L’avalanche d’hommages
déjà prêts à Nelson Mandela est certes méritée par la personnalité, le
sacrifice, et la vie du grand leader sud-africain. Mais elle pourrait laisser
croire que tout le monde l’a toujours adoré, et qu’il n’aurait donc été victime
que d’une poignée d’extrémistes blancs isolés au bout de l’Afrique. La réalité
est bien différente. Pour
l’essentiel de sa vie politique, Nelson Mandela a été considéré comme un homme dangereux par le monde occidental, y compris par certains des signataires des communiqués enflammés prêts dans toutes les capitales.
Chirac et la « troisième voie »
Par Pierre Haski - (site d’informations Rue 89 et Le Nouvel Observateur du 27 juin 2013)
l’essentiel de sa vie politique, Nelson Mandela a été considéré comme un homme dangereux par le monde occidental, y compris par certains des signataires des communiqués enflammés prêts dans toutes les capitales.
La polémique autour de
l’attitude de Jean-Marie Le Pen, provoquée par la réécriture de l’histoire par
sa fille sur France Inter, pourrait là aussi laisser penser qu’il était seul
dans ce cas. Il n’était que le plus franc, y compris quand le qualificatif de «
terroriste » n’était plus de mise pour le futur prix Nobel de la paix...
Du côté de l’apartheid
L’histoire est pourtant
cruelle. L’ensemble du monde occidental a été du côté du pouvoir blanc
sud-africain pendant plusieurs décennies, jusqu’à ce que le soulèvement de la
jeunesse noire, à Soweto en juin 1976, ne finisse par lézarder ce consensus,
qui ne prendra véritablement fin qu’à la fin de la guerre froide, en 1989.
La condamnation morale
de l’apartheid, et même l’exclusion de l’Afrique du Sud du Commonwealth après
le massacre de Sharpeville en 1960, prélude à l’emprisonnement de Nelson
Mandela en 1962, aura finalement pesé moins lourd que les considérations
géopolitiques. Pas surprenant, mais peut-être faut-il quand même le rappeler,
au lieu de s’abriter derrière un consensus très récent.
Dans les années 60 et 70, l’Afrique du Sud était considérée par les stratèges de l’Otan comme un pion essentiel à la fois pour le contrôle de la route maritime du Cap empruntée par les supertankers de l’époque, et comme source de certains minerais vitaux pour l’industrie de défense. L’appartenance à l’Otan du Portugal de la dictature Salazar, engagée dès les années 60 dans des guerres interminables dans ses colonies d’Angola et du Mozambique, renforçait cette appartenance officieuse du pouvoir minoritaire blanc de Pretoria au « front anticommuniste ».
Dans les années 60 et 70, l’Afrique du Sud était considérée par les stratèges de l’Otan comme un pion essentiel à la fois pour le contrôle de la route maritime du Cap empruntée par les supertankers de l’époque, et comme source de certains minerais vitaux pour l’industrie de défense. L’appartenance à l’Otan du Portugal de la dictature Salazar, engagée dès les années 60 dans des guerres interminables dans ses colonies d’Angola et du Mozambique, renforçait cette appartenance officieuse du pouvoir minoritaire blanc de Pretoria au « front anticommuniste ».
A Silvermine, dans la péninsule
du Cap, l’armée sud-africaine avait installé dans un bunker une station
d’écoute et de surveillance des mers du sud, dont les informations étaient
transmises aux services de renseignement occidentaux. Les informations allaient
dans les deux sens, et c’est sur un tuyau de la CIA que Nelson Mandela aurait
été arrêté une première fois.
Complicités françaises
La France a elle aussi
collaboré étroitement avec le régime de l’apartheid. Elle a vendu à l’Afrique
du Sud sa première centrale nucléaire dans les années 70, au risque de
contribuer à la prolifération militaire à laquelle Pretoria a officiellement
mis un terme à la fin de la domination blanche.
En 1976, alors que
j’étais correspondant de l’AFP à Johannesburg, l’ambassade de France n’ayant
aucun contact à Soweto et craignant de déplaire au gouvernement de Pretoria, me
demandait si j’acceptais d’organiser un dîner chez moi pour qu’un émissaire du
Quai d’Orsay puisse rencontrer le docteur Ntatho Motlana, représentant
personnel de Winnie Mandela, l’épouse du leader emprisonné. Le Congrès national
africain (ANC) dont les principaux dirigeants croupissaient en prison à Robben
Island, était bien isolé... Dans les années 70, lorsque des délégations du
mouvement de libération, conduites par son responsable international, le futur
président Thabo Mbeki, passait par Paris, il habitait dans la chambre de bonnes
d’un ami marocain, et était royalement ignoré par le gouvernement.Chirac et la « troisième voie »
Plus tard, au début des
années 80, lorsque la situation à l’intérieur de l’Afrique du Sud est devenue
quasi insurrectionnelle, la droite française a participé au stratagème de
Pretoria de favoriser une « troisième voie » en la personne du chef zoulou
Gatsha Buthelezi, un Noir « présentable ». Alors que ses miliciens s’en
prenaient aux partisans de l’ANC à coups de machettes, Buthelezi était
officiellement reçu par Ronald Reagan et Margaret Thatcher, et, en France, par
Jacques Chirac alors maire de Paris (les photos sont exposées dans le salon de
Buthelezi au Kwazulu-Natal).
Au même moment, Laurent Fabius, alors Premier ministre, imposait les premières vraies sanctions françaises et retirait l’ambassadeur de France à Pretoria. Il faudra la révolte des Noirs d’Afrique du Sud, la chute du mur de Berlin et un puissant mouvement d’opinion dans le monde entier, pour que les dirigeants occidentaux changent d’attitude, et poussent le régime de l’apartheid à libérer Mandela et à négocier.
Au même moment, Laurent Fabius, alors Premier ministre, imposait les premières vraies sanctions françaises et retirait l’ambassadeur de France à Pretoria. Il faudra la révolte des Noirs d’Afrique du Sud, la chute du mur de Berlin et un puissant mouvement d’opinion dans le monde entier, pour que les dirigeants occidentaux changent d’attitude, et poussent le régime de l’apartheid à libérer Mandela et à négocier.
Le consensus
d’aujourd’hui autour de Nelson Mandela ne doit pas faire oublier les errements
criminels d’hier qui ont contribué à le laisser plus d’un quart de siècle en
prison, et à prolonger la durée de vie du système inique de l’apartheid.
Il est plus facile de
faire croire qu’on a toujours été du côté du « bien» contre le « mal » que
de s’interroger sur les raisonnements fallacieux qui ont poussé la « patrie des
droits de l’homme » et les autres défenseurs de la démocratie à rester aussi
longtemps complices d’un système basé sur un déni d’humanité.
La disparition d’un
géant de l’histoire devrait pourtant être le moment de regarder objectivement
le passé.
Par Pierre Haski - (site d’informations Rue 89 et Le Nouvel Observateur du 27 juin 2013)
Source : Notre Voie 28/06/2013
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire