« Linas-Marcoussis est pour moi
le cimetière de l’Etat ivoirien
et de la démocratie. »
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. Vous venez
d’être acquitté par le tribunal d’Osu à Accra après un procès qui a duré un an.
Quels sont vos sentiments sur cet acquittement ?
Je suis traversé par un sentiment ambivalent. Je
suis animé d’un sentiment de grande joie, qui se juxtapose malheureusement à
une profonde peine. Cette peine qui se justifie par le fait que le président
Laurent Gbagbo, celui-là qui a tout donné à la Côte d’Ivoire, pour reprendre
l’expression du camarade Abou Drahamane Sangaré, vice-président du Fpi, et
celui à qui le peuple ivoirien continue de s’identifier, est maintenu de façon
absolument illégale en prison. Ils sont nombreux nos compatriotes et nos frères
d’Afrique et d’ailleurs qui ont le sommeil perturbé à cause de la détention
inadmissible de cet homme. De ce fait, aucune joie ne peut être totale, surtout
pas la mienne. Cependant dans la nuit la plus noire, chaque rayon de lumière
est une source d’espérance. Dans ces circonstances, Il faut savoir exprimer sa
gratitude. C’est pourquoi, je voudrais avant tout propos rendre gloire au Dieu
Unique qui est toujours juste. Je suis l’expression achevée de sa présence aux
côtés des faibles et des persécutés. Ma foi chrétienne a été la source unique
de mon espérance devant cette épreuve où se jouait ma vie. C’est le philosophe
et écrivain français, Jean Paul Sartre qui disait qu’à chaque fois que
quelqu’un fait quelque chose de positif, il rappelle à l’humanité que cela est
possible et faisable. La Justice ghanéenne vient de rappeler que la quête de l’indépendance
de la justice est avant tout l’œuvre du Juge lui-même. Exerçant une fonction
divine, (Dieu est le Juge Suprême), il n’a de censeur que Dieu. En disant le
droit dans un contexte de fortes pressions politico-diplomatiques, le Juge
Aboagye Tandoh a élargi le domaine du possible dans un espace africain qui
focalise sur lui, toutes sortes de récriminations, qui partent de la corruption
de l’appareil judiciaire, à sa soumission au pouvoir politique. Je voudrais
sincèrement exprimer ma reconnaissance et mon admiration à la justice ghanéenne
à travers le Juge Aboagye Tandoh. Mais il a fallu que le gouvernement ghanéen,
qui a subi toutes les formes de pressions de la part de son homologue ivoirien
et de ses soutiens, accepte de se soumettre aux lois du Ghana. J’exprime au
président John Mahama, à son prédécesseur John Evans Atta Mills, de regrettée mémoire,
au gouvernement et à la classe politique dans son ensemble, au nom du président
Laurent Gbagbo et en mon nom propre, ma profonde gratitude. J’associe à ces
remerciements tout le peuple ghanéen, qui accueille dans un esprit de grande
fraternité tous les exilés ivoiriens et ceux venant d’ailleurs. Je relève avec
la fierté d’être africain, la grande sagesse de ce peuple, qui donne une leçon
de démocratie qui contraste avec les clichés que les afro-pessimistes
véhiculent sur ce continent.
Je voudrais saluer avec déférence, le président
John Jerry Rawlings, qui s’est déplacé en personne pour me rendre visite dans
ma prison. Il porte partout le combat du président Laurent Gbagbo. Pour les
personnes de notre génération, il fait partie avec Thomas Sankara, des icônes
qui ont éveillé nos consciences de jeunes africains et entretenu nos rêves pour
une Afrique qui peut gagner. J’associe à ces remerciements avec autant de
déférence, le président Thabo Mbeki qui a suivi cette affaire avec une très
grande attention et qui ne ménage aucun effort pour dénoncer l’injustice dont
est victime le président Laurent Gbagbo. Je remercie également l’Ambassadeur
des Etats Unis au Ghana, qui a toujours dépêché une délégation à chaque jour de
mon procès.
Je finis ces remerciements par là où j’aurais dû
commencer. J’adresse mes vifs remerciements et mes chaleureuses félicitations à
mon équipe d’avocats composée de Maitre Lucie Bourthoumieux et de maître
Patrice Sogbodjor. Leur talent a été déterminant dans cette affaire. Je crois
fermement que si Madame Bourthoumieux n’était pas avec moi, les jours de mes
arrestations, j’aurais eu très peu de chance de passer devant un juge. Elle m’a
sauvé d’une mort certaine. Je lui suis indéfiniment reconnaissant. Je marque
toute mon amitié à la cellule juridique de la coordination du FPI en exil
composée des éminents hommes et femmes de droits de notre pays. Son président,
le professeur Tano Félix, le professeur Hubert Oulaye, madame le ministre
Jeannine Badjo, tous agrégés de droit, et surtout à maître Dakoury Roger, pour
sa présence continue à mes côtés au tribunal. J’y associe la cellule de
communication dirigée par les Ministres Lia bi et Koffi Koffi Lazare et à
l’ensemble de leur formidable équipe avec un regard particulier sur les internautes
notamment ceux qui animent mes différents espaces de communication, et les
blogueurs qui ont donné la preuve de l’immensité de leur talent. Que Dieu
rétribue chacun d’eux au-delà de ses espérances.
• Comment
avez-vous vécu une année durant l’absence ou la restriction de votre liberté de
mouvement ?
Le moins qu’on puisse dire, c’est que cela été très
pénible pour moi. Mais jamais je n’ai douté de la victoire finale. La très
grande chaine de solidarité surtout spirituelle autour de moi m’a convaincu de
la justesse du combat que nous menons. Parce qu’il ne faut pas se méprendre, je
n’ai aucun mérite particulier que celui d’avoir bénéficié de la confiance du
président Laurent Gbagbo. Je n’ai reçu que l’expression de la grande affection
que tous les combattants de la liberté ont pour le président Laurent Gbagbo.
Autrement dit, ce n’est pas la personne de Koné Katinan Justin qui a bénéficié
de cet élan de solidarité, mais Koné Katinan en tant qu’acteur pour le compte
exclusif d’un grand homme : Laurent Gbagbo. Ayant vécu ces moments terribles en
association avec tous les maillons de cette chaine de solidarité, c’est évident
que je les associe pleinement au bonheur de la victoire. A ce titre, je
voudrais remercier mon épouse et mes enfants, toute ma famille, au sens
africain du terme, qui part des plus proches et se prolonge aussi loin que
possible par l’effet d’un lien de sang qui se détend à l’infini, sans pour
autant jamais se rompre. Je remercie également les camarades de la Direction du
parti, tous les membres du comité central, les militants et l’ensemble des
Ivoiriennes et des Ivoiriens. A ce niveau, j’adresse une motion spéciale au
Docteur Assoa Adou, notre doyen, président de la Coordination du FPI en exil
qu’il dirige avec une grande dextérité. Évidemment en le citant, c’est
l’ensemble du bureau de cette coordination que je vise. Je ne peux occulter
tous les autres exilés qui ont fui leur pays pour avoir supporté le président
Laurent Gbagbo. Ce seul fait est devenu le crime le plus puni en Côte d’Ivoire.
Enfin je reste infiniment redevable à tous ceux qui ont donné de leur argent
pour m’aider dans la situation très difficile que ma famille et moi avons
traversé. Que Dieu le leur rembourse avec un taux d’intérêt exponentiel. Pour
répondre à votre question, j’ai été formaté au Fpi dont je suis militant depuis
septembre 1989. J’ai retenu de la formation de mes maîtres, que rien n’est
figé. Une intelligence figée est en soi déjà le signe d’une profonde maladie
morale. J’ai compris très tôt que l’objectif de mes persécuteurs était de
m’immobiliser. Nous nous sommes réorganisés autrement au niveau du «
Porte-parolat », pour continuer la mission. Ici encore, que tous ceux qui sont
avec moi dans cette mission confiée par le président Laurent Gbagbo en soient
remerciés. Ils m’ont encadré et nous avons continué notre mission. Aujourd’hui,
avec l’avancement des moyens de communication, vouloir immobiliser une personne
est une épreuve à la limite vaine. On peut être à Accra et être en même temps
ailleurs. C’est ce que nous avons su faire.
• Au plan
politique, en quoi cela a pu véritablement être un obstacle à vos activités en
tant que Porte-parole de Laurent Gbagbo ?
Lorsque le président Laurent Gbagbo m’a fait
l’insigne honneur de me choisir comme son porte-parole le 26 mai 2011, il m’a
donné une feuille de route. Conformément à cette feuille de route, je devrais
accomplir certaines missions. C’est ce que j’ai fait du 6 juin 2011 au 24 août
2012, le jour de mon arrestation. Donc, de ce point de vue, cette
immobilisation d’un an a un tant soit peu perturbé notre travail, mais comme je
l’ai dit, nous nous sommes réorganisés autrement pour contourner cet obstacle
là où c’était possible.
• Au fait, de
quoi vous accusait-on au juste, tant les chefs d’accusation semblaient varier
au gré des humeurs de vos accusateurs ?
Je rappelle que les mandats émis par les autorités
judiciaires ivoiriennes contre les ministres et les hauts fonctionnaires
proches du président Laurent Gbagbo contiennent tous les mêmes motifs. Crimes
économiques. Il m’est reproché d’avoir, en tant que ministre du budget, commis
des vols à main armée dans plusieurs banques et institutions financières du
pays, y compris à la Bceao. En d’autres termes, on me reproche d’avoir braqué
ces banques et sociétés de février à mars 2011. Je suis également poursuivi en
tant que complice dans la commission des mêmes infractions. Le montant est
évalué à 380 milliards de F CFA. Dans l’acte d’accusation qui a été lu devant
le juge, il est mentionné que j’ai commis ces infractions pour soutenir le
président Laurent Gbagbo qui faisait face à un embargo. Pour la seconde
affaire, j’ai été accusé d’avoir tué moi-même, après avoir conspiré avec le
ministre de l’économie et des finances, deux personnes dont j’ai entendu les
noms la première fois le lundi 1er octobre 2012 devant le EMS Court. Il s’agit d’un certain Kamagaté, soudeur de son état et
âgé de 83 ans, que j’aurais tué le 29 mars 2011 à Port-Bouët, et un autre
répondant au nom de Diabaté Drissa, négociant, âgé quant à lui de 38 ans,
également domicilié à Port-Bouët. J’aurais tué ce dernier le 19 mars. Même là
aussi on fait du rattrapage.
•
L’accusation en définitive vous semblait-elle grotesque, dénuée de sens ?
Ces deux accusations ont été toutes portées devant
deux juges différents. Le mandat d’arrêt international de la deuxième affaire
relative au double meurtre a été émis le mardi 25 septembre 2012, le jour même
où le Juge m’accordait une liberté provisoire pour la première affaire,
relative au braquage des banques. Après un mois de détention, le second juge,
las d’attendre les preuves qui étayent le double meurtre, et ayant compris
qu’il s’agissait d’une fausse accusation qui cachait mal un mobile politique,
m’en a finalement déchargé le mercredi 24 octobre 2012. Finalement il ne restait
plus que l’affaire relative au vol à mains armées des banques, pour laquelle le
juge a refusé mon extradition pour les raisons qu’il a bien développées dans sa
décision. En définitive que ce soit le vol à mains armées ou le double meurtre,
toutes ces accusations sont absolument grotesques et dénuées de tout sens.
• Un
ministre du gouvernement actuel vous a publiquement accusé d’avoir fui le pays,
emportant avec vous des sacs d’argent de la Bceao. Est-ce techniquement
possible ?
Je crois avoir suffisamment expliqué
l’impossibilité aussi bien technique que pratique d’une telle opération. 380
milliards c’est une somme énorme dont le transport nécessite une logistique qui
ne peut passer inaperçue. Pour un calcul simple, à supposer que la somme volée
soit composée de billets de 10 000 f Cfa, la coupure de CfA la plus importante,
un milliards c’est 100 milles coupures de 10 000. Soit 100 paquets de 10
millions. Tous ceux qui ont eu à transporte 10 millions, savent que cela pèse
au moins 2 kg. Un milliard pèse donc au moins 200 kg. Rapporté au 380 milliards
cela représente un poids de 76000kg soit 76 tonnes. Les valises les plus
grandes ne peuvent contenir un poids de 100 kg. A supposer que par
extraordinaire j’ai pu trouver des valises de 100 kg, il m’en aurait fallu au
moins 760. Je ne suis pas Hercules. C’est tout cela qui enlève tout sérieux à
cette accusation. Je rappelle que 380 milliards, c’est 38 millions de billets
de 10 000. C’est-à-dire que je distribue 10 000 à chaque ivoirien, la
population ivoirienne étant estimée à 25 millions il m’en restera encore 13
millions de billets de 10 000. J’avoue que j’ai été très peiné de voir comment
mon pays s’est donné en spectacle dans un autre pays pour soutenir
l’insoutenable.
• Avant le
verdict du Juge ghanéen, votre procès était tantôt perçu comme politique,
tantôt comme de droit commun. Quel était pour vous l’interprétation la plus
plausible ?
Le gouvernement ivoirien le voulait de droit commun ;
moi j’étais convaincu qu’il s’agissait d’une affaire politique. Le juge est
arrivé à la même conclusion que moi. Il ne faut jamais perdre de vue que le
gouvernement ivoirien et ses parrains internationaux se sont évertués à
soutenir qu’il n’y avait pas de prisonniers politiques en Côte d’Ivoire. Le
Secrétaire général de l’Onu en personne a affirmé qu’il n’y avait pas de
prisonniers politiques en Côte d’Ivoire. Du président Laurent Gbagbo jusqu’au
moindre soldat, tout le monde était considéré comme des prisonniers de droit
commun. Ayant célébré la démocratie à la bombe, ils ont écrit en Côte d’Ivoire
d’autres critères pour définir les prisonniers politiques. C’est pourquoi la
décision du Juge Aboagye Tandoh est un véritable coup de tonnerre dans le ciel
ivoirien artificiellement dépeint d’un bleu reposant.
• Quels sont
les arguments que le juge a développés pour débouter vos accusateurs ?
Le juge avait à répondre de façon cumulative à 5
questions :
Les infractions pour lesquelles je suis poursuivi
dans mon pays sont-elles considérées comme telles au Ghana ?
Ces infractions sont-elles réellement constituées ?
N’ont-elles pas un caractère politique ?
Y-a-t-il une convention d’extradition qui lie les
deux pays (le Ghana et la Côte d’Ivoire) ?
Si je suis extradé, est ce que je pourrai
bénéficier d’un jugement impartial et si ma vie ne sera pas en danger dans mon
pays ?
Le Juge Aboagye Tandoh a répondu de la façon
suivante :
En ce qui concerne le premier point, le juge a
reconnu que le vol à mains armées constitue une infraction punie aussi bien en
Côte d’Ivoire qu’au Ghana. Il a rappelé les différents articles des codes
pénaux des deux pays.
Sur le second point, le juge a passé en revue
toutes les preuves apportées par l’accusation et le témoignage du témoin à
charges. Il a relevé trois éléments qui ont forgé sa conviction.
Le témoin à charge a reconnu que dans les preuves apportées par le gouvernement ivoirien au soutien de son accusation, lesquelles preuves sont constituées exclusivement des Procès-verbaux d’auditions des directeurs généraux des banques ou des sociétés qui auraient subi mon vol à mains armées ou de leurs représentants, mon nom figure dans quatre des dix dépositions. Mais il reconnait que nulle part dans ces dépositions il est fait mention de vols à mains armées.
Le témoin à charge a reconnu que dans les preuves apportées par le gouvernement ivoirien au soutien de son accusation, lesquelles preuves sont constituées exclusivement des Procès-verbaux d’auditions des directeurs généraux des banques ou des sociétés qui auraient subi mon vol à mains armées ou de leurs représentants, mon nom figure dans quatre des dix dépositions. Mais il reconnait que nulle part dans ces dépositions il est fait mention de vols à mains armées.
Sur les autres dépositions dans lesquelles mon nom
ne figure pas, une seule de ces dépositions fait état de vol à mains armées.
Mais le déposant a affirmé clairement dans sa
déposition que les vols ont été commis dans son établissement entre le 19 et 21
avril 2011. Or A cette date, a dit le Juge, j’étais déjà au Ghana et mon
attestation de réfugié émis par le Ghana
Refugies Board (l’organisme qui gère les réfugiés au Ghana), établit
nettement que je suis entré dans ce pays le 13 avril 2011. Il est donc évident
qu’en toute logique, je ne pouvais être l’auteur de ce vol. Mieux, le déposant
affirme sans ambigüité que le vol a été commis par les FRCI.
Le juge a relevé le fait que les banquiers
eux-mêmes qui ont fait les dépositions ne mentionnent pas de vol à mains
armées, d’où vient-il que l’Etat se substitue à eux pour m’accuser de cette
infraction. Je rappelle que la BCEAO qui est censée avoir subi le plus grand
préjudice n’a jamais porté de plainte.
Il est revenu sur le fait que j’ai suffisamment démontré à la barre l’impossibilité matérielle de commettre ce crime et que l’accusation n’est pas arrivée à me confondre à la barre.
Il a rappelé en outre que les banques ont été ouvertes suivant une procédure légale avec l’autorisation expresse du président du Tribunal d’Abidjan, l’ordonnance délivrée à cet effet par ce Juge faisant foi. De tels faits ne peuvent constituer des infractions. Il en a conclu qu’il y avait trop d’ombres qui sont autant de doutes sur le fait que j’ai commis ces crimes.
Il est revenu sur le fait que j’ai suffisamment démontré à la barre l’impossibilité matérielle de commettre ce crime et que l’accusation n’est pas arrivée à me confondre à la barre.
Il a rappelé en outre que les banques ont été ouvertes suivant une procédure légale avec l’autorisation expresse du président du Tribunal d’Abidjan, l’ordonnance délivrée à cet effet par ce Juge faisant foi. De tels faits ne peuvent constituer des infractions. Il en a conclu qu’il y avait trop d’ombres qui sont autant de doutes sur le fait que j’ai commis ces crimes.
Sur le point relatif au caractère politique ou non
des poursuites engagées contre moi, le juge a fait le raisonnement suivant :
J’étais ministre du budget et c’est dans ce cadre
que j’ai agi.
Je suis haut cadre du Fpi, le parti du président
Laurent Gbagbo et il est notoirement établi que beaucoup de cadres de ce parti
ou qui lui sont proches sont en prison.
J’ai été arrêté une deuxième fois pour une affaire
de meurtre qui a été abandonnée faute de preuves.
Il en déduit qu’il est difficile de soutenir que la
demande d’extradition est dénuée de mobiles politiques. Or il est constant que
la constitution ghanéenne interdit l’extradition pour des motifs politiques.
Sur le quatrième point relatif à l’existence ou non d’une convention d’extradition entre la Côte d’Ivoire et le Ghana, le juge a fait les observations suivantes :
Sur le quatrième point relatif à l’existence ou non d’une convention d’extradition entre la Côte d’Ivoire et le Ghana, le juge a fait les observations suivantes :
Il n’existe pas de convention bilatérale
d’extradition entre les deux pays. Le gouvernement ivoirien a fondé sa demande
sur la convention de la Cedeao.
Or sans remettre en cause le document de ratification
de cette convention par la Côte d’Ivoire, le Juge a dit que sur la base des
informations en sa possessions et étayées par un document produit par le
procureur ghanéen qui agit par commission rogatoire pour le compte de l’Etat
ivoirien, seulement cinq pays ont ratifié la convention d’extradition signée
entre les Etats membres de la Cedeao. Le Juge a énuméré ces Etats qui sont le
Burkina Faso, le Benin, le Cap vert, le Ghana et… la Côte d’Ivoire n’y figure.
En tout état de cause, à supposer que la Côte d’Ivoire ait ratifié cette convention, le document de ratification apporté par le gouvernement ivoirien établit que cette ratification est intervenue en Août 2012, c’est-à-dire, un an après l’émission des mandats d’arrêts. Au Ghana, une loi ne peut rétroagir. Le Juge en conclut qu’au moment de l’émission des mandats d’arrêts, la Côte d’Ivoire n’avait pas de fondement légal pour les rendre exécutoires. Le gouvernement ne peut revendiquer le bénéfice d’une convention qu’il n’avait pas ratifiée.
En tout état de cause, à supposer que la Côte d’Ivoire ait ratifié cette convention, le document de ratification apporté par le gouvernement ivoirien établit que cette ratification est intervenue en Août 2012, c’est-à-dire, un an après l’émission des mandats d’arrêts. Au Ghana, une loi ne peut rétroagir. Le Juge en conclut qu’au moment de l’émission des mandats d’arrêts, la Côte d’Ivoire n’avait pas de fondement légal pour les rendre exécutoires. Le gouvernement ne peut revendiquer le bénéfice d’une convention qu’il n’avait pas ratifiée.
Sur le dernier point relatif à ma sécurité dans mon
pays, le juge a soutenu que dès lors que le gouvernement ghanéen m’a reconnu la
qualité de réfugié, il a reconnu de facto que ma vie était en danger en Côte
d’Ivoire. Il n’était donc pas possible pour le même gouvernement de m’extrader
dans le pays dans lequel, lui-même a reconnu que ma vie était en danger.
Sur tous les points de droit, l’accusation a perdu.
L’on se rend compte en définitive que le procès en extradition est un procès
complet dans lequel le Juge se prononce sur le fond de l’affaire.
• Pendant
une année, vous avez été au centre de tractations politiques et judiciaires
relativement à votre extradition en Côte d’Ivoire. Pensez-vous que dans votre
cas le droit a prévalu sur les arrangements politiques ?
Je reconnais que le Ghana a été soumis à une
pression énorme de la part du gouvernement ivoirien et de ses soutiens, allant
jusqu’à la fermeture unilatérale de la frontière ivoiro-ghanéenne par le
gouvernement ivoirien. Il y a des aspects de cette pression diplomatique que
j’évoque dans mon prochain livre dont le titre est le « procès », un livre à la
fois écrit en français et en anglais. Souffrez donc que je ne puisse m’étaler
sur cette question. Mais ce qui est essentiel, et je crois que c’est la leçon
qui doit être retenue, le Juge ne s’est pas laissé influencer par cette
pression.
• N’y
avait-il pas similitude entre votre cas et celui du ministre Lida, extradé manu
militari du Togo où il résidait vers la Côte d’Ivoire sans décision judiciaire
?
Jusqu’à ce jour je ne connais pas les chefs
d’inculpation du ministre d’Etat Lida Kouassi. Je ne sais pas si lui-même en
sait plus. Je sais qu’il a été extradé du Togo de façon extrajudiciaire,
enfermé dans une prison à Bouna puis libéré provisoirement nous dit-on, sans
jamais avoir été entendu par un Juge. Je dirais que j’ai eu plus de chance que
lui.
• En tant
que leader politique, quelle lecture faites-vous (forcée ou volontaire) dans le
cas de Lida, Blé Goudé, Dibopieu ?
Moi je ne juge pas du caractère volontaire ou non
de leur départ de leur lieu d’exil. Je retiens seulement que j’ai eu plus de
chance qu’eux de passer devant un juge comme l’exigent les textes de la CEDEAO.
Étant en prison, ils ne peuvent se défendre. Donc je crois qu’il n’est pas
juste de juger quelqu’un qui ne peut répondre. Nul ne peut décrire exactement
les conditions de leur départ vers la Côte d’Ivoire. Ne précipitons pas nos
jugements. Dans la situation qui est la leur aujourd’hui, ces personnes ont
plus besoin de notre soutien que d’autre chose. Prions pour eux.
• Dans ce
qui est convenu d’appeler l’affaire Katinan, les autorités ivoiriennes ont
annoncé vous avoir arrêté tantôt au Cameroun, tantôt en Afrique du Sud, tantôt
à l’aéroport d’Accra au Ghana, quelle est la vérité des faits ?
Je n’ai jamais été arrêté ni au Cameroun, ni en
Afrique du Sud. J’ai été arrêté au Ghana précisément à Accra. Je préfère ne pas
m’étendre sur cette affaire rocambolesque. Mon prochain livre en parle. Dans
cette affaire j’ai volontairement adopté un profil bas pour ne pas confondre
davantage les autorités de mon pays. Je suis énarque et pour moi, le respect
des institutions de l’Etat est sacré. L’Etat et la République exigent un grand
respect, même si j’ai beaucoup de raisons à la fois objectives et subjectives
de ne pas aimer ceux qui les incarnent aujourd’hui.
• Désormais
libre de tout mouvement, pour quel agenda politique ?
Je n’ai qu’une et une seule mission : œuvrer aux
côtés du Fpi et de tous les combattants pour la justice du monde entier, qui se
mobilisent pour obtenir la libération et le retour du président Laurent Gbagbo
en Côte d’Ivoire. Le peuple l’attend. La Côte d’Ivoire et l’Afrique le
réclament.
• Depuis la
libération de son président du Fpi, Affi Nguessan, le FPI amorce une reconquête
du terrain politique et diplomatique. Selon certaines personnes « les lignes
sont en train de bouger en Côte d’Ivoire ». Qu’en pensez-vous ?
C’est certain que depuis la sortie de prison du
président Affi, du doyen gardien du temple du Fpi, Abou Drahamane Sangaré et
des autres cadres du parti, le terrain politique est saisi d’une sorte de
frémissement favorable à notre parti mais il faut reconnaitre qu’il y a
longtemps que les lignes bougent en Côte d’Ivoire. Le président Miaka et son
équipe ont fait un travail titanesque dans un contexte absolument hostile. Je
me joins à toutes les autres voix pour leur dire merci. Il y a aussi cette
formidable mobilisation autour du président Laurent Gbagbo et de la Côte
d’Ivoire qui a fait bouger les lignes. Il faut saluer tous les acteurs de cette
mobilisation. Mais il reste évident que le président Affi et les autres cadres
du parti qui sont libérés viennent apporter leur pierre à l’édifice qui a été
maintenue contre vents et marées. Très peu de partis au monde auraient pu
résister à la bourrasque animée par une coalition mondiale qui a secoué notre
parti. Mais « nous sommes infrangibles », comme l’a dit récemment le camarade
Laurent Akoun. C’est l’âme que les pères fondateurs de notre parti lui ont
insufflée.
• Un tandem
Affi et Katinan pour des actions politiques d’envergure sur le terrain est-il
envisageable ?
Il n’y a pas de tandem Affi-Katinan. Il y a un chef
de parti et un cadre de parti qui travaillent tous deux dans le cadre du parti.
Ma mission de porte-parole ne peut s’exercer en dehors du parti. Je suis membre
du Secrétariat général du Fpi et conseiller du président Affi Nguessan. J’ai
une mission ponctuelle qui m’a été confiée par le président Laurent Gbagbo. Je
l’exerce sous l’impulsion du parti. Il n’y a donc pas de tandem mais une unité
d’action dans un objectif commun : obtenir la libération sans condition du
président Laurent Gbagbo.
• Quels sont
selon vous les conditions d’un retour à la normalité politique en Côte d’Ivoire
au moment où on parle de réconciliation, et au moment où, le régime a libéré
certains de ses prisonniers politiques ?
La première c’est la libération du Président
Laurent Gbagbo et son retour dans son pays; la deuxième est la libération du
Président Laurent Gbagbo et son retour dans son pays ; la troisième est la
libération du président Laurent Gbagbo et son retour dans son pays ; l’avant
dernière condition est la libération du président Laurent Gbagbo et son retour
dans son pays ; la dernière condition est la libération du président Laurent
Gbagbo et son retour dans son pays. Son peuple l’attend.
•
L’actualité politique est aussi le vote au parlement des lois controversées sur
la nationalité et le foncier rural. En quoi ces lois votées sont-elles
confligènes ?
Le Chef de l’Etat ivoirien a dit que ces questions
étaient tellement importantes qu’elles ont justifié à elles seules la rébellion
et toute la désolation qu’elle a semée dans le pays. De telles questions ne
peuvent se régler sans un large consensus. Or l’on agit dans ce domaine comme
si l’on voulait narguer les Ivoiriens. Je me suis largement prononcé sur ces
question dans mon livre « Côte d’Ivoire, l’audace de la rupture » qui est dans
les rayons des librairies depuis plus un mois. Il y a des matières explosives
qu’il faut savoir manipuler. Depuis 1960 et même bien avant, les Ivoiriens sont
restés constants sur la question de la nationalité. On ne peut venir les
contraindre à la baïonnette et leur faire accepter l’inacceptable. Ces
questions méritent un débat national. Le gouvernement ivoirien donne
l’impression d’avoir un agenda secret qu’il cache aux Ivoiriens. La
précipitation avec laquelle il opère sur ces matières est très suspecte. Il
expose le pays à des risques graves pour des questions électorales. Je suis
prêt à m’associer un front de refus de ces lois. Si nous restons inactifs
devant cette opération de prédation de notre pays, nous serons autant
comptables de ce qui pourrait advenir dans notre pays. Le gouvernement doit
absolument ouvrir le débat. Je remarque que l’Onu s’est félicitée de l’adoption
de ces lois. Vous comprenez donc l’issue de la crise postélectorale. La Côte
d’Ivoire est devenue le champ d’implémentation des formules magiques sorties
des laboratoires d’une gouvernance mondiale pilotée par l’Onu pour le bonheur
du capitalisme sans morale. La loi sur la nationalité telle que votée va
envenimer les conflits fonciers parce que la loi 98-750 du 23 décembre 1998
relative au foncier rural établit un lien solide entre la nationalité et le
foncier. La nouvelle loi sur la nationalité prépare des lendemains sombres pour
le pays. Il est indispensable que le peuple soit associé directement à la
réflexion sur ces matières.
• Selon des
rumeurs, Bédié proposerait à Ouattara, son allié, un poste de vice-présidence à
la tête de l’Etat, ce en violation de la Constitution. Doit-on regarder les
bras croisés l’application des textes conflictuels de Marcoussis ?
Il y a eu tellement de violations de la
Constitution en Côte d’Ivoire que finalement, elles tendent à s’ériger en
principe. Linas-Marcoussis est pour moi, le cimetière de l’Etat ivoirien et de
la démocratie. J’ai même entendu le président Bédié revendiquer l’application
des accords de Linas-Marcoussis au Pdci. Il appartient au peuple suffisamment
instruit d’exiger la résurrection de l’Etat ivoirien des enfers de
Linas-Marcoussis.
• En tant
que Porte-parole du président Laurent Gbagbo détenu à la Haye, quels sont ses
dernières nouvelles depuis qu’il a appris la décision de justice ?
Le président Laurent Gbagbo est resté égal à
lui-même. Altruiste accompli, il se soucie du sort des autres même quand le
sien est plus grave. La libération de chaque prisonnier politique lui apporte
un soulagement. Il me charge d’ailleurs de transmettre toutes ses félicitations
à tous les prisonniers qui ont recouvré la liberté. Il continue de prier pour
les autres en espérant qu’ils recouvreront eux-aussi, leur liberté très
prochainement.
• A quel
niveau se situe le combat pour sa libération des geôles de la CPI ?
Ce combat est celui de chacun de nous. L’on veut
écarter le président Laurent Gbagbo de la vie politique en Côte d’Ivoire. Mais
à la pratique, les promoteurs de cette idée se rendent compte qu’elle ne peut
prospérer, parce que le peuple le veut ainsi. Depuis le début le schéma est
resté identique. L’instrumentalisation de la politique pour éliminer un
adversaire politique. Sinon comment expliquer que celui à qui l’on attribue
l’entièreté des morts dans une guerre soit celui-là même qui l’a perdue. On dit :
« Gbagbo a perdu la guerre » ; mais c’est lui qui a tué tous
ceux qui sont morts. Le vainqueur de la guerre n’a tué personne. Nous devons
continuer de nous battre pour le retour glorieux du président Laurent Gbagbo.
C’est un combat qui ne peut connaître de répit. Il n’y a pas de repos pour
celui qui combat l’injustice.
• Y a-t-il
espoir de le revoir parmi les siens en Côte d’Ivoire ?
Il ne s’agit pas d’un espoir, mais d’une certitude.
Le retour du président Laurent Gbagbo est une exigence à la foi morale,
spirituelle et politique. C’est toute la Côte d’Ivoire qui est maintenue en
prison à la Haye. Et comme nul ne peut emprisonner définitivement tout un pays,
le retour du président Laurent Gbagbo s’impose de lui-même, parce qu’il y a des
formes d’injustice qui ne se rattrapent jamais et qui tuent définitivement tout
le corps social. C’est La libération du président Laurent Gbagbo et son implication
dans le débat politique qui marqueront le début de la réconciliation en Côte
d’Ivoire. Pour reprendre les paroles du sage du Fpi, le président Sangaré,
Gbagbo n’est pas une partie du problème de la Côte d’Ivoire. C’est tout le
problème de la Côte d’Ivoire. C’est donc avec lui et non en dehors de lui que
l’on résoudra le problème de la Côte d’Ivoire. La fuite en avant a atteint le
terminus.
Réalisé par Francesca Adeva (In Le Temps)
en maraude
dans le web
Sous cette
rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne
seront pas nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu
qu’ils soient en rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et
des Ivoiriens, et aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à
faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la
« crise ivoirienne ».
Source : La Dépêche d'Abidjan 13 Septembre 2013
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