mercredi 21 août 2013

« Nous n’avons pas invité Soro pour qu’il traîne le peuple de Gagnoa dans la boue »

Interview de Boga Sivori, chef du village de Gnalégribouo.

On vous accuse de trahison, vous et un certain de nombre de chefs. Vous auriez, pour des raisons personnelles, favorisé la venue du président de l’Assemblée nationale à Gagnoa. Que dites-vous ?
 
Boga Sivori
Boga Sivori : Dire les choses de cette façon n’est pas juste. Quand on est chef, on prend des initiatives, ensuite, on informe la base et ensemble, on discute. En tant que chef, le président Gbizié a choisi le président Guillaume Soro pour l’inauguration de notre siège puis la pose de la première pierre du siège définitif. Après qu’il l’ait choisi, il a informé son bureau qui a donné son accord. Et, il a organisé une assemblée générale pour informer les chefs de village. Evidemment, on ne pouvait pas faire l’unanimité. Si la majorité a donné son accord, je crois que nous devrions tous assumer.  

Vous confirmez que des chefs ont été écartés de l’organisation parce qu’opposés à cette visite de Guillaume Soro ?
 
B. S. : Je ne sais pas si un chef a été mis à l’écart. Je pense que tous les chefs étaient à Gagnoa. Evidemment, on ne pouvait pas faire l’unanimité. Si des gens étaient absents, c’est leur droit.  

Quel était votre objectif en invitant le président de l’Assemblée nationale ?
 
B. S. : Nous l’invitions, d’abord pour inaugurer notre siège provisoire et pour poser la première pierre de notre siège définitif. Ensuite, c’était un prétexte. Nous voulions, avec le président Soro, jeter les bases d’une véritable réconciliation. Nous voulions poser un certain nombre de problèmes dont l’emprisonnement du président Gbagbo et de plusieurs de nos fils et le cas de tous ceux qui sont en exil et lui demander d’intercéder auprès du président Alassane Ouattara pour que ceux qui sont emprisonnés soient mis en liberté, que les exilés rentrent, que certains retrouvent leurs maisons encore occupées, que les biens des gens soient dégelés.  

Et votre objectif a été atteint ?
 
B. S. : Je puis vous dire, qu’en tant que chef de village, je suis parti sur une note de déception.  

Vous êtes déçu donc ?
 
B. S. : Nous le sommes. On n’a pas atteint notre objectif. Je dis bien que notre objectif était de jeter les bases d’une vraie réconciliation. Vous savez que cette visite a suscité beaucoup de réactions. Nos cadres qui n’avaient pas été informés à temps ont estimé qu’il aurait fallu qu’on les associe à la chose. Ils avaient raison. On leur a demandé pardon. Ils ont accepté. Mais, tout le monde ne voulait pas qu’il aille à Mama et Gnaliépa parce qu’on craignait qu’il s’y rende pour faire du triomphalisme. On craignait qu’il s’y rende dans un esprit de défiance, qu’il parte humilier le peuple de Gagnoa, qu’il parte humilier Gbagbo devant ses parents. Il me semble que c’est justement ce que nous avons récolté. Donc, le président Soro a donné raison à toutes ces personnes qui ne voulaient pas qu’il se rende à Gagnoa. C’est pour cela que j’évoque un sentiment de déception.  

Vous vous sentez déçu ou trahi ?
 
B. S. : Je ne dirai pas trahi. Mais, je dis que le président Soro a manqué de tact. Nous sommes dans un processus de réconciliation, chacun doit jouer sa partition. En tant que chef, nous pensions jouer notre partition et avec lui. Il nous avait dit qu’il n’allait pas à Gagnoa dans un esprit de défiance. On a le sentiment qu’il a plutôt défié les populations à Gagnoa. Le peuple de Gagnoa est un peuple pacifique et qui vénère l’étranger. On peut ne pas l’aimer mais dès lors que c’est un étranger, il y a chez nous, comme une sorte d’immunité.  

Concrètement, qu’est qui vous a déçu dans la visite du président Soro ?
 
B. S. : Je n’ai aimé ni le ton ni le contenu du discours. Moi, je m’attendais à un discours d’apaisement, à un discours rassembleur. Mais qu’a dit le président Soro ? Il a donné le ton à Tchedjelet. Il a dit : « Demain, je dirai la vérité, toute la vérité. Je dirai même ce que les gens ne veulent pas entendre ». Mais, ce sont les mêmes vérités de Soro que nous avons entendues à savoir que Laurent Gbagbo n’a pas gagné les élections, qu’il lui a demandé de quitter le pouvoir et qu’il s’est entêté. Mais, c’est ce qu’il a toujours dit. Est-ce que pour cela il a besoin d’aller à Gagnoa ? Mais tout le monde sait que c’est la vérité de Soro. Elle n’est pas la seule vérité. Les gens savent que Gbagbo a été victime d’un coup d’Etat.

Vous voulez certainement parler de ses partisans…
 
B. S. : Bien sûr. Il y a deux vérités : il y a la vérité de Soro et celle des partisans de Gbagbo à savoir que l’ancien président a été victime d’un coup d’Etat. C’est cette dernière vérité que les parents savent au village. Ce n’est pas parce que Soro aura dit sa vérité à Gagnoa qu’elle deviendra la vérité de tous y compris de ses parents. Il n’avait pas besoin de cela à Gagnoa. Il n’avait pas besoin de choquer la population et les parents. Il a choqué les populations (…) Il a agrandi le fossé. Il a davantage repoussé le peuple bété. On ne peut regarder en face – et c’est un autre point de déception – un peuple et lui dire : « moi, je croyais que vous étiez des hommes, je ne savais pas que vous étiez des saints. Partout où je passe, vous demandez la libération des gens, vous ne parlez même pas de la mort du docteur Benoît Dacoury-Tabley ». Soro s’étonne que nous ne demandions pas pardon. Voudrait-il dire que c’est le peuple bété qui a tué le docteur Dacoury ? Je crois savoir qu’on nous a dit, ici, que ce sont les escadrons de la mort qui l’avaient tué et dont on cherche encore aujourd’hui la paternité. Mais enfin ! Dacoury Benoît, c’est un fils de Gagnoa. C’est donc nous qui avons perdu notre fils. Si on doit demander pardon à des gens parce que Dacoury Benoît est mort, c’est bien au peuple de Gagnoa. Enfin, il dit que le ministre Dano Djédjé a menacé de le tuer. Il a quels moyens pour tuer Soro ? Il ne peut pas tuer une mouche. Il est de tempérament rassembleur. Il lui a simplement dit de ne pas aller à Mama, Gnaliépa et Kpokrogbé pour le symbole que cela représente. Les gens ne voulaient pas qu’il aille narguer les populations. J’avoue que nous, les chefs, avons été mis en difficulté. En tant que chef, notre première mission est de défendre le peuple. Nous ne pouvons pas accepter qu’on traîne le peuple de Gagnoa dans la boue. Et nous n’avons pas invité Soro pour qu’il traîne le peuple de Gagnoa dans la boue.

Finalement, à vous entendre, il n’y a pas un seul point de satisfaction dans la visite de Soro…
 
B. S. : Nous voulions qu’à partir de Gagnoa, Soro lance un message de paix. C’est ce que nous lui avons dit. Dès lors, qu’on n’a pas obtenu cela, on ne peut pas dire qu’on a eu satisfaction. Mais, si vous voulez, on peut noter deux points de satisfaction. Pour nous, Soro a remis au goût du jour le débat sur les élections. Deuxièmement, il a défié le peuple de Gagnoa sur la place mythique [de] Laurent Gbagbo mais il n’a essuyé aucune pierre. C’est la preuve que le peuple bété n’est pas un peuple belliqueux comme on tente de le présenter. Il est digne dans la douleur. Parce que le discours de Soro lui a fait très mal.
 
Propos recueillis par Kisselminan Coulibaly, pour Soir Info.
 

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Source : La Dépêche d'Abidjan 20 Août 2013

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