mardi 25 juin 2013

Paroles d’exilé…

Interview du Dr Amara Touré, ancien ministre de Laurent Gbagbo 

Depuis que vous avez quitté le territoire ivoirien, l'on ne vous a plus entendu. Devrait-on comprendre que l'actualité de votre pays ne vous intéresse plus ?
Je voudrais tout d’abord vous dire merci pour l’opportunité que vous m’offrez pour m’adresser à
Dr Amara Touré
vos lecteurs. Votre question m’amène à me demander si vous appréciez à sa juste valeur l’ampleur de  la question de notre exil. Les responsables politiques que nous sommes dépassions le nombre de 200 cadres et chacun ne peut pas se lever et dire n’importe quoi et n’importe quand. Cela n’est pas responsable et c’est pour cela que nous sommes organisés en coordination du FPI en exil pour éviter la cacophonie. Nous sommes une quarantaine de ministres, on trouve ici des  PCA, DG,  Directeurs centraux et cadres supérieurs de différentes qualifications de l’administration ivoirienne. On ne peut pas avoir servi le pays à un tel niveau et dire que nous nous désintéressons de l’évolution de la vie publique chez nous à l’occasion d’un exil forcé malgré les dispositions pertinentes de notre constitution. Tout ce que je dis a été déjà dit et très souvent bien dit avant moi. Nous sommes en train d’écrire une page de l’histoire de notre pays et il ne faut pas laisser les amalgames de certains aventuriers troubler notre lecture. Je voudrais aussi vous rappeler que l’exil fait malheureusement partie de l’histoire des Peuples et des Hommes.
Vous qui avez appartenu au dernier gouvernement du président Gbagbo, que pouvez-vous dire aux Ivoiriens relativement à sa libération ? En d'autres termes, Gbagbo sera-t-il libéré après cette vigoureuse sortie de l'Union africaine contre la CPI ?
En tant que ministre du dernier gouvernement du président Gbagbo, la pire des choses que je lui souhaite est sa libération, qui va en même temps LIBERER la Côte d’Ivoire. La sortie de l’Union Africaine (UA) contre la CPI intervient à un moment opportun, mais je la trouve timide et pas très engagée. A mon sens, il aurait fallu réfuter ce machin raciste créé dans la logique dominatrice de l’Occident pour asservir l’Afrique et perpétrer l’exploitation coloniale du continent. La précédente déclaration de Mme Zuma affirmant que la CPI ne fait pas partie de nos normes institutionnelles  me sied mieux. Ainsi, l’UA devait demander la libération de tous les prisonniers africains de cette prison Impérialiste et néo-colonialiste de La Haye. L’UA doit adopter la méthode chinoise qui consiste à se retirer et ne pas reconnaitre toutes ces organisations qui la méprise.
En tant que fils du Nord, quels commentaires faites-vous de la politique de rattrapage initié par le régime Ouattara ?
C’est une politique catastrophique et inacceptable pour la nation ivoirienne et pour les peuples du Nord. En tant que fils du Nord et musulman, il y a un peu plus d’un an, avant la déportation du Président élu Laurent Gbagbo, j’ai interpelé tous les imams et toutes les associations musulmanes du danger lié à ce transfèrement forcé et illégal du CHEF, du FAMA à la Haye. J’ai rappelé tout ce que le président  Gbagbo a fait pour la communauté musulmane et que leur silence n’était pas juste et justifié, car le Révérend Evêque Desmond Tutu disait que dans une situation d’injustice, si tu choisis d’être neutre, c’est que tu as choisi le camp de l’oppression. Aucun président, depuis Houphouët  jusqu’à Laurent Gbagbo en passant par Bedié et Guei, n’a eu à appliquer une telle orientation ethniciste, tribaliste, régionaliste et religieuse du pouvoir en Côte d’Ivoire. C’est vraiment malheureux et inapproprié pour un pays qui cherche à se réconcilier depuis une décennie. Je me demande pourquoi ??? Il est de notoriété que M. Ouattara ne connaît pas la Côte d’Ivoire, son anthropolo-sociologie, ses alliances, ses tabous, interdits et totems, mais il est entouré des amis de son parti, de ses alliés et tout ce monde le laisse conduire une politique aussi ignoble. Dieu durcit de plus en plus le cœur de Pharaon. Est-ce pour le perdre ? Le Pharaon Ivoirien est-il si inaccessible aux paroles des humains que nous sommes. L’histoire bégaie-t-elle ? Veut-il reproduire 1963 car houphouétiste ? Jusqu’où ira-t-il avec cette dictature de l’Épée ? L’adage ancien nous enseigne les limites de cette politique de l’épée. Pour tous les cadres conscients du Nord sans distinction de parti et de religion et, au-delà d’eux, tous les peuples du Nord, il faudrait réfléchir aux conséquences néfastes de cette politique hasardeuse dite de rattrapage de Ouattara. Il faut avoir en mémoire que toute médaille a deux faces et s’attendre malheureusement au retour du bâton et rester humble et digne. Chez nous les Malinké on dit : La vie c’est aujourd’hui et demain et que le soleil d’un roi ne peut briller toute l’éternité. Nous avons à construire une nation multiethnique, multiraciale, multiconfessionnelle et donc, nous ne pouvons pas nous accommoder avec des pratiques archaïques de «  rattrapage  ». La Côte d’Ivoire a besoin de toutes ses filles et de tous ses fils sans distinction aucune pour un développement  harmonieux équitable et durable.
Tout récemment, Mamadou Koulibaly a fait une sortie dans un journal  Camerounais où il a déclaré que Gbagbo n'a pas gagné les élections présidentielles de 2010. Vous qui l'avez côtoyé, quelle analyse faites-vous de cette déclaration ?
La récente déclaration de Mamadou Koulibaly dans le journal camerounais n’est pas une surprise elle est dans l’ordre qu’il s’est fixé et qu’il poursuit. Pour essayer de le comprendre il faut suivre un tout petit peu sa carrière politique fulgurante. Mamadou Koulibaly, un illustre inconnu dans le milieu politique Ivoirien, nous est présenté au niveau du Secrétariat General du Front Populaire Ivoirien comme un nouveau membre de cette instance de direction du parti par le président Gbagbo. Il a été coopté par le président après le congrès de 1994 et il était le seul membre de la direction non investi par le congrès. A peine 5 ans plus tard, il fait de lui un ministre de la République dans le gouvernement de Guéi. Un an après il est élu député de Koumassi sans y mettre le pied. Et par la volonté de Laurent Gbagbo il est bombardé président de l’Assemblée Nationale de Côte d’Ivoire. Enfin il est nommé 3e Vice-Président du parti. Mamadou a gravi tous ces échelons sans faire ses classes et le FPI est une école avec sa culture de lutte. Le petit Madou jouit de la confiance absolue et de l’amitié du président de la République et de la première dame Simone Ehivet Gbagbo. Mais, paradoxalement, il n’est pas enthousiaste au travail. Au niveau du parti il est absent pratiquement à toutes les réunions du secrétariat général, du secrétariat exécutif, du comité central. Au niveau du parlement, la Première vice-présidente Marthe Agoh a assuré  l’intérim tout le temps. Dans sa circonscription électorale, il n’y mettait jamais les pieds. Mamadou est un solitaire instable et ambitieux, disent ses contemporains. Il croit avoir la science infuse à cause de son agrégation en science économique et ne tolère pas la contradiction ; et il se croit le nombril du monde, il se croit infaillible. Il affirme de manière péremptoire que Gbagbo n’a pas gagné les élections. Pourquoi n’a-t-il pas gagné les élections présidentielles de 2010 ? Aucune preuve scientifique pour un agrégé d’Université. Je ne suis pas le juge des élections, dit-il ? Mais dans notre pays il n y a qu’un seul juge constitutionnel des présidentielles, qui s’est prononcé et a déclaré Gbagbo vainqueur. Pourquoi met-il en cause le verdict du juge ? Il se réfère à un panel réclamé par le président pour faire un recomptage des voix, pour éclairer les résultats. Ce recomptage des voix a-t-il été fait oui ou non ? C’est seulement ce résultat qui devait s’imposer à lui et non des décisions politiques farfelues. Cette sortie de Mamadou intervient à un moment qui n’est pas fortuit. Regarder la période : après le coup de Sarkozy, c’est lui qui annonce l’arrivée de Paul Yao Ndré pour l’investiture de Ouattara. Ensuite il tente en vain la caporalisation du FPI pour accompagner Ouattara. Et aujourd‘hui, à quelques heures du verdict de l’audience de confirmation des charges, il fait cette sortie de route. Comme quoi, à chaque fois que Ouattara est en difficulté, Mamadou Koulibaly court à son secours. Mamadou Koulibaly n’est pas le bouc émissaire de qui que ce soit. Depuis longtemps il cherche à s’imposer comme alternative au président Gbagbo. C’est ce qui explique son comportement à Marcoussis et sa discourtoisie vis à vis de Affi N’Guessan, le président du FPI. Peu après Marcoussis, son imam attitré, Doumbia, et feu son père géniteur organisent des sacrifices et des prières pour qu’il devienne le prochain président de Côte d’Ivoire. Dès lors, le parricide du père Gbagbo a commencé. Comme Brutus, il faut tuer le père et prendre la place. Il faut analyser et comprendre les déclarations et les actes posés par Mamadou Koulibaly sous le prisme de cette nouvelle vision à lui. Pourquoi a-t-il un tel comportement ? Il semblerait qu’il soit soutenu par les Occidentaux comme alternative à Ouattara. Après avoir bénéficié 11 années durant de privilèges et honneurs du régime FPI, Mamadou ne peut ni vilipender le président Gbagbo ni accuser le parti pour quelque raison que ce soit, car dauphin constitutionnel, il était au cœur de l’appareil de décision et il n’a pas démissionné. Après la chute du régime il est facile de jeter l’opprobre sur les autres et se présenter comme le leader parfait et infaillible. Si le président Gbagbo est à la Haye, Mamadou doit être dans la cellule voisine. Si Simone se retrouve à Odienné, dans mon village, Mamadou ne doit pas être loin de là. Si Affi et Sangaré sont en prison, Mamadou doit être aussi en prison. Si par la grâce divine il est dehors, il devrait normalement se sentir dans les liens de la détention moralement et psychologiquement tout au moins. Il ne faut pas vendre son âme au diable parce qu’on veut devenir quelqu’un. Il ne faut pas trahir son propre pays parce qu’on aspire à faire partie des servants de l’Occident. Allah le Très Miséricordieux, l’Omniscient, l’Omnipotent, récompense toujours le bienfait et le bienfaiteur ; il n’aime pas les Ingrats, et leur réserve un châtiment ici-bas et dans l’au-delà. Amina.
Quand-est-ce que vous envisagez rentrer dans votre pays ?
Cette question est intimement liée à l’évolution de la situation politique et sécuritaire en Côte d’Ivoire. En septembre 2002, mon domicile a été pillé à Bouaké par la rébellion. Ils ont emporté tout ce qui s’y trouvait, et cinq véhicules. Ma clinique, l’une des plus grande et moderne de Bouaké, a subi le même sort. Tout a été vandalisé et aujourd’hui il ne reste que des ruines. Le 30 novembre 2010, avant la proclamation des résultats du second tour des élections présidentielles, je répète avant la proclamation des résultats, mes deux domiciles d’Odienné sont pillés et vandalisés par les mêmes rebelles et ils sont partis avec deux véhicules. Puis à la suite de la guerre post-électorale, mon domicile d’Abidjan est pillé en partie et est actuellement occupé par un chef rebelle à la Riviera-Synacassci. Trois véhicules ont été emportés. Tous mes comptes bancaires sont gelés. Je dois rentrer pour faire quoi ? Comme tous les exilés, nous attendons l’aboutissement heureux et raisonnable des discussions entre le parti et le gouvernement pour revenir assumer notre rôle.
Quel est pour vous l'avenir de la Côte d'Ivoire avec Ouattara ?
L’avenir de la Côte d’Ivoire avec Ouattara n’est pas du tout prometteur. C’est du remake. Politiquement, on veut nous ramener au monopartisme avec un parti unique tout puissant et un chef qui a droit de vie et de mort sur ses sujets. Ce qui est inacceptable dans le contexte Ivoirien actuel. Sur le plan économique, il s’agit de nous imposer encore une politique d’austérité comme en 1990-1993, avec la destruction de ce qui reste comme biens public dans le portefeuille de l’Etat. On ne peut pas devenir un pays  émergent en limitant de manière drastique le recrutement des enseignants, des médecins, des infirmiers et des sages-femmes à la fonction publique. On ne peut pas se développer sans la création d’usines. Or, aujourd’hui, ce n’est pas le cas dans notre pays. On parle plutôt de licenciement massif. La politique d’endettement et des PAS ne peut nous conduire bien loin. Il s’agit de nous maintenir dans la politique de dépendance du FMI et de la Banque mondiale, instruments de domination du capitalisme international. Il nous faut sortir de la philosophie occidentale du développement. Socialement nous avons un pays divisé entre pro-Gbagbo et pro-Ouattara, entre Musulmans et Chrétiens. La réconciliation ne bouge pas, car on refuse d’affronter de manière courageuse les problèmes réels. Et on joue à un jeu de diversion. Il faut un forum de discussion directe entre le président Gbagbo et Mr Ouattara pour tout mettre à plat et repartir du bon pied. L’ampleur de la fracture sociale est telle qu’il ne faut pas se leurrer. Je vais terminer en vous racontant cette histoire réelle vécue à Accra entre nous exilés. Un jour deux amis décident d’aller rendre visite à un autre. Comme par hasard, les deux qui ne sont pas malinké, s’habillent en boubou, portent un bonnet sur la tête et sont tous barbus comme c’est quelque fois le cas ici. Ils arrivent chez leur ami et trouvent au salon son fils de 10 ans. Ils lui demandent où est son père. Le petit hésite à parler et ensuite leur répond que son papa est absent. Ensuite il s’enfuit dans la chambre de sa tante pour lui dire que les assaillants en boubou sont venus demander après son papa et conseille à sa tante de ne pas dire où se trouve son père. Voilà jusqu’où peut nous amener cette lamentable  politique de Ouattara.
Pensez que-vous que la France peut un jour lâcher celui qu'elle a imposé aux Ivoiriens ?
L’adage dit que chaque peuple mérite le chef qu’il a. L’histoire de la France devrait plutôt nous inspirer dans la lutte que nous menons pour les libertés, la justice et la démocratie. Votre question nous ramène à la problématique du maître et de l’esclave. Est-il raisonnable que pour en finir avec la servitude, l’esclave s’en remette au seul bon vouloir de son maître ? Chaque peuple à son histoire et nous devons assumer la nôtre. Dieu bénisse la Côte d’Ivoire, notre pays. 

Propos recueillis par Simplice  Zahoui (Le Quotidien d’Abidjan du 10 Juin 2013) 

en maraude dans le web
Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».

Source : CIVOX. NET 22 Juin 2013

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire