François
Hollande s'entretient avec Jean-Marc Ayrault et Laurent Fabius
sur
la Syrie, le 28 août dernier à l'Élysée (photo Kenzo Tribouillard / AFP)
La note déclassifiée des renseignements
français rendue publique par Matignon n'apporte aucun élément nouveau sur
l'attaque chimique de la Ghouta.
Pour
dissiper les doutes quant à la responsabilité de Damas dans le massacre
chimique de la Ghouta, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault
a rendu publiques, lundi, les informations des services de
renseignement français. Dans une "note de synthèse"
déclassifiée de neuf pages mise en ligne lundi soir, le gouvernement
expose les éléments lui permettant d'incriminer le régime syrien dans l'attaque
qui a fait au moins 281 morts (1 429 selon Washington). Après analyse
d'échantillons de sang et d'urine prélevés sur des victimes syriennes, les
services français confirment l'emploi d'un faible volume de gaz sarin par Damas
le 29 avril 2013 à Saraqeb (nord-ouest), et à la mi-avril 2013 à Jobar
(banlieue de Damas).
En
revanche, concernant l'attaque de grande ampleur perpétrée le 21 août à la
Ghouta, à laquelle Washington et Paris souhaiteraient riposter militairement,
le gouvernement français ne peut qu'"estimer" que le régime syrien a
lancé une "attaque associant moyens conventionnels et usage massif
d'agents chimiques". Sur quels éléments la note s'appuie-t-elle ? D'après
le document, des "renseignements crédibles" en provenance de
plusieurs partenaires (services secrets alliés, NDLR) font état de préparatifs
spécifiques de l'armée syrienne au cours des jours précédant le 21 août.
Destruction de preuves
Au
lendemain de l'attaque, le régime a conduit des frappes terrestres et aériennes
importantes sur la zone, et les militaires (syriens) ont déclenché des
incendies visant vraisemblablement à purifier l'atmosphère, assure le document,
sans pour autant sourcer ces informations. Pendant ce temps, les inspecteurs de
l'ONU se sont
vu refuser l'accès aux sites touchés durant plusieurs jours. Autant d'éléments
confirmant, selon la note, "une claire volonté de destruction des preuves
a posteriori".
À
l'étude des cibles visées par l'attaque, les services concluent que "nul
autre que le régime ne pouvait s'en prendre ainsi à des positions stratégiques
pour l'opposition". Quant à la rébellion syrienne, accusée par Damas d'avoir
perpétré le massacre, le rapport estime qu'elle n'a pas les capacités de
stocker et d'utiliser ces agents chimiques, encore moins pour une attaque d'une
telle ampleur. Des éléments somme toute limités au regard des preuves promises
par Paris.
Manipulation
"Ce
document n'est pas une preuve, pas même un rapport brut des services de
renseignement français", affirme au Point.fr Éric Denécé, directeur du
Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). "Il s'agit d'une
synthèse gouvernementale de plusieurs papiers des services de renseignement
afin de manipuler l'opinion et les parlementaires", estime le spécialiste.
À la veille du débat à l'Assemblée nationale
sur la Syrie, qui doit avoir lieu mercredi, la classe politique française est
divisée sur la nécessité d'intervenir, la plupart des ténors de l'opposition
réclamant un vote au Parlement - hormis le président de l'UMP, Jean-François
Copé.
Pour
démontrer la gravité du massacre en Syrie, et donc l'urgence d'une riposte
militaire, le gouvernement n'a pas hésité à diffuser sur
le site du ministère de la Défense six des quarante-sept vidéos
amateurs des événements du 21 août, que les services français ont soigneusement
analysées. Sur ces images insoutenables, des dizaines de corps sans vie
allongés sur le sol, sans aucune trace de blessure apparente. Plusieurs vidéos
témoignent de l'agonie d'enfants, l'un en état de détresse respiratoire, un
autre saisi de convulsions musculaires ou encore d'hypersécrétion de salive.
Erreur de com
Des
signes cohérents avec une intoxication aux agents chimiques, affirme le
rapport, d'autant plus que les analyses techniques des services français
confirment que les débris de roquettes observés sur place concordent avec
l'usage de gaz neurotoxiques. Problème, cette conclusion n'est plus à
démontrer, l'ONG Médecins sans frontières ayant révélé l'utilisation de gaz
chimique dès le samedi 24 août. L'Iran et même Damas ont depuis évoqué l'usage
d'agent neurotoxique en Syrie, mais en accusant l'opposition.
"Le
contenu du rapport est décevant, car aucune information secret défense n'a en
réalité été révélée", souligne au Point.fr Olivier Lepick, spécialiste des
armes chimiques à la Fondation pour la recherche stratégique. "On aurait
aimé que l'État français publie les résultats d'analyses des échantillons
biologiques recueillis." À la place, la note détaille pour la première
fois l'étendue du programme chimique syrien (gaz VX, moutarde et sarin) et les
vecteurs dont Damas dispose pour les employer. Des "révélations"
censées démontrer l'implication du régime, mais qui ne sont en réalité qu'un
secret de polichinelle. "Tout a déjà été publié dans la presse depuis des
années", indique Olivier Lepick.
Acte politique
Ainsi,
l'expert révèle une "erreur de communication" de la part du
gouvernement, qui a pompeusement qualifié de "déclassifiées" des
informations déjà connues de tous. Pourquoi Matignon a-t-il exagéré la portée
de son document, au risque de donner raison à Bachar el-Assad, qui répète à
l'envi que les Occidentaux ne disposent d'"aucune preuve" ? Pour le
général Vincent Desportes, professeur à HEC et Sciences Po et ancien directeur
de l'École de guerre, la divulgation d'un tel rapport est un "acte
politique" visant à légitimer la démarche interventionniste de François
Hollande sur le dossier syrien.
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