mardi 20 août 2013

Interview de Barome Aristide Kouassi, secrétaire général adjoint et porte-parole du PIT

Le débat autour de la nationalité, la gestion du pouvoir par le régime Ouattara, l'éventualité d'une alliance entre le Parti ivoirien des travailleurs (Pit) et le Rdr au pouvoir, sont autant de questions qu'aborde dans cette interview, Barome Aristide Kouassi, secrétaire général adjoint du Pit et porte-parole de ce parti. 
 
Votre parti, le Parti ivoirien des travailleurs (Pit), préconise un référendum pour trancher la question de la nationalité et du foncier. Pourquoi un référendum ?
Vous savez que les questions de la nationalité et du foncier ont été de tout temps des questions cruciales pour la Côte d'ivoire. Nous sortons d'une crise à l'origine de laquelle se trouve la question de la nationalité. Alors si nous devons plancher sur cette question, il est bon que l'ensemble des ivoiriens s'approprient ce qui doit être arrêté, en sachent les tenants et les aboutissants. Nous voulons mettre à l'aise le président de la République, lui permettre de donner une légitimité à l'action qu'il veut poser, d'où l'idée du référendum. Mais en même temps nous voulons exprimer notre inquiétude parce que, selon nous, tout cela se fait dans la précipitation, au point que cette réforme de la nationalité crée une suspicion. On se demande si ce n'est pas fait dans la perspective des élections de 2015. En tout état de cause, ce qui pourrait éviter une autre crise, c'est de permettre que tous les ivoiriens s'approprient la question en allant à un référendum. Cela donnerait l'occasion à toutes les composantes de la société ivoirienne d'avoir leur mot à dire. 

Le chef de l'Etat a expliqué à l'occasion de la fête de l'indépendance que ces réformes sont inspirées des décisions prises par les acteurs politiques à Marcoussis, dont votre parti, le Pit.
Cela me conforte dans la position que je soutenais tantôt. A Marcoussis, ce sont les partis politiques qui ont pris ces décisions. Le Pit est un parti politique parmi tant d'autres, mais tous les Ivoiriens ne sont pas militants de partis politiques. Nous voulons sortir du carcan des formations politiques pour permettre à l'ensemble des citoyens ivoiriens de donner leur avis sur ces réformes. La question nous semble si sérieuse quelle ne saurait être l'affaire des seuls partis politiques. Je disais tantôt que nous voulons ainsi mettre à l'aise le président Ouattara en donnant une certaine légitimité à ces réformes. 

Est-ce à dire que si les députés venaient à voter cette loi, elle ne sera pas légitime ?
Nous craignons qu'en procédant ainsi ce ne soit une autre graine de division que l'on va semer. Que les députés sachent qu'ils seront comptables de l'évolution de la graine qu'ils auront semée s'ils venaient à voter ces réformes dans la précipitation, sans tenir compte de l'avis du peuple ivoirien. Quand on vient de sortir d'une crise comme celle qu'a connue la Côte d'ivoire, il faut faire attention aux pas qu'on pose. Sous la cendre il y a encore des braises, faisons attention de ne pas les rallumer. 

La loi pourrait être votée à l'occasion de la session parlementaire extraordinaire qui s'achève le 22 août. Si tel était le cas, il y a peu de chance que la voie référendaire que vous préconisez soit suivie.
Nous espérons que les députés, qui ne sont pas des députés des partis politiques, n'iront pas dans le sens du gouvernement ; qu'ils vont se donner le temps de retourner consulter la base, car le temps qui leur a été imparti pour examiner la loi ne leur a pas permis de consulter les populations qui les ont élus. Pour une décision pareille, ils se doivent de consulter le peuple. J'espère qu'ils ne donneront pas l'occasion à beaucoup d'ivoiriens, qui doutent de notre Assemblée nationale, d'être confortés dans l'idée qu'elle est aux ordres de l'exécutif, qu'elle est juste une caisse de résonance. Il faut faire attention, il ne faut pas montrer qu'on est prêt à applaudir tout ce qui vient de l'exécutif. Il faut tenir compte de l'intérêt supérieur du peuple de Côte d'ivoire, sinon nous allons tous en tirer les conséquences ! Car une chose est de voter la loi, une autre est de l'appliquer. Si nous voulons que cette loi ne crée pas de division entre les ivoiriens, il est bon pour les députés de ne pas la voter, mais de la soumettre à référendum afin de permettre à l'ensemble des ivoiriens de donner une forte légitimité à ces réformes de la nationalité. C'est à ce prix que nous aurons une véritable réconciliation. On ne peut en effet vouloir réconcilier en créant des lois conflictuelles. On ne peut avoir un pays émergent en 2020 si on n'est pas sûr d'avoir un pays réconcilié. Je dis donc attention, nous venons de sortir d'une crise, il ne faut pas semer les graines d'une crise future ! 

N'est-ce pas paradoxal que votre parti ait appelé à voter l'actuel chef de l'Etat et se dresse aujourd'hui contre une loi inspirée par le gouvernement ? Est-ce à dire que le Pit n'est pas dans la mouvance présidentielle ?
Je voudrais d'emblée lever toute équivoque en vous disant que le Pit est un parti d'opposition ; il n'a jamais fait partie du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (Rhdp). C'est vrai qu'au second tour de la présidentielle, il nous est arrivé de faire un choix sur la base des projets de loi qui nous avait été présentés. Mais là encore, avec le recul, nous estimons avoir été trahis parce que « Ado solutions », ce n'est pas ce qu'on voit aujourd'hui. La nouvelle direction du Pit a été reçue par le Premier ministre Duncan et nous lui avons exprimé notre volonté de participer à la réconciliation nationale. Une plate-forme a été trouvée pour qu'il y ait une discussion directe entre le Pit et le gouvernement. C'est parce que nous sommes dans l'opposition que cela est possible.  

Pourquoi c'est maintenant seulement que le Pit va être associé aux discussions avec le gouvernement alors qu'un dialogue est établi depuis avec bien des partis de l'opposition ? N'est-ce pas parce que votre parti est en perte de vitesse que vous avez été ignoré jusque-là ?
Après le départ du président Francis Wodié, le parti était dirigé par une direction transitoire qui avait à charge de préparer le congrès. Nous sommes sortis de ce congrès à la faveur duquel nous avons redéfini l'ancrage socialiste du parti ivoirien des travailleurs. Nous avons une nouvelle équipe dirigeante avec à sa tête le ministre Daniel Aka Ahizi, désormais président du Pit. Nous avons été reçus par le ministre de l'Intérieur, puis par le Premier ministre Kablan Duncan et toutes les institutions du pays. Le Premier ministre Duncan a demandé que le Pit participe à des discussions directes comme celles que le gouvernement a engagées avec le Fpi. Tous les trois mois, nous allons nous retrouver pour discuter des choses du pays. Donc ce n'est pas parce que le Pit est en perte de vitesse que nous n'avons pas été associés très tôt au dialogue républicain. 

En tant que parti d'opposition, quel regard critique portez-vous sur la gestion des libéraux qui sont au pouvoir ?
Au sortir de la crise post-électorale, à quoi avons-nous assisté ? Dès que le président Alassane Ouattara a pris les choses en main, il a balayé tous les petits commerçants installés en bordure de route sans leur trouver de point de chute. Ç'aurait été un socialiste, qui est plus soucieux de la valorisation de la personne humaine, il se serait préoccupé de trouver un point de chute à ces personnes avant de les déguerpir. Ce qui n'a pas été le cas des néo-libéraux au pouvoir. Par ailleurs, je disais tantôt que les Ivoiriens ont été trahis par le slogan « Ado solutions ». Le président Ouattara promettait de trouver des emplois aux Ivoiriens, on a même parlé de 200 mille emplois par an. Soit un million en cinq ans de mandat. il a reconnu lui-même qu'il n'est pas sûr de donner autant d'emplois par an avant 2015. Voilà pourquoi nous disons qu'il a trahi les Ivoiriens. Mais nous allons plus loin pour faire observer qu'avec « Ado solutions », l'on nous promettait la bonne gouvernance, mais est-ce de la bonne gouvernance quand, à plus de trente mois des élections présidentielles futures, l'actuel président de la République annonce sa candidature à ces élections et utilise les moyens de l'Etat pour battre campagne sous prétexte de visite d'Etat dans les régions ? On a tous vu qu'à sa dernière visite au Nord, il a demandé aux populations de voter pour lui ; n'est-ce pas là une campagne avant l'heure ? Tout cela ne dénote pas de la bonne gouvernance. 

A vous entendre, est-ce à dire qu'une alliance avec l'actuel parti au pouvoir dans la perspective de 2015 est à exclure ?
Au jour d'aujourd'hui, nous n'avons pas encore été approchés par aucune formation politique. Ce qui est sûr, c'est que le Pit sera aux élections générales de 2015, à la présidentielle comme à tous les autres scrutins. 

Récemment, la justice a accordé la liberté provisoire à 14 responsables de l'ancien parti au pouvoir. Comment ce geste a-t-il été accueilli au niveau du Pit ?
Disons tout de suite que le Pit n'est pas pour l'impunité ; nous voulons la réconciliation, mais la réconciliation dans la justice. C'est pourquoi nous estimons que ces responsables de parti devaient être jugés et s'ils sont coupables et que le président estime qu'il doit les gracier, il les gracie ou les amnistie. Pour nous, avec cette liberté provisoire, il y a comme une épée de Damoclès qui pèse sur la tête de ces responsables politiques du Fpi, c'est pourquoi je disais tantôt que leur libération apparaît comme une simple opération de communication. Nous tenons surtout à faire remarquer que le président Alassane Ouattara a demandé l'ouverture d'une enquête au sortir de la crise postélectorale ; laquelle a établi que des exactions ont été commises de part et d'autre. Il est bon qu'il se décide à poursuivre également ceux de son camp afin que chacun paie pour les crimes qu'il a commis. Je pense que c'est parce que le président Alassane Ouattara n'est pas prêt à juger ceux de ses partisans qui ont commis des crimes qu'il distrait les Ivoiriens et la communauté internationale en accordant une liberté provisoire aux pro-Gbagbo. Pour nous, ou bien tout le monde est jugé par la même justice avec la même célérité, ou bien alors tout le monde est relâché. 

Interview réalisée par Assane NIADA 

 
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Source : L’Inter 19 août 2013

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