mercredi 29 novembre 2017

Un ex-général croate s'empoisonne lors d'une séance du Tribunal de la Haye

Accusé de crimes contre la population musulmane de Bosnie-Herzégovine, l’ex-général croate Slobodan Praljak a rejeté « avec mépris » le verdict de la Chambre d’appel du Tribunal pour l’ex-Yougoslavie de la Haye avant d'ingurgiter un poison, provoquant la suspension de son audience. Selon les médias locaux, l'ex-général est mort peu après.
L'ancien officier supérieur de l'armée croate, Slobodan Praljak, a avalé une fiole de poison après que la Chambre d'appel du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie de la Haye a refusé de réduire sa peine. En 2013, M. Praljak a été condamné à 20 ans de prison.

Âgé de 72 ans, Slobodan Praljak a ingurgité un liquide inconnu, déclarant qu'il n'était pas « un criminel de guerre » et qu'il rejetait « avec mépris » le verdict du Tribunal, a fait savoir Sky. 
L'audience du Tribunal a été suspendue, des médecins ont été dépêchés pour venir au secours du détenu. Selon les médias locaux, l'ex-général est mort peu après.
La semaine dernière, le Tribunal pour l'ex-Yougoslavie a condamné le commandant de l'armée de la République serbe en Bosnie Ratko Mladic à la réclusion à perpétuité.

Source : https://fr.sputniknews.com 29.11.2017

La crise des relations franco-ivoiriennes expliquée à Emmanuel Macron

André Prochasson, président de CI-RDV
Lettre ouverte du président de l’association Côte d’Ivoire : rechercher et dire la vérité (CI-RDV) au président de la république française à l’occasion du Ve Sommet Union africaine-Union européenne qui se tient à Abidjan.
Grenoble, le 24 novembre 2017

Monsieur le Président de la République,

Le 5ème Sommet Union africaine-Union Européenne se tiendra les 29 et 30 novembre 2017 à Abidjan, sur le thème « Investir dans la jeunesse pour un avenir durable ».
À l’approche de cette date, je me permets de vous rappeler notre courrier du 7 juin dernier, qui a de plus fait l’objet de deux courriels à votre Conseiller en charge de l’Afrique.
Monsieur le Président, comment écrire une nouvelle page des relations de notre pays avec la Côte d’Ivoire sans prendre en compte les responsabilités de la France ?
En effet, la France est intervenue directement et indirectement à de multiples reprises ; notamment l’intervention militaire d’avril 2011 en soutien à Monsieur Alassane Ouattara, qui a laissé des traces durables au sein des populations.
Le passé nous oblige ; il vous oblige.
Pourquoi, à long terme, est-il de l’intérêt supérieur de la France de changer de politique africaine ?
Le passé dans les relations entre la France et les pays d’Afrique est lourd de la traite négrière et de l’esclavage, des guerres coloniales et de la colonisation, et enfin, des indépendances entrecoupées de multiples interventions militaires.
Néanmoins, la francophonie et la francophilie sont deux composantes majeures des relations entre de nombreux Africains et Français, qui y sont très attachés.
Mais force est de constater que, dans le contexte de la mondialisation, la jeune génération devenant démographiquement prépondérante n’acceptera plus ce que ses aînés ont supporté.
En effet, même atténué par l’aide au développement et les actions caritatives, le caractère inégal des relations économiques, aggravé par les changements climatiques, ne peut que conduire à l’exil et l’émigration, à la violence et la guerre…
Il est donc de l’intérêt supérieur de la France d’engager une transition vers un nouveau paradigme dans les relations entre la France et l’Europe avec l’Afrique.
Ce nouveau modèle doit être fondé sur le principe de partenariats « gagnant-gagnant » ou mieux, de « juste échange ».
Cette transition implique le long terme, mais il est urgent d’agir aussi à court terme.
Pourquoi, à très court terme, est-il de l’intérêt supérieur de la France d’agir pour la libération des prisonniers politiques et le retour des exilés en Côte d’Ivoire ?
Les quelques libérations au compte-gouttes à l’approche d’évènements internationaux ne doivent pas faire illusion.
La société ivoirienne reste profondément divisée.
La réconciliation est – et restera – impossible tant que ne seront pas libres et rétablis dans leurs droits les prisonniers politiques et les exilés suite aux évènements de 2011 auxquels la France a participé activement.
La capacité de la Côte d’Ivoire à jouer un rôle stabilisateur au sein de la région en est affaiblie.
L’image de la France en Afrique est affaiblie.
Ces questions pourraient résonner dans les rues d’Abidjan, les 29 et 30 novembre.
C’est pourquoi, Monsieur le Président, sont attendus une parole forte et des actes de la part de la France, la France pays de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789, Paris ville de la signature de la Déclaration universelle des droits de l’homme.
Monsieur le Président, votre parole et vos actes doivent converger en faveur de la libération et l’acquittement de tous les prisonniers politiques, ainsi que du retour des exilés avec réintégration dans leurs droits.
Cette initiative de votre part est attendue, espérée et sollicitée, non seulement en Côte d’Ivoire, mais aussi en Afrique et à travers le monde, par des femmes et des hommes épris de Justice et de Paix.
Ce sera un acte fort et une étape indispensable vers le nécessaire changement dans les relations entre la France et l’Afrique.
Enfin, ce sommet est dédié à la jeunesse africaine.
Nos concitoyens épris de Liberté ne manqueront pas de se poser cette question majeure :
Quel « avenir durable » lorsque tant de jeunes Africains sont contraints à l’immigration au péril de leur vie ?
En effet, une bonne part des raisons et des solutions aux problèmes d’asile et d’immigration se trouve d’abord dans le pays de départ, où sévissent toutes les formes de persécutions, d’exploitation et de pillages des richesses, des hommes, des femmes, et trop souvent des enfants.
Puissiez-vous percevoir ces innombrables appels et signaux de détresse avant qu’il ne soit trop tard, pour la France aussi…
Une réelle transition dans les politiques africaines de la France et de l’Europe est possible.
Monsieur le Président, sachant pouvoir compter sur votre détermination, je vous prie, au nom de notre association, d’agréer l’expression de ma profonde déférence.

Signé : André Prochasson, président de Côte d’Ivoire : Rechercher et Dire la Vérité (association 1901)
Contact : ci-rdv@orange.fr

lundi 27 novembre 2017

Le Zimbabwe est-il bien cet enfer décrit très souvent par la presse occidentale ? Pas si simple, répond René-Jacques Lique.

R.J. Lique
Le Zimbabwe est-il bien cet enfer décrit très souvent par la presse occidentale ou l’écrivaine britannique Doris Lessing, prix Nobel de littérature ? Pas si simple, répond René-Jacques Lique, ancien journaliste de l’AFP spécialiste de l’Afrique Australe, auteur d’une biographie du président Robert Mugabe.[i]
Vous jugez très durement la couverture du Zimbabwe par les médias occidentaux qui portent un jugement assez unanime et sans concession sur le régime de Robert Mugabe. Pourquoi ?
Que les médias aient un jugement unanime et sans concession sur Mugabe, c’est une certitude. Mais j’ajouterai : partial, engagé et mensonger.
« Partial » parce qu’ils ne veulent voir qu’une face du Zimbabwe et que leur vision de l’histoire globale de ce pays s’arrête le plus souvent à 1980, date où Robert Mugabe est arrivé au pouvoir après avoir mené une très longue guerre d’indépendance coûteuse en vies humaines contre une régime raciste et ségrégationniste ignoble, d’abord quand la Rhodésie était une colonie britannique puis quand le Blanc Ian Smith en a proclamé unilatéralement l’indépendance vis-à-vis de Londres.
Si l’on oublie ou si l’on met de côté le très lourd passé de ce pays, depuis 1888, année où l’affairiste britannique Cecil Rhodes posa pied sur cette terre d’Afrique australe, alors on ne comprend rien au Zimbabwe des années 80 ni à celui d’aujourd’hui.
« Engagé », parce qu’il ne faut pas me faire croire que les journalistes ne connaissent pas le passé particulièrement odieux et injuste des régimes politiques qui ont dirigé ce pays avant Mugabe, et que ne pas en parler, c’est nier volontairement une partie des problèmes du présent. J’y reviendrai à propos de la terre pour répondre à votre deuxième question, mais, quand je lis dans des centaines et des centaines d’articles que Mugabe « confisque » la terre aux propriétaires blancs, et que jamais, absolument jamais, on ne s’interroge pour savoir comment ces « braves » fermiers Blancs ont acquis ces milliers d’hectares de terres agricoles – car au Zimbabwe on parle en milliers et non en centaines ou en dizaines comme en Europe –, alors nul doute que ce traitement de l’information, avec de graves omissions, est délibérément engagé. Et quand on s’engage, l’on ment parfois un peu, souvent passionnément.
Deux exemples seulement, mais j’en ai des dizaines en cartons.
Le premier : le bilan des victimes de ce que l’on a appelé les « massacres du Matabeleland », dans les années 1982-1983. C’est un gros post-it que les journalistes collent avec plaisir dans le dos de Mugabe quand ils rappellent son parcours.
J’ai épluché des dizaines d’articles évoquant ces événements, tant dans la presse francophone qu’anglophone. Les bilans cités vont de 5.000 morts à 40.000 morts et, le plus souvent à la louche, entre 10.000 et 20.000 morts.
Sauf que le bilan réel de ces affrontements, entre d’un côté, l’armée de Mugabe, et de l’autre, les partisans de son vice-président Joshua Nkomo et ceux que l’on appelait alors les « dissidents », un bilan, dressé en 1997 dans un rapport intitulé Briser le silence et établi par les plus farouches adversaires de Mugabe, les membres de la Commission catholique Justice et Paix, a dénombré, après des mois d’enquête, seulement 2.750 tués, tout en ajoutant qu’il y eut « sans doute plus » de victimes. Rien d’autre.
En compulsant mes archives, je n’arrivais pas à comprendre pourquoi tous les journalistes parlaient de 10 000 à 20 000 morts tout en citant comme source de leurs articles ce rapport Briser le silence. Je n’ai trouvé qu’un seul article, je dis bien un seul, dans le Daily Telegraph londonien, qui, en avril 2008, citant ce même rapport, rappelait, lui, ce seul bilan de 2.750 morts. La même semaine, le quotidien français Libération écrivait : « La répression aurait causé 20 000 à 30 000 morts ». Merveilleux conditionnel, qui autorise tout. Et désolé, mais ces journalistes ne sont pas des perdreaux de l’année, qu’ils ne plaident pas l’ignorance.
Le deuxième exemple que je vous citerai pour illustrer la mauvaise foi partisane des médias, est celui de la « dame décapitée ».
Fin avril 2002, Andrew Meldrum, correspondant du quotidien britannique The Guardian, raconte l’histoire horrible d’une pauvre Zimbabwéenne, favorable à l’opposition, qui a été décapitée à la hache par des partisans de Mugabe devant ses deux malheureuses petites filles. La même histoire est aussitôt reprise par les agences de presse, puis brodée de nouveau dans un autre journal londonien, The Independent. Andrew Meldrum et tous les journalistes occidentaux n’avaient en fait que repris et réécrit le récit de ce crime qu’avait publié le Daily News, un quotidien d’opposition du Zimbabwe.
Aucun, je dis bien aucun journaliste, n’a essayé de vérifier la véracité de ces faits pour le moins extraordinaires ! Une décapitation à la hache avec une motivation politique, cela n’est pas fréquent et mérite sans doute une investigation poussée. Mais on est au Zimbabwe, alors allons-y : répercutons l’info, faisons circuler, et on vérifiera après. Quand Andrew Meldrum et les journalistes du Daily News ont été traduits en justice pour diffusion de fausses nouvelles, ce fut un déchaînement contre le vilain Mugabe qui profitait de cette histoire pour brimer la presse et verrouiller la liberté d’information. Ah, oui !, j’ai oublié de vous préciser que toute cette histoire était complètement inventée et qu’elle était sortie par le biais d’un communiqué du MDC de Tsvangirai. Pas un média ne s’est attardé sur la crédibilité douteuse de ce parti d’opposition qui affirmait au monde entier que ses partisans étaient décapités à la hache, mais tous ont joué haro sur Mugabe, pourfendeur de la liberté de la presse. Si cette attitude n’est pas un traitement de l’information partisan, engagé et volontairement mensonger, cela y ressemble beaucoup ou alors les mots n’ont plus de sens.

Un authentique héro africain
Quel bilan tirez-vous de la gestion du pays par Robert Mugabe, 89 ans, qui vient de se faire réélire pour la 5e fois après 33 ans de pouvoir ? Notamment de la réforme agraire, aux résultats souvent présentés comme catastrophiques par Libération ? Ainsi, dans un pays considéré autrefois comme le grenier à blé de l’Afrique australe, « la faim est en progression » : « un habitant sur quatre des zones rurales » risque « d’avoir besoin d’une aide alimentaire », dixit le Programme alimentaire mondial (PAM).
Vous oubliez dans votre citation que le PAM précise que l’actuelle pénurie est due « à des conditions météo défavorables, à la rareté et au coût élevé des inputs agricoles comme les semences et les engrais, et au prix élevé des céréales dû à la mauvaise récolte de maïs ». Maintenant, si vous me demandez si c’est bien raisonnable de se porter candidat à sa succession à 89 ans, je vous dirai non.
Votre question comporte deux points : le bilan de la gestion du pays par Mugabe et la réforme agraire.
Je n’oserai vous dire que le Zimbabwe va bien ni que son économie et ses secteurs sociaux sont performants. C’est une évidence. Mais là encore, à qui la faute ? Au seul Mugabe ou, pour partie aussi, à la communauté internationale et à ses bras armés que sont la Banque mondiale et le FMI ? Et là encore, les médias ont de solides œillères quand il s’agit de comprendre pourquoi des secteurs comme l’éducation ou la santé sont en ruines. Est-ce que Mugabe s’est levé un beau matin en décrétant de réduire les salaires des fonctionnaires, des enseignants et du personnel soignants de 50% ; en décidant de la fin du contrôle des prix des produits de premières nécessité ; en mettant fin à la gratuité de certains services sociaux ; ou cela lui a-t-il été imposé dès 1992 par un plan d’ajustement structurel concocté par le FMI et la Banque mondiale ? La réponse est dans la question. Pour ce qui est des compressions des dépenses de l’Etat, le Zimbabwe a dû subir dix fois ce que l’Union européenne impose à la Grèce aujourd’hui. Du jour au lendemain, on a décrété la misère pour tous. Alors comment s’étonner que les profs, les médecins ou les infirmières se soient exilés en Afrique du Sud pour y trouver des salaires dignes de leur travail.
C’est même ce plan d’ajustement structurel très dur qui a fait émerger une opposition politique et a donné des ailes au syndicat que dirigeait à l’époque Morgan Tsvangirai, le Congrès zimbabwéen des syndicats (ZCTU). En juin 1993, le prix de la farine de maïs, aliment de base des Zimbabwéens, a augmenté d’un coup de 54%, à la suite de la suppression des subventions sur ce produit imposée par la Banque mondiale et le FMI. En même temps, le prix des transports a été multiplié par deux. Peut-on penser qu’en France, si, du jour au lendemain, la SNCF et la RATP augmentaient de 50% leurs tarifs cela ne provoque pas un mécontentement populaire ?
A cette époque, un rapport de la Banque mondiale portant sur 15 pays africains indiqua que le Zimbabwe était celui qui dépensait le plus pour ces services sociaux : 2,9% de son PIB pour la santé et 8,7% pour l’éducation, alors que la moyenne des autres pays n’était que de 1,2% pour la santé et de 3 % pour l’éducation. Mais le FMI et la Banque mondiale écrivirent noir sur blanc que ces dépenses étaient « antiéconomiques et rétrogrades ».
Tout ceci pour rappeler que, avant de jeter la pierre à Mugabe, sachons aussi qui a « cogéré » ce pays par instances internationales interposées. Enfin, à propos de la réforme agraire, là encore, il y a beaucoup à dire. Pour les médias, c’est encore Mugabe qui, en 2000, après dix ans d’inertie et mis à mal sur le plan électoral, a décidé de lancer cette réforme en force pour se refaire une popularité dans les campagnes et chez les anciens combattants. Sauf que rien n’est plus faux.
Un peu d’histoire s’impose, même si cela fatigue certains. Après plus de dix ans de guerre de libération, la Grande-Bretagne a mis fin au massacre en imposant à Ian Smith l’acceptation des Accords de Lancaster House en décembre 1979, des accords signés de la main du ministre britannique des Affaires étrangères et du Commonwealth, Lord Carrington, mais aussi par Ian Smith et Mugabe entre autres.
Que disaient ces accords à propos de la terre ? Ils reconnaissaient le problème de leur détention par les colons blancs, mais interdisait au futur gouvernement zimbabwéen, en l’occurrence celui de Mugabe, de s’approprier ces terres avant dix ans sans octroyer aux colons une compensation financières « au prix du marché et en devises », c’est-à-dire au prix fort.
Comme on savait pertinemment que le futur gouvernement zimbabwéen n’aurait jamais les moyens de racheter ces terres aux colons, la Grande-Bretagne s’était engagée verbalement, par la voix de Lord Carrington en personne, à aider financièrement le Zimbabwe pour ces rachats.
Un : cela n’eut jamais lieu. Ni les gouvernements conservateurs et encore moins ceux travaillistes de Tony Blair ou Gordon Brown n’ont sorti le moindre penny pour aider le gouvernement à racheter ces terres.
Deux : pourquoi, au fond, la possession de ces terres était un réel problème si ce n’est le problème majeur du Zimbabwe indépendant ? La réponse vient en quelques données simples à comprendre pour qui veut s’en souvenir.
Avant la réforme agraire de Mugabe, la Rhodésie en a connu d’autres, et des belles dont plus personne ne parle aujourd’hui : celles des premières années de la colonisation, entre 1890 et 1914, celle du Land Apportionment Act de 1930, et enfin celle adoptée en 1969 après la proclamation de la Rhodésie indépendante qui ficela le paquet-cadeau offert à Mugabe en 1980, le Land Tenure Act. Toutes avec l’assentiment britannique, excepté celle de 1969, mais le gros du remodelage spatial était déjà achevé.
La particularité de ces réformes ? La gloutonnerie des Blancs, la ségrégation territoriale et leur corollaire, une inégalité criarde de la répartition de la richesse. Certains ont appelé cette Rhodésie découpée en morceaux un « joyau ». D’autres, comme le géographe français Michel Foucher, soulignèrent que « à la différence des États voisins (Zambie, Malawi), à la différence aussi du Kenya, en Rhodésie du Sud, la totalité du territoire jugé utile et utilisable a été répartie, selon les critères exclusifs de la race et explicites de la ségrégation géographique ».
On parqua les Noirs, au départ, pour éviter les révoltes politiques, puis pour les écarter des terres productives. On déplaça des millions de personnes dans des « native réserves ». A l’arrivée, une Rhodésie en trois morceaux : le domaine de l’État, puis les terres riches et fertiles, proches des moyens de transport et des villes, attribuées aux colons blancs, et enfin les terres abandonnées aux paysans noirs, les plus pauvres et les plus éloignées de tout. Mais ceci fut fait dans l’intérêt de tous, pour « réduire les points de contact entre les deux races », écrivit en 1931, une Commission britannique qui se penchait déjà sur le problème de la répartition des terres. En 1970, quand fut voté le Land Tenure Act, on sortit les calculettes : 45 millions d’acres rhodésiennes pour les 5,8 millions Africains, 45 millions d’acres pour les 273.000 Européens blancs. C’est ce qui explique le gigantisme des terres commerciales possédées par les fermiers blancs quand Mugabe a voulu y toucher.
Le vice-ministre de l’Agriculture qu’avait fait nommer Morgan Tsvangirai quand il était Premier ministre en 2009, le Blanc Roy Bennet possédait une plantation de café de 2000 hectares ! Quand Mugabe lança la réforme et entreprit de récupérer ces terres, tout le monde cria au scandale, mais personne ne se demanda comment le gentil Roy Bennet était devenu propriétaire d’une modeste plantation de 2000 hectares. Pour information la taille moyenne des exploitations agricoles en France est de 73 hectares. Cherchez l’erreur.
En novembre 2001, le gouvernement de Mugabe a tenté de saisir près de la moitié des terres que possédait encore la famille Oppenheimer, l’une des plus riches familles d’Afrique du Sud qui contrôle l’Anglo American et le géant minier la De Beers Investments. A l’époque, la famille Oppenheimer possédait 140.000 hectares de terres au Zimbabwe. De quoi donner le tournis aux céréaliers de la Beauce.
Ces rappels historiques sont essentiels si l’on veut comprendre la violence d’aujourd’hui. Les milliers de combattants qui ont pris les armes dans les années 70 pour renverser le régime raciste rhodésien ne l’ont pas fait pour les beaux yeux de Mugabe, mais bel et bien parce qu’ils subissaient de plein fouet l’injustice et la ségrégation. Ce sont ces gens qui ont voté et qui votent encore pour Mugabe. Quand on ose écrire que Mugabe « confisque » la terre des Blancs en 2000, c’est insultant : qui a véritablement confisqué la terre en 1888, en 1930 puis en 1970 ?
Dans l’article de Libération dont vous faites état dans votre question, à aucun moment, on ne rappelle comment ces Blancs ont pu entrer en possession de telles surfaces et de telles fortunes. On nous dresse toujours un tableau idyllique de fermiers blancs grâce à qui le Zimbabwe était un merveilleux grenier à blé auquel Mugabe a mis le feu. Moi, je veux bien, mais là encore on oublie les conditions de travail qui ont permis d’arriver à ce grenier à blé, si cher aux journalistes. Travail forcé qui cachait son nom pendant toute la colonisation, c’est-à-dire pendant un siècle.
Dès le départ, les Britanniques ont obligé les Zimbabwéens à travailler sur leurs plantations en instaurant un impôt sur les huttes ! C’est tout ce que les colons de Cecil Rhodes trouvèrent puisque les autochtones ne possédaient rien d’autre sur quoi on aurait pu les imposer. Pour payer cet impôt maudit, des générations et des générations d’Africains ont dû trimer dans les champs pour des salaires de misère. Puis on a adopté une multitude de lois sur le travail, sur les rapports entre patrons et salariés, toutes taillées sur mesure pour asservir encore davantage la main d’œuvre africaine. Voilà qui explique comment monsieur Roy Bennet a pu devenir propriétaire d’une fructueuse plantation de 2000 hectares de tabac.
Puis après l’indépendance, ces lois d’un autre âge ont été abolies, mais les conditions d’exploitation de la main d’œuvre n’ont guère changé. En 2000, quand certains Blancs ont quitté le Zimbabwe pour s’installer dans des pays voisins, l’Agence France Presse est allée enquêter sur ces fermiers qui pour certains s’étaient réinstallés en Zambie. Combien étaient payés les ouvriers agricoles zambiens embauchés par ces anciens fermiers zimbabwéens ? 100.000 kwachas par mois, soit 30 dollars. Pile le seuil minimum de pauvreté fixé à l’époque à un dollar par jour par l’ONU et la Banque mondiale. Pas « joli joli », le grenier à blé quand on ouvre un peu les portes pour aller voir comment il s’est forgé.
Une dernière comparaison pour mieux faire comprendre la réalité du Zimbabwe indépendant. Aurait-on pu imaginer que, lors de la signature des Accords d’Evian qui mirent fin à la guerre d’Algérie en mars 1962, de Gaulle impose à Ben Bella que les colons restent sur le territoire algérien en possession de tous leurs biens ? Impensable ! C’est pourtant ce que Londres a imposé au Zimbabwe et à Mugabe, sans jamais les aider par la suite à corriger les inégalités criardes qui en découlèrent.
Que cette réforme agraire se fit dans la douleur, qu’elle ne fut pas couronnée de succès rapidement, c’est une évidence ; mais, encore une fois, à qui la faute ?
Vous êtes très sévère vis-à-vis de l’opposant Morgan Tsvangirai. Vous dites notamment que son parti a été créé de toutes pièces par la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, et qu’il travaille avec des Blancs qui ont œuvré sous l’ancien régime colonial… N’est-il donc qu’une marionnette ?
Vous m’obligez à prendre de nouveau la casquette d’historien. Le Mouvement pour le changement démocratique (MDC) de Morgan Tsvangirai a été créé en septembre 1999 sur une décision du puissant Congrès zimbabwéen des syndicats (ZCTU), qui revendiquait 300.000 adhérents et dont Tsvangirai était le secrétaire général. Personne ne nie cette réalité ni, donc, l’enracinement zimbabwéen de ce parti. Le MDC comprenait même des militants d’extrême gauche. Mais dès le premier congrès constitutif de ce parti, on vit dans les couloirs Georg Lemke, représentant du Syndicat danois pour le développement international et la coopération. Un mois plus tard, le Danemark posait d’innombrables conditions au Zimbabwe pour lui accorder une aide de 150 millions de dollars.
Quinze jours après le lancement de son parti, en octobre 1999 très exactement, Morgan Tsvangirai s’envola pour une tournée européenne pour y chercher des fonds et ne s’en cacha même pas. Au programme : Pays-Bas, Belgique, Allemagne, Suède, Finlande et bien sûr la Grande-Bretagne.
Pour parfaire le soutien à ce parti, les Britanniques ont créé, en avril 2.000, le Zimbabwe Democracy Trust (ZDT). Qui trouve-t-on au directoire de cet organisme charitable ? Trois anciens ministres des Affaires étrangères britanniques, membres du Parti conservateur : Malcolm Rifkind, Douglas Hurd et Geoffrey Howe.
Dès sa création, le ZDT organise une nouvelle visite guidée à Londres et aux Etats-Unis pour Tsvangirai. Et là, les discrets donateurs de cette institution se révèlent : Sir John Collins, président du conseil d’administration du National Power, la puissante société d’énergie britannique qui contrôlait toute l’électricité au Zimbabwe. Sir Malcolm Rifkind, lui aussi légèrement intéressé par le Zimbabwe, puisqu’il travaillait pour la compagnie minière australienne Broken Hill Proprietary (BHP), un géant du secteur minier qui quitta à contre cœur le Zimbabwe en 1999 après des déboires financiers et des investissements de 585 millions de dollars américains dans une mine de platine à Hartley, à 80 km à l’ouest de Harare.
Mais la liste des gentils donateurs n’est pas finie : on trouvait aussi l’ancien secrétaire d’État américain pour les Affaires africaines, Chester Crocker, très soucieux des problèmes humanitaires et de la liberté des Zimbabwéens, et à peine motivé par les intérêts de la compagnie minière Ashanti Gold Fields dont il était un des directeurs associés. Ashanti Gold Fields possède bien évidemment des mines au Zimbabwe. Le cocasse de l’histoire, c’est qu’au moment où Chester Crocker tenait par la main Tsvangirai et lui expliquait sans doute toute la compassion qu’il avait pour le peuple zimbabwéen, les mineurs d’Ashanti Gold Fields à Bindura, dans le nord du Zimbabwe, menaient une grève dure pour obtenir des augmentations de salaires qu’ils n’obtinrent jamais.
Autre grand pourvoyeur de fonds pour les ONG du Zimbabwe qui sont accolées au MDC de Tsvangirai, la Westminster Foundation for Democracy, qui est financée quasiment à 100% par le gouvernement britannique. Du jour au lendemain, les ONG zimbabwéennes favorables à l’opposition se sont retrouvées avec des budgets colossaux.
La Westminster Foundation a son pendant aux Etats-Unis, la National Endowment for Democracy (NED). La NED ne fait pas dans le détail : argent, support technique, fournitures en tout genre, programme de formation, savoir-faire pour les médias, assistance en relations publiques, équipements de pointes, le tout attribué généreusement aux formations politiques qu’elle a sélectionnées, à des organisations de la société civile, à des syndicats, à des mouvements dissidents, groupes d’étudiants, éditeurs, journaux et autres médias.
En sachant tout cela, si l’on veut m’expliquer que le MDC est un parti totalement indépendant des puissances étrangères, cela risque d’être long.
Enfin, en ce qui concerne l’autre aspect douteux du MDC, celui des Blancs zimbabwéens qui en sont membres, là encore, le traitement médiatique qui leur est réservé est formidable. On a l’impression que ces gens sont une génération spontanée qui aurait été parachutée sur le Zimbabwe en 1980, sans aucun passé derrière eux.
Deux exemples : Roy Bennet, pauvre planteur de tabac, propriétaire de 2000 hectares expropriés par Mugabe, et qui fut nommé vice-ministre de l’Agriculture par Morgan Tsvangirai. Et David Coltart, lui aussi nommé ministre de l’Education par le MDC, et présenté par tous les médias confondus comme un ardent avocat défenseur des droits de l’Homme, catholique bon teint. David Coltart fut même l’un des rapporteurs de « Briser le silence » dont nous avons parlé précédemment, c’est dire si les questions des droits de l’Homme lui collent à la peau. Mais hélas pour Tsvangirai et hélas pour eux, ces gens-là ont bel et bien un passé qui n’est pas reluisant.
Avant d’être avocat et avant de défendre les droits de l’Homme, David Coltart a eu le temps de les bafouer un peu puisqu’il fut engagé volontaire dans la terrible police politique du régime blanc de Ian Smith, la British South Africa Police (BSAP). Il s’est engagé à 21 ans, en 1975, et n’en est ressorti qu’en 1978. Trois ans dans une police qui tuait, torturait, empoisonnait à l’anthrax pour maintenir en vie un régime raciste mourant.
Les crimes commis par cette police rhodésienne ont été minutieusement recensés par la Commission internationale des juristes de Genève qui publia un rapport sur ses exactions en 1976, un an avant que le jeune Coltart ne s’enrôle. Quand son passé fut connu, David Coltart tenta de faire croire qu’il n’avait jamais rencontré le moindre rebelle quand il était policier, mais le temps aidant, et à l’occasion d’une violente querelle avec son ancien ami Roy Bennet, il admit que cette police commit des crimes odieux. Roy Bennet, lui, est entré dans la BSAP en 1973 à 17 ans pour ne la quitter qu’en juillet 1978.

Anciens combattants de la guerre d’indépendance lors d’une manifestation
de soutien au président Robert Mugabe à Harare, le 29 août 2007.
Sur l’affiche verte, on peut lire : « A bas les impérialistes occidentaux ! ».
© Reuters – Philimon Bulawayo
Mais comme par miracle, ces gens-là n’ont aucun passé pour les médias. Roy Bennet n’est qu’un pauvre planteur de tabac que l’on a spolié et Coltart, un ardent défenseur des droits de l’Homme. Si les médias occidentaux ne veulent pas connaître le passé de certains, les Zimbabwéens eux, le connaissent bien, et cela explique aussi à mon avis pourquoi le MDC est violemment rejeté par une grande partie de la population qui a encore en mémoire ce qu’elle a eu à subir de l’armée et de la police du temps de Ian Smith. N’oublions pas que la majorité des anciens combattants sont encore en vie.

Source : https://eburnienews.net & francetvinfo.fr 22 Novembre 2017

([i]) - René-Jacques Lique, Mugabe, Robert Gabriel, «Souillure» or not «Souillure», L’Harmattan, 2009  

vendredi 24 novembre 2017

La fabrication du fantoche ou Comment la France a installé Ouattara à la présidence de la République.

Soldats français exhibant un trophée 
après la prise de la résidence officielle de Laurent Gbagbo.

Dans un livre intitulé « Le crocodile et le scorpion » qui va bouleverser toutes les certitudes de la procureure de la cour pénale internationale, Jean-Christophe Notin, auteur français plutôt prolixe ayant à son actif de nombreuses enquêtes, livre l’idée qu’il s’est faite de la crise postélectorale en Côte d’Ivoire où il a enquêté. Le lecteur remarque tout de suite que le livre du Français n’a pas l’intention d’absoudre l’ex-président ivoirien, puisque les témoignages qu’il privilégie sont ceux des officiers ou des élites françaises qui ont été impliqués dans la guerre. C’est donc [sans le faire exprès] que Jean-Christophe Notin parvient à publier un livre à décharge sur Gbagbo en montrant comment, dans les menus détails, Paris a mis en place les ingrédients de la guerre et comment elle l’a menée. Le livre révèle également, au passage, à quel point Ouattara a été passif tout au long de la crise postélectorale. Tellement tout a été fait pour lui ; de la mise en place du rouleau compresseur diplomatique au bombardement de la résidence officielle de Gbagbo, en passant par la rédaction de ses discours par les officiers de la DGSE, les services secrets français.

Ici s’arrêtent les certitudes de Fatou Bensouda, pourrait-on écrire. La procureure gambienne dont les preuves n’ont pas convaincu les juges de la cour pénale internationale lors de son premier passage, a pourtant coutume d’affirmer que Laurent Gbagbo avait prévu d’éliminer Alassane Ouattara et/ou ses partisans avant la tenue de l’élection présidentielle pour conserver le pouvoir. Or sans certainement le vouloir, le témoignage de l’auteur français consigné dans un livre intitulé « Le crocodile et le Scorpion » détruit l’ensemble de l’argumentaire de Bensouda. Car son livre montre dans les moindres détails comment la France a mené la guerre contre l’ancien président ivoirien. Du début jusqu’à la fin, à savoir de la déportation du président ivoirien d’abord à Korhogo et par la suite à la cour pénale internationale. Comment un homme qui avait préparé des assassinats massifs aurait pu être à ce point passif, au point de ne même pas couper le carburant à la Licorne, chose qui n’avait pas été anticipée par l’armée française selon un général français, ou empêcher que le matériel militaire français qui n’était en fait que du matériel de télécommunication destiné à créer des médias à l’usage de Ouattara soient dédouanés au port autonome d’Abidjan ? C’est finalement le principal enseignement de cet ouvrage qui révèle néanmoins des retournements spectaculaires comme ceux de Philippe Mangou en particulier.

« La France met en place le blocus économique  »…

Alors que l’Ambassadeur français Jean-Marc Simon espère installer Alassane Ouattara à Yamoussoukro mais est contraint de revoir ses plans en raison de la présence de la garde républicaine dans cette ville, les officiers français se lancent dans le débauchage des officiers de l’armée ivoirienne. « Que dois-je faire, confie par exemple une haute autorité militaire ivoirienne au Comanfor. Je suis général, nous avons une Constitution semblable à celle de la France, donc je dois rester loyal au président en place », se lamente-t-il. L’officier français, le général Palasset en l’occurrence, parti le débaucher, n’hésite alors pas à le menacer : « Faites attention, il y a déjà eu le Rwanda, la communauté internationale ne restera pas passive, vous encourrez tous une comparution au TPI ». Quant à la DGSE, service secret français, elle change de tactique lorsqu’elle rencontre Philippe Mangou. Elle lui  vante les mérites d’un ralliement, parce que Philippe Mangou a été annoncé à plusieurs reprises comme ayant basculé en faveur de Ouattara ; mais le président du RDR ne l’a pas encore rencontré. Pour contourner la difficulté éprouvée par [Jean-Marc Simon], l’ambassadeur français en poste en Côte d’Ivoire, Guillaume Soro propose les services des FRCI dont la puissance de feu est dérisoire, selon les mots de l’auteur français. Problème que la France va régler pour permettre la reprise de la guerre sur les différents fronts. A Abidjan, Jean-Marc Simon est à la manœuvre. Selon Jean-Christophe Notin, « l’ambassadeur français se rend tous les jours au Golf hôtel [pour] rencontrer soit Ouattara, soit son directeur de cabinet, soit Soro ». Il confiera plus tard à son compatriote : « Je sentais Ouattara confiant. Il estimait que Gbagbo allait finir par céder de toute façon ». Cela dit, Mangou est toujours invisible à l’hôtel du Golf, qui est le QG de Ouattara. Alors « l’attaché de défense français, le colonel Héry, qui le connait depuis 2002, se rend chez lui, sur ordre, pour un entretien particulier au goût de solde de tout compte », raconte l’auteur français. « Il n’est jamais trop tard pour faire machine arrière, lui explique-t-il. Si vous le décidez, sachez que nous pouvons assumer la protection de votre épouse. Sinon, vous savez ce qu’il va se passer, combien vos actes sont illégaux et comment nous finirons par intervenir ». Mangou affirme avoir compris le message. Mais le colonel l’a à peine quitté qu’il s’empresse de tout rapporter à Gbagbo. Et la seule discussion entre officiers supérieurs devient une tentative de débauchage, Mangou déclarant qu’il lui aurait été demandé de placer l’armée ivoirienne sous le commandement de Ouattara. « Je n’ai pas pu lui proposer ce genre de marché, explique Héry. Mon accréditation aurait été immédiatement retirée par le gouvernement ivoirien », tente-t-il de se défendre. « Prudent, le CEMA ivoirien continuera jusqu’à fin mars à se ménager la bienveillance des deux camps en conservant sa place auprès de Gbagbo tout en entretenant le contact avec Licorne », écrit Notin. « La France met alors en place le blocus économique ». Alors que l’opinion avait cru que c’est le passage de Ouattara à Dakar comme ancien gouverneur [de la BCEAO] qui lui valait autant de faveurs, Jean-Christophe Notin décrit comment Paris va s’y prendre : « La France dispose de multiples leviers d’action économiques et financiers en Afrique. Héritage historique, le trésor français est le gardien des traités de coopération monétaire pour les trois monnaies africaines ; il peut accorder des prêts aux banques centrales en difficulté, mais en contrepartie, ses hauts fonctionnaires siègent au sein de diverses instances financières africaines. Ainsi, sous-directeur aux affaires financières internationales, Rémy Rioux est-il le représentant de la France à la BCEAO depuis 2010. [L’enjeu du trésor français est trop important] pour bien calibrer les actions à mener. L’asphyxie financière du régime est organisée », écrit-il. L’argent des huit pays africains, dont la Côte d’Ivoire, sont ainsi bloqués (sic) par la France qui y détient un monopole inexplicable. Le président ivoirien, proclamé comme tel au regard de la constitution, doit aussi faire face à l’arrêt des financements de la Banque Mondiale et du FMI. « Les rentrées fiscales s’annoncent mauvaises. Gbagbo doit improviser des parades pour trouver au moins 100 milliards de francs CFA nécessaires chaque mois au fonctionnement de l’administration. Le gouvernement ne rembourse plus ses dettes, à commencer par 30 millions de dollars d’intérêts qu’il devait verser à un consortium de banques fin décembre 2010 », note Notin.
Tout contribuable doit payer ses impôts en cash ou sur un compte encore accessible [au] pouvoir en place. Certaines des grandes entreprises françaises s’y plient parfois aussi. L’apprenant l’avocat Jean-Paul Benoît s’avise d’approcher à Paris l’une d’elles : « Il était notoire que son entreprise alimentait Gbagbo en cash via des commissions sur ses activités. Je suis donc allé lui demander que, par mesure d’équité, mais aussi dans son propre intérêt, pour conserver plusieurs fers au feu, elle en verse aussi une partie à Ouattara qui, bloqué au Golf hôtel, manquait cruellement de finances. Il m’a répondu que "les affaires n’étaient plus ce qu’elles avaient été, qu’il n’avait pas les moyens, etc.". Je lui ai suggéré d’au moins appeler Ouattara. Il m’a expliqué qu’il ne voulait pas discuter au téléphone… ». L’argent manque aussi au Golf [hôtel]. « Ouattara suggère au ministre des Finances de Gbagbo, qui venait de le rallier, de s’envoler au plus vite vers Paris avec pour feuille de route l’organisation de soutien international. Charles Koffi Diby joue un rôle important à Paris, à Washington et à Dakar, comme une sorte d’ambassadeur itinérant de Ouattara. Ce qui ne sera pas sans lui porter préjudice, puisque, ne revenant jamais au Golf, des doutes sur sa loyauté émergeront indûment ». Mais Gbagbo résiste. Les banques ivoiriennes retrouvent de la liquidité. Ce qui permet de payer les fonctionnaires et agents de l’Etat. Dès lors, Paris se rend compte que le blocus financier ne suffira pas et va alors concentrer ses efforts sur la personne du président. « Les tractations se concentrent donc sur la personne même de Gbagbo. Ouattara précise qu’il ne le contraindra pas à l’exil (un mensonge aujourd’hui), puisqu’il prononcera une amnistie en sa faveur et le fera bénéficier d’un statut d’ancien chef d’Etat. Ouattara explique qu’il n’envisage pas une guerre contre le régime, mais "une opération spéciale", "non violente" pour s’emparer de Gbagbo ». Et de prendre pour exemple l’arrestation de Noriega, en oubliant de préciser qu’elle avait nécessité en 1989 l’intervention de 50.000 GIs. En tête, il en fait l’un des projets abracadrabrantesques de l’Ecomog, qui envisage l’infiltration des forces spéciales africaines par les égouts d’Abidjan pour capturer l’ancien président en sa résidence. Sauf que la Cedeao n’a absolument pas les troupes adéquates. « Vu la lente détérioration sécuritaire à Abidjan, relate le colonel Hintzy, commandant du Batlic, on sentait que quelque chose allait survenir dans les semaines à venir et nous avions tous l’appréhension d’être relevés ! ». « Petit à petit, note ainsi le colonel Geoffroy de Larouzière-Montlosier, comandant le 16 BC, la tension est aussi montée à Bitche. Nous devions nous préparer à vivre des moments difficiles ». « Finalement, reconnaît son chef, le général Castres, ce que nous n’avions pas anticipé était que Gbagbo nous coupe l’accès au carburant ou nous fasse des difficultés avec le dédouanement »… A la tête du Detalat, le lieutenant-colonel Stéphane G., du 1er RHC, prend la suite du lieutenant-colonel Pierre V. du 5ème RHC qui lance, prémonitoire : « Vous n’allez pas faire un séjour, mais une opération ! ». Pour les Gbagbo, Jean-Marc Simon n’est plus qu’un « sans emploi, un citoyen français ordinaire ».

Paris pilote tout, et Ouattara n’est qu’un simple spectateur…
« Le gouvernement français résout en partie une grave déficience du clan Ouattara, son bannissement des ondes. Tout d’abord il intervient auprès du diffuseur satellite de la RTI, Canal+Horizon, ainsi que de l’opérateur du satellite lui-même, l’Américain Intelsat, pour réfléchir à l’écho qu’ils offrent aux propos de Gbagbo. Le retour de Ouattara sur les ondes devient une priorité stratégique. Il importait, explique un conseiller à l’Elysée, que Ouattara puisse s’afficher avec ses pairs en Afrique et à l’international ». La première étape a été la création d’une station radio, « Radio côte d’Ivoire », qui ne nécessita guère de moyens. Mais c’est surtout le petit écran qui est à conquérir : « Télévision Côte d’Ivoire » (TCI) voit le jour le 22 janvier 2011. Diffusés en ondes hertziennes, les deux médias sont facilement brouillables. La France prend donc l’affaire en main et, comme elle ne peut l’assumer officiellement, c’est la DGSE qui est chargée d’acheminer le matériel nécessaire à une émission satellitaire. En particulier, une antenne parabolique de grande taille est livrée à Bouaké, posant quelques soucis aux hélicoptères ayant mission de la rapatrier à Abidjan. Elle arrive en pièces détachées et [elle est] transportée jusqu’à l’hôtel Ivoire où les techniciens de la « DGSE » s’occupent de la mettre en service. TCI sera ainsi relayée à partir du 17 février par Eutelsat. Le décodeur Strong est nécessaire ; du matériel standard, mais encore faut-il le trouver. En huit jours, la capitale en est miraculeusement pourvue… Le visage du vainqueur des élections réapparaît donc sur les écrans ivoiriens. Quant à sa voix, elle est aidée par un officier de la DGSE, qui participe, au Golf hôtel, à la rédaction de ses discours. Puisque caméras et prompteurs sont fournis par les Français, Ouattara ne serait-il qu’un homme de paille confortablement installé ? D’autant que la facture de l’hôtel elle-même est largement prise en charge par le budget français.
Après sa victoire, "Monsieur le Préfet"accueille son Pygmalion
venu tout  exprès  pour l'installer dans le fauteuil présidentiel
Signe que Paris pilote tout et que Ouattara n’est plus que simple spectateur, Nicolas Sarkozy s’informe chaque jour. « Jean-David Levitte certifie que Nicolas Sarkozy l’avait au moins une ou deux fois tous les deux jours au téléphone, pour prendre le pouls de la situation, pour le conseiller, pour lui dire quoi faire ». La France fait aussi tout pour neutraliser le dirigeant angolais qui soutient activement Gbagbo. « La tempérance du Français satisfait l’Angolais Dos Santos dont les services secrets auraient fait savoir à l’Elysée qu’il réclamerait un droit de réponse en cas de propos trop fermes à l’encontre de Gbagbo qu’il soutient encore ». Mieux, « après un premier mois de fermeté, l’Union Africaine semble vaciller. Alors qu’elle réclamait jusqu’alors le départ de Gbagbo, voilà que son président de commission, le Gabonais Jean Ping, ne se dit "plus sûr qu’il faille présenter les choses ainsi". Le Quai d’Orsay l’a toujours suspecté de pro-gbagboisme en raison des origines ivoiriennes de sa femme ». Ainsi va la France ! En coulisses, Choi croit que le clan Gbagbo n’écarterait plus la solution qui leur tient à cœur, un destin à la Kérékou [Président du Bénin qui fut battu aux élections en 1991 mais réélu en 1996] en quittant le pouvoir au dernier moment.

Il est toujours au pouvoir…
Plus l’heure des armes approche pour Licorne, plus le général Palasset veille à la retenue de ses hommes. Le colonel Hintzey, patron du Baltic, vérifie que son unité a bien compris sa mission. Il n’empêche, Paris cache toujours son jeu et affiche officiellement sa neutralité. Elle  retourne ainsi Zuma qui finit par abandonner Gbagbo après sa visite en France le 2 mars. Paris, comme certains l’avancent, aurait-il acheté sa volte-face avec des avantages financiers pour l’Afrique du Sud via l’Agence française du développement ? Présent à l’entretien avec Nicolas Sarkozy, aux deux-tiers consacrés à la Côte d’Ivoire, Jean-David Levitte dément formellement : « Le ton a été parfois vif, note-t-il. Le Sud-Africain préconisait une solution à l’africaine, le partage du pouvoir dont nous ne voulions pas. Aucun des deux présidents ne lâchait prise. Zuma restait rivé sur la Constitution ivoirienne ».
« Il est toujours au pouvoir », a noté le New York Time, le 16 mars. Mais à bien y regarder, l’Ivoirien a perdu de sa superbe. La raison en est simple : ses finances seront bientôt vides. « Le régime a tout de même tenu un mois de plus que ce que nous pensions », relate le directeur-adjoint du ministère français de l’Economie et des Finances, Christophe Bonnard. Nous avons aussi mobilisé l’intelligence économique pour vérifier que Gbagbo ne se finançait pas, par exemple, par la vente du stock d’or ivoirien ».

Sévérine BLé  (Aujourd’hui N°656 du 23 Juin 2014)
Titre original : « Crise Postélectorale. Les graves révélations d’un écrivain français ». 
Source : CIVOX. NET 4 Juin 2014

mercredi 22 novembre 2017

« L’Afrique, c’est nous » : comment le Maghreb « infiltre » des organisations subsahariennes

Pour sortir d’un entre-soi parfois stérile, des pays du Maghreb prennent pied dans les organisations régionales africaines. Comment trouvent-ils des relais de croissance et de puissance en Afrique ? Économiste, journaliste et officiels maghrébins et ouest-africains ont donné en exclusivité leur analyse à Sputnik sur cette question complexe.

En visite officielle en Côte d'Ivoire, le roi du Maroc
s'apprête à dévoiler une plaque de rue à son nom
Confrontés à la paralysie congénitale de l'Union du Maghreb Arabe (UMA) qui plombe leur intégration régionale, des États d'Afrique du Nord s'inscrivent, simultanément, dans un processus d'« infiltration » des organisations africaines subsahariennes. Ces velléités ne font qu'acter la mort de l'UMA, prise en otage, ab initio, par la question du Sahara occidental et la grande discorde algéro-marocaine.
Décrite comme la plus dynamique et la plus intégrée des communautés économiques régionales (CER) africaines, la CEDEAO (Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest) exerce, ainsi, un attrait croissant sur les pays maghrébins. Cet ensemble de 15 États francophones, anglophones et lusophones représentant un marché de 340 millions de personnes, se penchera le 16 décembre prochain à Lomé, sur une candidature du Maroc pour intégrer la CEDEAO en tant que membre à part entière.
Pour sa part, la Mauritanie avait arraché, l'été dernier, un statut de membre associé au sein de la même CEDEAO, alors que la Tunisie y bénéficie désormais d'un statut de membre observateur, le même qu'elle avait négocié avec succès avec le Marché commun de l'Afrique orientale et australe (COMESA), une autre organisation régionale subsaharienne.
Ces différentes formules (membre, membre associé, membre observateur) pour lesquelles ont respectivement opté le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie, s'adossent à des approches particulières à chacun de ces pays.

Le Maroc constitue sans doute le cas le plus «abouti» de cette tendance. Cette adhésion s'entend, pour le Royaume chérifien, comme une consécration d'un périple spectaculaire entamé, il y a quelques années déjà, et rythmé par de nombreuses tournées subsahariennes. Le volume des échanges s'en était trouvé considérablement augmenté (une croissance annuelle moyenne de 9,1% sur la période 2008-2016), grâce à des leviers économiques et financiers actionnés en synergie, alors qu'on multipliait, par ailleurs, les gestes symboliques en direction du continent, comme la diffusion inédite du fameux discours du trône à partir de la capitale sénégalaise Dakar. Le point culminant de cette épopée aura été, finalement, la réintégration de l'Union africaine (UA), après 33 années d'absence.
Plus tardive, et sans doute moins pugnace, a été jusque-là l'approche tunisienne. Privée d'un appui logistique comparable, et grevée par le bouleversement institutionnel et sociopolitique de l'après 2011, les autorités tunisiennes ont tout de même multiplié depuis 2015 les initiatives en direction des voisins subsahariens.


En 2017, la Tunisie a ouvert deux nouvelles ambassades au Burkina Faso et au Kenya, portant ainsi à dix le nombre de ses représentations diplomatiques en Afrique subsaharienne, alors que l'ouverture de cinq bureaux commerciaux est prévue prochainement. Une nouvelle ligne aérienne reliant Tunis à Cotonou, au Bénin, verra le jour à la mi-décembre, alors qu'une ligne maritime directe reliant la Tunisie à l'Afrique de l'Ouest devrait être opérationnelle dans les mois à venir. Objectif : arriver à booster les échanges commerciaux avec l'Afrique subsaharienne, plus précisément l'Afrique de l'Ouest, qui stagnent à moins de 1%.
*« En Tunisie, plus de 70% de nos échanges sont avec l'Union européenne. Si on veut développer notre commerce, il faut que nous nous orientions vers les pays de la CEDEAO qui regorgent d'un grand potentiel », a justifié, lundi, le ministre tunisien du Commerce, Omar el Bahi. Une déclaration prononcée à l'occasion de la signature d'un mémorandum posant les jalons d'une coopération économique renforcée entre la CEDEAO et la Tunisie.
« Il s'agit d'un premier pas pour permettre aux deux partis de mieux se connaître. (…) Une feuille de route [permettra d'envisager] l'amélioration des relations commerciales », a déclaré à la même occasion Marcel De Souza, président de la commission de la CEDEAO.
Côté tunisien, on préfère rester raisonnable. Il ne s'agit « pour l'heure » que d'explorer les possibilités d'un statut de membre observateur en se gardant d'évoquer la question de l'intégration pure et simple, à la marocaine. Du moins, pas avant d'en découvrir l'issue en décembre prochain, lors du sommet de Lomé : « Nous sommes encore au début ! Notre objectif est d'être là en tant qu'observateur, et pas en tant que membre à part entière », a précisé le chef de la diplomatie tunisienne, Khemaïes Jhinaoui, qui plaide en même temps pour « un développement progressif » des rapports économiques avec la CEDEAO. Le ministre du Commerce rappelle, de son côté, que le choix de la Tunisie est celui d'un membre observateur « pour commencer ».
Principal défi identifié par les observateurs : arriver à dépasser les déclarations de bonnes intentions sur «un continent porteur» et obtenir que les initiatives tunisiennes s'inscrivent plutôt dans une stratégie proportionnée aux moyens concrets dont dispose le pays.
« La Tunisie a perdu un véritable crédit qui était lié à l'image de Bourguiba. Elle s'est ensuite laissée emporter par l'effet de mode, celui de la conquête de l'Afrique, en imitant le Maroc alors qu'elle n'en a pas les moyens, regrette Hichem Ben Yaïche, rédacteur en chef de trois revues africaines, New African, African Business et African Banker, dans une déclaration à Sputnik. La Tunisie doit asseoir une vision stratégique africaine au lieu de se cantonner dans des discours qui ne s'adossent pas à sa réalité. À quoi bon se disperser en rejoignant plusieurs espaces régionaux à la fois, COMESA et CEDEAO, s'il y a peu de chose à offrir ? ».
Bouraoui Limam, directeur de l'information et de la communication du ministère des Affaires étrangères tunisien, reconnaît les contraintes posées par la conjoncture, qu'il ramène à « des moyens limités » liés notamment aux soubresauts post-2011. Il insiste, pour autant, sur « la détermination de la Tunisie à redonner à l'Afrique une place centrale parmi ses partenaires stratégiques », qui sont également des partenaires « naturels ». «Le chemin est long pour rattraper le temps perdu, mais le choix de l'Afrique est irréversible (…) Nous avons déjà franchi des pas concrets dans ce sens, a déclaré cet officiel tunisien à Sputnik. Il y a eu plusieurs visites bilatérales, couronnées le plus souvent par des accords économiques, culturels, scientifiques, sans oublier les forums d'affaires qu'on a accueillis, et toujours, avec un travail d'accompagnement et de pédagogie fourni en amont auprès des acteurs économiques pour attirer leur attention sur le fait que l'Afrique, c'est nous », détaille-t-il.

La Mauritanie, enfin, a choisi la voie médiane qui en fait un membre associé de la CEDEAO, alors qu'elle avait été invitée, lors du sommet de juin dernier des chefs d'État de la communauté ouest-africaine, à réintroduire une demande de réintégration. Nouakchott avait en effet claqué la porte de la CEDEAO, en 2000, alors qu'elle faisait partie de ses cofondateurs en 1975.
« La Mauritanie sait qu'elle doit, elle aussi, jouer la carte de l'Afrique subsaharienne. Néanmoins, elle voudrait que ce soit un retour progressif et maîtrisé. On ne change pas du jour au lendemain de choix géopolitiques. C'est en termes de cohérence qu'il faut analyser son positionnement », analyse Hichem Ben Yaïche.
Chantre d'une longue tradition africaniste et à l'origine, naguère, du fameux Cen-Sad (Communauté des États Sahélo-sahariens), la Libye se trouve embourbée depuis 2011 dans une grave crise politico-sécuritaire qui la contraint à limiter son ambition à la sauvegarde de son intégrité territoriale.

L'évocation des rapports entre la Libye et l'Afrique subsaharienne se réduisent, aujourd'hui, aux jonctions terroristes que son territoire peut «offrir» pour les éléments de Boko Haram nichés dans le bassin du Lac Tchad, ou ceux d'Al-Qaïda Au Maghreb Islamique (AQMI) présents en Afrique de l'Ouest. De façon plus récente, et autrement plus choquante, elle a défrayé la chronique avec des scènes de vente aux enchères de migrants subsahariens qui ont suscité l'émoi de tout un continent.
Loin de se complaire dans une forme d'autarcie, l'Algérie refuse pour autant de s'inscrire dans un schéma d'intégration classique. Pour Anisse Terrai, économiste algérien s'exprimant à Sputnik : 

« la politique économique de l'Algérie s'est toujours tournée vers le développement des capacités de production nationales et vers le marché intérieur. Profitant de la rente des hydrocarbures, et par la suite pris à son piège, le pays ne s'est jamais tourné vers l'exportation hors hydrocarbures ni vers l'investissement étranger hors hydrocarbures dans les autres pays africains. Ainsi, dans la politique étrangère de l'Algérie et dans sa relation avec les autres pays, les aspects politiques priment sur les questions économiques. À titre d'exemple, à l'occasion du 50e anniversaire de l'Organisation de l'Union africaine, devenu l'Union africaine en 1999, l'Algérie a effacé la dette de 14 pays africains pour un total de plus de 900 millions de dollars américains, sans aucune contrepartie ».
Côté subsaharien, ces pénétrations maghrébines sont diversement appréciées. L'adhésion du Maroc est loin de faire l'unanimité pour des motivations liées à des craintes de la concurrence des produits marocains, au sein d'un ensemble qui reste, malgré tout, assez fragile.
Mais le royaume chérifien sait aussi compter sur des alliés solides, ceux-là mêmes qui lui avaient déblayé la route de la réintégration de l'Union africaine, début 2017, nonobstant l'opposition feutrée de la présidente de l'exécutif de l'organisation à l'époque, la Sud-africaine Nkosazana Dlamini-Zuma.
Pour le patron de la CEDEAO, en tout cas, ces offensives nord-africaines sont loin de constituer une ineptie. À la question de savoir si des pays maghrébins s'invitant à la table de l'organisation de l'Afrique de l'Ouest ne porteraient pas atteinte à sa cohésion intrinsèque, Marcel de Souza a soulevé, dans une déclaration à Sputnik, l'exception de non-étanchéité des frontières des communautés.

En visite officielle en Côte d'Ivoire, le roi du Maroc,
le roi du Maroc visite un chantier

« L'Union africaine a bien défini (dans sa charte) cinq Communautés économiques régionales. Mais ces cinq communautés ne sont pas étanches. Lorsqu'un pays veut avoir une coopération plus poussée avec une CER, cela n'est pas interdit. Nous pensons que nous pouvons renforcer et améliorer nos relations pour qu'en matière commerciale on puisse avancer ».
Mais la part du tactique et du stratégique reste à déterminer dans ces initiatives, d'autant plus que l'Afrique s'analyse aussi comme un choix « par défaut » pour ces pays d'Afrique du Nord.
Un choix à défaut de pouvoir compter, en toute circonstance, avec l'inversion des cycles économiques, sur une Europe dont l'introversion croissante est un corollaire de son intégration.
Un choix à défaut de pouvoir relancer la locomotive maghrébine restée piégée dans le conflit sahraoui. Du côté de la rue Tensift Agdal, à Rabat, siège de l'UMA, on assiste impuissant à ces défections.

Safwane Grira


Source : https://fr.sputniknews.com 21 novembre 2017