Dans le
parc national du Mont Péko, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, notre Observateur
a rencontré des enfants burkinabès qui vivent un calvaire. Souvent âgés d’une
dizaine d’années, ils sont exploités dans le cadre d’un trafic de cacao et
livrés à eux-mêmes dans des conditions inhumaines et dangereuses.
Situé à
la frontière avec le Libéria, le Mont Péko est l’une des principales forêts
classées de Côte d’Ivoire. La zone est contrôlée depuis 2003 par les hommes
d’Amadé Ouérémi, un chef de guerre burkinabè devenu l’un des plus gros
trafiquants de cacao, de bois, de diamant, d’ivoire et de cannabis de la zone.
Depuis cette date, le milicien s’est arrogé le contrôle du Mont Péko en
dépossédant de leurs terres les propriétaires fonciers guérés, autochtones de
la zone, après la crise politico-militaire de 2002.
Amadé
Ouérémi a également combattu aux côtés des Forces nouvelles d’Alassane Ouattara
durant la crise post-électorale de 2011. Depuis, il était recherché pour crimes
contre l’humanité. Le chef de guerre est accusé d’avoir fait tuer près de 800
personnes à Duékoué. En mai 2013, FRANCE 24 diffusait des images de son
arrestation musclée.
Mais
l’arrestation de Ouérémi n’a pas permis de rétablir l’ordre dans le Mont Péko :
les montagnes sont toujours une zone de non droit et les exploitations
illégales se poursuivent. En juillet, le ministre de la Défense avait donné
trois mois aux occupants pour quitter la zone. La semaine dernière, le
responsable de l’autorité du désarmement, de la démobilisation et de la
réinsertion (ADDR) exhortait les occupants du parc à « sortir sans
opposition » en promettant que ceux qui déposeraient leurs armes ne
« seraient pas laissés pour compte ». À la fin du mois de septembre,
une opération de ratissage du Mont Péko par l’armée ivoirienne devrait avoir
lieu.
Selon les
estimations de la presse ivoirienne, 30 000 personnes occuperaient illégalement
des campements dans la forêt du Mont Peko.
Des enfants d'origine burkinabè travaillent dans des plantations illégales du mont Péko. |
« Ces enfants sont piégés
Ils ont très peu de chance de s’en sortir »
Marius (pseudonyme) s’est rendu dans le Mont Péko où il a rencontré des enfants qui travaillent dans des exploitations illégales de cacao : « J’ai visité plusieurs campements informels, notamment celui de Sokroini, et je peux affirmer que 90% des gens là-bas sont des enfants et des jeunes hommes âgés entre 11 et 20 ans. Les plus jeunes que j’ai rencontrés avaient même 8 ou 9 ans. Ils sont tous burkinabès, originaires de ville comme Bobo-Dioulasso ou Koudougou au Burkina Faso, d’où viennent aussi les chefs de milice qui organisent les trafics dans ces campements. D’autres enfants vivaient dans le sud-ouest de la Côte d’Ivoire, notamment à Soubré, où vit une importante communauté burkinabé.
La plupart de ces enfants ne savent même pas pour
qui ils travaillent. Selon les miliciens sur place, ce sont des hommes
d’affaires burkinabès qui ont fait fortune dans le cacao et qui avaient négocié
avec Amadé Ouérémi la mise en place de ce trafic. Les hommes de Ouérémi vont
chercher les orphelins dans les rues du Burkina ou font miroiter aux parents
des retombées financières importantes pour les emmener.
Le travail des enfants, c’est de cueillir le cacao
et de le transporter dans des gros paniers à travers des routes impraticables.
D’autres sont également employés pour récupérer l’hévéa qui sert à faire le
caoutchouc. C’est une zone de montagne, les pentes sont abruptes. Ils
parcourent jusqu’à 40 kilomètres avec des grands paniers remplis de leur
récolte sur leur tête.
Lorsque je suis arrivé dans le campement, j’ai vu
que beaucoup d’entre eux avaient leur machette, des outils que des enfants si
jeunes ne devraient pas manier. Les miliciens leur ont rapidement confisqué
leurs outils et on fait semblant de les réprimander, en disant qu’ils n’avaient
pas à jouer avec ça. Ils ne veulent pas qu’on sache qu’ils font travailler des
enfants.
J’ai réussi à parler à des enfants en les emmenant
un peu à l’écart. Les plus anciens sont là depuis 2005 et n’ont pas vu autre
chose que le Mont Péko depuis huit ans. Ils sont coupés du monde, ne vont
évidemment pas à l’école. Leur salaire varie selon l’âge, mais un garçon de 14
ans gagne en moyenne entre 75 000 et 100 000 francs CFA (entre 114 et 152
euros) par année de travail. Pour eux, c’est une fortune, ils n’ont pas la
notion de l’argent. Ceux qui sont dans le business depuis longtemps ont eu une "promotion
sociale" et sont parfois propriétaires de plantation.
Leurs conditions de vie sont déplorables au
campement : ils dorment tous entassés à même le sol dans des habitations de
fortune, jusqu’à 30 enfants dans 7 mètres carrés. Et encore, ils sont chanceux
: ceux qui travaillent dans les champs s’abritent sous des tentes faites de
bouts de bois et d’une bâche.
Beaucoup d’enfants craquent devant la difficulté du
travail. Lorsque j’étais là-bas, un enfant de 12 ans, qui venait de ramener du
cacao pleurait de fatigue. Entre deux sanglots, il m’a dit qu’il rêvait de
retourner à l’école, là où d’autres sont en ce moment, pendant que lui est là,
au milieu de nulle part, sans même savoir où il se trouve. Il est là depuis
deux ans et n’a aucune nouvelle de ses parents. Il n’a pas le courage de s’enfuir
comme certains de ses camarades, car il sait que les chances de survivre
lorsqu’on est seul dans le Mont Péko sont très minces.
Ce qui est très inquiétant, c’est que depuis l’"arrestation"
d’Amadé Ouérémi [en mai], on ne s’occupe plus de ces enfants, certains ne sont
même plus du tout payés. On leur dit qu’il faut attendre, et pendant ce temps,
ils doivent continuer leur labeur. Comme la zone doit être libérée sous ordre
de l’ADDR avant la fin du mois de septembre, les miliciens leur ont dit qu’ils
allaient se mettre à l’abri pour quelque temps dans un autre village, dans des
zones encore plus inaccessibles et dangereuses d’accès. Ces enfants sont
piégés. Si on ne leur vient pas en aide, ils n’ont quasiment aucune chance de
s’en sortir. »
Source : France24
19 septembre 2013
en maraude dans le web
Sous cette rubrique, nous vous
proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas
nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en
rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et
aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à faciliter la
compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise
ivoirienne ».
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