Le Burkina Faso se
porte très mal. Les manifestations de la rue se sont multipliées ces derniers
temps, soit pour dire non au Sénat, soit pour apporter une réplique ou encore
pour dénoncer la Vie chère. Ces marches-meetings à répétition ont obligé les
évêques du Burkina à sortir de leur silence pour tirer la sonnette d’alarme. A
la suite de ces derniers, c’est au tour d’International Crisis Group d’attirer
l’attention des uns et des autres sur les risques d’embrasement du pays. Nous
reprenons pour vous la synthèse de ce document.
Synthèse
Pour la première
fois depuis 1987, la question de la succession du président burkinabè est
ouvertement posée. La Constitution interdit en effet à Blaise Compaoré, au
pouvoir depuis plus d’un quart de siècle, de briguer un nouveau mandat en 2015.
Sa marge de manœuvre est très étroite. S’il respecte la loi fondamentale, sa
succession risque d’être difficile tant il a dominé la vie politique et fermé
les possibilités d’alternance. S’il modifie la Constitution et se porte
candidat à un cinquième mandat consécutif, il prend le risque de déclencher un
soulèvement populaire comme celui qui a fait vaciller son régime au premier
semestre de l’année 2011. Les partenaires internationaux doivent l’inciter à
respecter la loi fondamentale et permettre une transition démocratique en
douceur. Préserver la stabilité du Burkina Faso est d’autant plus important que
la région ouest-africaine, où le pays occupe une position géographique
centrale, vit une période difficile. Le Mali voisin traverse un conflit
politico-militaire qui a déjà eu des conséquences graves sur le Niger, autre
pays frontalier du Faso.
Le Burkina a pour le
moment été épargné par cette onde de choc parce que sa situation intérieure
reste stable et son appareil de sécurité suffisamment solide, mais une
détérioration de son climat politique à l’horizon 2015 le rendrait beaucoup
plus vulnérable. Une élection présidentielle doit aussi être organisée cette
même année en Côte d’Ivoire, un pays avec lequel le Burkina Faso est intimement
lié. Une crise politique à Ouagadougou aurait des répercussions négatives sur
une Côte d’Ivoire toujours fragile. Cette position géographique centrale se
double d’une influence diplomatique majeure. En deux décennies, Blaise Compaoré
a fait de son pays un point de passage obligé pour le règlement de la
quasi-totalité des crises de la région. Avec une grande habileté, Compaoré et
ses hommes ont su se rendre indispensables comme médiateurs ou comme « vigies »
permettant à plusieurs puissances occidentales la surveillance sécuritaire de
l’espace sahélo-saharien.
Une crise au Burkina
Faso signifierait d’abord la perte d’un allié important et d’une base
stratégique pour la France et les Etats-Unis ainsi qu’une possibilité réduite
de déléguer à un pays africain le règlement des conflits régionaux. Pour
l’Afrique de l’Ouest, la désorganisation de l’appareil diplomatique burkinabè
impliquerait la perte d’un point de référence, d’une sorte d’autorité de régulation
qui reste utile malgré de nombreuses limites. Le risque qu’une crise politique
et sociale survienne au Burkina Faso est réel. Depuis 1987, Blaise Compaoré a
construit un régime semi-autoritaire, dans lequel ouverture démocratique et
répression cohabitent, qui lui a permis de gagner le pari de la stabilité perdu
par tous ses prédécesseurs. Ce système perfectionné comporte néanmoins
plusieurs failles et ne survivra probablement pas à l’épreuve du temps. Il
s’articule autour d’un seul homme qui a exercé une emprise totale sur le jeu
politique pendant plus de deux décennies, laissant peu d’espace pour une
transition souple. Les possibilités pour son remplacement démocratique sont en
effet peu nombreuses. L’opposition est divisée, sans ressources humaines et
financières suffisantes ou trop jeune pour prendre à court terme la relève et
aucun des cadres du parti présidentiel ne s’impose comme potentiel successeur
incontesté.
L’un des premiers
risques pour le pays est donc de se retrouver, en cas de départ mal encadré de
Blaise Compaoré, face à une situation similaire à celle de la Côte d’Ivoire des
années 1990, aspirée par le vide laissé par la mort de Félix Houphouët-Boigny
après 33 ans de pouvoir. L’explosion sociale est l’autre menace qui pèse sur le
Burkina Faso. La société a évolué plus vite que le système politique ne
s’adaptait. Le Burkina s’est urbanisé et ouvert au monde avec pour conséquence
une demande croissante de changement de la part d’une population
majoritairement jeune. Les fruits du développement demeurent très mal partagés
dans ce pays à forte croissance mais classé parmi les plus pauvres de la
planète. Des changements ont été maintes fois promis sans jamais être réalisés,
ce qui a entrainé un divorce entre l’Etat et ses administrés ainsi qu’une perte
d’autorité à tous les niveaux.
Cette rupture de
confiance s’est exprimée lors du premier semestre 2011 par de violentes émeutes
qui ont touché plusieurs villes du pays et impliqué de nombreux segments de la
société, y compris la base de l’armée. « La grande muette » est apparue pour la
première fois divisée entre élites et hommes de rang, et en partie hostile à un
président qui s’était pourtant employé à contrôler et à organiser une
institution dont il est issu. Cette crise sociale n’a été éteinte qu’en
apparence et en 2012 les micro-conflits locaux à caractères foncier, coutumier
ou portant sur les droits des travailleurs se sont multipliés dans un pays qui
a une longue tradition de luttes sociales et de tentations révolutionnaires
depuis l’expérience de 1983 inspirée par le marxisme.
Enfin, le long règne
de Blaise Compaoré, si perfectionné fût-il, a connu l’usure inévitable du
temps. Plusieurs piliers de son régime ont quitté la scène, à l’image du maire
de Ouagadougou, Simon Compaoré, qui a régulé pendant dix-sept ans la capitale,
du milliardaire Oumarou Kanazoé, qui a joué un rôle de modérateur au sein de la
communauté musulmane, ou du colonel libyen Mouammar Kadhafi qui fournissait une
aide financière importante au « pays des hommes intègres ». Le président
Compaoré a choisi de répondre à tous ces défis en effectuant quelques réformes
superficielles qui ne répondent guère aux attentes de la population. Il a aussi
opté pour le silence sur sa volonté de quitter le pouvoir en 2015.
Il a recentré la
direction du pays et de son parti, le Congrès pour la démocratie et le progrès
(CDP), autour d’un groupe restreint de fidèles et de membres de sa famille, au
premier rang desquels son frère cadet, François Compaoré. Ce silence et la
montée en puissance de son frère, élu pour la première fois député le 2
décembre 2012, continuent d’entretenir un lourd climat d’incertitude. Le chef
de l’Etat burkinabè dispose d’un peu moins de trois ans pour préparer son
départ et éviter ainsi une bataille de succession ou une nouvelle fronde
populaire. Il lui appartient de faciliter cette transition. C’est d’abord en
respectant la Constitution et en ne succombant pas à une tentation dynastique
qu’il pourra confirmer la principale réussite de sa longue présidence : la stabilité.
Un choix contraire
ouvrirait la porte à une période de troubles. De son côté, l’opposition
burkinabè et la société civile doivent devenir des forces de proposition et
travailler dès maintenant à créer les conditions d’un progrès démocratique
compatible avec la paix et de la stabilité. Les partenaires extérieurs,
notamment les puissances occidentales, doivent maintenant s’intéresser autant à
l’évolution politique interne du Burkina Faso et à la consolidation
démocratique qu’au rôle que son président joue dans des médiations politiques
et la surveillance sécuritaire des foyers de tensions en Afrique de l’Ouest.
Dakar/Bruxelles, 22
juillet 2013 »
Source : Lefaso.net 23 juillet 2013
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire