Jeune Afrique : Vous avez applaudi l'intervention française au Mali. N'est-ce pas un aveu d'impuissance des États ouest-africains ?
John Dramani Mahama :
Face à la menace de déstabilisation de toute la région, la Cedeao avait un plan
d'intervention, mais nous n'avons pas été en mesure de nous mobiliser à temps.
Ces dernières décennies, nos États ont négligé les questions sécuritaires,
réduit leurs
budgets militaires et n'ont pas renouvelé les équipements de
l'armée. Nous avons salué l'intervention française qui a évité le pire et nous
a offert un cadre pour nous y joindre. Le Mali a réveillé nos consciences. Les
Africains doivent mettre en œuvre rapidement la force africaine en attente. La
sécurité est une question prioritaire. Sans elle, aucun développement économique
n'est possible.
Le président J. Dramani Mahama |
Quelle sera
votre contribution à la future Minusma ?
Nous avons déjà une
compagnie de 120 ingénieurs qui construit des ponts, fournit de la
logistique... Nous avons une longue expérience du maintien de la paix. Notre
contribution va monter en puissance.
Existe-t-il
une menace islamiste au Ghana ?
Le Printemps arabe a
modifié la situation sécuritaire au nord du Sahara. Certains groupes veulent se
servir du Sud algérien et du Sud libyen comme base arrière pour conquérir le
Sahel. Le Mali, le Tchad, le Niger... sont directement menacés. Pour l'instant,
le Ghana n'est pas visé directement, mais nous gardons les yeux ouverts. Nous
partageons nos renseignements avec nos voisins, particulièrement le Nigeria et
la Côte d'Ivoire, et veillons à ce qu'il n'y ait pas d'infiltration de groupes
terroristes ni de radicalisation de nos communautés. La meilleure façon de
procéder est de continuer à décentraliser et à redistribuer le fruit de notre
prospérité aux populations afin de ne pas créer les conditions de pauvreté
propices au recrutement de jihadistes. Plus de 8 % de nos ressources sont
redistribuées aux quelque 200 districts du pays pour qu'ils puissent assurer
les services de base.
L'année
dernière, les autorités ivoiriennes dénonçaient la lenteur de la justice
ghanéenne retardant l'extradition de pro-Gbagbo présents sur votre sol. Depuis
votre élection, vous semblez coopérer pleinement avec Abidjan. Quelle est votre
politique ?
Tout réfugié au Ghana
est le bienvenu aussi longtemps qu'il vit en paix et respecte nos lois. Notre
pays ne doit pas servir de base arrière pour la déstabilisation de nos voisins.
Je suis en contact régulier avec le président Ouattara. Ma position est très
claire. On expulse les ressortissants ivoiriens sur la base de preuves
concrètes de leur implication dans des opérations de subversion. Ce fut le cas
récemment pour deux d'entre eux [le commandant Jean-Noël Abéhi, ex-patron de
l'escadron blindé de la gendarmerie, et Jean-Yves Dibopieu, ancien secrétaire
général de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire]. Une vidéo,
qui devait être diffusée à la télévision nationale, les montre en train de
faire un discours de prise de pouvoir. Quant à Charles Blé Goudé, nous avons
exécuté un mandat d'arrêt international qui nous a été remis.
Laurent Gbagbo
comparaît devant la CPI. Est-ce une justice raciste ?
Le temps est venu de
débattre de la CPI et de son rôle en Afrique. Certains considèrent que c'est
une justice raciste. Ce n'est pas ma position, et le Ghana reconnaît cette
juridiction. Son rôle est important pour lutter contre l'impunité de
génocidaires et prévenir les crimes. Mais elle devrait davantage prendre en
compte ce qui se passe dans nos pays. Prenons l'exemple du Kenya. Des
personnalités [entre autres, le président Kenyatta] sont accusées. Cinq ans
plus tard, il y a eu une élection libre et transparente qui a porté Kenyatta au
pouvoir. Cela traduit le choix du peuple. Sur cette base, la CPI doit
réexaminer son affaire.
Agriculture,
mines, hydrocarbures... Les économies ivoirienne et ghanéenne présentent un
profil similaire. Êtes-vous rivaux ou partenaires ?
Notre relation est
bonne. Il n'y a pas de raison de nous considérer comme rivaux. Nous exportons
les mêmes matières premières [bois, or, cacao, hydrocarbures]. L'histoire
coloniale a bien sûr érigé une barrière linguistique, même si certaines de nos
populations partagent l'akan, et établi les frontières de nos pays. Cependant,
nous pourrions ne former qu'un même peuple. Nous créons actuellement les
conditions d'un meilleur partenariat. Je suis pour que l'on instaure, par
exemple, une zone de libre-échange afin d'accroître notre commerce et partager
nos différents services.
Pourriez-vous régler votre différend portant sur la frontière maritime, en créant une zone d'exploitation conjointe ?
Pourriez-vous régler votre différend portant sur la frontière maritime, en créant une zone d'exploitation conjointe ?
Les deux pays
respectaient cette ligne de partage jusqu'à récemment. Ce sont les découvertes
pétrolières ghanéennes qui ont mis sur le devant de la scène ce différend. Nous
avons actuellement une commission bilatérale qui tente de résoudre cette
question. Quant à l'exploitation en commun, nous n'avons pour l'instant aucune
preuve que les nappes se rejoignent. Si on ne trouve pas de solution, on pourra
s'en remettre à l'arbitrage international. Je vous rassure. Il n'y aura jamais
de guerre du pétrole entre nos deux pays.
Vous avez été
particulièrement marqué par la période des « Lost Decades ». Pourquoi le Ghana a-t-il réussi
à se sortir de l'instabilité politique plus rapidement que d'autres ?
Nous avions touché le
fond, le seul moyen était de remonter la pente. Dans les années 1970, il n'y
avait pas assez de nourriture, pas assez de ressources énergétiques. L'année
charnière est 1982. Nous avons adopté une nouvelle Constitution qui nous a
permis de rétablir la gouvernance démocratique. Depuis, nous n'avons pas connu
de retour en arrière, notre croissance n'a cessé de progresser et atteint
aujourd'hui une moyenne de 8 % par an.
Le pétrole est
devenu en 2012 votre deuxième produit d'exportation. Pourtant, sa production
est toujours moins importante qu'espéré. Pourquoi ?
Aujourd'hui, la
production émane seulement du champ Jubilee. S'il n'a pas atteint son potentiel
maximal, c'est parce que les installations de traitement du gaz n'ont pas
encore toutes été mises en place. Quand ce sera le cas, nous espérons atteindre
une production de 120 000 barils par jour. Dix autres champs ont récemment été
découverts. Nous négocions actuellement les contrats d'exploitation. Le futur
n'a jamais été aussi prometteur. Grâce à cette nouvelle manne, nous avons
l'opportunité de transformer notre nation. D'ici à cinq ou dix ans, le Ghana
sera devenu un pays à revenu moyen.
Ne
craignez-vous pas une sorte de malédiction pétrolière ?
Non. Nous sommes un
pays stable et démocratique où les gens sont libres de s'exprimer, où la
société civile est forte, où les médias sont dynamiques. Nous avons mis en
place une législation transparente en la matière. Tous les ans, les ministres
doivent rendre des comptes devant le Parlement et expliquer comment ils ont
utilisé l'argent du pétrole. Ce sont des garde-fous.
Vous vous
définissez comme un homme de gauche. Qu'est-ce que cela veut dire concrètement
?
En vivant en Afrique,
on ne peut pas être un pur capitaliste. Avec toute cette pauvreté, il n'y a pas
d'autre option que la social-démocratie. Le marché ne peut pas tout déterminer,
toute croissance doit être répartie équitablement et se traduire par des
créations d'emplois. C'est l'ambition de mon mandat.
Au Ghana,
l'homosexualité demeure réprimée par la loi. Pourquoi ?
Il y a au Ghana et en
Afrique une hostilité culturelle assez importante à l'encontre de
l'homosexualité. Nous devons respecter l'opinion des gens, ne pas leur imposer
une pratique qui va à l'encontre de leur croyance et de leur culture.
Propos recueillis par
Pascal Airault et Vincent Duhem - Jeuneafrique.com
Source : CIVOX. NET 11 Juin 2013
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