vendredi 23 août 2013

BERNARD BINLIN-DADIE : LE PATRIARCHE DE LA LUTTE EMANCIPATRICE !

B. Dadié chez lui, le 15/07/2013
(photo G. Toualy)
Lorsque des amis m’ont informé du projet de faire, dans une revue, la présentation des personnes ayant (eu) une part notable au combat d’émancipation des peuples africains, un nom résonna dans ma tête : Bernard Binlin-Dadié ! Cet homme est notablement présent et actif chaque fois qu’il est besoin de se battre en faveur de la dignité humaine, de la liberté des peuples et plus précisément pour la libération de l’Afrique. Sa part au combat est énorme, mais son nom et son image restent comme ignorés des historiographes de notre temps en matière de lutte émancipatrice. Il est à mes yeux la preuve palpable de la véracité de l’adage selon lequel « nul n’est prophète chez soi ». Alors, on réalise que les véritables héros sont méconnus chez eux et en leur temps. Ils sont comme l’air, dont personne ne se soucie qu’il est absolument indispensable à la vie, tant qu’on l’a, et on ne prend conscience de son importance vitale que lorsqu’il vient à manquer. Bernard Binlin-Dadié est de ces hommes dont l’histoire retiendra qu’il aura combattu l’injustice, principalement celle exercée par les acteurs de tous genres de l’impérialisme, à travers le colonialisme déshumanisant, depuis plus de trois quarts de siècle. En fait, la dimension de l’homme, au plan de l’action militante, est tellement immense que cela paraît une véritable gageure que de prendre sur soi de parler de lui ! C’est assurément ce qui explique que l’on ait si peu d’empressement à le présenter, en tant que grand combattant ! En ce qui me concerne, j’ai parfaitement conscience que je ne donnerai qu’une infime partie de la dimension de ce patriarche de nos luttes émancipatrices. Mais, j’ai décidé de me jeter à l’eau, pour faire le pas audacieux, et dire de l’homme quelques mots. Mon souhait, c’est qu’il y ait par la suite, des présentations plus détaillées de cette figure emblématique de la lutte émancipatrice. 

Dadié, le patriarche infatigable du combat libérateur ! 

Bernard Binlin-Dadié est aujourd’hui un patriarche, au sens biblique du terme. Né en 1916, il est à quelques années de la centaine. C’est un âge très honorable, cette époque de sa vie où souvent l’homme regarde avec lassitude, émerveillement, ou parfois une certaine condescendance, le déroulement de la vie, en suivant les événements avec quelques regrets de ne plus avoir l’âge de faire ceci et cela. Cet homme-là subit le poids de son âge, et on dit qu’il est vieux ! Mais Bernard Binlin-Dadié n’est pas vieux : il n’a pas eu le temps de vieillir ! D’ailleurs, il y a quelques jours, à l’occasion d’une manifestation du CNRD (Congrès National de la Résistance pour la Démocratie) un courant politique dont il est le président, il disait, le jeudi 11 avril 2013 : « on ne devient pas vieux pour avoir vécu un certain nombre d’années. On devient vieux parce qu’on a déserté son idéal. Vous êtes aussi jeune que votre foi, aussi vieux que votre doute ; aussi jeune que votre confiance en vous-même, aussi vieux que votre abattement ». Cet homme, à presque cent ans, est à la pointe de la lutte émancipatrice de l’Afrique et principalement de la Côte d’Ivoire. Sa foi et sa confiance en lui-même sont restées intactes depuis les années mil neuf-cent trente, lorsque, à la fin de ses études, à son premier poste de fonctionnaire de l’administration coloniale, son patron, un colon averti qui lui trouvait des allures d’insoumis sans aucun complexe, lui lança : « Tu ne peux pas enseigner ; tu iras en prison ! » Là-dessus, il dut se contenter d’une autre fonction que celle d’enseigner, ce qui ne l’empêcha pas de subir toutes sortes de brimades colonialistes y compris d’être incarcéré à la prison de Grand-Bassam. Ses compagnons de lutte du début, devenus réformistes pour la plupart, ne lui épargnèrent pas de subir les tracasseries oppressives et l’isolement, à la proclamation des indépendances factices de 1960, même s’il fut, quelques temps, ministre de la Culture sous le règne du président Houphouët-Boigny ! Dadié n’abandonna pas pour autant le combat. 

Bernard B. Dadié, l’incorruptible défenseur de la justice et de la liberté par le verbe

Dadié a choisi très tôt la lutte au plan des idées. Sa très large et dense production littéraire en témoigne, de même que sa présence permanente sur le terrain, par la publication d’articles de presse. « Climbié, Monsieur Thogo-Gnini, Béatrice du Congo, Papassidi maître escroc, Moa Ceul, Le pagne noir, Cailloux Blancs »… Voici quelques-unes des productions littéraires de l’écrivain Bernard B. Dadié, « le seigneur des lettres ivoiriennes », selon le mot de feu le journaliste, écrivain et critique Jérôme Diégou Bailly. Son œuvre est plurielle et variée : il touche à tous les genres de la littérature. Du conte au roman, en passant par la poésie, Dadié écrit pour la défense de la justice et de la liberté, pour l’émancipation de l’homme… Enfants, lorsque nous entendions le mot « indépendance », nous nous rappelions cet extrait de « Climbié », l’oncle NDabian parlant à son neveu : « Le travail, et après le travail, l’indépendance ; n’être à la charge de personne… Telle doit être la devise de votre génération… ». A la vérité, Bernard B. Dadié fait partie aujourd’hui de ces personnes qui sont une référence en matière de constance et de pertinence dans la pensée et dans l’action. Il est une sorte de « conscience morale » ainsi que le dit mon frère et camarade, le professeur Gnagne Yadou. En plus de sa riche production littéraire, on ne saurait occulter sa présence régulière dans les tabloïdes ivoiriens : il ne se passe pas de semaine sans qu’un texte de haute facture, signé de Bernard B. Dadié, ne soit publié dans l’un ou l’autre des quotidiens ivoiriens les plus lus. Evidemment nous parlons ici des publications non engagées à ramer pour ceux qui tiennent le bâton en faveur de l’oppression impérialiste ! Hier 12 avril, Dadié publiait encore un texte plein d’enseignement et d’assurance, où il invitait les Ivoiriens à « s’armer de l’amour du prochain et de la soumission à Dieu », pour mener le combat contre ceux qui n’ont pas la crainte de Dieu et se disent puissants parce qu’ils possèdent des bombes et imposent aux autres la force brutale. Maîtrisant avec une rigoureuse précision le déroulement des faits et les dates des évènements importants de notre histoire, Bernard Dadié est une bibliothèque vivante. Il a de ce fait une claire compréhension de toutes les ruses de l’oppresseur, et chacune de ses interventions dans la presse est incontestable lorsqu’il explique, dénonce, condamne ou appelle à la résistance. Au-delà de la qualité esthétique des textes de Dadié, on est édifié, conforté, rassuré ! Aujourd’hui encore, la France de l’impérialisme inhumain, qui n’a jamais eu de scrupule à opprimer en Afrique toute valeur réelle, ne rate aucune occasion de faire payer à cet homme son attachement à la liberté, à la justice et à l’égalité entre les hommes. C’est ainsi qu’en 2005, en tant que membre honoraire des instances dirigeantes de la francophonie, il avait été invité à Paris, à une réunion de cette institution. Eh bien, l’ambassade de France à Abidjan lui refusa simplement le visa, pour l’empêcher de se rendre à cette rencontre : on était à un moment délicat du coup d’Etat de la France contre notre pays, suite aux tueries de novembre 2004, à l’Hôtel Ivoire, et Dadié venait de publier un texte appelant à la résistance ! Et on continue de nous chanter que l’organisation de la francophonie, qui est, comme le franc CFA, un outil de l’impérialisme insatiable, n’est qu’un cadre d’échanges culturels, dans cette Afrique où subsistent des collabos inqualifiables et des apatrides de bas étage, des individus qu’étouffent un égoïsme innommable. A l’époque, des personnes informées ont suggéré au patriarche de protester contre cette avanie. Mais, impassible et un peu rieur, il répondit : « Non ! Ce n’est pas nécessaire ! Cela ne vaut pas la peine ! La francophonie, c’est leur chose, qu’ils en fassent ce qu’ils veulent ; nous, nous avons des combats à mener ! » Tel est l’homme ! Fier, mais respectueux de l’autre dans ses positions, même les plus anormales !
Puisse l’Eternel, notre Dieu, garder encore plus longtemps parmi nous, Bernard Binlin-Dadié ! 

Bédi Holy 

 
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 Source : Le Filament juillet-août 2013 (n° 31)

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