Le général Yamoussa Camara
(news.abamako.com)
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Ancien chef
d’état-major de la Garde nationale, le général Yamoussa Camara était ministre
de la Défense dans le gouvernement de la Transition. C’est l’un des rares
officiers de haut rang à avoir été favorables à la junte dès les premières
heures du coup d’État du 22 mars 2012 au Mali. À quelques heures de la
prestation de serment du nouveau président Ibrahim Boubacar Keïta, il a bien
voulu répondre aux questions de Jeune Afrique.
Jeune Afrique :
Quelles sont les causes du coup d’État du 22 mars 2012 ?
Yamoussa Camara
: Les officiers étaient au courant que de nombreuses plaintes émanaient des
troupes. Le putsch était attendu… Même par le président Amadou Toumani Touré !
L’intégration des rebelles dans l’armée (environ 3 000) avaient eu des effets
pervers : un manque de cohésion interne, une armée à deux vitesses… Il y avait
les privilégiés de la gestion de carrière et les autres. Les autorités
politiques intervenaient de façon intempestive à tous les niveaux, c’était le
népotisme le plus total. Même pour les officiers, il n’y avait plus de
promotion au mérite. Le sentiment d’injustice était général.
Et puis le
manque de moyens était criant. À Kidal, en première ligne, il y avait un fusil
pour deux hommes ! Quelques semaines avant le coup, ATT a déclaré dans une
interview qu’il avait donné aux militaires tous les moyens, même ceux qu’ils
n’avaient pas demandés : ces propos révoltants ne sont pas passés du tout… Le
coup d’État a été vraiment spontané, même si après on a appris qu’une petite
chose avait été organisée…
Laquelle ?
(Sourire)
Pourquoi Sanogo
a-t-il été porté à la tête du Comité national de redressement de la démocratie
et de la restauration de l’État (junte) ?
Sanogo est
arrivé au bon endroit au bon moment. C’était juste le plus gradé. Il n’était
pas le plus populaire ni le plus charismatique.
La junte
était-elle hostile à toute intervention extérieure, notamment de la Cedeao ?
Oui, au départ,
celle-ci était mal vue car la junte n’avait pas une vision correcte de la
situation. La défaite de Konna face aux jihadistes a été à l’origine d’une
réelle prise de conscience… Le 9 janvier, les premiers affrontements ont tourné
à notre avantage et l’euphorie a vite gagné nos rangs. Mais ce n’était qu’une
sonde de l’ennemi pour tester notre dispositif. Le gros des troupes (environ
100 véhicules) nous a attaqué le lendemain et la panique s’est répandue même
chez les civils à Bamako. L’appui aérien et le renseignement nous faisaient
particulièrement défaut : nous n’avions que des ULM pour la
reconnaissance…
Quel rôle a
joué par la Côte d’Ivoire ?
Le président
Alassane Ouattara a eu un grand rôle dans la gestion politique de la crise,
l’élaboration et la signature d’un accord qui a permis rapidement de mettre en
place l’opération Serval. Précédemment, il avait aussi permis que les 19 engins
blindés commandés par ATT en Bulgarie et bloqués à Conakry par la Cedeao nous
soient livrés, même un peu tardivement.
Comment
voyez-vous les prochaines négociations avec les rebelles touareg ?
Je ne sais pas
ce qu’il y a à négocier qui ne l’a déjà été. Nous serons toujours éternellement
reconnaissants envers la France pour son intervention, mais elle a aussi permis
au MNLA [Mouvement national de libération de l’Azawad] de renaître de ses
cendres, en intégrant et en recyclant des éléments jihadistes… Le deal avec la
France semble avoir été de l’aider à retrouver ses otages. Mais même si le MNLA
sait où ils se trouvent, il ne le dira jamais car trop lié aux
terroristes.
La France
a-t-elle eu un rôle dans le déclenchement de la rébellion, au début de 2012 ?
Vous savez, nos
moyens de renseignement sont faibles, mais ils ne sont pas inexistants. Nous
sommes convaincus qu’une partie du matériel français livré en Libye a
finalement atterri au Mali. Et qu’en échange du lâchage de Kaddafi, on a
déroulé le tapis rouge à certains rebelles comme Ag Najem du MNLA.
Et en ce qui
concerne l’Algérie ? Que pensez-vous de son rôle dans l’activation d’Ansar
Eddine, par exemple ?
L’Algérie a la
position d’un pays souverain, mais elle a mis en place avec les pays du champ
le comité conjoint des chefs d’état-major de Tamanrasset qui ne sert à rien
depuis 5 ans. Quand nous voulons intervenir avec elle dans la zone, l’Algérie
prétexte que sa Constitution lui interdit d’intervenir hors de ses frontières.
Pourquoi alors mettre en place des organes opérationnels avec ses voisins ? Je
n’appelle pas ça jouer franc-jeu…Il faut une réelle volonté des pays du champ
pour résoudre le problème du terrorisme.
La junte a
d’ailleurs légitimé son coup d’État en condamnant la gestion de la guerre au
Nord par ATT. Quel sera le rôle de l’armée à l’avenir ?
Une chose est
sûre : l’armée malienne ne se mêlera plus des affaires politiques. Le pendule
est remis à zéro. Les nouvelles autorités auront toute l’autorité qui leur
revient. Il n’y aura qu’un seul capitaine, IBK. Le général Sanogo ne veut plus
jouer aucun rôle, et le cas échéant il refusera même les postes qu’on lui
proposera. D’ailleurs, un officier général sans emploi pendant six mois doit
être mis en disponibilité exceptionnelle, c’est le règlement.
Sanogo a eu une
belle promotion « à titre exceptionnel » : de capitaine il est devenu
général quatre étoiles. Ce n’est pas un peu trop rapide quand même ?
Non, je ne
pense pas : il fallait du cran pour aller au bout du coup d’État. Alors,
pourquoi général de corps d’armée et pas de division ? La réponse est simple :
pour le mettre à l’abri, le protéger. S’il est rappelé pour quelque raison que
ce soit, il ne sera pas sous les ordres d’un autre général. Vous savez, une
nomination de général est toujours un peu politique. Même le général Patton a
fini par être chapeauté par son ancien adjoint car il avait déplu au pouvoir
politique !
Depuis
l’indépendance, tous les gouvernements maliens font une place aux militaires.
N’est-ce pas anormal ?
Non, les
militaires sont des citoyens comme les autres. Ils peuvent participer à un
gouvernement si on leur demande. Ce qui serait choquant, c’est qu’ils aient une
prépondérance dans le gouvernement.
Propos
recueillis à Bamako par Pierre François Naudé, envoyé spécial
Source : Jeune Afrique 4 septembre 2013
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