dimanche 25 août 2013

Et cette mobilisation, nous savions qu’un jour où l’autre, elle allait triompher.

Le président Affi NGuessan raconte son arrestation, son transfert à Bouna et ses premières semaines de prison

 

Pour la première fois depuis sa sortie de prison, le 5 août dernier, le président du FPI, l’ex-Premier ministre Pascal Affi N’guessan, est revenu longuement sur les conditions de son arrestation à la Nouvelle Pergola à Abidjan-Marcory, de son transfert à la prison civile de Bouna. Nous vous livrons de larges extraits de son témoignage.


Sévices corporels des "frères Cissé"
sur le président Affi NGuessan et ses compagnons
dans la prison de Bouna
«Nous avons quitté le Golf Hôtel le lundi de Pâques à 13h. On ne savait pas où on allait. La guerre n’était pas totalement terminée. Est-ce qu’ils nous ramenaient à la Pergola ? C’était l’heure du déjeuner et Affoussi Bamba qui est venue nous chercher, nous a dit : «Vous faites vos affaires, on s’en va». On lui a demandé : «On s’en va où» ? Mais, elle n’a pas osé répondre. On s’est dit, dans ce cas ce n’est pas la peine de manger. Arrivés à destination, on va manger. Chacun espérait une destination. Elle a dit : «Mangez un peu. On ne sait jamais». Après, on nous a embarqués et nous sommes passés à la gendarmerie de Cocody où le lieutenant qui conduisait le convoi a fait monter deux ou trois éléments avec des RPG. Je me suis demandé si pour nous ramener à la Pergola, on avait besoin de RPG. Mais j’ai fini par me dire que comme il y a encore des combats en ville, peut-être que c’était dangereux. On a fini par démarrer et quand nous sommes arrivés à l’Indénié, le convoi a pris la route d’Adjamé au lieu de se diriger vers le sud. Nous nous sommes dit que c’était une manœuvre de diversion. Mais nous avons continué vers Yopougon. Arrivés au carrefour de la Maca, les combattants étaient éparpillés partout. Ils se sont arrêtés parce que ça tirait partout. Un moment, ils ont tenté de rebrousser chemin. Mais un des leurs a dit : «Allons-y. De toutes les façons, nous, nous sommes blindés. Ce sont leurs gars qui sont là-bas. S’ils les tuent, tant pis pour eux». Ils ont alors repris la route et nous avons roulé jusqu’à Attinguié et on s’est arrêté. On a fait une petite bifurcation et ils se sont arrêtés. Nous nous sommes alors dit que c’est là qu’ils allaient nous fusiller et abandonner nos corps. On ne savait pas du tout dans quel film on était. Mais, nous étions des acteurs passifs. Curieusement, ils ont commencé à distribuer des bananes aux uns et aux autres. Trois ou quatre bananes. Après, on a repris la route jusqu’à Toumodi. Ils sont allés à la station, ils ont parlé et ils sont revenus et nous avons pris la direction de Yamoussoukro. Nous avons commencé à dire qu’ils nous envoient au camp pénal de Bouaké. Certains ont pensé à Bouaké, d’autres à Korhogo. Arrivés à Yamoussokro, ils ont pris du carburant et on a fait demi-tour. Arrivés à Toumodi, ils ont pris la route de l’Est. On a commencé encore à s’interroger sur notre destination. Un moment donné, le secrétaire général de l’université de Cocody a dit : «Peut-être qu’ils s’en vont nous enfermer chez le président Affi !». Quelqu’un lui a dit : «Toi, tu es vraiment optimiste». On a continué à rouler, et on a traversé Bongouanou et arrivés à Kotobi, ils ont pris la route de Daoukro. En fait, ils s’étaient perdus. Quand ils s’en sont rendus compte, ils ont fait demi-tour et nous avons pris la route d’Abengourou. Arrivés à Bonahouin, ils ont commencé à distribuer des boites de sardine. Mais, moi, j’étais tellement fâché parce que ça n’avait aucun sens. On a repris la route et ils roulaient à tombeau ouvert. Nous étions dans des 4x4. Il y avait deux 4x4 doubles cabines et un pick-up où ils avaient mis les éléments armés. Dans chaque 4x4, il y avait deux gendarmes ou policiers qui nous encadraient. Michel Gbagbo, lui, ils l’ont mis carrément dans le coffre arrière du 4x4. Un moment, il pleuvait. Ceux qui étaient dans le pick-up sont donc descendus pour monter avec nous dans les 4x4. Nous étions donc serrés comme dans une boîte de sardine. Notre conducteur était tellement fatigué qu’il a fait deux sorties de route. Deux fois, nous sommes entrés en brousse avant de ressortir. Finalement, je ne pensais plus à rien. Parce que je me disais, pour un pouvoir qui s’installe, même s’ils veulent nous envoyer en prison, compte tenu de notre statut, ils pouvaient même prendre de bons véhicules et nous emmener. Mais agir ainsi montrait qu’ils n’accordent aucune importance à notre vie. Un moment même, notre chauffeur dormait. Or, nous étions sur un pont et il y avait un véhicule qui venait en face. Il s’est réveillé brusquement et il s’est rabattu à droite. On a failli basculer dans le vide. On est finalement arrivé à Bouna à 4h du matin. A Bouna même, les gens n’étaient pas informés de notre arrivée. Ils couraient donc dans tous les sens, pour chercher le responsable du camp des Frci. Ils l’ont retrouvé et il est arrivé tout fâché parce qu’on lui a envoyé des gens sans le prévenir et surtout il ne savait pas quoi faire de nous. On le voyait donc courir partout pour trouver un lieu où nous enfermer. Un moment, ils ont dit qu’ils allaient nous enfermer à la résidence de Palé Dimaté. Mais certains d’entre eux ont dit que la clôture de la résidence n’était pas assez haute. En définitive, ils ont opté pour la prison civile. Et quand on partait, c’est Serges Boguhet qui, le premier, a fait la remarque en disant qu’ils nous envoient en prison. Quand par la suite, nous avons vu les barbelés, nous avons su que c’était effectivement la prison civile. C’était une prison abandonnée et désaffectée. Ils ont alors commencé à nous jeter dans des cellules insalubres. Diabaté Bêh a été le premier qu’ils ont brutalisé. Ils donnaient le sentiment qu’ils lui en voulaient particulièrement. Ils l’ont jeté dans un coin très sale. Moi, ils m’ont dit : «Affi, passe ici». Ils m’ont jeté dans le parloir. Un endroit très étroit, où il y avait tout juste de la place pour un matelas. J’y suis resté près de deux mois. Ils nous ont enfermés et ils sont partis. Après, ils sont revenus et il y en a un qui a commencé à nous menacer. «Vous avez eu de la chance. Sinon, moi Chiquito, si j’étais descendu à Abidjan, aucun de vous ne serait vivant à l’heure actuelle. Vous allez mourir ici. On va vous nourrir avec tuyau», nous lançait-il à la figure.
On n’avait rien. Heureusement, assez rapidement, les prêtres et le responsable local de la Lidho sont venus nous voir. Ce sont eux qui nous ont donné les premiers draps pour la nuit. Nous sommes restés là sous la surveillance de deux hommes armés en permanence. On n’avait pas droit aux visites. On était enfermé. Le responsable de la Lidho a négocié pour qu’il puisse nous rendre visite une fois par jour. Ils le lui ont accordé. Mais au bout d’un certain temps, ils lui ont dit qu’il n’aura que trente minutes pour nous voir. Donc, chaque jour, il pouvait nous voir 30mn. Mais il n’était pas question pour lui de nous envoyer des journaux, encore moins la radio. C’est donc lui qui a informé nos parents. Après un moment, on lui a dit qu’il n’avait plus que 15 mn. Et puis, on lui a interdit totalement de venir nous voir. Donc, on n’avait aucun contact tout ce temps. Jusqu’à ce qu’un jour, un Frci nous présente une dame Frci aussi pour nous dire que c’est elle qui allait préparer pour nous. On était obligé d’accepter. Et puis, progressivement, l’administration pénitentiaire a commencé à se mettre en place à partir du mois d’août. Mais, même là encore, il y avait, chaque fois, des incidents entre eux et les Frci. Et pendant tout ce temps, c’était le stress. Parce qu’on ne savait jamais ce qui allait se passer. Rien n’était prévisible. Ils vont et viennent. Et dès que tu entends un bruit, tu as peur. Tu te demandes ce qui va se passer encore. On était dans cette situation, jusqu’à ce que l’administration s’installe définitivement. Et comme eux, ce sont des professionnels, ils ont commencé à avoir des rapports corrects avec nous. Nous avons donc commencé à déstresser et à nous organiser. On se réunissait tous les jours à 16 h, pour analyser la situation, les informations internationales, la politique nationale.

Nous étions censés être sous la protection de l’Onu

Nous avons gardé le moral parce que nous savions que c’était notre part de la lutte et nous avons positivé notre détention. Parce que le fait que nous soyons détenus était devenu une donnée de la crise. Nous savions que c’était par ça que les autres allaient se mobiliser. Ne serait-ce que nos parents, nos familles et nos camarades de lutte. Nous savions que le caractère injuste de notre détention ferait qu’au-delà de nos familles biologiques et idéologiques, beaucoup d’Ivoiriens se sentiraient interpellés et se mobiliseraient. Et cette mobilisation, nous savions qu’un jour où l’autre, elle allait triompher. Parce que c’est l’histoire. Les prisonniers politiques, ça peut prendre le temps que ça peut prendre, mais forcément, un jour on finit par sortir. Et comme l’a dit le doyen Bernard B. Dadié, c’est une école, c’est un parcours initiatique. C’est pourquoi, quelque part, nous étions fiers de jouer cette partition dans la lutte pour la libération du pays. Parce que dans tous les processus à travers le monde, ceux que le doyen a appelés les martyrs, ce sont eux qui ont consolidé les aspirations.
A la Pergola, nous étions censés être sous la protection de l’Onu. Après j’ai vu des gendarmes venir. J’ai vu notamment le colonel Ehoussou avec qui j’avais travaillé à la Primature et qui s’occupait déjà de la protection des personnalités. Donc, je me suis dit que c’était normal qu’il soit là. Du moment où ce n’était pas des Frci, je me suis dit qu’ils étaient venus pour compléter l’effectif de l’Onuci. C’est quand je devais faire la deuxième communication, parce que j’avais vu Mamadou Koulibaly et Yao N’Dré chez Alassane Ouattara, que j’ai vu que les militaires qui étaient là cherchaient même à m’empêcher de parler, que j’ai compris qu’il y avait quelque chose.
Dans les heures qui ont suivi, Soro a envoyé quelqu’un me voir. On était autour de 20 h. Il m’a dit que Soro voulait me rencontrer. Je lui ai demandé de me montrer ce qui prouvait qu’il venait effectivement de la part de Soro. Il l’a appelé et me l’a passé. Je lui ai dit qu’il faisait trop tard, que la ville n’était pas sécurisée et qu’il fallait qu’on remette la rencontre au lendemain. Mais quelques temps après, j’ai entendu des gens discuter. J’ai su qu’il y avait un deuxième groupe. Et je pense que ça devait être un groupe envoyé par Hamed Bakayoko. Un des officiers m’a dit de ne pas rester sur place parce que la façon dont les gens bougeaient, il y avait des risques qu’il y ait du grabuge. Je suis donc monté à ma chambre. Mais quelque temps après, j’ai entendu des coups sur la porte. Mais ce n’était pas des coups à la main. Mais des crosses de kalach. Ils défonçaient les portes. Ils ont défoncé la porte d’entrée. Et quand on dépasse cette porte, il y a une terrasse avant d’arrivée au salon. Ils ont commencé à défoncer la porte du salon et même les fenêtres. J’étais dans la chambre, donc je suis venu au salon pour voir ce qui se passait. Le temps d’arriver, ils étaient sur moi en train de me rouer de coups. Ils m’ont embarqué. Mais en bas, on est resté 15 à 20 mn. J’ai fini par comprendre qu’ils étaient en train de piller la chambre. Parce que pour les dernières missions que le président m’a confiées, il me restait un peu d’argent que j’avais pris sur moi. Et quand les camarades partaient, j’aidais certains. Mais moi, j’ai dit que je ne pouvais pas bouger. Parce qu’en tant que président du parti, je me suis dit qu’il fallait que les militants entendent notre voix. Pour qu’ils sachent que le parti est toujours là. Sinon, ce serait la débandade généralisée. C’est comme ça que quand Alcide est allé voir l’Onuci et qu’il a dit qu’ils avaient trouvé un endroit pour sécuriser les cadres Fpi et Lmp, j’ai accepté d’y aller. Peut-être qu’ils avaient déjà des plans pour nous arrêter. Parce que les autres qui sont restés, on les a quand même transférés à Boundiali.
Mais, moi personnellement, je n’ai jamais désespéré parce que je savais que nous avions gagné les élections. Donc, nous avions une base populaire. Et que cette base allait peser dans la balance.

Propos retranscrits par Guillaume T. Gbato, In Notre Voie
 

 
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Source : La Dépêche d'Abidjan 24 Août 2013

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