« Tout le monde sait d'où viennent les dozos. Avant quand on voyait les dozos, on était fier. Aujourd'hui, nous avons peur d'eux. Monsieur le ministre, prenez toutes les dispositions pour que les dozos retournent d’où ils sont venus. » Maurice Kouassi, secrétaire général de la chefferie de Yamoussoukro.
photo : afrique-express.com |
« D’où
viennent-ils ? Où s’arrêteront-ils ? Déjà ils "occupent" un
certain espace, épousent une certaine progression, au point que d’aucuns
n’hésitent pas à parler de "ceinture de belligérance". Où tout cela
nous mènera-t-il ? » Ainsi se terminait un
billet anonyme du quotidien gouvernemental Ivoir’Soir
du 21 février 1996.
« Ils »,
ce sont les dozo. C’est vers la fin de l’année dernière qu’ils sont brusquement
entrés dans l’actualité, grâce à un reportage d’Ivoir’Soir vantant les hauts faits de « ces chasseurs du Nord venus de leurs contrées lointaines pour
sauver des villages entiers. »
Tel
qu’il était présenté, leur bilan était réellement impressionnant, en
effet : « Deux cents bandits de
tous ordres au palmarès plus ou moins important ont été appréhendés par les
dozo de Duékoué depuis cinq mois. » Grâce à quoi la population avait
recouvré sa tranquillité. Et les autorités locales les considéraient avec
bienveillance, convaincues de les tenir bien en main.
Cependant,
dans un encadré non signé, sous le titre : « Les dozo, vrais justiciers, faux gendarmes », notre
confrère laissait tout de même entendre que tout n’allait pas aussi bien que le
reportage pouvait le laisser croire : « Aussi
puissants et téméraires (qu’ils soient), les dozo ne font pas l’unanimité.
Beaucoup à Duékoué, ainsi qu’à Guiglo, leur reprochent leur brutalité
lorsqu’ils abordent les passants, et leur manque de politesse quand ils
s’adressent à eux. Certains dozo regroupés à Guiglo ont eu maille à partir avec
des éléments des forces de l’ordre qu’ils avaient sérieusement bastonnés ».
Ce
premier reportage était daté du 6 décembre 1995. Le 12, une dépêche de l’Agence
ivoirienne de presse (AIP) annonçait que « les
chasseurs sénoufo qui étaient installés depuis le 28 novembre dans la région de
Danané pour prêter main forte aux forces de l’ordre en lutte contre le
banditisme ont quitté ce département sur injonction du préfet qui estime qu’il
y a maintenant suffisamment d’éléments pour assurer la sécurité dans la
localité. Faisant allusion aux altercations survenues entre les forces de
l’ordre et lesdits chasseurs installés à Guiglo, (le préfet) a montré sa
désapprobation de les voir exercer un rôle de police dans son
département. »
Dès
lors les deux quotidiens gouvernementaux, Fraternité
Matin et Ivoir’Soir ne publieront
plus que des articles défavorables aux dozo. En moins d’une semaine, ils
étaient passés de l’admiration à la haine, comme en témoignent ces
titres : « Les dozo deviennent
incontrôlables » ; « Les
dozo envahissent le commissariat » ; « Les dozo, ces assassins » ; « Ces dozo qui défient les force de l’ordre ! » ;
« Quand les dozo refusent d’être
désarmés » ; « Les
dozo ne doivent pas se substituer à la justice » ; etc. C’est
ainsi qu’on apprit que les prétendus justiciers s’en prenaient couramment aux
gendarmes et aux agents de police ; qu’ils avaient même failli rosser un
préfet parce qu’il leur demandait de rendre leurs armes ; qu’ils
rançonnaient les populations ; qu’il était arrivé qu’ils relâchent des
bandits contre payement, et qu’on les soupçonnait même d’avoir, de sang-froid,
commis des meurtres.
Tout
cela était cependant traité comme s’il ne s’agissait que de banals faits
divers, ce qui évitait d'avoir à rechercher des responsabilités en dehors des
dozo ou des échelons tout à fait subalternes des autorités locales. A peine si,
de temps en temps, une petite phrase lâchée dans le feu d’une interview par un
préfet ou un magistrat laissait deviner que cette affaire n’était pas sans
avoir un certain rapport avec la situation politique actuelle, tant dans son
origine que dans certaines de ses conséquences. Mais la soudaineté du
revirement de la presse gouvernementale, l’embarras des autorités locales quand
il s’agissait de leurs relations difficiles avec les dozo et, surtout, le
silence total des ministres de l’Intérieur et de la Sécurité sur ce sujet, sont
autant de signes qui ne trompent pas : cette soudaine agitation des
journaux officieux du régime recouvre sans doute un conflit supplémentaire
entre ces deux ministères dont les compétences se chevauchent si évidemment, du
fait des agissements et de l’indiscipline des dozo.
Une
fois au moins on a laissé entendre que ces derniers pourraient avoir un
protecteur haut placé. Qui donc a bien pu s’amuser à jouer ainsi les apprentis
sorciers en manipulant ces mercenaires d’un genre nouveau ? Dans quel but ?
On a parlé de ceinture de belligérance.
Cette notion renvoie presque directement à des propos du général Robert Guéi,
alors qu’il était encore le chef d’état-major des FANCI : « Si aujourd’hui ça brûle, vous et moi
serons obligés de rester ici. Je l’ai déjà dit : les frontières seront
fermées pour que nous puissions nous battre. Si au Liberia ça a débordé, c’est
parce que l’on a laissé sortir les gens. Ici, s’il y a quelque chose, à la
seconde près, les frontières seront fermées et nous nous battrons à l’intérieur. »
Mais on peut aussi la rapprocher de ces propos du général Gaston Ouessénan
Koné, le tout-puissant ministre de la Sécurité, déclarant au cours d’une
interview récente : « Tout au
long de l’année 1995, notre attention et nos efforts étaient essentiellement
tournés vers les agitations sociales qui constituaient une menace grave à
l’ordre public et à la pérennité des institutions. » Certes, le mot dozo ne fut jamais prononcé au cours de
cet entretien, mais c’est justement ce qui est bizarre, car ce mot tenait
alors, quotidiennement, la vedette dans la rubrique des faits divers, et il est
impossible qu’un ministre si attentif à ce qu’écrivent les journalistes ne s’en
soit pas aperçu.
En
fait, lorsque la presse gouvernementale commença à parler d’eux, les dozo
étaient déjà devenus des fauteurs de troubles plus dangereux que les bandits
qu’ils étaient censés combattre en lieu et place de la police officielle « distraite, comme disait encore
son ministre G. Ouessénan Koné, par les
vagues d’agitation sociale de l’année 1995. » Il faut entendre :
plus dangereux, surtout, pour l’autorité de l’Etat. Et c’est probablement ce
qui explique le brusque – encore que bien hésitant – retournement de la presse
gouvernementale contre eux. Car on aurait sans doute continué à les laisser
faire si leurs agissements n’avaient pas provoqué des situations propres à
déconsidérer l’Etat et ses agents locaux aux yeux des populations. Comme celle
qui se produisit en janvier, à Zro, une localité guéré, où, assiégés par une
bande de dozo auxquels les opposait un problème de terres spoliées, les
villageois battirent le tambour de guerre pour appeler en renfort les villages
voisins qui accoururent aussitôt. Encerclés à leur tour, les invulnérables durent rendre leurs armes.
Mais, quand les villageois avertirent les autorités de venir les arrêter,
personne n’osa se présenter et les dozo purent s’en aller librement. Du coup
les villageois guéré exigent non seulement qu’on les débarrasse des dozo, mais
aussi que tous les allogènes
quittent la région.
Cela
fait évidemment penser au précédent du Guébié (Gagnoa) en 1970, où, à la faveur
d’une diversion machiavélique imaginée et préparée de longue main au plus haut
niveau de l’Etat, un banal problème de terre opposant les autochtones à des allogènes dégénéra en une rébellion aux
conséquences tragiques. D’autant plus que deux membres importants du
gouvernement actuel, Léon Konan Koffi, alors préfet de Gagnoa, et G. Ouessénan
Koné, alors colonel et « chef de la gendarmerie », en furent des
témoins privilégiés, pour ne pas dire plus.
Le
pouvoir a-t-il fini par prendre la mesure du risque de jouer ainsi avec le
feu ? Il semble qu’on songe désormais, très sérieusement, à trouver un
autre débouché aux « vaillants
chasseurs du Nord », avec l’aide d’une ONG intitulée Afrique environnementale, sur la base
des travaux d’un jeune chercheur américain qui a déjà fait cette immense
découverte : « Là où il n’y a
pas de faune ni de flore, il n’y a pas de dozo » !
Du
1er au 4 avril, cette ONG a organisé, à Kaniasso (département
d’Odienné), « un important séminaire
d’information et de sensibilisation autour du thème "Lutte contre la
désertification en Afrique de l’Ouest", avec pour public-cible les
dozo ». Ils étaient 700 à répondre à l’appel, venus de toutes les
régions qu’ils « occupent » en Côte d’Ivoire, et aussi du Mali et de
la Guinée. Mais ce n’était pas seulement pour entendre parler de la protection
de l’environnement car, remarque Fraternité
Matin qui rapportait l’événement, « obnubilés
par l’idée de voir les pouvoirs publics élaborer un statut qui fera d’eux des
auxiliaires des forces de l’ordre dans la lutte contre le grand banditisme en
Côte d’Ivoire », ils sont venus dans « le secret espoir que Afrique environnementale se ferait leur
porte-parole auprès des décideurs politiques à ce propos ». C’est
seulement à cette condition qu’ils accepteraient éventuellement de se
transformer en « soldats de la lutte
contre la désertification ». L’ONG aurait promis d’aborder la question
avec les autorités compétentes. Ce qui amène notre confrère à « se demander si l’insatisfaction de
cette préoccupation des dozo ne va pas finalement démotiver nombre d’entre eux
dans la revalorisation de leur rôle de protecteurs de l’environnement ».
Et d’ajouter : « C’est en tout
cas une inquiétude qu’ont eu les animateurs de ce séminaire. Et ils ont
raison ».
Autrement
dit, malgré qu’ils en aient, les Ivoiriens n’ont pas bientôt fini de fredonner
le tube de l’année : Dozo, je
t’aime. Dozo, je te hais…
Marcel
Amondji
(*)Article paru dans Le Nouvel Afrique Asie N° 82-83 (juillet-août 1996).
@ @ @
17 ans après, le pouvoir paraît toujours aussi impuissant et ridicule
face aux dozo. A preuve, ce chapelet de rodomontades du ministre délégué auprès du président de la République chargé de la
Défense, Paul Koffi Koffi. Une
véritable anthologie de l’incompétence…
« L’Etat de droit n’est pas négociable. »
« Nous avons décidé de renforcer les moyens de
mobilité et le dispositif. »
« Venez déposer vos armes (...) On ne vous fera
rien. » (d’après LS/APA 24 septembre 2013)
« Nous avons des pistes sur les coupeurs de
route. Je vous le confirme, parce que nos hommes sont venus enquêter. Vous
savez, pour nous, on ne distingue pas les origines des coupeurs de
route, mais c’est l’acte posé qui est un problème. C’est d’ailleurs parce
que nous avons des pistes très sûres que je suis venu avec le commissaire du
gouvernement, les généraux, les premiers responsables de la gendarmerie et de
la police. »
« Il y a également eu des enquêtes très pointues
déjà sur le terrain et je ne peux pas maintenant livrer les résultats, mais ça
ne saurait tarder. »
« L’Etat ne peut pas accepter qu’on tue
gratuitement ceux qui ont en charge la sécurité de nos populations. On ne
peut pas accepter que des gens défient l’Etat. Sinon, il n’y a plus d’Etat de
droit. S’il y a un problème, on va le poser. Face à cette situation, je ne suis
pas venu tenir une langue de bois ici. On ne peut pas mettre en parallèle, un
gendarme, un militaire, un policier avec un dozo. Ce n’est pas du tout possible.
»
« Votre profession, c’est de chasser des gibiers et
non de vous mettre à la place des forces de l’ordre. Vous devez accompagner ces
forces légitimes en leur donnant des informations et en les aidant à mettre
hors d’état de nuire toutes les personnes suspectes. C’est dans cette voie que
vous devez vous inscrire. »
«Tous les coupables de la tuerie des forces de sécurité
seront jugés et punis conformément à la loi. » (d’après JM -
Le Patriote 24/09/2013)
«Yamoussoukro, terre de paix et de tranquillité est en
proie, depuis le 10 septembre, à des situations bizarres. Lorsque dans cette
ville qui est la capitale politique, on s’en prend aux hommes en charge de la
sécurité ; ceux-là mêmes qui sont chargés d’assurer la sécurité des
personnes et des biens ! Ils sont aujourd’hui pris à partie parce qu’ils
sont en train de faire leur travail. Cela ne saurait être toléré, ni accepté»
«Un pays qui n’a pas de forces de sécurité est un pays
qui est livré à lui (sic). (…) Alors, si les gens veulent déclarer un autre
type de conflit, qu’ils nous le disent. En ce moment-là, nous allons adopter
une autre mesure. Parce qu’on ne peut pas accepter que les policiers, les
gendarmes, les eaux et forêts, les douaniers et les militaires subissent des
attaques. Ceux qui s’attaquent à nos hommes trouveront la riposte nécessaire.
Toutes les forces sont présentes à Yamoussoukro. Les forces spéciales, unité
d’élite, sont également là. Le Ccdo (Centre de coordination des décisions
opérationnelles, ndlr) est là. Nous allons mettre en alerte maximale nos
hommes. Ceux qui s’attaquent aux forces régulières s’exposent à des peines de
vingt ans de prison. On ne tire pas sur un militaire, un gendarme, un policier,
quelle que soit la raison. »
«On ne peut pas se rendre justice. Nous ne sommes pas
dans la jungle. Il existe des lois qu’il faut respecter. Je suis venu vous
porter le message du gouvernement. Personne ne peut justifier le fait de tirer
sur les forces de l’ordre. La guerre est terminée. Si nous devons réagir comme
ceux qui tuent nos hommes, nous serions amenés à sortir les gendarmes et les
militaires armés. Ils rentreraient dans les quartiers et ils ouvriraient le feu
sur tous les bandits. On nous demandera qu’est-ce que vous êtes en train de
faire encore ? Ce que nous demandons aux dozos, c’est de faire plutôt du
renseignement. Ils doivent signaler aux forces régulières tous les mouvements
suspects d’individus. Il ne faut pas se cacher pour mener des attaques. » (d’après Ouattara
Moussa – Nord Sud Quotidien 24
septembre 2013)
« On ne peut pas substituer des dozos aux
gendarmes, aux policiers et aux militaires qui ont la formation et la
compétence pour assurer la sécurité des populations. Les dozos sont des
chasseurs, qu'ils aillent à la chasse des biches ou des antilopes, mais ils n'ont
pas le droit de tirer sur nos hommes. C'est inacceptable. Des enquêtes sont en
cours, nous sommes sur des pistes très sûres et nous sommes déterminés à
traquer tous ces bandits de toute nature. C'est pourquoi nous avons dit aux
populations la conduite à tenir. Nous allons renforcer les patrouilles, faire
des battues et en ce qui nous concerne, nous allons accroître les moyens de
mobilité de nos hommes. Les populations sont traumatisées. »
« Trois membres du gang de gang de Bangolo ont
été mis aux arrêts. Nous allons continuer à travailler et adapter nos
stratégies à cette nouvelle tactique des coupeurs de route. Si on en prend, la
justice sera sans pitié, parce que c'est au moins 20 ans de prison qu'ils
encourent. » (d’après Olivier Dion - L’intelligent d’Abidjan 25 septembre 2013)
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