Ouattara a décidé de retoucher la loi relative au
domaine foncier rural du 23 décembre 1998. Une initiative curieuse et
surprenante, au regard de la sensibilité de la question foncière et du contexte
Le lt-gouverneur Angoulvant (képi)
et le grand chef baoule venu faire
sa soumission (lecongo.fr)
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La loi relative au domaine foncier rural a été
votée après avoir intégré les enseignements d’une vaste tournée dans toutes les
régions de la Côte d’Ivoire, au cours de laquelle des délégations de
parlementaires sont allées recueillir le point de vue des populations.
Interrogées sur la teneur des règles foncières traditionnelles et le contenu du
projet de loi, celles-ci ont donné une réponse très claire : leur adhésion au
principe de la propriété coutumière. Dans le même esprit, la loi a été
fortifiée par le consensus politique réalisé entre les partis politiques
significatifs représentés à l’Assemblée nationale à l’époque (PDCI, FPI, RDR),
en enregistrant un vote à l’unanimité des députés, moins une abstention. Pour
plusieurs observateurs, la politique législative mise à l’œuvre à l’occasion de
l’adoption de cette loi, devrait servir d’exemple pour l’avenir dans d’autres
domaines, pour mettre certains textes à l’abri des politiques opportunistes des
partis politiques. Cette politique législative rassurait plus d’un, surtout au
moment où le multipartisme faisait ses premiers pas, car elle constituait la
preuve qu’au-delà des divisions partisanes, la nation ivoirienne pouvait se
retrouver sur les sujets majeurs. Cet acquis était d’autant plus important que
les initiatives précédentes dans le domaine foncier, en déphasage avec les
traditions africaines et la volonté populaire, s’étaient soldées par des échecs
cuisants.
La loi du 20 mars 1963 portant code domanial
fournit une illustration frappante à cet égard. Bien que votée, elle ne sera
pas promulguée, le président de la République ayant demandé à l'Assemblée
Nationale de la « reprendre » à l’occasion d’une deuxième lecture, qui n’a
jamais été organisée. En effet, dès que les échos de l’adoption de cette loi
parvinrent dans les villages, la résistance farouche des chefs et des
propriétaires coutumiers se manifesta de façon singulière. Albert Ley donne
ainsi les raisons de la reculade du président Houphouët-Boigny : « Ce texte a repris l'idée de biens mis en
valeur, immatriculés au nom de l'auteur de la mise en valeur et de biens non
mis en valeur qui sont immatriculés au nom de l'Etat. Ceci paraissait a priori
très juste. Mais … les paysans ont appris qu'une commission domaniale devait
venir dans chaque village (pour) délimiter les terrains mis en valeur et ceux
non mis en valeur. Le paysan, qui est plus juriste que n'importe quel juriste,
a vite compris et a voulu montrer à cette commission domaniale que tout était
mis en valeur, et que, par conséquent l'Etat ne pouvait rien prendre. Comme les
paysans ne pouvaient pas réaliser les mises en valeur rapidement, ils ont fait
des mises en valeur superficielles et ont mis le feu. La moitié de la Côte-d'Ivoire
était en feu et le Président a demandé d'où cela venait. On lui a répondu que
c'était à cause du code domanial. Il a alors demandé que l'on supprime ce code
domanial ». (A. Ley, Le régime
domanial et foncier et le développement économique de la Côte d’Ivoire,
coll. Bibliothèque africaine et malgache, T. XVIII, Paris, Librairie générale de
droit et de jurisprudence 1972)
Observons d’ailleurs que cette loi aussi avait été votée
« à l’unanimité, moins une abstention ». Mais le contexte de parti unique
n’avait pas favorisé l’expression démocratique qui aurait pu faire connaître la
volonté profonde des masses paysannes. Composée de députés inscrits sur une
liste unique à laquelle le seul parti politique avait préalablement donné son
investiture, l’Assemblée nationale ressemblait plus à une chambre
d’enregistrement qu’à un forum de débats.
Du reste, l’actualité politique chargée du premier
trimestre de l’année 1963, faite de suspicion généralisée du fait des
arrestations qui s’étaient opérées, consécutives aux «évènements de 1963 »,
pouvait expliquer l’absence d’un débat contradictoire qui a conduit à ce vote à
l’unanimité de la représentation nationale, en contradiction avec la volonté
populaire.
Cette atmosphère rappelle étrangement le contexte
actuel. Parvenu au pouvoir à la suite d’une guerre, Ouattara a réussi une
véritable « pacification du pays », par l’exil forcé, l’exécution sommaire et
l’emprisonnement systématique des proches du président Laurent Gbagbo, dont le président
du FPI, l’ancien Premier ministre Pascal Affi N’Guessan. Exclue des législatives
par le refus du pouvoir actuel de créer les conditions politiques et
sécuritaires d’une compétition saine entre les forces politiques, l’opposition
significative conduite par le FPI est absente de l’Assemblée nationale. Les
divisions nées de la guerre postélectorale se sont encore accentuées avec la
politique de « rattrapage ethnique» mise en œuvre par Ouattara, rendant
illusoire toute politique de réconciliation nationale. À l’ouest de la Côte
d’Ivoire, le climat social est encore plus lourd. Au profit de la rébellion et
de la guerre postélectorale déclenchée par Ouattara, des centaines de milliers
de Burkinabè et de Maliens se sont installés, depuis une dizaine d’années, dans
les forêts classées et dans les plantations villageoises des autochtones Wê qui
ont été, soit assassinés, soit contraints à l’exil dans des pays voisins. Des
accusations de génocide sont constamment alléguées. Ce phénomène s’est poursuivi
après la prise de pouvoir par Ouattara. D’ailleurs, cette immigration sauvage,
suivie de l'occupation forcée des terres et forêts cultivables, concerne toutes
les régions de la Côte d’Ivoire y compris au nord, à des degrés divers tout de
même. Dans une situation récurrente de conflits opposant les autochtones
ivoiriens, propriétaires coutumiers des terres, aux allogènes burkinabè
essentiellement, aujourd’hui protégés par les FRCI et par des milices
burkinabè, il va de soi que toute initiative visant à retoucher cette loi
est susceptible de créer une explosion sociale. Ce contexte d’exclusion
politique et sociale, d’invasion et de colonisation de terres, de conflits
ouverts et de non réconciliation, fait courir le risque d’illégitimité à toute
réforme dans le domaine du foncier rural. Il devrait donc dissuader tout
politicien averti. Car, le vrai problème à résoudre actuellement, réside moins
dans le « renforcement » de la loi de 1998, que dans l’occupation armée des
terres par les milices burkinabè qui ont combattu dans le camp ouattariste lors
de sa guerre postélectorale. Mais Ouattara n’en a cure. Il a décidé
certainement de s’inscrire dans le sillage de ces gouverneurs coloniaux qui,
dans la logique de l’idéologie colonisatrice qui tend à dépouiller de manière
arbitraire les peuples autochtones soumis, ont commencé à écrire la page
douloureuse de la dépossession foncière en Côte d’Ivoire.
Hélas, l’histoire de la Côte d’Ivoire semble se
répéter. Car, c’est dans une atmosphère similaire que le colonisateur a
construit son régime foncier, dont le décret du 26 juillet 1932 (régime de
l’immatriculation) et le fameux décret du 15 novembre 1935 (réglementant les
terres domaniales) qui conduiront à l’expropriation des propriétaires
coutumiers, au profit de l’Etat colonial et de ses colons européens et
assimilés, au nom de la théorie des «terres vacantes et sans maître» ou
inexploitées.
Avant la prise de ces décrets coloniaux, le
Gouverneur Angoulvant se chargea de décapiter l’élite paysanne dans une entreprise
de « pacification de la Côte d’Ivoire » (1908-1915). Des opérations militaires
meurtrières furent menées contre diverses ethnies à l’occasion desquelles les
valeureux soldats (paysans) ont été massacrés par l’armée coloniale, leurs
chefs assassinés, internés ou déportés dans d’autres pays africains. Les bottes
de gouverneur colonial ont-elles trouvé preneur chez le « préfet des lagunes »
couronné par Mme la grande chancelière Henriette Diabaté ?
Pour qui roule donc Ouattara quand il annonce
une réforme foncière dans un climat de division et d’occupation armée des
terres ? Certainement pas pour la Côte d’Ivoire et les Ivoiriens.
Dr Kouakou Edmond, Juriste Consultant - Notre Voie 20 juin 2013
Dr Kouakou Edmond, Juriste Consultant - Notre Voie 20 juin 2013
Titre original : « Foncier rural : La
réforme Ouattara est illégitime. »
en maraude dans le web
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des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».
Source : CIVOX. NET 21 Juin 2013
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