Gaston Kelman |
Parfois, il faut que je me pince pour être convaincu que
je ne rêve pas. Le conflit syrien est un laboratoire inimaginable de la qualité
de l’ « interventionite » à logiques multiples qui secoue le monde des grandes
nations. Il se confirme que l’on n’interviendra pas ici et là avec la même légèreté
pour sauver des victimes jugées innocentes ou punir le clan des coupables. Vous l’aurez compris, l’innocence elle-même est à
géométrie variable, tout comme la culpabilité. On assiste à une telle inversion
des logiques que bien veinard qui n’en attrape pas le tournis. Pour beaucoup, le
salut ne réside plus que dans l’égoïsme – mais peut-être est-ce le bon sens –
de la fuite en avant qui consiste à ne plus s’intéresser à rien, à s’occuper de
sa petite vie, convaincu que l’on ne pourra jamais influencer la marche des
choses dont on pense qu’elle est, aujourd’hui, entre les mains de fous. En
attendant l’apocalypse, bien sûr.
Toutes les innocences n’ont pas le même prix. Tous les
coupables ne méritent pas le même châtiment. Il y a à peine un mois, les médias
nous informaient que selon Carla del Ponte, de la Commission d’enquête de l’Onu
sur la violation des droits de l’homme en Syrie, « des armes chimiques auraient été utilisées par
les rebelles ». Les Etats-Unis bottaient en touche
avec une certaine candeur en disant qu’ils ne possédaient pas d’informations à
ce sujet. En effet, cela prête à rire que ces derniers ne sachent rien sur la mouche
qui vient de se poser au sommet de la Tour Eiffel ou sur le têtard éclos hier
dans une mare de Yopougon. Mais cela devient encore plus cocasse quand ils
prétendent ne pas avoir d’informations alors qu’on est justement en train de leur
en fournir. Pourtant, cette dame n’est pas un franc-tireur. Elle est digne de
respect et de crédit, si l’on s’en tient aux critères mêmes de l’Onu et donc
des Usa, de la France et du Royaume-Uni, qui en sont les maîtres. Elle leur a
toujours été fidèle, notamment comme procureur du Tribunal pénal international pour
l’ex-Yougoslavie (TPIY).
L’usage du gaz Sarin et de tout autre arme chimique, nous
disait-on, est la frontière qu’aucun belligérant n’a le droit de franchir, sous
peine de se voir ramener sur le droit chemin par les moyens les plus radicaux.
Voilà qu’un agent influent de la coalition des amis des rebelles syriens jette
un rocher dans la mare. Il est évident que Carla del Ponte est crédible. Alors,
que faire ? Dans l’urgence, il convient de la lâcher, c’est ce que font ses
patrons de la Commission d’enquête mandatée par l’Onu, précisant “ne pas avoir atteint des résultats permettant de
conclure que des armes chimiques ont été utilisées par les parties au conflit”.
Dans un deuxième temps, on va
frapper un grand coup. Un mois après les propos de Madame del Ponte, c’est le
régime de Bachar el-Assad qui est accusé d’utiliser du gaz… sarin. Ce n’est
même pas la peine de chercher plus loin, par exemple, de trouver un autre gaz.
Et cette vérité jugée irréfutable, notamment par Paris et Londres, est révélée
par deux simples journalistes du journal Le Monde. Il ne nous
viendrait pas à l’esprit de mettre en doute l’infaillibilité de ces Sherlock puisqu’on
nous demande de les croire sur parole alors qu’une commission mandatée par
l’Onu a été jugée pas crédible par la l’on est en droit de se poser des questions.
Le coupable n’était pas le bon. Il fallait le changer. même Onu. Mais Ces
soubresauts ne cacheront pas la leçon du conflit syrien. On entend leur
tonitruant aveu : nous sommes dans l’impasse. Nous sommes loin des rodomontades
et des menaces du début, quand la diplomatie française, devenue le porte-voix inattendu
des rebelles syriens, jurait qu’il n’y aurait ni discussion ni concertation
tant que le Président syrien serait au pouvoir. Aujourd’hui, même si l’on a
fait une « maigrichonne » promesse de livraison d’armes aux rebelles, les propos ne
sont plus péremptoires. Même l’utilisation du gaz sarin à laquelle on a fait
opportunément changer de camp n’est plus un casus belli. Et puis, les Etats-Unis
sont moins enclins à considérer les conclusions des journalistes français comme
parole d’évangile. On peut donc aller à la table des discussions… Si Bachar el-Assad
le veut bien.
Les péripéties du conflit syrien sont révélatrices du
peu d’imagination dont ont besoin de faire preuve certains esprits. L’on est
capable de ramener des recettes dont un enfant aurait compris qu’elles sont
obsolètes. Après l’épisode libyen, qui est-ce qui aurait imaginé que l’on
puisse encore s’appuyer sur une rébellion de bric et de broc, de djihadistes
allumés, d’islamistes de tout poil, de bandits de grands chemins, d’utilisateurs
d’armes chimiques, pour demander à un Chef d’Etat de quitter le pouvoir ? Après
le fiasco irakien, qui est-ce qui aurait pu imaginer que l’on s’appuierait
encore sur des armes imaginaires pour préparer une croisade contre un pays ? Le
feuilleton n’est pas clos et il s’approche du nord. Prêtez attention à ce qui
se passe en Turquie, pays du Bosphore, si vous voyez ce que je veux dire, et
analysez bien les analyses des uns et des autres.
Nous en reparlerons.
par Gaston Kelman
Source :
Fraternité Matin 12 juin 2013
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