L’affaire
de l’initiative turinoise d’Abel Naki – appelons-la comme ça – m’avait remis en
mémoire un personnage fameux de notre scène nationale dans les coulisses de
laquelle il s’illustra, si je puis dire, assez tristement de la fin des années
1950 au milieu de la tragique décennie 1960. Je veux parler de feu Christian
Groguhé (parfois orthographié Groguhet).
Paix à son âme !
Mais avant d’en venir à l’histoire de ce
curieux personnage, je tiens à préciser ceci : si j’ai commencé cet
article en nommant Abel Naki, ce n’est pas lui pour autant qui en est le sujet.
Je ne connais ce citoyen que de nom, et encore, seulement parce qu’il est très
souvent cité sur la Toile. Aussi me garderai-je bien de m’immiscer dans la
polémique qu’il a provoquée avec sa déclaration de Turin sur un « Conseil
national de la libération » qu’il aurait créé, ou qu’il aurait proposé de
créer. D’ailleurs, si l’occasion m’a paru belle à saisir – pourquoi m’en cacher ?
– pour évoquer le rôle trouble que joua Christian Groguhé dans l’histoire des
premières années de notre indépendance, ce n’est pas à cause de cette
déclaration même, mais à cause des nombreuses réactions très bizarres qu’elle
provoqua dans le Landernau des Ivoiriens de l’étranger, en particulier parmi
les originaires du Grand Ouest, et dans les partis et mouvements actuellement
engagés dans la résistance au régime fantoche issu du coup de force
franco-onusien du 11 avril 2011. Ces réactions, on peut en déduire grosso modo deux
postures politiques typiques. D’un côté, il y a ceux qui désapprouvèrent
l’initiative du président du Cri-Panafricain avec plus ou moins de véhémence.
De l’autre côté, il y a ceux qui l’approuvèrent et, même, la justifièrent…
Une
simple diversion ?
Commençons par l’examen de cette deuxième
catégorie. Dans un article du journal en ligne IVOIREBUSINESS daté du 6
septembre 2012, une certaine Catherine Balineau résume ainsi les opinions
défavorables que, manifestement, elle ne partage pas :
« Il
[Abel Naki] est accusé de faire cavalier seul, de vouloir entraîner, sans leur
aval, la galaxie patriotique dans une rébellion armée contre le régime
d’Alassane Dramane Ouattara, (…) ».
Puis elle développe un certain nombre
d’arguments qui, selon elle, justifient incontestablement la démarche de
Naki :
« (…)
un leader n’a pas toujours besoin d’avertir ses amis avant de lancer une idée
nouvelle. Un leader, c’est celui qui innove, qui explore, qui prend des
initiatives, qui teste des idées. C’est juste ce qu’a fait Abel Naki. C’est
vrai qu’il n’a pas averti ses amis avant de parler du CNL. Il aurait pu le
faire par courtoisie. Mais ce n’est pas une obligation. Car trop de
concertation en politique tue la concertation, c’est la voie ouverte à l’immobilisme.
Et la meilleure façon de voir une idée débattue et examinée avec tout le
sérieux qui soit, c’est de la mettre sur la table. Et vue l’émotion créée par l’idée d’Abel Naki dans la galaxie
patriotique, le but visé est atteint. Le CNL est devenu le débat prédominant,
le débat du moment, et les patriotes l’adopteront ou non, à la suite de joutes
verbales qui s’annoncent âpres.* C’est le lieu de lancer un appel à
certains leaders qui gardent une position attentiste en ne prenant aucun risque
et en n’émettant aucune idée nouvelle ».
« Le but visé est atteint ! »
Il ne se serait donc agi que de susciter un faux débat parmi les patriotes
résistants afin de les distraire de ce qui devrait seulement les préoccuper
dans le moment présent. Autrement dit, c’était une simple diversion !
Il faut lire cet argumentaire de C.
Balineau en pesant chaque mot : c’est tout à fait l’apologie de
l’irresponsabilité en politique qu’elle nous sert là, sous le masque
transparent de la prétendue liberté que chacun aurait de dire n’importe quoi à
propos de tout, sans soucis des circonstances ni des conséquences possibles de
ses paroles.
Cet argumentaire et, surtout, le ton assuré
et tranquillement péremptoire de son auteur, m’ont fait l’impression d’entendre
Mamadou Koulibaly, le maître théoricien de l’ultralibéralisme sans
rivages, dans un de ses exercices favoris. Ainsi, à l’en croire, Trop de concertation en politique tuerait la
concertation, tandis que trop de liberté n’entraînerait aucun risque pour la
liberté !
Mais peut-être bien que je me fais des
idées sur une possible filiation idéologique entre le fondateur de Lider et
cette Balineau, une filiation du type de celle qui existe entre lui et Gisèle Dutheuil, la mystérieuse directrice d’Audace
Institut Afrique…
Coup
de pied dans la fourmilière
Revenons donc à nos moutons. A côté de l’effet
« diversion », la déclaration de Turin a eu encore bien d’autres
conséquences, dont l’une qu’on pourrait appeler l’effet « coup de
pied dans la fourmilière ». L’initiative d’Abel Naki déclencha en effet un
véritable vent de panique dans les milieux et organisations « pro-Gbagbo »
de France. Dès le 5 septembre 2012, se succédèrent sur la Toile :
protestations énergiques, rejets véhéments, condamnations sans appel… En voici
quelques échantillons :
1. « Tous
les leaders des Mouvements patriotiques d’Europe informés de cette déclaration
ont marqué leur surprise. Pascal Logbo, le président du NPR
(Nouveau parti pour le rassemblement),
a fustigé "le caractère solitaire d’une déclaration si grave". Apolos
Dan Thé, sur son blog marquait sa désapprobation de la sortie d’Abel Naki dont
les propos, dit-il, mettent en danger le peuple Wè dont il a profité de la
tribune. Quant à Brigitte Kuyo, Représentante du FPI en France, elle a promis
une déclaration solennelle pour ramener à l’ordre Abel Naki (voir Infra). Tous sont fatigués de ces dérives répétées
d‘Abel Naki. Dans tous les cas, plusieurs militants pour la cause de Laurent
Gbagbo, qui nous ont joints, ont manifesté une colère noire. Allant même jusqu’à
inviter les leaders des Mouvements de résistance à démissionner et les invitant
à ne pas mettre leur vie en danger par ces déclarations irresponsables à
répétition. » (civox.net 5 septembre 2012).
2. « Lors
du meeting de clôture de la manifestation, prenant la parole, Abel Naki a
proposé ceci, et nous citons : "…qu’il
soit constitué un Conseil National de libération de la Côte d’Ivoire avec tous
les mouvements et partis politiques du pays, afin de bouter Alassane Ouattara
de la tête du pays…". L’Association des Femmes Patriotes Ivoiriennes
de France, à travers cette déclaration, voudrait officiellement signifier sa
désapprobation totale vis-à-vis de tels agissements, et se désolidariser de ce
projet irréfléchi et inopiné qui pourrait mettre en danger les responsables des
mouvements patriotiques de la diaspora, dans son ensemble. Et pire, ce projet
aux conséquences graves, va inévitablement affaiblir la lutte que nous menons. Pour
nous, seules les voies légales sont et resteront nos moyens de dénonciation des
injustices du régime actuel d’Abidjan. Et c’est par ces mêmes canaux légaux que
nous continuerons à réclamer avec la dernière énergie, la libération du
président Laurent Gbagbo injustement incarcéré à la Haye au Pays- Bas. » (IvoireBusiness
11 septembre 2012).
3. « Cette dérive pourrait contraindre les autorités françaises et
autres pouvoirs publics à interdire ces Associations qui se détourneraient de
leurs fins initiales. Tout récemment, nous avons ouï dire que le préfet de
Police de Paris aurait convoqué un certain nombre de responsables de mouvements
afin de s’entretenir avec eux. Sans présumer de l’objet de cette convocation,
nous parions que cela s’inscrit dans la suite de cette déclaration faite certes
à Turin, (…). En cette période, où un véritable imbroglio juridico-diplomatique
bat son plein au Ghana s’agissant du porte-parole du président Laurent Gbagbo,
le ministre Justin Katinan Koné, d’autres procédures d’extradition ne
pourraient-elles pas voir le jour suite à cette déclaration d’Abel Naki ? La
France, qui lutte contre les mouvements indépendantistes qu’ils soient basques,
bretons, corses, ou kanaks, mouvements dont les membres sont pourchassés,
peut-elle accepter d’héberger sur son sol une mouvance qui prendrait des
allures de lutte armée ? » (A.
Nogbou Kacou, civox.net 12 Septembre 2012).
4. «
Il faudra que nous gardions la tête froide. Cette tendance à vouloir se
présenter comme les vrais résistants et les autres comme de faux résistants est
une tentative de stigmatisation qui n’est pas faite pour conforter l’union au
sein de la résistance au pouvoir d’Alassane Ouattara (…) Pire, il montre à nos
camarades emprisonnés, exilés et vivant dans la peur en Côte d’Ivoire que la
mobilisation est faible ici en France. Ce qui est d’ailleurs faux. Cela dénote
un manque de formation politique chez mon jeune frère à qui j’ai vivement
traduit mon mécontentement face à ses déclarations du 24 septembre dernier à La
Haye. (…). Il faudra qu’Abel Naki sorte de ses coups médiatiques, ce n’est pas
devant les caméras que nous mènerons la résistance. Ces agitations médiatiques
et déclarations inconséquentes risquent de fragiliser la lutte. » (Brigitte Kuyo –
alors encore la représentante du FPI en France – citée par L'Intelligent
d'Abidjan 30 septembre 2012).
Ces réactions, qui peuvent paraître excessives par
rapport à l’événement, reflètent assez fidèlement la formidable incompétence
politique – ainsi que la pusillanimité – de la plupart des activistes composant
cette nébuleuse, au sens propre, appelée « la résistance patriotique ».
Elles n’en sont pas moins des signes très encourageants dans ces temps glauques
que nous vivons. Le tollé général qui a accueilli l’étrange pas de clerc d’Abel
Naki à Turin montre que nous ne sommes plus aux temps où le même provocateur
pouvait, tel Christian Groguhé, non seulement exercer sa sinistre profession en
toute impunité pendant des années, mais encore en tirer fortune et gloire.
Cela dit, je le répète, sans la moindre intention
d’assimiler Abel Naki à l’illustrissime Judas des années soixante.
Profession :
provocateur au long cours
Il
y a dans l’histoire politique de notre pays une phrase qui méritait de n’être
jamais oubliée, et qui malheureusement l’a pourtant été. Elle fut
prononcée à Yamoussoukro, par Mathieu Ekra, le jour-même où Houphouët ordonna
l’arrestation de ceux qu’il accusait fallacieusement d’avoir comploté contre sa
vie et contre la sûreté du jeune Etat indépendant. Toute l’accusation reposait
sur le témoignage d’un seul homme : Christian Groguhé, déjà connu depuis
plusieurs années comme un agent provocateur et un délateur au service du régime
néocolonial auquel Houphouët prêtait son masque. Et c’est ce qui arracha à
Mathieu Ekra ce cri du cœur et de l’intelligence :
« Chaque
fois que des événements graves interviennent dans ce pays, c’est Groguhet que
l’on trouve à la base. Il serait dommage de se laisser abuser par ce voyou. Il
faut qu’il apporte les preuves de ce qu’il avance… » (Cité par S. Diarra, Les Faux
complots d’Houphouët-Boigny, page 118).
En rappelant le rôle d’agent provocateur
patenté du principal dénonciateur des prétendus complots, Mathieu Ekra ôta, dès
ce premier jour de l’affaire dite des faux complots, toute crédibilité aux
allégations qui allaient permettre à Houphouët de sacrifier des centaines de
cadres ivoiriens supérieurs, moyens et subalternes à la volonté de domination
du néocolonialisme français, alors personnifié par Jacques Foccart. Comme il fallait s’y attendre, la réaction d’Ekra
ne sauva pas les victimes désignées. Et, fait plus étonnant, elle n’entraîna pour
lui-même aucune conséquence vraiment grave : à peine une espèce de
disgrâce de quelques années.
Nécrologie de Christian Groguhé (Fraternité Matin 10 mars 1998) |
Christian Groguhé avait déjà été mêlé à
l’affaire de la Ligue des originaires de la Côte d’Ivoire (LOCI) en octobre
1958 ; puis, l’année suivante, à l’affaire Mémel Fotê… C’est son rôle dans
cette affaire qui nous le fit connaître. Nous étions allés en délégation de l’Union
générale des étudiants de la Côte d’Ivoire (UGECI) visiter Mémel à la prison de
Grand-Bassam où il attendait d’être jugé. Tandis que nous devisions avec notre
camarade et ancien président, trois autres prisonniers s’approchèrent
timidement du grillage qui nous séparait de lui. C’étaient les trois hommes qui
étaient allés à Accra, soi-disant de leur propre chef, pour offrir à Mémel le
leadership d’un mouvement politique clandestin qu’ils prétendaient avoir créé.
Christian Groguhé était l’un d’eux. Le trio avait été arrêté à son retour
d’Accra, sans doute dans le but de les utiliser comme témoins à charge contre
Mémel lors de son procès. A preuve, alors que notre camarade devait être
lourdement condamné, ces trois
larrons, eux, furent libérés sans jugement quelques jours après notre rencontre…
« Homme
politique »
C’est grâce à ses propres vantardises que
nous savons aujourd’hui très précisément quel rôle jouait Groguhé dans
l’entourage d’Houphouët. Et voici comment le personnage était décrit par un
certain Banto Djezon, journaliste à Fraternité
Matin, qui signa sa nécrologie dans la livraison du 10 mars 1998 :
« C'est en 1958 qu'il se fera connaître à la faveur d'une manifestation dite "la guerre des Béninois" (sic). On le retrouvera
ensuite dans la classe dirigeante de la
jeunesse du PDCI-RDA.
En 1960, il est revêtu du titre redouté "d'homme politique". Cette appellation
était attribuée à ceux qui avaient
accès à la cour du Président
Houphouët-Boigny. Ces hommes
politiques des années 60 savaient faire, on s'en souvient, la pluie et le beau temps dans
leurs régions. (…) Groguhé mort, prend alors fin une énigme
en même temps que disparaît certainement le
dernier emblème des hommes politiques
des années 60. »
Un homme politique, Groguhé ? Une
énigme, Groguhé ? De tels propos donnent la mesure de l’aveuglement
général qui permit à ce triste individu et à ses semblables de mener en toute
impunité, des années durant, leurs ignobles activités. Car, dans ce rôle de
sycophante, Groguhé ne fut pas seul. Dans « Les faux complots d’Houphouët-Boigny », Samba Diarra consacre
plusieurs pages au système de délation sur lequel reposait la police politique
d’Houphouët.
C’est évidemment en tant que provocateur
que Groguhé alla à Accra avec sa bande de pieds nickelés, dans le but de pousser
à la faute le militant indépendantiste inflexible qui avait rallié la Guinée après
le référendum de 1958, afin de le faire passer pour un comploteur écervelé.
Mémel ne se laissa pas prendre à ce piège grossier. Et quand ceux qui tiraient
les ficelles de Groguhé et consort réussirent à se saisir de lui, ils durent se
contenter de le faire condamner pour le motif ubuesque… d’atteinte à la situation diplomatique de la Côte d’Ivoire.
Comment pouvait-on porter « Atteinte
à la situation diplomatique » d’une colonie à peine autonome, et qui,
alors, n’aspirait même pas à être autre chose ?!
« Lago Léo se veut formel… »
Le récent procès du général Bruno Dogbo Blé, ancien commandant de la
Garde républicaine, soupçonné d’avoir ordonné le meurtre du colonel-major ouattariste
Moussa Dosso pendant la crise postélectorale, nous a fait découvrir une autre
belle figure de sycophante. Le principal accusateur du général et son
co-inculpé, le sergent Léo Lago, n’a en effet rien à envier à son grand
précurseur. Mais notre seule raison de le prendre ici pour illustrer notre
propos, c’est l’intérêt de montrer que si en général les Ivoiriens ne sont plus
aussi faciles à duper ou à manipuler que du temps d’Houphouët, leurs ennemis,
eux, n’ont pas renoncé à leurs sales habitudes, et Dieu sait s’ils ont plus
d’un tour dans leur sac ! Par ailleurs, les candidats sycophantes ne
manquent pas…, et ils ne manquent ni de culot ni de bagout. A preuve : « Mon commandant, vous êtes un
officier supérieur et en tant que tel, vous ne devriez pas mentir. Vous devez
assumer vos responsabilités. Vous m’avez appelé à votre bureau pour me
transmettre un ordre du Général. Je l’ai exécuté et vous devez assumer. Je vous
en prie, dites la vérité à la cour parce que vous êtes en train de tourner
cette cour en bourrique. C’est parce que nous sommes devant la justice que vous
refusez de reconnaitre que je suis un bon élément qui ne ment jamais et qui est
efficace sur le terrain. Vous savez ce que je fais sur le terrain. Vous savez
que je suis un élément courageux et déterminé. Je vous demande d’avoir le même
courage pour dire la vérité à la cour. » On croit
entendre Christian Groguhé à Yamoussoukro, un certain 15 janvier 1963, récitant
la leçon apprise afin de charger au maximum ses prétendus complices. « [Le sergent
Lago Léo], observe un chroniqueur,
savait qu’il parlerait beaucoup à la barre. Juste avant de s’y présenter à
l’appel de son nom, [il] s’offre deux gorgées d’eau et dissimule soigneusement
sa bouteille sous le banc du box des accusés ». Et sans doute
savait-il aussi que ses paroles seraient reprises avec gourmandise par les
journaux ouattaristes, trop heureux de pouvoir étaler cette preuve vivante de
la culpabilité du général Dogbo Blé.
Coïncidences
Mais
qui est vraiment ce soldat perdu, qui n’a pas sa langue dans sa poche ? La trajectoire du sergent-chef Lago fait
ressortir de nombreuses coïncidences qu’il est impossible d’attribuer au hasard
seul. Ou alors, c’est un hasard qui a fort bien fait les choses pour certaines
gens qui avaient impérieusement besoin qu’à un certain moment, ce « right man » se trouve très
précisément « at the right
place », et qui l’avaient donc patiemment profilé en vue de ce qu’on
attendait de lui. Nombre de sous-officiers de nos prétendues forces armées
nationales, les FANCI, se sont trouvés dans des situations similaires, surtout depuis
1990. Tels ceux qu’on lança une nuit de mai 1991, sous l’appellation de
« FIRPAC » (forces d’intervention rapide para-commando), à l’assaut
de la cité universitaire de Yopougon, puis qu’on envoya participer à une
improbable mission des Nations unies en République Centrafricaine, d’où ils
revinrent tout à fait mûrs pour être retournés contre la République à la
première occasion où Paris y trouverait son compte. Ce qui fut fait en décembre
1999, et de septembre 2002 à avril 2011…
Première coïncidence : le sergent-chef Lago serait un ami de longue date du chef de guerre
Zakaria Koné, réputé « le plus
ouattariste des officiers Frci ». Selon certaines indiscrétions, c’est
Zakaria Koné qui entretient la famille du sergent-chef Lago depuis que celui-ci
est en prison. Il aurait « pris à sa charge toutes les dépenses de la
petite famille de son ami ». Les mauvaises langues ajoutent que la
prestation de Lago devant le tribunal militaire serait, comme qui dirait, sa
manière de payer en retour les bienfaits de Zakaria Koné
(D’après Alain Bouabré, Soir info 04
octobre 2012).
Dans quelles circonstances
s’est nouée cette amitié qui ressemble tant à une camaraderie de
régiment ? Ne serait-ce pas au sein de la FIRPAC ? Et le sergent-chef
Lago ne serait-il pas, comme son actuel bienfaiteur, l’un des pions de cette
stratégie de prépositionnement mise au point par le général français Jeannou
Lacaze, le « spécialiste de
l’utilisation politique de l’armée » à qui nous devons la création de cette unité
d’élite ?
Deuxième coïncidence : le sergent-chef Lago aurait été le garde du corps de l’ambassadeur Eugène
Wanyou Allou quand il était en poste au Cameroun. Allou était auparavant le
directeur du « Protocole d’Etat » sous Laurent Gbagbo. Il est fort
probable que son affectation subite au Cameroun comme ambassadeur était, en
réalité, une disgrâce déguisée dont les motifs furent cachés à l’opinion. L’intéressé
en conçut en tout cas une rancœur que pour sa part il ne chercha pas vraiment à
dissimuler dès qu’il n’eut plus à craindre un éventuel retour de manivelle.
Rappelé après la chute de Gbagbo, il ne tarda pas à se rallier au régime
fantoche auquel il n’a cessé depuis de donner des gages de son allégeance en
actes comme en paroles. On lui doit par exemple ce jugement féroce sur ses anciens
amis : « Avant les élections, il y a des
gens qui disaient qu’Alassane Ouattara ne peut jamais devenir le président de
la République de Côte d’Ivoire. Aujourd’hui, il l’est ; qu’est-ce qu’ils disent
? Comme ils sont nés avant la honte, qu’ils se taisent définitivement » (D’après
Barthélemy Téhin, LGInfo 09 octobre 2012).
Il serait intéressant de savoir depuis quand l’ancien homme de confiance de
Laurent Gbagbo connaît le sergent-chef Lago, et depuis quand il se trouve dans
un tel état d’esprit vis-à-vis de ces gens « nés avant la honte »…
Troisième
coïncidence : les circonstances de
l’arrestation du sergent-chef Lago, telles que rapportées par lui-même, laissent
subodorer une connivence certaine avec les services du procureur
militaire : « Je n’ai pas été arrêté
dans la rue où à mon domicile. C’est quand je suis allé toucher mon salaire
main à main que j’ai rencontré le commandant Zacharia Koné. Nous nous sommes
fait des accolades. Après quoi, il m’a invité au Golf Hôtel, le lendemain.
Quand je suis arrivé au Golf Hôtel, on m’a arrêté et conduit à la résidence du
général Abdoulaye Coulibaly. Là-bas en présence de Maître Sounkalo (avocat du
Rdr, ndlr), on m’a dit : "Nous avons des informations selon lesquelles
quand le général Dogbo Blé vous a envoyés prendre le colonel Dosso au blocus,
c’est toi qui l’as abattu. Nous, nous ne sommes pas des criminels. Ce que nous
voulons, c’est de savoir où tu l’as abattu pour prendre son corps". Là, pour
des raisons de sécurité, j’ai nié les faits. Mais c’est devant le commissaire
du gouvernement que j’ai tout avoué. J’avoue que je n’ai pas été touché au Golf
Hôtel ».
Faux témoin
« Cette
déposition, commente un chroniqueur qui en
fut témoin, appelle un certain nombre
d’interrogations. Pourquoi le sergent-chef Lago ne semblait pas du tout être
inquiet après avoir exécuté le colonel-major Dosso, au point de s’entendre avec
le commandant Zakaria Koné et d’aller sur son invitation au Golf Hôtel ? Pourquoi
c’est au domicile du général Abdoulaye Coulibaly [l’un des triumvirs de la
junte avec les généraux Guéi et Palenfo, très proche d’Alassane Ouattara] que Lago a été interrogé et non dans un
camp des Frci comme ça se fait pour tous ceux qu’on arrête ou qu’on enlève
depuis que Ouattara est au pouvoir ? Enfin, le sergent-chef Lago est
certainement le seul militaire qui, bien que reconnu comme coupable de
l’exécution d’une personnalité aussi importante pour le pouvoir actuel que le
colonel-major Dosso, n’a subi aucun sévice corporel depuis son arrestation.
Qu’a-t-il en commun avec les Frci et le pouvoir Ouattara pour qu’il en soit
ainsi ? Autant de questions qui autorisent à penser que le sergent-chef Lago
n’a pas dit la vérité sur l’identité du ou des commanditaires de l’assassinat
du colonel-major Dosso. » (D’après
Notre Voie 09 octobre 2012)
Ainsi, pour tous les journalistes vraiment libres qui
ont couvert son procès, le principal accusateur du général Dogbo Blé est le
type même du faux témoin. Mais, comme Mathieu Ekra le 15 janvier 1963, ils ne sont
pas allé plus loin que ce constat… Or, quand on considère la relation possible
entre Lago et l’ambassadeur Allou, par exemple, il y avait là une magnifique occasion
de s’interroger sur d’autres cas de désamour au sommet de la hiérarchie du FPI
avant ou après l’accession de Laurent Gbagbo à la présidence de la République. Par
exemple, outre Eugène Wanyou Allou, à quel
rôle des personnages comme Louis-André Dacoury-Tabley, Raphaël Lakpé, Mamadou
Koulibaly, et sans doute beaucoup d’autres moins connus, étaient-ils
préposés dans l’entourage proche de Laurent Gbagbo ? J’ai déjà eu l’occasion
d’évoquer le cas du dernier cité (Voir, dans ce blog : « Le cas Mamadou Koulibaly », « Mamadou Koulibaly, est-ce bien
sérieux ? », « Un
prophète de malheur »). D’ailleurs, en lui-même, le cas de l’actuel
président de « LIDER » n’a rien de vraiment mystérieux ; il faut
être aveugle et sourd pour ne pas savoir, rien qu’en le regardant parler, que
Mamadou Koulibaly était et reste un diversionniste – au demeurant très
besogneux – au service de l’Internationale ultralibérale chère à son maître
Jacques Garello. Les autres cas, plus complexes, demanderaient plus de travail,
mais ce n’est pas une raison de ne pas s’en occuper, car leur élucidation peut permettre
d’éclairer de nombreux mystères de l’histoire récente de la Côte d’Ivoire. Ainsi,
peut-être découvririons-nous depuis quand, comment et avec quels supplétifs fut
préparé le piège qui devait se refermer sur Gbagbo et les siens, le 11 avril
2011. Ce qui nous permettrait de mieux préparer les luttes qui viennent. Car ce
modeste essai n’a pas d’autre but que d’attirer l’attention de nos camarades de
lutte, et tout spécialement celle des plus jeunes, nécessairement les moins
expérimentés, sur certaines embûches qui les guettent. Comme dit l’adage,
« un homme averti en vaut deux » !
J’emprunterais ma
conclusion à Sainte-Beuve, le grand critique littéraire de 19e
siècle, que vous ne vous attendiez sûrement pas à trouver dans un tel
rôle :
«
Il est bon que ceux qui mettent la main aux affaires publiques et aux choses
concernant le salut des peuples le sachent bien, les hommes en face de qui ils
se rencontrent, (…), ne sont pas précisément des vierges, et il n’est pas de
plus grande étroitesse d’esprit que de l’être soi-même à leur égard plus qu’il
ne convient. » (Les causeries du lundi, 5 mai 1851)
Marcel
Amondji (7 septembre 2013)
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