mercredi 12 juin 2013

La leçon syrienne

Gaston Kelman
Parfois, il faut que je me pince pour être convaincu que je ne rêve pas. Le conflit syrien est un laboratoire inimaginable de la qualité de l’ « interventionite » à logiques multiples qui secoue le monde des grandes nations. Il se confirme que l’on n’interviendra pas ici et là avec la même légèreté pour sauver des victimes jugées innocentes ou punir le clan des coupables. Vous l’aurez compris, l’innocence elle-même est à géométrie variable, tout comme la culpabilité. On assiste à une telle inversion des logiques que bien veinard qui n’en attrape pas le tournis. Pour beaucoup, le salut ne réside plus que dans l’égoïsme – mais peut-être est-ce le bon sens – de la fuite en avant qui consiste à ne plus s’intéresser à rien, à s’occuper de sa petite vie, convaincu que l’on ne pourra jamais influencer la marche des choses dont on pense qu’elle est, aujourd’hui, entre les mains de fous. En attendant l’apocalypse, bien sûr.
Toutes les innocences n’ont pas le même prix. Tous les coupables ne méritent pas le même châtiment. Il y a à peine un mois, les médias nous informaient que selon Carla del Ponte, de la Commission d’enquête de l’Onu sur la violation des droits de l’homme en Syrie, « des armes chimiques auraient été utilisées par les rebelles ». Les Etats-Unis bottaient en touche avec une certaine candeur en disant qu’ils ne possédaient pas d’informations à ce sujet. En effet, cela prête à rire que ces derniers ne sachent rien sur la mouche qui vient de se poser au sommet de la Tour Eiffel ou sur le têtard éclos hier dans une mare de Yopougon. Mais cela devient encore plus cocasse quand ils prétendent ne pas avoir d’informations alors qu’on est justement en train de leur en fournir. Pourtant, cette dame n’est pas un franc-tireur. Elle est digne de respect et de crédit, si l’on s’en tient aux critères mêmes de l’Onu et donc des Usa, de la France et du Royaume-Uni, qui en sont les maîtres. Elle leur a toujours été fidèle, notamment comme procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY).
L’usage du gaz Sarin et de tout autre arme chimique, nous disait-on, est la frontière qu’aucun belligérant n’a le droit de franchir, sous peine de se voir ramener sur le droit chemin par les moyens les plus radicaux. Voilà qu’un agent influent de la coalition des amis des rebelles syriens jette un rocher dans la mare. Il est évident que Carla del Ponte est crédible. Alors, que faire ? Dans l’urgence, il convient de la lâcher, c’est ce que font ses patrons de la Commission d’enquête mandatée par l’Onu, précisant “ne pas avoir atteint des résultats permettant de conclure que des armes chimiques ont été utilisées par les parties au conflit”. Dans un deuxième temps, on va frapper un grand coup. Un mois après les propos de Madame del Ponte, c’est le régime de Bachar el-Assad qui est accusé d’utiliser du gaz… sarin. Ce n’est même pas la peine de chercher plus loin, par exemple, de trouver un autre gaz. Et cette vérité jugée irréfutable, notamment par Paris et Londres, est révélée par deux simples journalistes du journal Le Monde. Il ne nous viendrait pas à l’esprit de mettre en doute l’infaillibilité de ces Sherlock puisqu’on nous demande de les croire sur parole alors qu’une commission mandatée par l’Onu a été jugée pas crédible par la l’on est en droit de se poser des questions. Le coupable n’était pas le bon. Il fallait le changer. même Onu. Mais Ces soubresauts ne cacheront pas la leçon du conflit syrien. On entend leur tonitruant aveu : nous sommes dans l’impasse. Nous sommes loin des rodomontades et des menaces du début, quand la diplomatie française, devenue le porte-voix inattendu des rebelles syriens, jurait qu’il n’y aurait ni discussion ni concertation tant que le Président syrien serait au pouvoir. Aujourd’hui, même si l’on a fait une « maigrichonne » promesse de livraison d’armes aux rebelles, les propos ne sont plus péremptoires. Même l’utilisation du gaz sarin à laquelle on a fait opportunément changer de camp n’est plus un casus belli. Et puis, les Etats-Unis sont moins enclins à considérer les conclusions des journalistes français comme parole d’évangile. On peut donc aller à la table des discussions… Si Bachar el-Assad le veut bien.
Les péripéties du conflit syrien sont révélatrices du peu d’imagination dont ont besoin de faire preuve certains esprits. L’on est capable de ramener des recettes dont un enfant aurait compris qu’elles sont obsolètes. Après l’épisode libyen, qui est-ce qui aurait imaginé que l’on puisse encore s’appuyer sur une rébellion de bric et de broc, de djihadistes allumés, d’islamistes de tout poil, de bandits de grands chemins, d’utilisateurs d’armes chimiques, pour demander à un Chef d’Etat de quitter le pouvoir ? Après le fiasco irakien, qui est-ce qui aurait pu imaginer que l’on s’appuierait encore sur des armes imaginaires pour préparer une croisade contre un pays ? Le feuilleton n’est pas clos et il s’approche du nord. Prêtez attention à ce qui se passe en Turquie, pays du Bosphore, si vous voyez ce que je veux dire, et analysez bien les analyses des uns et des autres.
Nous en reparlerons. 

par Gaston Kelman  

Source : Fraternité Matin 12 juin 2013

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire