mardi 6 août 2013

LA CHUTE DE MORSI : QUELLE LECTURE POUR L’AFRIQUE ?

Il est consternant de remarquer encore une fois l'aveuglement qui s'empare des néo convertis à la Démocratie représentative avec son mythe de respect de la durée du mandat d'un élu.
L'entrée récente et massive de nos pays à la Démocratie représentative avec les exigences
Le Caire, place Tahrir
de tenue des élections à échéance régulière et en toute transparence, a fortement conditionné la conscience politique de l'écrasante majorité des jeunes dans nos pays.
C'est incontestablement une avancée progressiste qu'il faut consolider et défendre bec et ongles.
Cependant, il faut éviter de tomber dans le piège qui voudrait que l'élu, durant son mandat, ne soit comptable de sa politique, de sa gestion et de ses actes devant le peuple qui l'a élu, qu'à la fin de son mandat. Et que durant son mandat, fort du suffrage du peuple, il peut mener une politique aux antipodes des aspirations du peuple qui l'a élu !
C'est ce mythe que les peuples du monde entier sont en train de briser, en descendant dans les rues pour exiger des comptes, en cours de mandat, de leurs élus. C'est ce qui s'est passé chez nous, au Sénégal, avec la manifestation populaire de ce 23 juin historique de 2011, avec les « Printemps arabes », le mouvement des « indignés » en Europe du Sud, avec le mouvement « occupy Wall Street » aux USA, et récemment, en Turquie à la « Place Taksine » et au Brésil.
Ce sont ces nouvelles exigences des peuples que Morsi, en Egypte, n'a pas su intégrer dans sa politique, jusqu'à braquer son peuple contre lui. Pourtant, le peuple mécontent lui demandait tout juste de rendre compte en remettant son mandat en jeu. Le peuple réclamait des élections anticipées que Morsi refusait, sous prétexte que le peuple devait attendre la fin de son mandat. Morsi, et tous ceux qui s'émeuvent sur son sort semblent oublier que son parti, les « frères musulmans » n'a pas initié l'occupation de la « Place Tahrir », et qu'il avait pris le mouvement en marche, et fut même obligé de retirer ses slogans islamistes pour être accepté dans cette révolution démocratique et citoyenne en marche.
C’est différent de l’instrumentalisation du « Printemps arabe » en Libye et en Syrie, par les puissances occidentales, dans leur stratégie de reconfigurer le moyen Orient et l’Afrique du Nord, avec l’appui de l’Arabie Saoudite et du Qatar, pour mieux sécuriser la route des hydrocarbures et l’existence d’Israël, tout en coupant l’Afrique de sa partie Nord, déjà rattachée à un ensemble géostratégique et économique, dénommé officiellement par la Banque mondiale : « Zone Middle Est/Noth Africa » ou ( MENA).
Cette stratégie tente de briser l’aspiration profonde des peuples d’Afrique, de voir, un jour, se réaliser l’Unité de tous les Etats et tous les peuples de ce vaste et riche continent, du Nord au Sud, et de l’Est à l’Ouest, que l’Union Africaine (UA) a la charge de matérialiser.
C'est donc ce même peuple égyptien qui avait accepté Morsi et son parti, les « Frères musulmans », le 25 janvier 2011, qui leur refuse, aujourd’hui, le 30 juin 2013, le tournant islamiste, même modéré, qu'ils ont voulu donner à leur révolution.
Ainsi, en refusant de rendre compte comme le peuple le lui a exigé, Morsi s'est présenté en contre-révolutionnaire qui veut confisquer sa victoire et dénaturer le sens de son combat.
Le risque devenait donc énorme de voir l'Egypte imploser ; ce que l'armée a courageusement cherché à éviter en donnant une chance à Morsi de répondre positivement aux exigences du peuple dans la rue, en lui accordant 48 heures pour se décider.
L'on connait donc la suite. L'armée, en le débarquant, a créé les conditions pour que le peuple, par son suffrage, donne un nouveau souffle qui devrait le réconcilier avec ses prochains élus.
Y voir donc la main des USA ou de l'Europe, est non seulement une courte vue, mais exprime inconsciemment une conviction, que nos peuples sont incapables de prendre leur destin en main. C’est surtout ne pas saisir la portée stratégique de la position des États-Unis qui ont immédiatement dénoncé ce qui s’est passé et ont suspendu leur aide, et les sanctions prises par l’UA contre le peuple d’Egypte en lutte pour sa liberté.
En effet, cette pression évidente sur l’armée égyptienne, que les USA ont façonnée trente ans durant par la corruption systématique pratiquée par la CIA, avec un puissant corps d’officiers totalement corrompu, qui fait partie aujourd’hui des nouvelles classes riches d’Égypte, devrait être considérée comme le plus grand danger pour cette deuxième révolution du peuple égyptien de ce 30 juin 2013.
Mais, il est évident, qu’avec cette intervention de l’armée, un puissant mouvement d’officiers patriotes a su s’imposer à la hiérarchie, pour l’amener à répondre positivement aux exigences du peuple, de tenue d’élections anticipées pour se faire entendre.
A cette pression des USA, qui cherchent visiblement à diviser l’armée, vient s’ajouter la sanction politique que l’Union Africaine, (l’UA) vient d’infliger à ce vaillant peuple, en le suspendant de tous les organes et de toutes les activités de cette organisation continentale, jusqu’au retour de l’ordre constitutionnel.
L’UA reste donc prisonnière du dogme du respect de la durée du mandat de l’élu, quel que soit le degré de rejet de sa politique, en cours de mandat, par le peuple, en conformité avec le dogme de la Démocratie représentative que les puissances occidentales, dans nos pays, utilisent, à géométrie variable, selon leurs intérêts stratégiques.
Mais, c’est aussi, et surtout, pour prémunir les Chefs d’Etat de cette organisation à vocation panafricaine, de sanctions populaires avant le terme de leurs mandats.
C’est la conjugaison des effets de cette pression américaine et de l’isolement politique décidé par l’UA, sur le déroulement de la crise ouverte par l’éviction de Morsi, qui a encouragé les « Frères musulmans » à se radicaliser, et les « Salafistes » à bloquer un choix consensuel de l’opposition d’un Premier Ministre de Transition.
Ce blocage est lourd d’hypothèques pour la paix civile et la stabilité politique nécessaire à cette transition.
S’il est évident que le rejet des « coups d’Etat, » comme mode d’accès au pouvoir est une ligne politique progressiste en conformité avec l’aspiration des peuples à décider, par leur suffrage, de leur destin, il ne faudrait pas, cependant, les confondre avec le « soulèvement » des peuples pour se réapproprier leur souveraineté, s’il leur est devenu évident que leurs aspirations sont dévoyées par leurs élus.
Ce droit des peuples au « soulèvement » relève, partout, de leurs droits démocratiques reconnus par les Constitutions démocratiques sous forme de droit de marche, et de rassemblement dans les places publiques, comme forme collective d’expression, à côté des droits individuels d’expression.
Les peuples sont aujourd’hui décidés d’exercer pleinement leurs droits collectifs à l’expression de leurs opinions, pour amener les élus à les prendre en considération en cours de mandat, ou de les obliger à remettre prématurément leur légitimité à la sanction de leur suffrage.
Les peuples refusent ainsi d’être prisonniers de leurs élus durant tout leur mandat, sous prétexte, que ceux-ci détiennent leur légitimité de leurs suffrages.
C’est cette mystification entretenue par la Démocratie représentative qui est prodiguée par les grandes puissances, qui est en train de voler en éclat, dans la rue, par l’action massive des peuples, décidés de recouvrer leur souveraineté confisquée par des élus, et dévoyée des objectifs d’émancipation économique, sociale et culturelle qu’ils attendaient deux, en les portant au pouvoir.
C’est lorsque l’élu refuse cette exigence démocratique, comme le fit Morsi, que toute armée républicaine, soucieuse de la stabilité politique et de la paix civile, devrait rentrer en action, pour créer les conditions les meilleures permettant l’organisation de l’expression du suffrage du peuple, afin de surmonter démocratiquement les contradictions, devenues irréductibles, entre la volonté de l’élu, et les exigences du peuple.
C’est pour cette raison, que taxer une telle intervention de l’armée de « coup d’Etat », est juste un amalgame pour trouver des prétextes pour étouffer l’aspiration des peuples à reprendre leur destin en main par le suffrage.
C'est donc contre cela, qu'il faut se battre sans concession, en exigeant fortement de l’UA, la levée immédiate de ses sanctions politiques contre le peuple d’Egypte, et en développant, dans tous les pays d’Afrique, un vaste mouvement de soutien à ce peuple frère, confronté à un tournant décisif de l’histoire des révolutions démocratiques et citoyennes de nos peuples, qui se joue, aujourd’hui, en terre d’Egypte.
 
Ibrahima Sène
PIT/SENEGAL
Dakar le 7 juillet 2013

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