Kablan Bertin. Ce nom ne vous dit absolument rien. Kablan Bertin
n’est ni un personnage public, ni une star du showbiz ou du football, encore moins
un homme politique. C’est juste un anonyme dont les faits d’armes militent en sa
défaveur. Le 5 juin, Kablan Bertin, la cinquantaine révolue (il a 51 ans),
s’est rendu coupable d’un acte en tout point de vue répréhensible. Il a soutiré
d’un véhicule en stationnement, la somme de 1000 francs CFA. Oui, 1000 FCFA !
Arrêté pour ce fait, il a comparu devant le tribunal des
flagrants délits, à Yopougon, le 13 juin et s’est vu infliger une lourde peine
d’emprisonnement de trois mois fermes.
Et alors ? Il s’agit d’un fait divers banal et quotidien
devant n’importe quelle cour de justice, au pays de la croissance à deux
chiffres où, la seule réalité tangible reste le chômage et la pauvreté. Il n’a
que ce qu’il mérite, ce grand gaillard qui, au lieu de trouver un travail dans
un pays où en trouver relève du miracle. Voler à son âge, c’est une honte !
Réaction normale au sein d’une société éprise de justice et très à cheval sur
les principes moraux, face à une telle actualité.
Bien sûr ! Kablan Bertin n’a aucune excuse. Toutefois,
quittons le terrain des indignations feintes, des faux préceptes moraux pour
aborder le cas de ce larron, sous l’angle de son équation sociale personnelle
pour le comprendre.
Pourquoi, à cet âge, supposé rimer avec sagesse et raison,
où généralement un homme est accompli, Kablan Bertin se laisse-t-il tenter par
la rapine ?
Il ne serait pas exact de prétendre connaître le quidam.
Toutefois, il est permis d’affirmer qu’à un moment donné de son existence, son
vécu a pu faire les frais des effets collatéraux de la crise ivoirienne. Comme
celui de la majeure partie des Ivoiriens d’ailleurs. Happés par la conjoncture
sciemment provoquée, que vit notre pays depuis plus de dix (10) ans.
En 2002, Kablan Bertin avait 40 ans. Il était peut-être
marié, avec des enfants. C’est juste une supposition. Il vivait sans doute
quelque part dans le pays, pourquoi pas à l’ouest, au centre voire au nord, les
projets plein la tête ? Il ne roulait peut-être pas sur l’or, mais jouissait du
respect dû à tout homme en activité. L’avenir, il y croyait fermement. Jusqu’à
la tragique nuit du 18 au 19 septembre. Quand saint Guillaume Soro et ses
copains décidaient de changer le cours de l’histoire. Pour donner des papiers à
leurs concitoyens ou changer leur propre statut social ?
Peut-être que Kablan Bertin fait partie de ces milliers de
déplacés de guerre qui ont convergé, à pied, vers le sud du pays aux premières heures
d’une crise qui allait perdurer. Obligé de laisser derrière lui toute une vie.
De renoncer à ses rêves, à l’avenir de ses enfants. Peut-être même que son
épouse l’a quitté ou n’a pas survécu à cette tragédie. Peut-être qu’une fois à
Abidjan, passé le temps des émotions, les parents ou les bienfaiteurs de Kablan
Bertin et de sa famille n’en pouvaient plus de l’héberger. Il lui a peut-être
fallu se chercher, comme on dit à Abidjan. Assumer les conséquences d’une crise
militaro-politique avec laquelle il n’avait rien à voir. De fil en aiguille, il
s’est peut-être retrouvé à faire la manche ou à glisser sur le chemin du vice.
Jusqu’à ce 5 juin 2013.
Ce cas de figure est celui de millions d’Ivoiriens qui ont
dû fuir les ex-zones CNO devenues hostiles à leur présence à un moment donné.
Qui, durant les nombreux accords de paix signés s’est soucié de leur sort ? On
les désigne sous le vocable peu flatteur et plein de mépris de victimes de
guerre. Certains ont peut-être réussi avec le soutien de leurs proches à se
réinsérer. D’autres ont perdu tout espoir de réhabilitation, parce que trop
âgés pour repartir à zéro.
Dans trois mois, lorsqu’il sortira de prison, sa situation
sociale ne se sera pas améliorée. Elle risque même d’empirer. Stigmatisé et objet
de rejet, quel autre choix s’offre à lui, si ce n’est d’entamer une carrière dans
le grand banditisme ? Oui, choix sans doute facile, mais certains, sans que
leur vie ne soit un fardeau, ont pris les armes, pour s’offrir mieux ! On voit les
résultats.
Les solutions à la criminalisation de notre société
post-crise, ne sauraient occulter cette dimension de la crise ivoirienne pour
ne se concentrer que sur la répression. Encore que de ce point de vue, la
balance de la justice penche dangereusement en défaveur des plus faibles, des
sans-culottes, des laissés pour-compte !
Alors que l’argent public est détourné à des fins d’enrichissement
illicite pourtant interdit par la loi, et en dépit d’une charte éthique signée par
les membres du gouvernement et de l’administration publique.
Sous nos yeux, l’argent public est gaspillé sous de
fallacieux prétextes pour entretenir l’illusion d’un monde meilleur ; et la
justice reste désespérément muette. Sur le terreau de nos misères prospèrent
des bandits à col blanc. 112 milliards de francs CFA dilapidés à l’université
donnent même droit à une campagne de réhabilitation avec l’appui de la
télévision nationale qui fonctionne pourtant grâce à l’argent du contribuable
spolié.
L’artiste
français à succès, Michel Sardou pouvait donc oser :
Je pense au jeune homme
imprudent
Qui prend entre six mois deux
ans
Pour un désordre assez minable,
Et ceux que la loi n’atteint
pas.
On a devant soi, la Justice
Et l’apparence de la Justice.
La nuance est indéfinissable.
Ce qui est pris ne se rend pas…
Conforté dans l’impunité dont ils jouissent, ces hommes
ambitieux dont l’action contribue chaque jour à ruiner le contribuable, peuvent
dormir du sommeil du juste. Jusqu’au jour où les miséreux, à force de vivre au
prix d’intolérables privations, décident de changer l’histoire. Pas avec des
armes, comme l’ont fait saint Guillaume Soro et ses camarades. Mais avec un
bout de papier. Affreusement appelé « bulletin de vote ».
B. V.
Titre original : « La
République des forts ! »
en maraude
dans le web
Sous cette rubrique, nous vous
proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas
nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en
rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et
aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à faciliter la
compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise
ivoirienne ».
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