vendredi 14 juin 2013

« Tout réfugié au Ghana est le bienvenu aussi longtemps qu'il vit en paix et respecte nos lois. »

Une interview du président John Dramani Mahama

Jeune Afrique : Vous avez applaudi l'intervention française au Mali. N'est-ce pas un aveu d'impuissance des États ouest-africains ?
John Dramani Mahama : Face à la menace de déstabilisation de toute la région, la Cedeao avait un plan d'intervention, mais nous n'avons pas été en mesure de nous mobiliser à temps. Ces dernières décennies, nos États ont négligé les questions sécuritaires, réduit leurs
Le président J. Dramani Mahama
budgets militaires et n'ont pas renouvelé les équipements de l'armée. Nous avons salué l'intervention française qui a évité le pire et nous a offert un cadre pour nous y joindre. Le Mali a réveillé nos consciences. Les Africains doivent mettre en œuvre rapidement la force africaine en attente. La sécurité est une question prioritaire. Sans elle, aucun développement économique n'est possible.
Quelle sera votre contribution à la future Minusma ?
Nous avons déjà une compagnie de 120 ingénieurs qui construit des ponts, fournit de la logistique... Nous avons une longue expérience du maintien de la paix. Notre contribution va monter en puissance.
Existe-t-il une menace islamiste au Ghana ?
Le Printemps arabe a modifié la situation sécuritaire au nord du Sahara. Certains groupes veulent se servir du Sud algérien et du Sud libyen comme base arrière pour conquérir le Sahel. Le Mali, le Tchad, le Niger... sont directement menacés. Pour l'instant, le Ghana n'est pas visé directement, mais nous gardons les yeux ouverts. Nous partageons nos renseignements avec nos voisins, particulièrement le Nigeria et la Côte d'Ivoire, et veillons à ce qu'il n'y ait pas d'infiltration de groupes terroristes ni de radicalisation de nos communautés. La meilleure façon de procéder est de continuer à décentraliser et à redistribuer le fruit de notre prospérité aux populations afin de ne pas créer les conditions de pauvreté propices au recrutement de jihadistes. Plus de 8 % de nos ressources sont redistribuées aux quelque 200 districts du pays pour qu'ils puissent assurer les services de base.
L'année dernière, les autorités ivoiriennes dénonçaient la lenteur de la justice ghanéenne retardant l'extradition de pro-Gbagbo présents sur votre sol. Depuis votre élection, vous semblez coopérer pleinement avec Abidjan. Quelle est votre politique ?
Tout réfugié au Ghana est le bienvenu aussi longtemps qu'il vit en paix et respecte nos lois. Notre pays ne doit pas servir de base arrière pour la déstabilisation de nos voisins. Je suis en contact régulier avec le président Ouattara. Ma position est très claire. On expulse les ressortissants ivoiriens sur la base de preuves concrètes de leur implication dans des opérations de subversion. Ce fut le cas récemment pour deux d'entre eux [le commandant Jean-Noël Abéhi, ex-patron de l'escadron blindé de la gendarmerie, et Jean-Yves Dibopieu, ancien secrétaire général de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire]. Une vidéo, qui devait être diffusée à la télévision nationale, les montre en train de faire un discours de prise de pouvoir. Quant à Charles Blé Goudé, nous avons exécuté un mandat d'arrêt international qui nous a été remis.
Laurent Gbagbo comparaît devant la CPI. Est-ce une justice raciste ?
Le temps est venu de débattre de la CPI et de son rôle en Afrique. Certains considèrent que c'est une justice raciste. Ce n'est pas ma position, et le Ghana reconnaît cette juridiction. Son rôle est important pour lutter contre l'impunité de génocidaires et prévenir les crimes. Mais elle devrait davantage prendre en compte ce qui se passe dans nos pays. Prenons l'exemple du Kenya. Des personnalités [entre autres, le président Kenyatta] sont accusées. Cinq ans plus tard, il y a eu une élection libre et transparente qui a porté Kenyatta au pouvoir. Cela traduit le choix du peuple. Sur cette base, la CPI doit réexaminer son affaire.
Agriculture, mines, hydrocarbures... Les économies ivoirienne et ghanéenne présentent un profil similaire. Êtes-vous rivaux ou partenaires ?
Notre relation est bonne. Il n'y a pas de raison de nous considérer comme rivaux. Nous exportons les mêmes matières premières [bois, or, cacao, hydrocarbures]. L'histoire coloniale a bien sûr érigé une barrière linguistique, même si certaines de nos populations partagent l'akan, et établi les frontières de nos pays. Cependant, nous pourrions ne former qu'un même peuple. Nous créons actuellement les conditions d'un meilleur partenariat. Je suis pour que l'on instaure, par exemple, une zone de libre-échange afin d'accroître notre commerce et partager nos différents services.
Pourriez-vous régler votre différend portant sur la frontière maritime, en créant une zone d'exploitation conjointe ?
Les deux pays respectaient cette ligne de partage jusqu'à récemment. Ce sont les découvertes pétrolières ghanéennes qui ont mis sur le devant de la scène ce différend. Nous avons actuellement une commission bilatérale qui tente de résoudre cette question. Quant à l'exploitation en commun, nous n'avons pour l'instant aucune preuve que les nappes se rejoignent. Si on ne trouve pas de solution, on pourra s'en remettre à l'arbitrage international. Je vous rassure. Il n'y aura jamais de guerre du pétrole entre nos deux pays.
Vous avez été particulièrement marqué par la période des « Lost Decades ». Pourquoi le Ghana a-t-il réussi à se sortir de l'instabilité politique plus rapidement que d'autres ?
Nous avions touché le fond, le seul moyen était de remonter la pente. Dans les années 1970, il n'y avait pas assez de nourriture, pas assez de ressources énergétiques. L'année charnière est 1982. Nous avons adopté une nouvelle Constitution qui nous a permis de rétablir la gouvernance démocratique. Depuis, nous n'avons pas connu de retour en arrière, notre croissance n'a cessé de progresser et atteint aujourd'hui une moyenne de 8 % par an.
Le pétrole est devenu en 2012 votre deuxième produit d'exportation. Pourtant, sa production est toujours moins importante qu'espéré. Pourquoi ?
Aujourd'hui, la production émane seulement du champ Jubilee. S'il n'a pas atteint son potentiel maximal, c'est parce que les installations de traitement du gaz n'ont pas encore toutes été mises en place. Quand ce sera le cas, nous espérons atteindre une production de 120 000 barils par jour. Dix autres champs ont récemment été découverts. Nous négocions actuellement les contrats d'exploitation. Le futur n'a jamais été aussi prometteur. Grâce à cette nouvelle manne, nous avons l'opportunité de transformer notre nation. D'ici à cinq ou dix ans, le Ghana sera devenu un pays à revenu moyen.
Ne craignez-vous pas une sorte de malédiction pétrolière ?
Non. Nous sommes un pays stable et démocratique où les gens sont libres de s'exprimer, où la société civile est forte, où les médias sont dynamiques. Nous avons mis en place une législation transparente en la matière. Tous les ans, les ministres doivent rendre des comptes devant le Parlement et expliquer comment ils ont utilisé l'argent du pétrole. Ce sont des garde-fous.
Vous vous définissez comme un homme de gauche. Qu'est-ce que cela veut dire concrètement ?
En vivant en Afrique, on ne peut pas être un pur capitaliste. Avec toute cette pauvreté, il n'y a pas d'autre option que la social-démocratie. Le marché ne peut pas tout déterminer, toute croissance doit être répartie équitablement et se traduire par des créations d'emplois. C'est l'ambition de mon mandat.
Au Ghana, l'homosexualité demeure réprimée par la loi. Pourquoi ?
Il y a au Ghana et en Afrique une hostilité culturelle assez importante à l'encontre de l'homosexualité. Nous devons respecter l'opinion des gens, ne pas leur imposer une pratique qui va à l'encontre de leur croyance et de leur culture. 

Propos recueillis par Pascal Airault et Vincent Duhem - Jeuneafrique.com 

Source : CIVOX. NET 11 Juin 2013

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire