samedi 1 juin 2013

Une crise de loin venue…


Le 1er juin 1984, il y a donc exactement 29 ans aujourd’hui, jour pour jour, dans les pages du mensuel « Révolution » paraissant à Paris, un certain André Brécourt signait cet article, véritable « état des lieux », à une époque où le système Houphouët amorçait sa descente vertigineuse aux enfers… C’est à la fois le constat de l’échec d’une politique, échec d’ailleurs prévisible, et la prémonition des grands malheurs que cet échec, et plus encore l’incurie de ceux qui en étaient les responsables et n’ont rien fait pour l’éviter ou pour en atténuer les conséquences, devait attirer sur notre malheureuse patrie… En cette année 1984, la bourrasque qui allait irrémédiablement jeter à terre le château de cartes houphouétiste enflait déjà à l’horizon. Pourtant, Houphouët resta obstinément sourd à tous les avertissements, à tous les conseils des experts, ainsi qu’aux murmures des citoyens. Jusqu’aux journées quasi-insurrectionnelles de mars 1990, qui provoquèrent l’éclatement au grand jour de ce qu’on appelle bien improprement « la crise ivoirienne », mais qui est en réalité « la crise des relations franco-ivoiriennes ».

Une crise de loin venue donc, compliquée, aux multiples rebondissements – (1999, 2002, 2004, 2011) – formant comme un enchaînement fatal de tragédies devant lesquelles notre peuple constamment trahi par ceux en qui il avait successivement placé sa confiance, se retrouva chaque fois sans défense ni recours.

Une crise dont personne aujourd’hui ne songerait à nier qu’elle tire son origine de la façon dont la Côte d’Ivoire fut gouvernée durant le long règne solitaire de Félix Houphouët !

Une crise, enfin, dont tout laisse à penser qu’elle ne connaîtra pas de fin tant que ne lui seront pas appliquées des procédés de résolution vraiment compatibles avec les intérêts et avec les aspirations d’un peuple dûment informé de son histoire.

D’où l’intérêt, pour chaque patriote, chaque résistant, de lire ou de relire des textes comme celui-ci.
 
La Rédaction
 

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La faillite d’un « miracle »
par André Brécourt 

Abidjan est souvent présentée en exemple de réussite africaine, et Félix Houphouët-Boigny en modèle de « sage ». Notre envoyé spécial a rencontré une autre Côte d'Ivoire : celle de l'austérité, du pillage, de l'endettement. Et de la répression. Le mythe en prend un coup...

Il est vingt heures et, comme depuis la fin de l'année dernière, Abidjan, la capitale, est plongée dans l'obscurité. Les buildings se dressent comme des fantômes sur les bords des lagunes du Plateau et de Cocody. Dans les restaurants, on dîne aux chandelles. Les boîtes de nuit sont fermées. Seules quelques zones résidentielles comme Cocody et la Riviera sont approvisionnées en électricité. La sécheresse frappe de plein fouet le pays, et les barrages sont pratiquement à sec. La nouvelle capitale, Yamoussoukro, vit à l'heure des délestages quotidiens. La situation est particulièrement dramatique pour les hôpitaux. Aucun ne dispose de groupe électrogène, et rien ne peut se garder dans les chambres froides (sang, vaccins, médicaments, etc.). Seuls les grands restaurants peuvent offrir de la viande fraîche. Faute de climatisation, on étouffe dans les bureaux.
« Le mythe ivoirien disparaît comme une étoile dans le ciel », soulignent aujourd'hui, ceux qui, hier encore, le brandissaient comme un modèle de réussite. Les recettes s'avèrent insuffisantes pour financer les investissements en équipements et infrastructures particulièrement disproportionnés qui furent lancés dans la seconde moitié des années soixante-dix, lorsque les cours du cacao et du café connurent une véritable explosion. C'est ainsi que, le 18 décembre dernier, le ministre des Finances, M. Abdoulaye Koné, a informé les créanciers du Club de Paris ainsi que les banques commerciales privées de la volonté de son gouvernement de rééchelonner le paiement des intérêts et du principal dus pour les treize mois à partir du premier décembre dernier. Selon les milieux bancaires à Abidjan, on estime à environ un milliard de dollars les sommes venant à échéance cette année. Avec une dette extérieure d'environ 6,5 milliards de dollars — elle a pratiquement doublé depuis 1979 —, la Côte-d'Ivoire compte parmi les pays les plus endettés du monde. En tout cas, si l'on considère la dette par tête d'habitant, son service absorbera 45 % des recettes à l'exportation en 1984.
Personne ne nie qu'entre 1960 et 1980, la Côte-d'Ivoire a connu un développement spectaculaire. En vingt ans, la population totale a plus que doublé, passant de 3,8 à 8,2 millions d'habitants. Dans le même temps, le taux moyen de croissance du PNB a été de 8 %. Le montant du PIB est passé, lui, de 142 milliards de francs CFA en 1960 à quelque 2.500 milliards en 1980, soit une multiplication par 17, ce qui donne aujourd'hui un PIB par habitant proche de 300.000 F CFA. Cette performance place la Côte-d'Ivoire au troisième rang des puissances économiques de l'Afrique, Maghreb exclu, derrière le Nigeria (90 millions d'habitants) et l'Afrique du Sud (30 millions d'habitants). Dans le même temps, la Côte-d'Ivoire devenait le premier producteur mondial pour le cacao et le troisième pour le café.
L'amorce du recul débute en 1980. Les causes principales en sont connues : difficultés dans les pays industrialisés, par suite du renchérissement du pétrole entraînant la rétractation du commerce mondial, la hausse du dollar particulièrement pénalisante pour tous les pays emprunteurs du tiers monde, la tendance continue à la dégradation des termes de l'échange entre le Nord et le Sud dont les économies révèlent ainsi leur fragilité. C'est ainsi que le taux de croissance du PIB est tombé de 6,3% en 1980 à 0% en1981 pour être encore proche de ce chiffre (0,1% en 1982). A cela s'ajoute la mise en coupe réglée du pays par le président Houphouët-Boigny et son entourage. Les exemples abondent. Ainsi celui du sucre. A l'époque, le tout-puissant ministre de l'Economie, Konan Bédié, avait passé commande de six complexes sucriers. La surfacturation pour trois d'entre eux atteignait les 34 milliards de francs CFA. Le scandale fut tel que le « Vieux » se sentit obligé de le dénoncer en termes très vifs, lors du VIIe congrès du Parti.

André Brécourt
 
Source : Révolution (Paris) 1er juin 1984

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