À la une du Los Angeles Times,
le titre suivant : « Les États-Unis se préparent à l’éventualité
de frappes de représailles contre la Syrie », bien que la Syrie n’ait
attaqué, ni les États-Unis, ni aucun de ses territoires occupés, ou aucune de
ses forces impériales, et n’ait aucune intention de le faire.
Comme le dit l’article : « Le
Président n’a pris aucune décision, mais le sujet a été abordé à très haut niveau,
tandis qu’au même moment le Pentagone reconnaissait avoir mis en place des
forces armées dans la région ».
Je vous prie de m’excuser, mais qui,
dans cette « situation normale, c’est le bordel », a pris la
décision ? Le commandant en chef a-t-il simplement voix au chapitre ?
Est-ce qu’il lui revient de faire des discours pour expliquer à quel point
attaquer la Syrie constituerait une erreur terrible, d’avoir des réunions avec
des officiers du plus haut niveau, qui en sortent pour préparer des attaques
contre la Syrie, avant d’entrer dans l’histoire pour s’être désengagé de sa
propre politique, voire s’y être opposé ?
Menacer d’attaquer la Syrie, et
mettre une flotte en position de le faire, constituent des actes d’une grande
portée, immoraux autant qu’illégaux. Le Président peut bien déclarer que la
décision d’appuyer sur le bouton n’était pas la sienne, il ne peut prétendre
avoir aussi peu d’influence sur les préparatifs en cours pour le faire, que sur
la météo. Ou plutôt, il ne pourrait pas, si les journaux faisaient leur
travail. Illégaux, parfaitement. Lisez la Charte des Nations Unies : « Dans
leurs relations internationales, tous les Membres s’abstiendront d’avoir
recours à la menace d’utiliser, ou à l’utilisation de, la force, pour porter
atteinte à l’intégrité territoriale, ou à l’indépendance politique d’un état,
quel qu’il soit, ainsi qu’à tout autre procédé qui contreviendrait aux
Objectifs poursuivis par les Nations Unies ».
Le soi-disant Ministre de la Défense
a déclaré : « Il est de la
responsabilité du Ministère de la Défense, de proposer au Président plusieurs
choix, afin qu’il puisse faire face à toutes les éventualités », mais
est-ce qu’une seule de ces éventualités concerne la défense des
États-Unis ? Est-ce qu’une seule d’entre elles évoque la signature d’une
paix ? Si tel n’est pas le cas, n’est-il pas inexact de mentionner
« toutes » les éventualités ?
En fait, Chuck Hagel détient cette
« responsabilité », uniquement parce qu’Obama lui a donné pour
instruction, non pas de lui proposer tous les choix, mais tous les choix
militaires.
Les rebelles syriens comprennent
que, dans le cadre de toutes les politiques que les États-Unis sont
susceptibles de mener, ils ont de bonnes chances d’obtenir des armes s’ils
simulent l’utilisation d’armes chimiques contre eux, tandis qu’il y a de fortes
chances qu’on ignore leur existence, comme celle de Bahreïn (Ba-qui ?),
s’ils décident d’adopter une stratégie de résistance non violente.
D’après le L.A. Times, « Obama a également appelé David
Cameron, le Premier Ministre britannique, pour discuter des évènements syriens.
Tous deux sont ‘unis’ dans leur opposition à l’utilisation d’armes chimiques,
selon les termes d’une déclaration que la Maison Blanche a faite à la suite de
la communication téléphonique ». Oui … à l’exception du phosphore
blanc, ou encore du napalm. Ces armes chimiques sont de gentilles armes
chimiques, d’ailleurs le gouvernement est contre les méchantes armes chimiques,
donc votre quotidien ne vous raconte aucun mensonge.
Qu’a déclaré Obama, sur C.N.N. jeudi
dernier ? « Il arrive qu’on
accorde trop d’importance à l’idée selon laquelle les États-Unis pourraient
résoudre, d’une manière ou d’une autre, à l’intérieur même de la Syrie, un
problème complexe, motivé par le sectarisme ».
Nan, tu crois ?
Chris Cuomo (le fils de Mario),
journaliste à C.N.N., plaida en faveur de la guerre : « Plus on attend, plus il risque d’y avoir de morts, ne
pensez-vous pas, monsieur le Président ? »
Obama répliqua qu’il continuait à
vérifier les dernières conneries sur les armes chimiques. Cuomo repoussa
l’objection : « Il existe des
preuves solides qu’ils les ont déjà utilisées, même si c’était par le
passé ».
Obama ne répondit pas à ce mensonge,
se contentant de débiter une rhétorique inepte quelconque.
Cuomo, peut-être parce que sa soif
de chair syrienne morte était un peu contrariée, se saisit du John McCainisme
ordinaire. Il déclara que le sénateur McCain pense que les États-Unis
perdraient leur « crédibilité » si la Syrie n’est pas attaquée. (Et
si le gouvernement des États-Unis devait tout à coup déclarer n’être pas une
institution ayant pour but le massacre, avant de joindre l’acte à la parole –
qu’adviendrait-il alors de sa crédibilité ?).
Obama ne se laissa pas décourager,
et commença à prêcher contre ce qu’il s’apprêtait à faire : « Parfois, on s’aperçoit que les gens
exigent une action immédiate, ils démarrent au quart de tour, puis les choses
tournent mal, nous nous retrouvons embourbés dans des situations délicates, ce
qui a pour conséquence de nous entraîner dans des interventions coûteuses,
économiquement autant qu’humainement, qui ne font qu’engendrer un ressentiment
plus fort dans la région ».
Cuomo se mit à geindre, mais vous
aviez promis que l’utilisation d’armes chimiques équivaudrait à franchir la Ligne
Rouge !
Obama rétorqua qu’il fallait se
soumettre à la législation internationale. (À l’intention des
non-initiés : en fait, la législation internationale interdit que l’on
attaque les gouvernements d’autres nations, pour les renverser – même celui de
la Lybie). D’ailleurs, ainsi qu’Obama le fit remarquer, l’option militaire
n’est pas la seule envisageable.
Ah bon ?!
J’ai remarqué que, dès qu’Obama
commence à parler avec la voix de la raison, comme ici, cela veut dire qu’en
réalité il part à toute allure dans la direction opposée. Plus il passe de
temps à expliquer à quel point une attaque contre la Syrie serait injuste,
illégale, stupide, et immorale, plus vous pouvez être sûrs que c’est
précisément ce qu’il s‘apprête à faire.
Telles que je les ai déjà publiées
auparavant, voici les 10 raisons principales pour ne pas attaquer la Syrie,
même dans le cas où les derniers mensonges en date sur l’utilisation d’armes
chimiques seraient, en fait, des vérités :
1. Un tel prétexte ne rend pas une
guerre légale. On ne le trouve, ni dans le Pacte Kellogg-Briand, ni dans la
Charte des Nations Unies, ni même dans la Constitution des États-Unis. Il
figure, en revanche, dans la propagande de guerre des États-Unis, millésime
2002. (Qui prétend que notre gouvernement ne fait pas campagne en faveur du
recyclage ?).
2. Les États-Unis possèdent, et
utilisent eux-mêmes, des armes que la législation internationale condamne,
notamment le phosphore blanc, les bombes à fragmentation, et l’uranium
appauvri. Vous pouvez faire l’éloge de ces pratiques, éviter d’y penser, ou
vous joindre à moi pour les condamner, peu importe, elles ne peuvent servir de
justification, légale ou morale, à une nation étrangère quelconque pour nous
bombarder, ou pour bombarder tout autre nation où l’armée des États-Unis
effectue des opérations. Tuer des gens, pour leur éviter d’être tués par le
mauvais type d’armes, une telle politique ne peut provenir que d’une forme
quelconque de dérangement mental. Appelez le trouble de stress pré-traumatique.
3. Si la guerre s’intensifiait en
Syrie, elle pourrait s’étendre à la région, voire au monde, et ses conséquences
échapperaient à tout contrôle. La Syrie, le Liban, l’Iran, la Russie, la
Chine ; les États-Unis, les états du Golfe, les états de l’O.T.A.N., . . .
cela ressemble-t-il au type de conflit que nous appelons de nos vœux ? À
un conflit qui laissera des survivants ? Pourquoi diable prendre un tel
risque ?
4. La simple mise en place d’une
« zone d’exclusion aérienne », ne s’effectuerait qu’au prix du
bombardement de secteurs urbains, et donc, inévitablement, d’un grand nombre de
morts. C’est ce qui s’est produit en Lybie, et nous avons détourné le regard.
Mais en Syrie, cela se produirait sur une échelle bien plus grande, étant
donnés les emplacements des sites destinés à être bombardés. Créer une
« zone d’exclusion aérienne » ne revient pas à faire une annonce,
mais à lâcher des bombes.
5. En Syrie, les deux camps
utilisent des armes épouvantables, commettent des atrocités épouvantables. Je
suis sûr que, même ceux qui s’imaginent qu’on devrait tuer des gens pour leur
éviter de se faire tuer par des armes différentes, sont capables de comprendre
ce qu’il y a de dément à armer les deux camps, afin que ces deux camps se
protègent l’un de l’autre. Dès lors, pourquoi ne semble-t-il pas tout aussi
dément, d’armer un camp dans un conflit au cours duquel les deux camps ont
commis des exactions similaires ?
6. Si les États-Unis sont dans le
camp de l’opposition syrienne, on leur imputera les crimes de cette opposition.
En Asie Occidentale, la plupart des gens haïssent Al Qaïda, ainsi que les
autres terroristes. Ils en viennent également à haïr les États-Unis et leurs
avions téléguidés, leurs missiles, leurs bases, leurs bombardements aériens
nocturnes, leurs mensonges, leur hypocrisie. Imaginez le niveau de haine auquel
on parviendra, lorsque les États-Unis auront fait équipe avec Al Qaïda pour
renverser le gouvernement syrien, avant de le remplacer par un enfer de type
irakien.
7. D’habitude, lorsqu’une force
étrangère appuie l’arrivée au pouvoir d’une rébellion impopulaire, cette
dernière ne prend pas la forme d’un gouvernement stable. En fait, il n’existe
toujours pas un seul exemple avéré, d’une guerre humanitaire étatsunienne dont
l’humanité ait tiré profit, ou d’une politique de construction d’une nation,
ayant effectivement abouti à la construction d’une nation. Pourquoi donc la
Syrie, qui semble encore moins prometteuse que la plupart des cibles
potentielles, constituerait-elle l’exception qui confirme la règle ?
8. Cette opposition ne s’intéresse
pas à la mise en place d’une démocratie, d’ailleurs recevoir des ordres des
États-Unis, ne l’intéresse pas plus. Au contraire, avec de tels alliés, il y a
tout lieu de s’attendre à un retour de flammes. Tout comme nous aurions déjà dû
retenir la leçon de nos mensonges sur les armes, cela fait bien longtemps que
notre gouvernement aurait dû retenir la leçon que lui a enseignée le fait
d’armer l’ennemi de l’ennemi.
9. Les précédents que constituent
les autres actes des États-Unis, perpétrés en dehors de tout cadre légal, qu’il
s’agisse de faire la guerre par procuration ou d’attaquer à découvert, donnent
un exemple dangereux, au monde, mais aussi à ceux de Washington, pour lesquels
l’Iran est le prochain nom sur la liste.
10. En dépit des efforts prodigués
par les médias jusqu’à ce jour, une confortable majorité d‘américains
s’opposent à la fourniture d’armes aux rebelles, ainsi qu’à l’entrée en guerre
pure et simple. Au contraire, une majorité d’entre eux, toutes tendances politiques
confondues, sont favorables à un apport d’aide humanitaire.
En somme, ce n’est pas en aggravant
la situation du peuple syrien, que nous l’aiderons.
Mais – vous savez quoi ? – les
preuves semblent indiquer, très clairement, que les dernières déclarations sur
l’utilisation d’armes chimiques, sont tout aussi bidons que les précédentes.
Qui donc aurait pu le prédire ?
David SWANSON
David Swanson est l’auteur de “War
is a lie”.
Source : Le
Grand Soir 28 août 2013
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