INTERVIEW
D’HUBERT OULAYE
Le parlement ivoirien, version Alassane Ouattara, a
voté le vendredi 23 août, 7 projets de lois, dont ceux sur la nationalité, le
foncier rural et l’apatridie. Quels sont les sentiments qui animent le juriste
que vous êtes ?
A la fois, étonnement, incompréhension et
surtout tristesse, face à des personnes sensées constituer la représentation
nationale ! Le 23 août 2013, 223 personnalités, élues dans les conditions
que l’on sait, ont adopté, à la majorité et presque sans débat, au mépris des
appels à la consultation nationale lancés par les Ivoiriens, sur un sujet
aussi sensible, des textes dont la mise en application, selon Adama Sankara,
président de l’association des Ivoiriens d’origine burkinabé, va faire passer
le nombre d’étrangers en Côte d’Ivoire, à moins de 5%. Selon ce dernier
4 000 000 de burkinabés attendent d’être déclarés Ivoiriens (journal
le Patriote du 29 mai 2013). A ces personnes, il faudra ajouter les autres
étrangers ressortissants de la sous-région, présents en Côte d’ivoire avant
1960 et leurs descendants. Le rapport de présentation du texte sur la
nationalité, le gouvernement s’est gardé de donner des chiffres pour ne
pas choquer les Ivoiriens, et les députés non plus ne s’en sont nullement
inquiétés. La population ivoirienne était estimée en 2012 à environ
23 000 000 d’habitants selon wikipédia. Le nombre d’étrangers est
généralement estimé à 26% de la population totale. Si l’on s’en tient aux
déclarations d’Adama Sankara, c’est au moins 21% d’étrangers qui vont
bénéficier des lois Ouattara. Autrement dit, le gouvernement et les
députés RHDP ont décidé de transformer, pas moins de 6 000 000 d’étrangers
présents en Côte d’Ivoire, en Ivoiriens, par voie de simple déclaration,
c’est-à-dire sans enquête préalable, ou comme des apatrides, sans considérer
qu’une consultation nationale des Ivoiriens s’imposait, eu égard au contexte
post-crise et aux enjeux nationaux en cause.
Je ne doute pas un seul instant que ces députés ont
mesuré la portée de leur acte, qui vise à constituer légalement le vivier
électoral d’Alassane Ouattara. Sur ce plan ils ont réussi leur pari. Ce dont je
suis moins sûr, c’est le point de savoir s’ils avaient conscience du sens exact
du vote qu’ils ont exprimé ce jour-là. En décidant d’accorder la nationalité
par voie de déclaration, ils ont décidé que les étrangers visés sont des Ivoiriens
qui n’ont pas besoin de demander l’acquisition d’une nationalité qui leur est
reconnue de plein droit, mais seulement à réclamer au gouvernement une
attestation de leur nationalité ivoirienne. Un certificat de nationalité leur
sera automatiquement délivré par une autorité administrative ou judiciaire
désignée, sans enquête préalable, donc sans contrôle, dans les mêmes conditions
de délivrance du certificat de nationalité aux nationaux Ivoiriens. Il ne leur
sera même pas demandé le sort réservé à leur nationalité d’origine, tout comme
il ne sera pas tenu compte par exemple du fait que certains déclarants ont
déjà effectué le service militaire dans leur pays national. On pourrait
ainsi rallonger la liste des incongruités passées en pertes et profits par nos
valeureux députés. Les mêmes remarques pourraient être faites à propos des deux
Conventions sur l’apatridie, dont la ratification a été autorisée, sans aucune
réserve, alors qu’elles imposent à la Côte d’Ivoire des exigences qu’ailleurs
les autres Etats contractants n’ont pas acceptées.
Les personnes résidant en Côte d’Ivoire avant 1960
et leurs descendants, les enfants mineurs nés de parents étrangers, sur le
territoire avant 1961, les personnes nées sur le territoire, de parents
étrangers, entre 1960 et 1973, les immigrés de la colonisation assimilés
à des apatrides, sont virtuellement considérées comme des Ivoiriens, il leur
suffira d’en faire la déclaration, là où nos textes exigeaient une demande de
naturalisation sanctionnée par une décision accordant ou refusant la
nationalité après enquête. Désormais, la décision de faire d’eux des Ivoiriens
n’appartient plus aux autorités ivoiriennes mais au seul bon vouloir de ces
personnes elles-mêmes. Or, la loi de 1961 n’a pas retenu la déclaration pour
les personnes résidant sur le territoire avant 1960, la loi de 1972 l’a
supprimée pour les enfants étrangers nés en Côte d’Ivoire, l’Accord de
Linas-Marcoussis ne l’a pas prescrit et les textes d’application de cet
accord (loi de 2004 et Décisions présidentielles de 2005), ne l’ont pas
réintroduit ! Si cela n’est pas un bradage de la nationalité ivoirienne,
qu’est-ce que c’est alors !
Comment jugez- vous l’attitude des députés ?
L’acte ainsi posé, qui n’est pas innocent, loin
s’en faut (création d’un bétail électoral), est lourd de conséquences (création
spontanée d’au moins 6 000 000 d’Ivoiriens). Pour moi, ces députés ont commis
une faute grave. A un triple point de vue : juridique, moral et politique.
Une faute juridique. Cela a été dit et écrit
maintes fois, les personnes originaires des autres territoires de l’AOF,
résidant en Côte d’Ivoire avant 1960, ne sont pas des Ivoiriens. D’une part,
elles ont la nationalité de leurs pays d’origine conformément à leur
législation ; d’autre part elles n’ont pas la nationalité ivoirienne
conformément aux dispositions du code de nationalité du 14 décembre 1961. Elles
n’ont ni l’état ni la qualité d’Ivoiriens. Par conséquent il ne leur est pas
possible de « déclarer » un état « d’Ivoirien » qu’elles
n’ont jamais possédé ni en droit ni en fait. Elles ne peuvent prétendre qu’à la
naturalisation. Or la loi votée, leur confère de plein droit la nationalité
ivoirienne, alors même qu’elles ne sont pas nées sur le territoire, et
continuent d’avoir la nationalité de leurs Etats d’origine, et ce, en
totale contradiction avec le code de nationalité et ses modifications
successives, et avec les législations de leurs Etats nationaux.
Le ministre de la justice a soutenu, pour éviter
tout débat national sur les réformes controversées, qu’il n’y a pas eu de
référendum en 1961, en 1972, et en 2004-2005, lors de l’adoption du code de
nationalité et de ses réformes successives ! L’argument n’est pas
convaincant et relève de la fuite en avant. En 1961, le législateur n’était pas
appelé à voter dans une Côte d’Ivoire divisée, où se posait avec acuité la
question de la nationalité. Tout particulièrement, le législateur n’était pas
appelé à accorder à 6 000 000 d’étrangers, soit le quart de la
population totale, la nationalité par voie de déclaration ! En 1972
il s’est agi de mettre fin à une option et à une procédure sans remettre en
cause le principe de la naturalisation des étrangers. En 2004 et en 2005, il
s’est agi de mettre en application un accord de paix, qui ne demandait pas de
revenir sur la suppression du droit du sol et sur la procédure de la
déclaration. Ce qui est différent des réformes Ouattara, qui considèrent que
6 000 000 d’étrangers ont de plein droit la nationalité ivoirienne,
et les appellent à faire constater ce droit par simple déclaration.
Cette position du ministre de la justice est
d’ailleurs en contradiction avec la promesse électorale de monsieur Alassane
Dramane Ouattara qui dans le préambule de son programme de gouvernement
affirme : « Nous voulons
associer toutes les Ivoiriennes et tous les Ivoiriens au renouveau de la Côte
d’Ivoire, à la définition des principes qui la guideront dans ses grands choix.
Car la démocratie exige l’intervention permanente du peuple dans le processus
de prise de décision. En d’autres termes, nous ne croyons pas que le rôle du
citoyen se limite au choix d’un bulletin de vote glissé dans l’urne,
abandonnant de ce fait et jusqu’à la prochaine élection tous ses pouvoirs à un
candidat. Il n’y a pas de délégation absolue de la souveraineté et aucun élu ne
doit s’arroger le droit de confisquer la parole au peuple ».
En deux ans d’exercice du pouvoir ces belles
promesses sont tombées dans les oubliettes. On voit ici le fossé qui sépare la
parole et les actes du candidat.
Vous avez dit aussi que c’était une faute morale et
politique des députés…
Oui je pense qu’il n’est pas moralement sain de
considérer, pour des raisons strictement électoralistes, que les législateurs Ivoiriens
(gouvernement et parlement) ont commis une erreur en proposant aux étrangers la
naturalisation en lieu et place de la nationalité ivoirienne d’origine, et d’applaudir
les législateurs des autres pays africains qui ont adopté la même position dans
leurs codes de nationalité.
Je pense aussi que c’est une grave faute politique,
que de banaliser une question aussi sensible qui requiert incontestablement un
minimum de consensus national, et de la traiter sous le seul angle d’une
majorité parlementaire mécanique, dont la légitimité au demeurant est sujette à
caution (boycott et faible taux de participation électorale).
Choisir de passer en force, de ne pas tenir compte
des avis des Ivoiriens et même des recommandations de l’ONU, et penser que le
simple vote majoritaire est à même d’assurer à une loi le respect qui lui
est dû en tant qu’expression de la volonté nationale souveraine, c’est prendre
un pari incertain sur l’avenir de celle-ci et des situations qu’elle aura
permis de créer. Ce qui est en cause c’est l’harmonie et la cohésion de la
société ivoirienne et des individus qui la composent, tant pour aujourd’hui que
pour demain. La démocratie n’est pas la dictature de la majorité sur la
minorité, encore que dans le cas de la Côte d’Ivoire, la question, après la
crise électorale et les différents boycotts électoraux, reste de savoir si
c’est la majorité ou la minorité qui gouverne.
Vous affirmiez dans nos colonnes qu’il n’y a pas
d’apatride en Côte d’Ivoire, du reste pas dans la proportion que tente de faire
croire le pouvoir Ouattara. Pouvez-vous repréciser votre argumentaire ?
Oui, et je le répète. Les immigrés de la période
coloniale résidant aujourd’hui encore dans notre pays et qui n’ont pas demandé
leur naturalisation ont la qualité de nationaux de leurs pays d’origine (Mali,
Guinée, Burkina Faso, Benin, Niger…). Ils ne sont donc pas des apatrides,
conformément à la définition qui en est donnée par l’article premier de la
Convention sur le statut des apatrides de 1954, selon laquelle, « le terme
d’apatride désigne une personne qu’aucun Etat ne considère comme son
ressortissant en application de sa législation ». En effet, bien que
s’étant trouvés hors de leurs pays d’origines au moment des indépendances,
elles ont été prises en compte par les lois de leurs pays qui à travers les
codes de nationalité leur ont attribué la nationalité d’origine. Ces pays ne
leur ont jamais retiré cette nationalité, qui pour ces personnes est de droit.
Elles ne sont donc pas des apatrides.
Malgré tout, le projet de loi a été voté.
Percevez-vous cela comme un désaveu ?
Pas du tout. L’autorisation votée de ratifier les
deux conventions sur l’apatridie, n’est nullement un désaveu mais plutôt,
comme je l’ai dit, une triple faute du gouvernement et du Parlement RHDP,
pour les raisons ci-dessus développées.
Qu’est-ce qu’une éventuelle loi sur l’apatridie
changerait pour les Ivoiriens ?
Pour répondre à cette question, il faut considérer
trois catégories de dispositions clés desdites conventions.
La première catégorie de dispositions qui énumèrent
les différents cas possibles d’apatridie : l’enfant né apatride sur le
territoire du fait de parents eux-mêmes apatrides (art. 1,1) ; l’enfant
trouvé sur le territoire de parents inconnus (art. 2) ; l’individu non né
sur le territoire mais apatride (art.4).
La seconde catégorie qui prescrit aux Etats
contractants d’accorder aux apatrides vivant sur leurs territoires divers
droits pour leur permettre d’avoir une vie normale (protection de la loi, santé
éducation, emploi, libertés associatives et d’expression…).
La troisième catégorie est résumée par l’article 32
de la Convention de 1954, qui prescrit aux Etats contractants, « de
faciliter et d’accélérer la procédure de naturalisation des apatrides ».
S’il est recommandable de trouver une solution à la
situation des apatrides, le problème reste celui de l’application conforme
desdites Conventions, qui, par des interprétations biaisées, peuvent être
détournées à des fins politiciennes. Or, lorsqu’on entend le ministre de la
justice déclarer, que « les Burkinabés, immigrés de la période coloniale,
qui ont la nationalité burkinabé, sont des apatrides », les Ivoiriens
doivent s’attendre à vivre de profonds bouleversements dans les temps
prochains.
Les apatrides, une fois leur cas réglé, ont-ils tous les droits que les Ivoiriens d’origine ?
Ils auront des droits substantiels leur permettant
de vivre une vie normale à l’instar de tous les non nationaux en Côte d’Ivoire.
Et s’ils sont naturalisés, ils deviendront des citoyens Ivoiriens à part
entière, avec le droit de vote.
A combien évaluez-vous les apatrides en Côte
d’Ivoire ?
Pour le gouvernement et le HCR, il y aurait environ
1 000 000 d’apatrides d’origine burkinabé. Nous avons démontré dans
notre précédente intervention que cela était faux. Si l’on s’en tient à la
définition stricte de « l’apatride », il ne doit pas y avoir beaucoup
d’apatrides dans notre pays. Je pense que le phénomène devrait être marginal.
Le foncier rural était aussi au centre du vote. La loi de 1998 a été amendée. Qu’est ce qui change ?
Alors qu’il avait annoncé de grands bouleversements
en matière de foncier rural, c’est finalement à la prolongation du délai légal
de 10 ans (article 6,2 de la loi de 1998), donné aux propriétaires fonciers
pour immatriculer et mettre en valeurs leurs terres, que le pouvoir a dû se
résoudre. Cependant tout le monde sait que l’intention véritable du
gouvernement est, d’exproprier les propriétaires coutumiers qui n’ont pas les
moyens ou l’intention de mettre en valeur leurs terres, en vue de les céder
d’une part aux multinationales à l’affut de grands espaces en Afrique et
d’autre part, de conférer aux étrangers, nombreux et actifs dans le domaine
agricole, des droits de propriétés sur les terres coutumières sous prétexte de
mise en valeur.
Ces étrangers sont constitués de deux groupes.
Le premier groupe est composé essentiellement de travailleurs et
exploitants agricoles, parfois installés en Côte d’Ivoire depuis de nombreuses
années, dont le nombre est estimé à environ 5 000 000 de personnes.
Le second groupe est principalement composé des combattants et chefs de
guerre, qui ont combattu et tué des milliers d’Ivoiriens pour l’accession au
pouvoir d’Alassane Ouattara (Duékoué, 29 mars 2011). Toutes ces personnes
occupent de gré ou par la force des armes, presque tous les espaces forestiers
du pays, en ayant pris soin d’en chasser préalablement les propriétaires
coutumiers, notamment dans l’ouest. Les uns comme les autres en tant
qu’étrangers ne peuvent devenir propriétaires des terres coutumières qu’ils
exploitent ou occupent, car, la loi de 1998 réserve ce droit aux seuls
nationaux Ivoiriens.
En vérité, la réforme en profondeur de la loi sur
le foncier annoncée par Alassane Ouattara, soi-disant, pour respecter
l’accord de Linas-Marcoussis qui n’a rien prescrit en ce sens, a pour
objectif premier, de faire sauter le verrou de la nationalité. Il a choisi de
concentrer toutes ses forces sur la réforme du code de nationalité.
Tactiquement, Alassane Ouattara n’a pas voulu se mettre à dos le PDCI, qui
reste attaché à la loi de 1998, au moment de faire passer la réforme la plus
importante de son mandat, à savoir la loi sur la nationalité. Il a choisi de
concentrer toutes ses forces sur la réforme du code de nationalité. Par
le vote de la réforme du code de nationalité qui reconnait la qualité
d’ivoirien de plein droit, à ces millions de personnes d’origine étrangère,
Ouattara les rend éligibles à la propriété foncière en Côte d’Ivoire. Il
contourne ainsi l’obstacle de la nationalité liée au foncier. Donc apparemment
rien ne change pour l’instant, mais tout est à venir.
Règle-t-on à travers ces amendements les
sempiternels conflits fonciers ou allons-nous vers des crises plus
aigües ?
En principe rien n’est réglé. Avec le temps deux
problèmes sont apparus au niveau de l’application. Il y a d’une part que la
procédure d’immatriculation prescrite pour établir la propriété coutumière
(article 4, loi de 1998), qui pose de sérieux problèmes pratiques liés à
l’exigence de mise en valeur comme condition pour être propriétaire. Les
paysans n’ont pas les moyens financiers requis. D’autre part, aux termes de la
loi et du décret d’application, l’Etat a la primo-responsabilité de la
délimitation des terroirs villageois condition préalable pour délimiter les
parcelles et déterminer officiellement les propriétaires coutumiers (article 7,
loi de 1998). Rien n’a été fait par l’Etat à ce jour, de sorte que l’immobilisme
au niveau de l’application ne peut être imputé aux propriétaires coutumiers.
Force est de constater qu’ici, comme dans beaucoup d’autres domaines, Alassane
Ouattara n’a pas tenu ses promesses électorales.
Voici ce que disait le candidat Alassane Dramane
Ouattara dans son programme de gouvernement : « Pendant les 5 ans du
mandat, nous allons procéder à la délimitation des terroirs de tous les
villages de Côte d’Ivoire (ils sont environ 11 000). L’État prendra
intégralement à sa charge les coûts correspondants. Ensuite, nous délimiterons
les parcelles, nous délivrerons les certificats fonciers et organiserons la
mise en place des contrats et des baux agricoles sur la moitié du territoire
rural (environ 12,5 millions d’hectares) représentant près des 3/4 des
propriétaires. Les coûts de ces opérations seront considérablement réduits du
fait de la massification, sauf pour les propriétaires de petites parcelles qui
bénéficieront de la gratuité intégrale. Nous consacrerons 1 100 milliards de
FCFA à la modernisation de notre agriculture ».
Ce que les Ivoiriens attendent, à deux ans de la
prochaine échéance électorale, c’est la réalisation de cette promesse et non
autre chose.
On a donné 10 ans aux propriétaires terriens pour immatriculer
leurs terres. Qu’est-ce que cela signifie ?
Cela signifie qu’ils ont à nouveau un délai de 10
ans pour faire reconnaitre leurs droits de propriétaires coutumiers sur leurs
terres. La procédure, comme je l’ai dit, exige la délimitation des parcelles,
objets de propriété, avec le concours de l’Etat et leur mise en valeur
préalable.
Si éventuellement pour une raison ou une autre, une
terre n’est pas immatriculée, que va-t-il se passer ?
Selon la loi de 1998, les terres du domaine foncier
qui, au terme du délai légal de 10 ans, n’auront pas été immatriculées, seront
considérées comme des terres sans maîtres et deviendront propriété de l’Etat de
Côte d’Ivoire (articles 6,1 et 21 de la loi de 1998). A l’évidence, une telle
perspective sera analysée comme une expropriation indue des propriétaires
coutumiers.
Professeur, à
qui appartient la terre ? Aux ancêtres ? A l’Etat ? Ou à
Dieu ?
Le soleil, la
terre, l’air, l’eau, l’homme, l’univers…, sont des créations de Dieu. La terre
appartient aux ancêtres qui s’y sont établis depuis des temps immémoriaux, y
ont vécu avant la naissance de l’Etat, et l’ont cédé à leurs descendants.
L’Etat, est le gardien de ce patrimoine dans sa consistance territoriale.
Je ne vois rien de nouveau dans la loi Ouattara,
car le principe est acquis depuis les décisions présidentielles de 2005. Il
n’est pas exclu que cette ouverture soit une porte d’entrée pour des fraudes
éventuelles sur la nationalité.
Avec l’adoption de tous ces projets de loi, faut-il
craindre des conséquences sur la cohésion sociale ?
Ces lois vont injecter de manière inattendue,
non pas des milliers, mais des millions d’étrangers dans le corps national
ivoirien, avec les mêmes droits civils et politiques que les nationaux Ivoiriens
d’origine. Il faut craindre l’aggravation des fissures dans la cohésion
nationale, surtout au regard de la démarche non consensuelle de leur adoption
et du contexte de division dans lequel vivent aujourd’hui les Ivoiriens. Les
débats informels dans la presse, avant le vote du 23 août, montrent bien
leur désaccord ainsi que leur refus, de ce qui n’est en réalité qu’un
bradage de la nationalité ivoirienne.
Y a-t-il un recours pour l’Ivoirien qui n’est pas
d’accord avec ces projets de loi ?
La voie d’un recours constitutionnel à partir de
l’Assemblée nationale me semble improbable dans la mesure où ceux qui ont
qualité pour saisir cette institution (le président de l’Assemblée nationale,
les groupes parlementaires, 1/10ème des députés) sont aussi les initiateurs desdites
lois.
Le PIT je crois, mais aussi la Convention de la
Société Civile de Côte d’Ivoire (CSCI), auraient envisagé de saisir le Conseil
Constitutionnel. Cette initiative est à encourager. La Constitution ne donne
pas aux individus et aux associations une faculté de saisine du Conseil contre
les engagements internationaux, cependant en son article 77 alinéa 2, elle
permet aux associations de défense des droits de l’Homme, de déférer au Conseil
constitutionnel les lois relatives aux libertés publiques. Il faut espérer que
le Conseil, dans ce débat dont l’enjeu est national, adopte une solution
constructive, en considérant que libertés publiques et droits des citoyens sont
des concepts imbriqués, et que le Conseil constitutionnel ne peut être le gardien
de libertés publiques, qu’une interprétation stricte des textes,
expurgerait des droits qui leurs sont consubstantiels, même si le
constituant de 2000, ne les a pas formellement mentionnés. Or, à travers le
débat actuel sur la nationalité, sont aussi en cause, les droits du
citoyen ivoirien.
Mais je crois que face à des lois non
consensuelles, qui mettent gravement en cause la consistance humaine et
sociologique de la Nation, dans un but purement électoraliste, le recours
véritable doit être que l’action politique, qui seule permet d’exprimer le
mécontentement de la société face aux dérives du pouvoir. Cette action
politique pour faire reculer le pouvoir, doit être forte et portée, aussi bien
par les organisations politiques que par la société civile, et exiger le
retrait desdits textes.
MON COMMENTAIRE
Hubert Oulaye commet ici une erreur, d’ailleurs
commune à bien d’autres gens, quand il dit que c’est « dans un but purement électoraliste »
que ces lois ont été votées. C’est faire trop d’honneur à Ouattara et consort,
ainsi qu’à Houphouët dont ils se réclament fièrement les disciples, que de
croire que la politique qu’ils ont faite, ou qu’ils font, dans notre malheureux
pays, est LEUR politique. La réalité est tout autre. Depuis 1960, pour ne pas
dire depuis le jour de l’année 1959 où Houphouët revint spécialement de Paris
pour prendre en main le gouvernement de la Côte d’Ivoire afin de couvrir les
agissements des agents de Jacques Foccart qui se servaient déjà de notre pays
comme base
principale de leurs opérations de déstabilisation de la Guinée, du Ghana, du Mali, du Nigeria, etc., tout ici se fait en fonction des intérêts de la France, et d’eux seuls ! Ça ne rend pas Ouattara et consort moins coupables, mais il ne faut pas qu’ils nous cachent ceux pour le compte de qui ils agissent. D’ailleurs, regardez bien : derrière chacun d’eux vous verrez toujours un ou plusieurs agents français avec ou sans uniforme…
Pensez-vous qu’Alassane Ouattara y tirera des
dividendes personnels ?
principale de leurs opérations de déstabilisation de la Guinée, du Ghana, du Mali, du Nigeria, etc., tout ici se fait en fonction des intérêts de la France, et d’eux seuls ! Ça ne rend pas Ouattara et consort moins coupables, mais il ne faut pas qu’ils nous cachent ceux pour le compte de qui ils agissent. D’ailleurs, regardez bien : derrière chacun d’eux vous verrez toujours un ou plusieurs agents français avec ou sans uniforme…
Peut-être qu’Hubert Oulaye n’a pas encore eu
connaissance de la confidence de cet ancien chargé de mission au cabinet
d’Houphouët qui, le lendemain du massacre de l’hôtel Ivoire, se confia à son
camarade de parti, le journaliste Didier Dépry. Rappelons-la :
«
Le véritable Président de la Côte d’Ivoire, de 1960 jusqu’à la mort
d’Houphouët, se nommait Jacques Foccart. Houphouët n’était qu’un
vice-président. C’est Foccart qui décidait de tout, en réalité, dans notre
pays. Il pouvait dénommer un ministre ou refuser qu’un cadre ivoirien X ou Y
soit nommé ministre. C’était lui, le manitou en Côte d’Ivoire. Ses visites
étaient régulières à Abidjan et bien souvent Georges Ouégnin (le directeur de
protocole sous Houphouët) lui cédait son bureau pour recevoir les personnalités
dont il voulait tirer les oreilles. »
(Notre Voie 10 septembre 2011).
Dans
la foulée rappelons aussi les paroles de l’ambassadeur Jean-Marc Simon, qui fut
le grand stratège du coup d’Etat du 11 avril 2011, lors d’une réception à la
mairie de Port-Bouët :
« Après dix années de souffrance,
voici que la France et la Côte d'Ivoire que certains, poursuivant des buts
inavoués, ont voulu séparer d'une manière totalement artificielle, se
retrouvent enfin dans la joie et dans l'espérance. (...). Nous avions su
inventer vous et nous, sous l'impulsion du président Félix Houphouët-Boigny et
du Général de Gaulle, cet art de vivre ensemble qui étonnait le monde et qui
faisait l'envie de toute l'Afrique. » (Le
Nouveau Réveil 18 juin 2011).
On peut
donc considérer le vote des lois ici incriminées comme équivalant à la
destruction systématique de nos infrastructures et matériels militaires fin
mars-début avril 2011. Les deux opérations ont la même finalité : désarmer
notre peuple, lui ôter toute capacité de résistance, afin de disposer librement
de son sol, de ses eaux, de son sous-sol, de son espace aérien… Je ne crois pas
qu’Hubert Oulaï a oublié l’épisode de la « double nationalité »,
quand, après avoir jeté en prison tous les cadres nationaux, Houphouët a voulu
les remplacer en attirant des ressortissants des pays voisins. Depuis 1963, on
a toujours fait ici une politique démographique visant très clairement à
substituer aux Ivoiriens naturels, jugés trop peu malléables, des populations
importées dont il serait possible de faire ce qu’on veut, soit comme bétail
électoral, soit comme travailleurs sans qualification ni droits, des quasi-esclaves…
C’est aussi
l’occasion de rappeler encore ces propos du gouverneur Angoulvant – soit dit en
passant : voilà le vrai maître dont devraient se revendiquer nos fantoches
en exercice, car Houphouët lui-même ne fut que le continuateur et l’imitateur
de cet administrateur cynique :
« [Les habitants des régions du Nord] ont trop d’attaches avec le Soudan pour ne
pas participer, au point de vue mental et, si j’ose dire, intellectuel, du
degré de civilisation, relatif il est vrai, mais néanmoins incontestable, des
populations soudanaises. Les groupes qui peuplent ces régions ont été
assouplis, par une rude accoutumance, au joug des conquérants noirs. Ils ne
discutent pas notre suprématie, dont l’exercice constitue pour eux une amélioration
incomparable de leur condition morale et matérielle. Chez les peuples du centre
de la Colonie et de la basse Côte d’Ivoire, l’état anarchique antérieur, avec
ses avantages réels pour des populations sauvages, est encore trop
persistant ; il a laissé partout où il a cessé des traces trop
profondes ; sa disparition progressive cause trop de regrets pour qu’il
n’en subsiste pas des effets. » (G. Angoulvant :
La Pacification de la Côte d’Ivoire
1908-1913. Méthodes et résultats,
Paris, E. Larose, 1916 ; p. 60).
Paroles
prémonitoires !
On comprend à quoi rime le
« rattrapage » prôné par l’élu de Nicolas Sarkosy et l’associé de
François Hollande : il s’agit, sous la protection des armes françaises et
onusiennes, de réaliser le grand rêve d’Angoulvant, de réussir ce qu’en son
temps Houphouët lui-même n’a pas pu nous imposer.
Je
demande pardon au citoyen Oulaye pour m’être immiscé de cette manière dans son
interview. Je ne doute absolument pas que lui et moi partageons la même opinion
sur ces graves questions. Peut-être a-t-il seulement pensé que cela pouvait
aller sans dire… Quant à moi je ne crois pas qu’on puisse se passer de le dire
et de le redire : ce soi-disant président de la République ivoirienne et
son régime de rattrapés ne sont pas à leur compte, mais au service du
néocolonialisme français ou, si vous préférez, de la Françafrique ! Cela
doit être intégré à toute analyse de la situation politique en Côte d’Ivoire ainsi
qu’à tous nos projets de changement, sinon ce ne sont que des paroles jetées au
vent. Et cela est d’autant plus nécessaire que depuis quelques jours on voit se
dessiner des manœuvres visant à banaliser l’état de fait résultant du coup
d’Etat du 11 avril 2011, notamment en y associant certains opposants ou
soi-disant tels qui ne sont en fait que de vulgaires mangécrates qui
attendaient seulement qu’on leur jette quelques miettes du grand banquet des
Françafricains.
Marcel Amondji
Bien sûr. Les bénéficiaires potentiels et ils sont
nombreux, lui seront reconnaissants de ce passage en force.
Propos recueillis par Tie
Bi Tié, in LGInfos
en maraude
dans le web
Sous cette rubrique, nous vous
proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas
nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en
rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et
aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à faciliter la
compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise
ivoirienne ».
Source :
La Dépêche d'Abidjan 29 Août 2013
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