurel très dur qui a fait émerger une opposition politique et a donné des ailes au syndicat que dirigeait à l’époque Morgan Tsvangirai, le Congrès zimbabwéen des syndicats (ZCTU). En juin 1993, le prix de la farine de maïs, aliment de base des Zimbabwéens, a augmenté d’un coup de 54%, à la suite de la suppression des subventions sur ce produit imposée par la Banque mondiale et le FMI. En même temps, le prix des transports a été multiplié par deux. Peut-on penser qu’en France, si, du jour au lendemain, la SNCF et la RATP augmentaient de 50% leurs tarifs cela ne provoque pas un mécontentement populaire ?
A cette époque, un rapport de la Banque mondiale portant sur 15 pays africains indiqua que le Zimbabwe était celui qui dépensait le plus pour ces services sociaux : 2,9% de son PIB pour la santé et 8,7% pour l’éducation, alors que la moyenne des autres pays n’était que de 1,2% pour la santé et de 3 % pour l’éducation. Mais le FMI et la Banque mondiale écrivirent noir sur blanc que ces dépenses étaient « antiéconomiques et rétrogrades ».
Tout ceci pour rappeler que, avant de jeter la pierre à Mugabe, sachons aussi qui a « cogéré » ce pays par instances internationales interposées. Enfin, à propos de la réforme agraire, là encore, il y a beaucoup à dire. Pour les médias, c’est encore Mugabe qui, en 2000, après dix ans d’inertie et mis à mal sur le plan électoral, a décidé de lancer cette réforme en force pour se refaire une popularité dans les campagnes et chez les anciens combattants. Sauf que rien n’est plus faux.
Un peu d’histoire s’impose, même si cela fatigue certains. Après plus de dix ans de guerre de libération, la Grande-Bretagne a mis fin au massacre en imposant à Ian Smith l’acceptation des Accords de Lancaster House en décembre 1979, des accords signés de la main du ministre britannique des Affaires étrangères et du Commonwealth, Lord Carrington, mais aussi par Ian Smith et Mugabe entre autres.
Que disaient ces accords à propos de la terre ? Ils reconnaissaient le problème de leur détention par les colons blancs, mais interdisait au futur gouvernement zimbabwéen, en l’occurrence celui de Mugabe, de s’approprier ces terres avant dix ans sans octroyer aux colons une compensation financières « au prix du marché et en devises », c’est-à-dire au prix fort.
Comme on savait pertinemment que le futur gouvernement zimbabwéen n’aurait jamais les moyens de racheter ces terres aux colons, la Grande-Bretagne s’était engagée verbalement, par la voix de Lord Carrington en personne, à aider financièrement le Zimbabwe pour ces rachats.
Un : cela n’eut jamais lieu. Ni les gouvernements conservateurs et encore moins ceux travaillistes de Tony Blair ou Gordon Brown n’ont sorti le moindre penny pour aider le gouvernement à racheter ces terres.
Deux : pourquoi, au fond, la possession de ces terres était un réel problème si ce n’est le problème majeur du Zimbabwe indépendant ? La réponse vient en quelques données simples à comprendre pour qui veut s’en souvenir.
Avant la réforme agraire de Mugabe, la Rhodésie en a connu d’autres, et des belles dont plus personne ne parle aujourd’hui : celles des premières années de la colonisation, entre 1890 et 1914, celle du Land Apportionment Act de 1930, et enfin celle adoptée en 1969 après la proclamation de la Rhodésie indépendante qui ficela le paquet-cadeau offert à Mugabe en 1980, le Land Tenure Act. Toutes avec l’assentiment britannique, excepté celle de 1969, mais le gros du remodelage spatial était déjà achevé.
La particularité de ces réformes ? La gloutonnerie des Blancs, la ségrégation territoriale et leur corollaire, une inégalité criarde de la répartition de la richesse. Certains ont appelé cette Rhodésie découpée en morceaux un « joyau ». D’autres, comme le géographe français Michel Foucher, soulignèrent que « à la différence des États voisins (Zambie, Malawi), à la différence aussi du Kenya, en Rhodésie du Sud, la totalité du territoire jugé utile et utilisable a été répartie, selon les critères exclusifs de la race et explicites de la ségrégation géographique ».
On parqua les Noirs, au départ, pour éviter les révoltes politiques, puis pour les écarter des terres productives. On déplaça des millions de personnes dans des « native réserves ». A l’arrivée, une Rhodésie en trois morceaux : le domaine de l’État, puis les terres riches et fertiles, proches des moyens de transport et des villes, attribuées aux colons blancs, et enfin les terres abandonnées aux paysans noirs, les plus pauvres et les plus éloignées de tout. Mais ceci fut fait dans l’intérêt de tous, pour « réduire les points de contact entre les deux races », écrivit en 1931, une Commission britannique qui se penchait déjà sur le problème de la répartition des terres. En 1970, quand fut voté le Land Tenure Act, on sortit les calculettes : 45 millions d’acres rhodésiennes pour les 5,8 millions Africains, 45 millions d’acres pour les 273.000 Européens blancs. C’est ce qui explique le gigantisme des terres commerciales possédées par les fermiers blancs quand Mugabe a voulu y toucher.
Le vice-ministre de l’Agriculture qu’avait fait nommer Morgan Tsvangirai quand il était Premier ministre en 2009, le Blanc Roy Bennet possédait une plantation de café de 2000 hectares ! Quand Mugabe lança la réforme et entreprit de récupérer ces terres, tout le monde cria au scandale, mais personne ne se demanda comment le gentil Roy Bennet était devenu propriétaire d’une modeste plantation de 2000 hectares. Pour information la taille moyenne des exploitations agricoles en France est de 73 hectares. Cherchez l’erreur.
En novembre 2001, le gouvernement de Mugabe a tenté de saisir près de la moitié des terres que possédait encore la famille Oppenheimer, l’une des plus riches familles d’Afrique du Sud qui contrôle l’Anglo American et le géant minier la De Beers Investments. A l’époque, la famille Oppenheimer possédait 140.000 hectares de terres au Zimbabwe. De quoi donner le tournis aux céréaliers de la Beauce.
Ces rappels historiques sont essentiels si l’on veut comprendre la violence d’aujourd’hui. Les milliers de combattants qui ont pris les armes dans les années 70 pour renverser le régime raciste rhodésien ne l’ont pas fait pour les beaux yeux de Mugabe, mais bel et bien parce qu’ils subissaient de plein fouet l’injustice et la ségrégation. Ce sont ces gens qui ont voté et qui votent encore pour Mugabe. Quand on ose écrire que Mugabe « confisque » la terre des Blancs en 2000, c’est insultant : qui a véritablement confisqué la terre en 1888, en 1930 puis en 1970 ?
Dans l’article de Libération dont vous faites état dans votre question, à aucun moment, on ne rappelle comment ces Blancs ont pu entrer en possession de telles surfaces et de telles fortunes. On nous dresse toujours un tableau idyllique de fermiers blancs grâce à qui le Zimbabwe était un merveilleux grenier à blé auquel Mugabe a mis le feu. Moi, je veux bien, mais là encore on oublie les conditions de travail qui ont permis d’arriver à ce grenier à blé, si cher aux journalistes. Travail forcé qui cachait son nom pendant toute la colonisation, c’est-à-dire pendant un siècle.
Dès le départ, les Britanniques ont obligé les Zimbabwéens à travailler sur leurs plantations en instaurant un impôt sur les huttes ! C’est tout ce que les colons de Cecil Rhodes trouvèrent puisque les autochtones ne possédaient rien d’autre sur quoi on aurait pu les imposer. Pour payer cet impôt maudit, des générations et des générations d’Africains ont dû trimer dans les champs pour des salaires de misère. Puis on a adopté une multitude de lois sur le travail, sur les rapports entre patrons et salariés, toutes taillées sur mesure pour asservir encore davantage la main d’œuvre africaine. Voilà qui explique comment monsieur Roy Bennet a pu devenir propriétaire d’une fructueuse plantation de 2000 hectares de tabac.
Puis après l’indépendance, ces lois d’un autre âge ont été abolies, mais les conditions d’exploitation de la main d’œuvre n’ont guère changé. En 2000, quand certains Blancs ont quitté le Zimbabwe pour s’installer dans des pays voisins, l’Agence France Presse est allée enquêter sur ces fermiers qui pour certains s’étaient réinstallés en Zambie. Combien étaient payés les ouvriers agricoles zambiens embauchés par ces anciens fermiers zimbabwéens ? 100.000 kwachas par mois, soit 30 dollars. Pile le seuil minimum de pauvreté fixé à l’époque à un dollar par jour par l’ONU et la Banque mondiale. Pas « joli joli », le grenier à blé quand on ouvre un peu les portes pour aller voir comment il s’est forgé.
Une dernière comparaison pour mieux faire comprendre la réalité du Zimbabwe indépendant. Aurait-on pu imaginer que, lors de la signature des Accords d’Evian qui mirent fin à la guerre d’Algérie en mars 1962, de Gaulle impose à Ben Bella que les colons restent sur le territoire algérien en possession de tous leurs biens ? Impensable ! C’est pourtant ce que Londres a imposé au Zimbabwe et à Mugabe, sans jamais les aider par la suite à corriger les inégalités criardes qui en découlèrent.
Que cette réforme agraire se fit dans la douleur, qu’elle ne fut pas couronnée de succès rapidement, c’est une évidence ; mais, encore une fois, à qui la faute ?
Vous êtes très sévère vis-à-vis de l’opposant Morgan Tsvangirai. Vous dites notamment que son parti a été créé de toutes pièces par la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, et qu’il travaille avec des Blancs qui ont œuvré sous l’ancien régime colonial… N’est-il donc qu’une marionnette ?
Vous m’obligez à prendre de nouveau la casquette d’historien. Le Mouvement pour le changement démocratique (MDC) de Morgan Tsvangirai a été créé en septembre 1999 sur une décision du puissant Congrès zimbabwéen des syndicats (ZCTU), qui revendiquait 300.000 adhérents et dont Tsvangirai était le secrétaire général. Personne ne nie cette réalité ni, donc, l’enracinement zimbabwéen de ce parti. Le MDC comprenait même des militants d’extrême gauche. Mais dès le premier congrès constitutif de ce parti, on vit dans les couloirs Georg Lemke, représentant du Syndicat danois pour le développement international et la coopération. Un mois plus tard, le Danemark posait d’innombrables conditions au Zimbabwe pour lui accorder une aide de 150 millions de dollars.
Quinze jours après le lancement de son parti, en octobre 1999 très exactement, Morgan Tsvangirai s’envola pour une tournée européenne pour y chercher des fonds et ne s’en cacha même pas. Au programme : Pays-Bas, Belgique, Allemagne, Suède, Finlande et bien sûr la Grande-Bretagne.
Pour parfaire le soutien à ce parti, les Britanniques ont créé, en avril 2.000, le Zimbabwe Democracy Trust (ZDT). Qui trouve-t-on au directoire de cet organisme charitable ? Trois anciens ministres des Affaires étrangères britanniques, membres du Parti conservateur : Malcolm Rifkind, Douglas Hurd et Geoffrey Howe.
Dès sa création, le ZDT organise une nouvelle visite guidée à Londres et aux Etats-Unis pour Tsvangirai. Et là, les discrets donateurs de cette institution se révèlent : Sir John Collins, président du conseil d’administration du National Power, la puissante société d’énergie britannique qui contrôlait toute l’électricité au Zimbabwe. Sir Malcolm Rifkind, lui aussi légèrement intéressé par le Zimbabwe, puisqu’il travaillait pour la compagnie minière australienne Broken Hill Proprietary (BHP), un géant du secteur minier qui quitta à contre cœur le Zimbabwe en 1999 après des déboires financiers et des investissements de 585 millions de dollars américains dans une mine de platine à Hartley, à 80 km à l’ouest de Harare.
Mais la liste des gentils donateurs n’est pas finie : on trouvait aussi l’ancien secrétaire d’État américain pour les Affaires africaines, Chester Crocker, très soucieux des problèmes humanitaires et de la liberté des Zimbabwéens, et à peine motivé par les intérêts de la compagnie minière Ashanti Gold Fields dont il était un des directeurs associés. Ashanti Gold Fields possède bien évidemment des mines au Zimbabwe. Le cocasse de l’histoire, c’est qu’au moment où Chester Crocker tenait par la main Tsvangirai et lui expliquait sans doute toute la compassion qu’il avait pour le peuple zimbabwéen, les mineurs d’Ashanti Gold Fields à Bindura, dans le nord du Zimbabwe, menaient une grève dure pour obtenir des augmentations de salaires qu’ils n’obtinrent jamais.
Autre grand pourvoyeur de fonds pour les ONG du Zimbabwe qui sont accolées au MDC de Tsvangirai, la Westminster Foundation for Democracy, qui est financée quasiment à 100% par le gouvernement britannique. Du jour au lendemain, les ONG zimbabwéennes favorables à l’opposition se sont retrouvées avec des budgets colossaux.
La Westminster Foundation a son pendant aux Etats-Unis, la National Endowment for Democracy (NED). La NED ne fait pas dans le détail : argent, support technique, fournitures en tout genre, programme de formation, savoir-faire pour les médias, assistance en relations publiques, équipements de pointes, le tout attribué généreusement aux formations politiques qu’elle a sélectionnées, à des organisations de la société civile, à des syndicats, à des mouvements dissidents, groupes d’étudiants, éditeurs, journaux et autres médias.
En sachant tout cela, si l’on veut m’expliquer que le MDC est un parti totalement indépendant des puissances étrangères, cela risque d’être long.
Enfin, en ce qui concerne l’autre aspect douteux du MDC, celui des Blancs zimbabwéens qui en sont membres, là encore, le traitement médiatique qui leur est réservé est formidable. On a l’impression que ces gens sont une génération spontanée qui aurait été parachutée sur le Zimbabwe en 1980, sans aucun passé derrière eux.
Deux exemples : Roy Bennet, pauvre planteur de tabac, propriétaire de 2000 hectares expropriés par Mugabe, et qui fut nommé vice-ministre de l’Agriculture par Morgan Tsvangirai. Et David Coltart, lui aussi nommé ministre de l’Education par le MDC, et présenté par tous les médias confondus comme un ardent avocat défenseur des droits de l’Homme, catholique bon teint. David Coltart fut même l’un des rapporteurs de « Briser le silence » dont nous avons parlé précédemment, c’est dire si les questions des droits de l’Homme lui collent à la peau. Mais hélas pour Tsvangirai et hélas pour eux, ces gens-là ont bel et bien un passé qui n’est pas reluisant.
Avant d’être avocat et avant de défendre les droits de l’Homme, David Coltart a eu le temps de les bafouer un peu puisqu’il fut engagé volontaire dans la terrible police politique du régime blanc de Ian Smith, la British South Africa Police (BSAP). Il s’est engagé à 21 ans, en 1975, et n’en est ressorti qu’en 1978. Trois ans dans une police qui tuait, torturait, empoisonnait à l’anthrax pour maintenir en vie un régime raciste mourant.
Les crimes commis par cette police rhodésienne ont été minutieusement recensés par la Commission internationale des juristes de Genève qui publia un rapport sur ses exactions en 1976, un an avant que le jeune Coltart ne s’enrôle. Quand son passé fut connu, David Coltart tenta de faire croire qu’il n’avait jamais rencontré le moindre rebelle quand il était policier, mais le temps aidant, et à l’occasion d’une violente querelle avec son ancien ami Roy Bennet, il admit que cette police commit des crimes odieux. Roy Bennet, lui, est entré dans la BSAP en 1973 à 17 ans pour ne la quitter qu’en juillet 1978.

Anciens combattants de la guerre d’indépendance lors d’une manifestation
de soutien au président Robert Mugabe à Harare, le 29 août 2007.
Sur l’affiche verte, on peut lire : « A bas les impérialistes occidentaux ! ».
© Reuters – Philimon Bulawayo
Mais comme par miracle, ces gens-là n’ont aucun passé pour les médias. Roy Bennet n’est qu’un pauvre planteur de tabac que l’on a spolié et Coltart, un ardent défenseur des droits de l’Homme. Si les médias occidentaux ne veulent pas connaître le passé de certains, les Zimbabwéens eux, le connaissent bien, et cela explique aussi à mon avis pourquoi le MDC est violemment rejeté par une grande partie de la population qui a encore en mémoire ce qu’elle a eu à subir de l’armée et de la police du temps de Ian Smith. N’oublions pas que la majorité des anciens combattants sont encore en vie.

Source : https://eburnienews.net & francetvinfo.fr 22 Novembre 2017

([i]) - René-Jacques Lique, Mugabe, Robert Gabriel, «Souillure» or not «Souillure», L’Harmattan, 2009