Depuis que vous avez quitté
le territoire ivoirien, l'on ne vous a plus entendu. Devrait-on comprendre que
l'actualité de votre pays ne vous intéresse plus ?
Je voudrais tout d’abord vous dire merci pour
l’opportunité que vous m’offrez pour m’adresser à
vos lecteurs. Votre question
m’amène à me demander si vous appréciez à sa juste valeur l’ampleur de la
question de notre exil. Les responsables politiques que nous sommes dépassions
le nombre de 200 cadres et chacun ne peut pas se lever et dire n’importe quoi
et n’importe quand. Cela n’est pas responsable et c’est pour cela que nous
sommes organisés en coordination du FPI en exil pour éviter la cacophonie. Nous
sommes une quarantaine de ministres, on trouve ici des PCA, DG,
Directeurs centraux et cadres supérieurs de différentes qualifications de
l’administration ivoirienne. On ne peut pas avoir servi le pays à un tel niveau
et dire que nous nous désintéressons de l’évolution de la vie publique chez
nous à l’occasion d’un exil forcé malgré les dispositions pertinentes de notre
constitution. Tout ce que je dis a été déjà dit et très souvent bien dit avant
moi. Nous sommes en train d’écrire une page de l’histoire de notre pays et il
ne faut pas laisser les amalgames de certains aventuriers troubler notre
lecture. Je voudrais aussi vous rappeler que l’exil fait malheureusement partie
de l’histoire des Peuples et des Hommes.
Dr Amara Touré |
Vous qui avez appartenu au
dernier gouvernement du président Gbagbo, que pouvez-vous dire aux Ivoiriens
relativement à sa libération ? En d'autres termes, Gbagbo sera-t-il libéré
après cette vigoureuse sortie de l'Union africaine contre la CPI
?
En tant que ministre du dernier gouvernement du
président Gbagbo, la pire des choses que je lui souhaite est sa libération, qui
va en même temps LIBERER la Côte d’Ivoire. La sortie de l’Union Africaine (UA)
contre la CPI intervient à un moment opportun, mais je la trouve timide et pas
très engagée. A mon sens, il aurait fallu réfuter ce machin raciste créé dans
la logique dominatrice de l’Occident pour asservir l’Afrique et perpétrer
l’exploitation coloniale du continent. La précédente déclaration de Mme Zuma
affirmant que la CPI ne fait pas partie de nos normes institutionnelles me sied mieux. Ainsi, l’UA devait demander la
libération de tous les prisonniers africains de cette prison Impérialiste et
néo-colonialiste de La Haye. L’UA doit adopter la méthode chinoise qui consiste
à se retirer et ne pas reconnaitre toutes ces organisations qui la méprise.
En tant que fils du Nord,
quels commentaires faites-vous de la politique de rattrapage initié par le
régime Ouattara ?
C’est une politique catastrophique et inacceptable
pour la nation ivoirienne et pour les peuples du Nord. En tant que fils du Nord
et musulman, il y a un peu plus d’un an, avant la déportation du Président élu
Laurent Gbagbo, j’ai interpelé tous les imams et toutes les associations
musulmanes du danger lié à ce transfèrement forcé et illégal du CHEF, du FAMA à
la Haye. J’ai rappelé tout ce que le président Gbagbo a fait pour la
communauté musulmane et que leur silence n’était pas juste et justifié, car le
Révérend Evêque Desmond Tutu disait que dans une situation d’injustice, si tu
choisis d’être neutre, c’est que tu as choisi le camp de l’oppression. Aucun
président, depuis Houphouët jusqu’à Laurent Gbagbo en passant par Bedié
et Guei, n’a eu à appliquer une telle orientation ethniciste, tribaliste,
régionaliste et religieuse du pouvoir en Côte d’Ivoire. C’est vraiment
malheureux et inapproprié pour un pays qui cherche à se réconcilier depuis une
décennie. Je me demande pourquoi ??? Il est de notoriété que M. Ouattara ne
connaît pas la Côte d’Ivoire, son anthropolo-sociologie, ses alliances, ses
tabous, interdits et totems, mais il est entouré des amis de son parti, de ses
alliés et tout ce monde le laisse conduire une politique aussi ignoble. Dieu
durcit de plus en plus le cœur de Pharaon. Est-ce pour le perdre ? Le Pharaon
Ivoirien est-il si inaccessible aux paroles des humains que nous sommes.
L’histoire bégaie-t-elle ? Veut-il reproduire 1963 car houphouétiste ? Jusqu’où
ira-t-il avec cette dictature de l’Épée ? L’adage ancien nous enseigne les
limites de cette politique de l’épée. Pour tous les cadres conscients du Nord
sans distinction de parti et de religion et, au-delà d’eux, tous les peuples du
Nord, il faudrait réfléchir aux conséquences néfastes de cette politique
hasardeuse dite de rattrapage de Ouattara. Il faut avoir en mémoire que toute
médaille a deux faces et s’attendre malheureusement au retour du bâton et
rester humble et digne. Chez nous les Malinké on dit : La vie c’est aujourd’hui
et demain et que le soleil d’un roi ne peut briller toute l’éternité. Nous
avons à construire une nation multiethnique, multiraciale, multiconfessionnelle
et donc, nous ne pouvons pas nous accommoder avec des pratiques archaïques de
« rattrapage ». La Côte d’Ivoire a besoin de toutes ses filles et
de tous ses fils sans distinction aucune pour un développement harmonieux
équitable et durable.
Tout récemment, Mamadou Koulibaly a fait une
sortie dans un journal Camerounais où il a déclaré que Gbagbo n'a pas
gagné les élections présidentielles de 2010. Vous qui l'avez côtoyé, quelle
analyse faites-vous de cette déclaration ?
La
récente déclaration de Mamadou Koulibaly dans le journal camerounais n’est pas
une surprise elle est dans l’ordre qu’il s’est fixé et qu’il poursuit. Pour
essayer de le comprendre il faut suivre un tout petit peu sa carrière politique
fulgurante. Mamadou Koulibaly, un illustre inconnu dans le milieu politique
Ivoirien, nous est présenté au niveau du Secrétariat General du Front Populaire
Ivoirien comme un nouveau membre de cette instance de direction du parti par le
président Gbagbo. Il a été coopté par le président après le congrès de 1994 et
il était le seul membre de la direction non investi par le congrès. A peine 5
ans plus tard, il fait de lui un ministre de la République dans le gouvernement
de Guéi. Un an après il est élu député de Koumassi sans y mettre le pied. Et
par la volonté de Laurent Gbagbo il est bombardé président de l’Assemblée
Nationale de Côte d’Ivoire. Enfin il est nommé 3e Vice-Président du
parti. Mamadou a gravi tous ces échelons sans faire ses classes et le FPI est
une école avec sa culture de lutte. Le petit Madou jouit de la confiance
absolue et de l’amitié du président de la République et de la première dame
Simone Ehivet Gbagbo. Mais, paradoxalement, il n’est pas enthousiaste au
travail. Au niveau du parti il est absent pratiquement à toutes les réunions du
secrétariat général, du secrétariat exécutif, du comité central. Au niveau du
parlement, la Première vice-présidente Marthe Agoh a assuré l’intérim
tout le temps. Dans sa circonscription électorale, il n’y mettait jamais les
pieds. Mamadou est un solitaire instable et ambitieux, disent ses
contemporains. Il croit avoir la science infuse à cause de son agrégation en
science économique et ne tolère pas la contradiction ; et il se croit le
nombril du monde, il se croit infaillible. Il affirme de manière péremptoire
que Gbagbo n’a pas gagné les élections. Pourquoi n’a-t-il pas gagné les
élections présidentielles de 2010 ? Aucune preuve scientifique pour un agrégé
d’Université. Je ne suis pas le juge des élections, dit-il ? Mais dans notre
pays il n y a qu’un seul juge constitutionnel des présidentielles, qui s’est
prononcé et a déclaré Gbagbo vainqueur. Pourquoi met-il en cause le verdict du
juge ? Il se réfère à un panel réclamé par le président pour faire un
recomptage des voix, pour éclairer les résultats. Ce recomptage des voix a-t-il
été fait oui ou non ? C’est seulement ce résultat qui devait s’imposer à lui et
non des décisions politiques farfelues. Cette sortie de Mamadou intervient à un
moment qui n’est pas fortuit. Regarder la période : après le coup de
Sarkozy, c’est lui qui annonce l’arrivée de Paul Yao Ndré pour l’investiture de
Ouattara. Ensuite il tente en vain la caporalisation du FPI pour accompagner
Ouattara. Et aujourd‘hui, à quelques heures du verdict de l’audience de
confirmation des charges, il fait cette sortie de route. Comme quoi, à chaque
fois que Ouattara est en difficulté, Mamadou Koulibaly court à son secours.
Mamadou Koulibaly n’est pas le bouc émissaire de qui que ce soit. Depuis
longtemps il cherche à s’imposer comme alternative au président Gbagbo. C’est
ce qui explique son comportement à Marcoussis et sa discourtoisie vis à vis de
Affi N’Guessan, le président du FPI. Peu après Marcoussis, son imam attitré,
Doumbia, et feu son père géniteur organisent des sacrifices et des prières pour
qu’il devienne le prochain président de Côte d’Ivoire. Dès lors, le parricide
du père Gbagbo a commencé. Comme Brutus, il faut tuer le père et prendre la
place. Il faut analyser et comprendre les déclarations et les actes posés par
Mamadou Koulibaly sous le prisme de cette nouvelle vision à lui. Pourquoi
a-t-il un tel comportement ? Il semblerait qu’il soit soutenu par les
Occidentaux comme alternative à Ouattara. Après avoir bénéficié 11 années durant
de privilèges et honneurs du régime FPI, Mamadou ne peut ni vilipender le
président Gbagbo ni accuser le parti pour quelque raison que ce soit, car
dauphin constitutionnel, il était au cœur de l’appareil de décision et il n’a
pas démissionné. Après la chute du régime il est facile de jeter l’opprobre sur
les autres et se présenter comme le leader parfait et infaillible. Si le
président Gbagbo est à la Haye, Mamadou doit être dans la cellule voisine. Si
Simone se retrouve à Odienné, dans mon village, Mamadou ne doit pas être loin
de là. Si Affi et Sangaré sont en prison, Mamadou doit être aussi en prison. Si
par la grâce divine il est dehors, il devrait normalement se sentir dans les
liens de la détention moralement et psychologiquement tout au moins. Il ne faut
pas vendre son âme au diable parce qu’on veut devenir quelqu’un. Il ne faut pas
trahir son propre pays parce qu’on aspire à faire partie des servants de
l’Occident. Allah le Très Miséricordieux, l’Omniscient, l’Omnipotent,
récompense toujours le bienfait et le bienfaiteur ; il n’aime pas les
Ingrats, et leur réserve un châtiment ici-bas et dans l’au-delà. Amina.
Quand-est-ce que vous
envisagez rentrer dans votre pays ?
Cette question est intimement liée à l’évolution de
la situation politique et sécuritaire en Côte d’Ivoire. En septembre 2002, mon
domicile a été pillé à Bouaké par la rébellion. Ils ont emporté tout ce qui s’y
trouvait, et cinq véhicules. Ma clinique, l’une des plus grande et moderne de
Bouaké, a subi le même sort. Tout a été vandalisé et aujourd’hui il ne reste
que des ruines. Le 30 novembre 2010, avant la proclamation des résultats du
second tour des élections présidentielles, je répète avant la proclamation des
résultats, mes deux domiciles d’Odienné sont pillés et vandalisés par les mêmes
rebelles et ils sont partis avec deux véhicules. Puis à la suite de la guerre
post-électorale, mon domicile d’Abidjan est pillé en partie et est actuellement
occupé par un chef rebelle à la Riviera-Synacassci. Trois véhicules ont été
emportés. Tous mes comptes bancaires sont gelés. Je dois rentrer pour faire
quoi ? Comme tous les exilés, nous attendons l’aboutissement heureux et
raisonnable des discussions entre le parti et le gouvernement pour revenir
assumer notre rôle.
Quel est pour vous l'avenir
de la Côte d'Ivoire avec Ouattara ?
L’avenir de la Côte d’Ivoire avec Ouattara n’est
pas du tout prometteur. C’est du remake. Politiquement, on veut nous ramener au
monopartisme avec un parti unique tout puissant et un chef qui a droit de vie
et de mort sur ses sujets. Ce qui est inacceptable dans le contexte Ivoirien
actuel. Sur le plan économique, il s’agit de nous imposer encore une politique
d’austérité comme en 1990-1993, avec la destruction de ce qui reste comme biens
public dans le portefeuille de l’Etat. On ne peut pas devenir un pays
émergent en limitant de manière drastique le recrutement des enseignants, des
médecins, des infirmiers et des sages-femmes à la fonction publique. On ne peut
pas se développer sans la création d’usines. Or, aujourd’hui, ce n’est pas le
cas dans notre pays. On parle plutôt de licenciement massif. La politique
d’endettement et des PAS ne peut nous conduire bien loin. Il s’agit de nous
maintenir dans la politique de dépendance du FMI et de la Banque mondiale,
instruments de domination du capitalisme international. Il nous faut sortir de
la philosophie occidentale du développement. Socialement nous avons un pays
divisé entre pro-Gbagbo et pro-Ouattara, entre Musulmans et Chrétiens. La
réconciliation ne bouge pas, car on refuse d’affronter de manière courageuse
les problèmes réels. Et on joue à un jeu de diversion. Il faut un forum de
discussion directe entre le président Gbagbo et Mr Ouattara pour tout mettre à
plat et repartir du bon pied. L’ampleur de la fracture sociale est telle qu’il
ne faut pas se leurrer. Je vais terminer en vous racontant cette histoire
réelle vécue à Accra entre nous exilés. Un jour deux amis décident d’aller
rendre visite à un autre. Comme par hasard, les deux qui ne sont pas malinké,
s’habillent en boubou, portent un bonnet sur la tête et sont tous barbus comme
c’est quelque fois le cas ici. Ils arrivent chez leur ami et trouvent au salon
son fils de 10 ans. Ils lui demandent où est son père. Le petit hésite à parler
et ensuite leur répond que son papa est absent. Ensuite il s’enfuit dans la
chambre de sa tante pour lui dire que les assaillants en boubou sont venus
demander après son papa et conseille à sa tante de ne pas dire où se trouve son
père. Voilà jusqu’où peut nous amener cette lamentable politique de
Ouattara.
Pensez que-vous que la France
peut un jour lâcher celui qu'elle a imposé aux Ivoiriens ?
L’adage dit que chaque peuple mérite le chef qu’il a. L’histoire de la France devrait plutôt nous inspirer dans la lutte que nous menons pour les libertés, la justice et la démocratie. Votre question nous ramène à la problématique du maître et de l’esclave. Est-il raisonnable que pour en finir avec la servitude, l’esclave s’en remette au seul bon vouloir de son maître ? Chaque peuple à son histoire et nous devons assumer la nôtre. Dieu bénisse la Côte d’Ivoire, notre pays.
L’adage dit que chaque peuple mérite le chef qu’il a. L’histoire de la France devrait plutôt nous inspirer dans la lutte que nous menons pour les libertés, la justice et la démocratie. Votre question nous ramène à la problématique du maître et de l’esclave. Est-il raisonnable que pour en finir avec la servitude, l’esclave s’en remette au seul bon vouloir de son maître ? Chaque peuple à son histoire et nous devons assumer la nôtre. Dieu bénisse la Côte d’Ivoire, notre pays.
Propos recueillis par Simplice Zahoui (Le Quotidien d’Abidjan du 10 Juin 2013)
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Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de
provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l’unisson avec notre
ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en rapport avec l’actualité ou l’histoire
de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et aussi que par leur contenu informatif
ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et
des enjeux de la « crise ivoirienne ».
Source : CIVOX. NET 22 Juin 2013
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