dimanche 8 septembre 2013

Interview du général Yamoussa Camara

Le général Yamoussa Camara
(news.abamako.com)
Ancien chef d’état-major de la Garde nationale, le général Yamoussa Camara était ministre de la Défense dans le gouvernement de la Transition. C’est l’un des rares officiers de haut rang à avoir été favorables à la junte dès les premières heures du coup d’État du 22 mars 2012 au Mali. À quelques heures de la prestation de serment du nouveau président Ibrahim Boubacar Keïta, il a bien voulu répondre aux questions de Jeune Afrique.
 
Jeune Afrique : Quelles sont les causes du coup d’État du 22 mars 2012 ? 
Yamoussa Camara : Les officiers étaient au courant que de nombreuses plaintes émanaient des troupes. Le putsch était attendu… Même par le président Amadou Toumani Touré ! L’intégration des rebelles dans l’armée (environ 3 000) avaient eu des effets pervers : un manque de cohésion interne, une armée à deux vitesses… Il y avait les privilégiés de la gestion de carrière et les autres. Les autorités politiques intervenaient de façon intempestive à tous les niveaux, c’était le népotisme le plus total. Même pour les officiers, il n’y avait plus de promotion au mérite. Le sentiment d’injustice était général.
Et puis le manque de moyens était criant. À Kidal, en première ligne, il y avait un fusil pour deux hommes ! Quelques semaines avant le coup, ATT a déclaré dans une interview qu’il avait donné aux militaires tous les moyens, même ceux qu’ils n’avaient pas demandés : ces propos révoltants ne sont pas passés du tout… Le coup d’État a été vraiment spontané, même si après on a appris qu’une petite chose avait été organisée… 

Laquelle ?
(Sourire)  

Pourquoi Sanogo a-t-il été porté à la tête du Comité national de redressement de la démocratie et de la restauration de l’État (junte) ?
Sanogo est arrivé au bon endroit au bon moment. C’était juste le plus gradé. Il n’était pas le plus populaire ni le plus charismatique.  

La junte était-elle hostile à toute intervention extérieure, notamment de la Cedeao ?
Oui, au départ, celle-ci était mal vue car la junte n’avait pas une vision correcte de la situation. La défaite de Konna face aux jihadistes a été à l’origine d’une réelle prise de conscience… Le 9 janvier, les premiers affrontements ont tourné à notre avantage et l’euphorie a vite gagné nos rangs. Mais ce n’était qu’une sonde de l’ennemi pour tester notre dispositif. Le gros des troupes (environ 100 véhicules) nous a attaqué le lendemain et la panique s’est répandue même chez les civils à Bamako. L’appui aérien et le renseignement nous faisaient particulièrement défaut : nous n’avions que des ULM pour la reconnaissance…  

Quel rôle a joué par la Côte d’Ivoire ?
Le président Alassane Ouattara a eu un grand rôle dans la gestion politique de la crise, l’élaboration et la signature d’un accord qui a permis rapidement de mettre en place l’opération Serval. Précédemment, il avait aussi permis que les 19 engins blindés commandés par ATT en Bulgarie et bloqués à Conakry par la Cedeao nous soient livrés, même un peu tardivement. 

Comment voyez-vous les prochaines négociations avec les rebelles touareg ?
Je ne sais pas ce qu’il y a à négocier qui ne l’a déjà été. Nous serons toujours éternellement reconnaissants envers la France pour son intervention, mais elle a aussi permis au MNLA [Mouvement national de libération de l’Azawad] de renaître de ses cendres, en intégrant et en recyclant des éléments jihadistes… Le deal avec la France semble avoir été de l’aider à retrouver ses otages. Mais même si le MNLA sait où ils se trouvent, il ne le dira jamais car trop lié aux terroristes.  

La France a-t-elle eu un rôle dans le déclenchement de la rébellion, au début de 2012 ?
Vous savez, nos moyens de renseignement sont faibles, mais ils ne sont pas inexistants. Nous sommes convaincus qu’une partie du matériel français livré en Libye a finalement atterri au Mali. Et qu’en échange du lâchage de Kaddafi, on a déroulé le tapis rouge à certains rebelles comme Ag Najem du MNLA.  

Et en ce qui concerne l’Algérie ? Que pensez-vous de son rôle dans l’activation d’Ansar Eddine, par exemple ?
L’Algérie a la position d’un pays souverain, mais elle a mis en place avec les pays du champ le comité conjoint des chefs d’état-major de Tamanrasset qui ne sert à rien depuis 5 ans. Quand nous voulons intervenir avec elle dans la zone, l’Algérie prétexte que sa Constitution lui interdit d’intervenir hors de ses frontières. Pourquoi alors mettre en place des organes opérationnels avec ses voisins ? Je n’appelle pas ça jouer franc-jeu…Il faut une réelle volonté des pays du champ pour résoudre le problème du terrorisme. 

La junte a d’ailleurs légitimé son coup d’État en condamnant la gestion de la guerre au Nord par ATT. Quel sera le rôle de l’armée à l’avenir ?
Une chose est sûre : l’armée malienne ne se mêlera plus des affaires politiques. Le pendule est remis à zéro. Les nouvelles autorités auront toute l’autorité qui leur revient. Il n’y aura qu’un seul capitaine, IBK. Le général Sanogo ne veut plus jouer aucun rôle, et le cas échéant il refusera même les postes qu’on lui proposera. D’ailleurs, un officier général sans emploi pendant six mois doit être mis en disponibilité exceptionnelle, c’est le règlement.  

Sanogo a eu une belle promotion « à titre exceptionnel » : de capitaine il est devenu général quatre étoiles. Ce n’est pas un peu trop rapide quand même ?
Non, je ne pense pas : il fallait du cran pour aller au bout du coup d’État. Alors, pourquoi général de corps d’armée et pas de division ? La réponse est simple : pour le mettre à l’abri, le protéger. S’il est rappelé pour quelque raison que ce soit, il ne sera pas sous les ordres d’un autre général. Vous savez, une nomination de général est toujours un peu politique. Même le général Patton a fini par être chapeauté par son ancien adjoint car il avait déplu au pouvoir politique !  

Depuis l’indépendance, tous les gouvernements maliens font une place aux militaires. N’est-ce pas anormal ?
Non, les militaires sont des citoyens comme les autres. Ils peuvent participer à un gouvernement si on leur demande. Ce qui serait choquant, c’est qu’ils aient une prépondérance dans le gouvernement. 

Propos recueillis à Bamako par Pierre François Naudé, envoyé spécial


Source : Jeune Afrique 4 septembre 2013

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