Certains hommes dits de gauche, aveuglés par la passion partisane... |
Au milieu des années 1950, pour parachever la deuxième pacification
de la Côte d'Ivoire commencée en 1949 par le socialiste Laurent Péchoux, Pierre
Messmer en fut nommé gouverneur. C'était le temps où la France inaugurait un
nouveau style d'administration coloniale qu'on pourrait définir par cette image
: la main de Péchoux dans un gant de velours. A ce poste, Messmer fut le témoin
privilégié de l’ascension assistée – et d’autant moins résistible – d’Houphouët
vers l’hégémonie, qui commença à cette même époque. Parmi ses souvenirs, le futur
ministre de De Gaulle rapporte une anecdote qui en dit long sur la manière dont
le futur chef de l’Etat ivoirien indépendant s’y prit pour écarter de sa route tous
ses rivaux potentiels : « Parmi les administrateurs en service à mon
cabinet, deux au moins (…) avaient noué de bonnes relations avec plusieurs
Ivoiriens de l’élite intellectuelle, militants du RDA. Ils les recevaient chez
eux, sortaient ensemble, etc., parlaient beaucoup de l’avenir. Félix Houphouët
en a pris ombrage et me le fait savoir. Il se réjouit que les liens d’amitié
entre Blancs et Noirs se multiplient et il donne lui-même l’exemple, mais il se
méfie des conciliabules de groupes où ses amis risquent de lui échapper ».[1]
Ce que P. Messmer ne dit pas mais qu’il ne pouvait pas
ignorer, c’est qu’à l’époque où se situe cette anecdote, Houphouët était en
grande délicatesse avec la plupart des autres dirigeants du RDA ivoirien.
Nombre de ceux-ci, en particulier les anciens prisonniers de Péchoux,
n'acceptaient pas la rupture avec les mouvements progressistes français, ni
surtout la main tendue aux pires ennemis du RDA, qui à leurs yeux cela
signifiait l'abandon de la ligne anticolonialiste du mouvement. Ce fut une
période particulièrement difficile pour Houphouët. Outre que sa capitulation –
baptisée par lui repli tactique – avait porté un coup terrible à son prestige,
pendant toute cette période, il s’était pratiquement exilé en France. Aussi avait-il
vu sa popularité fondre à la vitesse grand V depuis son discours dit du stade
Géo-André, et son avenir électoral était devenu plus qu’incertain. Par
conséquent, outre que sa réaction à propos des collaborateurs du gouverneur
découlait de l'accord qu’il avait passé avec F. Mitterrand en 1950, l'intérêt
même du président du RDA commandait que ceux qui n’approuvaient pas ces accords
et ceux qui contestaient son leadership fussent tenus à bonne distance de ce
qui se tramait entre lui et le gouvernement français. Dans cette période
décisive pour l’évolution ultérieure du statut de la Côte d’Ivoire, Houphouët
voulait être le seul et l’unique Ivoirien en position d’influer sur les
événements parce que c’était pour lui le moyen le plus sûr de ne pas courir le
risque d’en faire un jour les frais. C’est cela qu’il demandait à P. Messmer,
et que sans doute celui-ci ne fut que trop heureux de lui accorder. N’était-ce
pas justement ce que souhaitait celui qui avait retourné le président du RDA à
la fin de l’année 1950 quand il écrivait : « Pour ne pas alimenter de
vaines espérances, la politique de réformes et de progrès devait éviter d’être
confondue avec une réaction de faiblesse. C’est pourquoi je crois sage
d’indiquer à M. Houphouët que les moyens de force à la disposition des
gouverneurs seraient de toute manière accrus, ce qui permettrait de parer, le
cas échéant, aux déviations que susciteraient les adversaires de cette
politique. En procédant ainsi, on parviendrait sans doute à isoler pour le
réduire le noyau dur, idéologiquement irrécupérable, dont la présence rendait
vaine toute tentative de conciliation. On épargnerait en revanche les
authentiques messagers de la libération africaine que l’assentiment et la
fidélité de leur peuple autant que l’amitié de la France mèneraient aux plus
hauts destins » ?[2]
L’année 1959 fut une date importante dans le processus qui
allait transformer la Côte d’Ivoire en une manière de monarchie absolue. C’est
l’année où Houphouët revint spécialement de Paris pour prendre personnellement
les rênes de la Côte d’Ivoire en tant que Premier ministre du gouvernement
autonome. Mais l’année 1959 fut encore remarquable à un autre titre. Quelques semaines
avant l’installation d’Houphouët dans la fonction de Premier ministre, deux
importants événements politiques avaient eu lieu : le congrès constitutif
de la Jeunesse RDA de Côte d’Ivoire (JRDACI) et le IIIe congrès du Parti
démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), le premier depuis janvier 1949 ! Par
eux-mêmes autant que par leurs résultats, ces deux événements peuvent être
interprétés, sinon comme une condamnation formelle de la politique découlant du
retournement d’Houphouët, du moins comme une critique sévère de sa nouvelle orientation
politique, et aussi comme un avertissement. D’autant que ces événements
eux-mêmes venaient après une série d’autres qui s’étaient succédé tout au long
des cinq ou six années précédentes, et dont ils constituaient une manière de
paroxysme. Citons, pêle-mêle : l’échec à Grand-Lahou, aux élections du 31
mars 1957, des candidats parrainés par Houphouët ; la croisade de la Ligue des
originaires de la Côte d’Ivoire (LOCI) en 1958 ; la radicalisation du mouvement
étudiant à partir de 1958 ; la tentative de reconstruction du syndicalisme de
lutte en 1959.
Les congrès de la JRDACI et du PDCI furent eux-mêmes suivis
par d’autres événements qu’ils avaient pour ainsi dire préparés. Dans l’immédiat,
l’éviction de J.-B. Mockey du gouvernement et du secrétariat général du PDCI et
la grande grève des fonctionnaires de septembre 1959. A plus long terme, la
fausse indépendance du 7 août 1960 et les faux complots de 1963-1964. Autant de
batailles gagnées par Houphouët sur la société en s’appuyant sur la France. A
quoi il faut ajouter l’affaire de la double nationalité, qui, elle, fut un
échec pour Houphouët, même si pour ceux qui la firent échouer ce ne fut qu’une
victoire à la Pyrrhus.
Tous les événements de cette période constituent un bloc
indissociable, cimenté par la même nécessité, chacun découlant plus ou moins
directement du précédent et appelant de même le suivant. Et chacun annonçait à
sa manière un nouveau réveil du mouvement anticolonialiste ivoirien.
Lorsque, en mai 1959, Auguste Denise ne faisant pas l’affaire
des Français, Houphouët dut abandonner son ministère d’Etat à Paris pour le
remplacer à la tête du gouvernement autonome, il y avait déjà sept ou huit ans
que la Côte d’Ivoire vivait en fait sous sa loi. Il en était le député, le
président de l’assemblée territoriale, le maire d’Abidjan, alors la seule ville
à posséder un conseil municipal élu. En outre, il s’était rallié la plupart des
anciens adversaires du mouvement anticolonialiste, de manière à afficher
clairement sa volonté de collaborer sans arrière-pensées avec l’establishment
colonial local et avec le gouvernement français. Toutefois il était encore loin
de dominer le PDCI comme il commencera à le faire quelques mois après son
installation dans la fonction de Premier ministre du gouvernement autonome.
C’est là que se placent la série des événements connus sous l’appellation de
« complot du chat noir ».
La première chute de Jean-Baptiste Mockey (août-septembre 1959) :
causes apparentes et causes cachées
La situation personnelle d’Houphouët à la fin des années
1950 peut se résumer dans la formule suivante : pour survivre –
physiquement et politiquement –, il ne devait rien refuser à Jacques Foccart,
ce qui, à cette époque, voulait surtout dire qu’il ne devait tolérer aucune
manifestation d’opposition à la ligne politique que Foccart lui avait imposée
parce que c’était ce qui convenait le mieux aux intérêts de la France.
Jean-Baptiste Mockey, le secrétaire général du PDCI, qui était aussi
vice-président du conseil des ministres et ministre de l’Intérieur, fut le
premier à en faire les frais. A peine installé dans ses nouvelles fonctions de
Premier ministre du gouvernement autonome, Houphouët brisa ses ailes en le dépouillant
d’un seul coup de toutes ses fonctions dans le parti et dans le gouvernement,
ne lui laissant (provisoirement) que sa mairie de Grand-Bassam. Le prétexte
était le fameux « complot du chat noir »[3].
Un examen attentif de la succession des événements depuis
mars 1959 révèle une coïncidence intéressante : la disgrâce de Mockey fut
connue le 8 septembre[4], à peine une semaine après la fin du
congrès extraordinaire du RDA (fédéral) au cours duquel Mockey, en sa qualité
de secrétaire général du PDCI, avait fait sensation en prononçant, au nom de la
délégation de ce parti (et donc aussi au nom d’Houphouët qui en était le
président d’honneur), un discours qui était une attaque en règle contre la
conception des rapports de la Côte d’Ivoire et de la France qui prévaudront en définitive :
« Nous pensons que le moment est venu de donner une orientation claire et
précise à la Communauté [franco-africaine] : orientation dans nos jeunes Etats
d'abord, orientation à Paris ensuite. C’est parce que nous n’avons pas conçu
notre évolution sans la coopération avec la France que ni les emprisonnements,
ni les assassinats n’ont eu raison à cette époque de notre foi inébranlable. (…).
Certes, toute création humaine peut contenir fatalement, et par ce fait même,
des insuffisances, des malfaçons. La Communauté peut ne pas échapper à cette
règle. Mais ce que nous constatons surtout dès maintenant, onze mois après le
vote et la promulgation de la constitution [de la Communauté], c'est que sa vie
peut être dangereusement menacée par les actes que nous voulons encore croire
insuffisamment réfléchis de certains fonctionnaires irresponsables, ainsi que
de certaines puissances économiques et financières métropolitaines dont on peut
se demander si leur souci de faire des affaires dans des Etats indépendants,
mais impuissants, ne remplace pas leur amour de la patrie. [...].
En conclusion, Mockey esquissait une sorte de programme de
gouvernement évolutif et dynamique, en tous points contraire aux conceptions
conservatrices, néocolonialistes, prônées par Houphouët et ses amis de l’Elysée :
« Construisons d'abord nos jeunes Etats. Donnons-leur une assise
économique, seule capable de supporter le social. Formons nos cadres. Alors,
progressivement, nous donnerons plus de pouvoirs au conseil exécutif et au
sénat de la Communauté afin de faire de ces organismes les véritables
gouvernement et parlement qui s'imposeront dans les faits à une véritable
fédération multinationale, intercontinentale, celle que nous avons toujours
souhaitée. »[5] .
Le numéro de l’hebdomadaire officieux Fraternité qui annonça
la disgrâce de Mockey contenait aussi les extraits de ce discours, comme si un
prote malicieux avait voulu souligner à sa manière la relation de cause à effet
entre les deux événements.
Assez curieusement,
la plupart de ceux, historiens ou simples essayistes, qui se sont penchés sur
cet épisode, font l’impasse sur le discours de Mockey quand ils évoquent le
congrès extraordinaire du RDA où il fut prononcé. Au risque de réduire cette affaire
gravissime au rang d’une simple incompatibilité d’humeur entre deux politiciens
rivaux, et que tout un pan de l’histoire de la Côte d’Ivoire en devienne du
coup totalement incompréhensible.
Outre la preuve directe que constitue cette coïncidence, il
existe plusieurs preuves indirectes de cette relation de cause à effet. Par
exemple, le fait que, avant de faire son coup, Houphouët aurait
« consulté » ses compères Diori Hamani (Niger) et Maurice Yaméogo
(Haute Volta, actuel Burkina Faso), qui, avec le fantasque abbé Fulbert Youlou
(Congo-Brazzaville), avaient été les vedettes étrangères du congrès
extraordinaire du RDA. L’implication de ces deux personnages, étrangers à la
vie intérieure du PDCI et de la Côte d’Ivoire mais intimement associés avec
Houphouët, de Gaulle et Foccart dans la fomentation du néocolonialisme à la
française, dans un débat présenté officiellement comme d’ordre strictement
interne, prouve bien que le départ de Mockey du gouvernement (et bientôt de la
direction du PDCI) à peine une semaine après la fin de ce congrès, n’était
nullement motivé par des impératifs de la vie politique ivoirienne, mais bien
par sa critique de la Communauté franco-africaine telle que la France la
voulait.
Pour bien comprendre ce rapport de cause à effet, il est
nécessaire de se remettre dans l’atmosphère de l’époque. L’année précédente, la
victoire du « Non » en Guinée lors du référendum d’autodétermination
avait valu à ce pays d’être décrété de blocus par le général De Gaulle. En Côte
d’Ivoire, le chef de file des partisans du « Non », l’avocat
Camille Assi Adam, coupable d’avoir privé le Oui de 0,01% des suffrages
exprimés, fut exilé le lendemain même du scrutin. La
« décolonisation », telle que la pratiquaient De Gaulle et Foccart,
n’impliquait pas que les « décolonisés » eussent aussi leur mot à
dire sur la manière dont on la faisait. Or voilà que même dans cette Côte
d’Ivoire que l’on croyait si bien tenir, qui avait à sa tête un homme si
coopératif, et qui était truffée d’agents déjà occupés à préparer la
déstabilisation du régime de Sékou Touré, s’élevaient des accents qu’on avait
déjà entendus à Conakry ! C’était évidemment intolérable. Mais il n’était pas question
de traiter la Côte d’Ivoire comme on avait traité la Guinée. Et, d’ailleurs, ce
n’était nullement nécessaire. Ici, il suffisait de faire un exemple qui
apparaisse durablement, à tous ceux qui étaient tentés de jouer les Sékou Touré,
comme un avertissement. Il fallait faire payer à Mockey ses insolences, mais en
s’y prenant de telle manière qu’on ne puisse pas trop facilement y voir la main
d’un pays civilisé comme la France. D’où le biais de la découverte fortuite et tellement
opportune d’un complot fétichiste… Mais une fois Mockey évincé du gouvernement
et de la direction du parti unique, Houphouët le remplaça dans cette dernière
fonction par l’inoffensif Philippe Yacé, et il s’attribua à lui-même le
ministère de l’Intérieur où, le même jour, il introduisit par décret pas moins
de quinze « assistants techniques » français. Des « assistants
techniques » dont peut-être Mockey n’avait pas voulu…
Ces importantes décisions furent toutes arrêtées dans le
secret du cabinet d’Houphouët, et évidemment sans consulter les instances
régulières du PDCI ni le gouvernement. Mais, si les organes statutaires du
parti unique ni le gouvernement n’eurent aucune part dans ces graves décisions,
d’autres organismes, ou des personnages auxquels les Ivoiriens n’avaient confié
aucun mandat, y eurent une part essentielle. Car, en ces temps-là, bien plus
encore que dans la dernière phase de son règne, l’entourage d’Houphouët était
exclusivement composé d’agents français dont un certain nombre, tels Jean
Mauricheau-Beaupré ou le lieutenant-colonel Bichelot, n’avaient de comptes à
rendre qu’à Jacques Foccart.
Et n’oublions pas que cette même année 1959 a vu la
liquidation violente des derniers syndicats indépendants, et les premières
tentatives de division du mouvement étudiant. C’est aussi à cette époque que
furent élaborées les lois d’exception qui, en 1963 et en 1964, serviront à
réprimer ceux qui seront présentés ces années-là comme les auteurs d’autres
prétendus complots. Le seul fait de faire de telles lois alors que le pays
était tranquille prouve qu’Houphouët se défiait déjà des Ivoiriens et que, pour
les gouverner, il misait essentiellement sur les moyens répressifs mis à sa
disposition par ses tuteurs parisiens. La France, d’ailleurs, ne songeait pas
encore vraiment à décoloniser, et de son côté Houphouët ne voulait toujours pas
entendre parler d’indépendance.
Marcel Amondji
ANNEXES
I
LE CORPS DU DELIT
M. J-B. Mockey : « Construisons d’abord nos jeunes
Etats. »
Voici d'importants passages du discours de M. Jean-Baptiste
Mockey, secrétaire général du Parti démocratique de Côte d'Ivoire, section
territoriale du RDA, et vice-Premier ministre, chargé de l'Intérieur, du
gouvernement de la République de Côte d'Ivoire.
Monsieur le Président,
Chers camarades congressistes,
La délégation du Parti démocratique de la Côte-d'Ivoire,
section ivoirienne du Rassemblement démocratique africain, a suivi avec un
grand intérêt le rapport qu'il fait sien, présenté par le président du
mouvement, M. le Premier ministre Houphouët-Boigny, sur l'évolution de la
Communauté.
Il y a lieu de souligner tout d'abord la ligne politique
constante du R.D.A. En effet, au congrès constitutif de Bamako, en 1946, le
R.D.A. avait nettement posé lé principe de l'émancipation des masses africaines
dans une coopération étroite avec la France. L'Union française, née à cette
époque, aux termes d'une évolution qui s'est effectuée lentement et avec des
fortunes diverses sous le régime de l'occupation coloniale, était souvent
remise en cause dans son principe même. Patiemment, le R.D.A. a rompu le mur
d'incompréhension qui faisait que de Paris on ignorait même quelquefois ce que
ce vocable «Union française» contenait d'espérance dans l'avenir des rapports
franco-africains.
Ce contenu positif devait être concrétisé dans la Loi-cadre
de 1956, vite dépassée dans son application et remplacée le 28 septembre 1958
par une formule nouvelle, « la Communauté ».
Le chemin de l'honneur et de la dignité
Nous n'avons pas à dissimuler aujourd’hui les difficultés
rencontrées. Et c'est parce que nous n'avons pas conçu notre évolution sans la
coopération avec la France que ni les emprisonnements, ni les assassinats n'ont
eu raison à cette époque de notre foi inébranlable.
Et c'est pourquoi aujourd'hui nous nous devons de rendre un
vibrant hommage au président du R.D.A., M. Félix Houphouët-Boigny, qui dans les
moments les plus difficiles de l'histoire de notre mouvement a su le conduire
sur le chemin de l'honneur et de la dignité. Le R.D.A. doit être fier de se
considérer comme le seul mouvement valable en Afrique noire d'expression
française.
Aujourd'hui nous pensons que le moment est venu de donner
une orientation claire et précise à la Communauté : ostentation dans nos jeunes
Etats d'abord, orientation à Paris ensuite.
Certes, toute création humaine peut contenir fatalement, et
par ce fait même, des insuffisances, des malfaçons. La Communauté peut ne pas
échapper à cette règle. Mais ce que nous constatons surtout dès maintenant,
onze mois après le vote et la promulgation de la constitution, c'est que sa vie
peut être dangereusement menacée par les actes que nous voulons encore croire
insuffisamment réfléchis de certains fonctionnaires irresponsables, ainsi que
de certaines puissances économiques et financières métropolitaines dont on peut
se demander si leur souci de faire des affaires dans des Etats indépendants,
mais impuissants, ne remplace pas leur amour de la patrie.
Certains hommes dits de gauche, aveuglés par la passion
partisane, incapables de dépasser, de voir grand et loin, préoccupés uniquement
par la prise de pouvoir de leur classe, troublés par notre éventuelle présence
dans un système fédéral dont le contrôle risque de limiter leurs prétentions,
quant au triomphe de leur cause, avec une désinvolture totale et à plaisir, le
mensonge à la bouche, sous la plume, attaquent sans cesse les vrais amis de la
Communauté, tout en encensant ceux, parmi les Africains, dont le départ de la
Communauté leur laisserait, semble-t-il, le champ libre dans la République
française.
Evolution réaliste
Nous savons combien l'annonce du congrès extraordinaire et
surtout l'ordre du jour limité (évolution de la Communauté) a suscité de
craintes et d'espoir.
Espoir chez les ennemis de la Communauté qui croyaient que
le R.D.A. allait lancer un ultimatum inacceptable.
Crainte chez les amis de la Communauté qui se demandaient
avec anxiété si le R.D.A., sur lequel repose en grande partie la consolidation
de la Communauté, n'allait pas abandonner son idéal.
Depuis hier, les uns et les autres sont fixés. Le président
du R.D.A., au nom du R.D.A. unanime, a clairement défini notre position
conforme à notre ligne politique constante, faite de réalisme.
Evolution, oui, telle qu'elle est prévue par la
Constitution. Mais à partir de réalités. Cela exige la confiance sans laquelle
rien de durable ne peut être entrepris, l'égalité qui tue le complexe, la
solidarité qui est la base fondamentale de la Communauté.
Construisons d'abord nos jeunes Etats. Donnons-leur une
assise économique, seule capable de supporter le social. Formons nos cadres.
Alors, progressivement, nous donnerons plus de pouvoirs au Conseil exécutif et
au Sénat de la Communauté afin de faire de ces organismes les véritables
gouvernement et parlement qui s'imposeront dans les faits à une véritable
fédération multinationale, intercontinentale, celle que nous avons toujours
souhaitée.
(Source : Fraternité 11 septembre 1959 ; page 9)
II
L’habillage médiatique d’un limogeage déguisé
1. Communiqué du gouvernement
(Fraternité 18 septembre 1959 ; page 3)
Secrétaire général du PDCI, M. J.-B. Mockey renonce à sa
charge de vice-Premier ministre afin de se consacrer entièrement aux activités
du parti.
A l'issue du Conseil de gouvernement qui s'est tenu le 8
septembre à 16 heures, sous la présidence de M. Félix Houphouët-Boigny, le
communiqué suivant a été publié : « M. Mockey, vice-Premier ministre, ministre
de l'Intérieur, ayant estimé que ses lourdes charges gouvernementales ne lui
permettaient plus d'assumer correctement sa fonction de secrétaire général du
P.D.C.I., a offert hier au Premier Ministre sa démission de vice-Premier
Ministre et de Ministre de l'Intérieur.
Le Premier ministre comprenant les mobiles louables qui ont
amené M. Mockey à lui présenter sa démission, a accepté celle-ci et l'a remercié
vivement pour la collaboration efficace qu'il lui a apportée.
M. Mockey se consacrera désormais à ses responsabilités de
secrétaire général du P.D.C.I., afin de lui donner une impulsion nouvelle et
une force accrue.
Le Premier Ministre assumera lui-même les fonctions de
Ministre de l'Intérieur.
2. Communiqué du Bureau politique du P.D.C.I.
(Fraternité 18 septembre 1959 ; page 3)
« Le bureau politique du P.D.C.I. (section ivoirienne du
R.D.A.) réuni hier 8 septembre, a entendu, sur sa demande, le secrétaire
général Mockey Jean-Baptiste. Celui-ci l'a prié, en raison de ses multiples
tâches politiques (maire de Grand-Bassam, député, sénateur de là Communauté),
d'insister auprès du Premier ministre de la République de Côte-d’Ivoire pour le
décharger des fonctions non moins 'importantes de ministre de l'Intérieur afin
de lui permettre de mieux se consacrer à la vie du mouvement.
Le bureau politique a pris acte de cette communication et a
félicité le secrétaire général de sa décision.
II s'est engagé à intervenir auprès du président pour lui
souligner tout l'intérêt que mérite la situation afin qu'il accepte la
démission du secrétaire général Mockey de ses fonctions de ministre de
l'Intérieur et de vice-Premier ministre.
Il demandera au Premier ministre d'assumer lui-même la
responsabilité de ce département très important afin de concentrer entre ses
mains la direction politique du mouvement et la direction des affaires
gouvernementales, et ce pour permettre à la Côte-d’Ivoire de mieux s'armer en
vue de la réalisation de notre idéal communautaire. »
[1] - Après tant de batailles, Albin Michel, 1992; p. 209. Voir aussi, de
ce même auteur : Les Blancs s’en
vont. Récits de décolonisation, Albin Michel, 1998 ; p. 85.
[4] - En fait, dès le 8 août 1959, une
rumeur faisait état d’un conflit latent entre Mockey et Houphouët, et d’un
possible limogeage du premier par le second. Mais cette crise n’en était pas
moins liée à la question de la Communauté (CF : A. Zolberg, One-party
government in the Ivory Coast, Princeton University Press, 1964 ; pp.
244sq).
[5]
- Fraternité
du 11 septembre 1959.
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