Le débat autour de la nationalité, la gestion du
pouvoir par le régime Ouattara, l'éventualité d'une alliance entre le Parti
ivoirien des travailleurs (Pit) et le Rdr au pouvoir, sont autant de questions
qu'aborde dans cette interview, Barome Aristide Kouassi, secrétaire général
adjoint du Pit et porte-parole de ce parti.
Votre parti,
le Parti ivoirien des travailleurs (Pit), préconise un référendum pour trancher
la question de la nationalité et du foncier. Pourquoi un référendum ?
Vous savez que les questions de la nationalité et
du foncier ont été de tout temps des questions cruciales pour la Côte d'ivoire.
Nous sortons d'une crise à l'origine de laquelle se trouve la question de la
nationalité. Alors si nous devons plancher sur cette question, il est bon que
l'ensemble des ivoiriens s'approprient ce qui doit être arrêté, en sachent les tenants
et les aboutissants. Nous voulons mettre à l'aise le président de la
République, lui permettre de donner une légitimité à l'action qu'il veut poser,
d'où l'idée du référendum. Mais en même temps nous voulons exprimer notre
inquiétude parce que, selon nous, tout cela se fait dans la précipitation, au
point que cette réforme de la nationalité crée une suspicion. On se demande si
ce n'est pas fait dans la perspective des élections de 2015. En tout état de
cause, ce qui pourrait éviter une autre crise, c'est de permettre que tous les
ivoiriens s'approprient la question en allant à un référendum. Cela donnerait l'occasion
à toutes les composantes de la société ivoirienne d'avoir leur mot à dire.
Le chef de
l'Etat a expliqué à l'occasion de la fête de l'indépendance que ces réformes
sont inspirées des décisions prises par les acteurs politiques à Marcoussis, dont
votre parti, le Pit.
Cela me conforte dans la position que je soutenais
tantôt. A Marcoussis, ce sont les partis politiques qui ont pris ces décisions.
Le Pit est un parti politique parmi tant d'autres, mais tous les Ivoiriens ne
sont pas militants de partis politiques. Nous voulons sortir du carcan des
formations politiques pour permettre à l'ensemble des citoyens ivoiriens de donner
leur avis sur ces réformes. La question nous semble si sérieuse quelle ne
saurait être l'affaire des seuls partis politiques. Je disais tantôt que nous
voulons ainsi mettre à l'aise le président Ouattara en donnant une certaine
légitimité à ces réformes.
Est-ce à
dire que si les députés venaient à voter cette loi, elle ne sera pas légitime ?
Nous craignons qu'en procédant ainsi ce ne soit une
autre graine de division que l'on va semer. Que les députés sachent qu'ils seront
comptables de l'évolution de la graine qu'ils auront semée s'ils venaient à
voter ces réformes dans la précipitation, sans tenir compte de l'avis du peuple
ivoirien. Quand on vient de sortir d'une crise comme celle qu'a connue la Côte
d'ivoire, il faut faire attention aux pas qu'on pose. Sous la cendre il y a
encore des braises, faisons attention de ne pas les rallumer.
La loi
pourrait être votée à l'occasion de la session parlementaire extraordinaire qui
s'achève le 22 août. Si tel était le cas, il y a peu de chance que la voie
référendaire que vous préconisez soit suivie.
Nous espérons que les députés, qui ne sont pas des
députés des partis politiques, n'iront pas dans le sens du gouvernement ;
qu'ils vont se donner le temps de retourner consulter la base, car le temps qui
leur a été imparti pour examiner la loi ne leur a pas permis de consulter les
populations qui les ont élus. Pour une décision pareille, ils se doivent de consulter
le peuple. J'espère qu'ils ne donneront pas l'occasion à beaucoup d'ivoiriens,
qui doutent de notre Assemblée nationale, d'être confortés dans l'idée qu'elle
est aux ordres de l'exécutif, qu'elle est juste une caisse de résonance. Il
faut faire attention, il ne faut pas montrer qu'on est prêt à applaudir tout ce
qui vient de l'exécutif. Il faut tenir compte de l'intérêt supérieur du peuple
de Côte d'ivoire, sinon nous allons tous en tirer les conséquences ! Car une
chose est de voter la loi, une autre est de l'appliquer. Si nous voulons que
cette loi ne crée pas de division entre les ivoiriens, il est bon pour les
députés de ne pas la voter, mais de la soumettre à référendum afin de permettre
à l'ensemble des ivoiriens de donner une forte légitimité à ces réformes de la
nationalité. C'est à ce prix que nous aurons une véritable réconciliation. On
ne peut en effet vouloir réconcilier en créant des lois conflictuelles. On ne
peut avoir un pays émergent en 2020 si on n'est pas sûr d'avoir un pays
réconcilié. Je dis donc attention, nous venons de sortir d'une crise, il ne
faut pas semer les graines d'une crise future !
N'est-ce pas
paradoxal que votre parti ait appelé à voter l'actuel chef de l'Etat et se dresse
aujourd'hui contre une loi inspirée par le gouvernement ? Est-ce à dire que le
Pit n'est pas dans la mouvance présidentielle ?
Je voudrais d'emblée lever toute équivoque en vous
disant que le Pit est un parti d'opposition ; il n'a jamais fait partie du
Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (Rhdp). C'est
vrai qu'au second tour de la présidentielle, il nous est arrivé de faire un
choix sur la base des projets de loi qui nous avait été présentés. Mais là
encore, avec le recul, nous estimons avoir été trahis parce que « Ado solutions
», ce n'est pas ce qu'on voit aujourd'hui. La nouvelle direction du Pit a été
reçue par le Premier ministre Duncan et nous lui avons exprimé notre volonté de
participer à la réconciliation nationale. Une plate-forme a été trouvée pour
qu'il y ait une discussion directe entre le Pit et le gouvernement. C'est parce
que nous sommes dans l'opposition que cela est possible.
Pourquoi
c'est maintenant seulement que le Pit va être associé aux discussions avec le
gouvernement alors qu'un dialogue est établi depuis avec bien des partis de
l'opposition ? N'est-ce pas parce que votre parti est en perte de vitesse que
vous avez été ignoré jusque-là ?
Après le départ du président Francis Wodié, le
parti était dirigé par une direction transitoire qui avait à charge de préparer
le congrès. Nous sommes sortis de ce congrès à la faveur duquel nous avons
redéfini l'ancrage socialiste du parti ivoirien des travailleurs. Nous avons
une nouvelle équipe dirigeante avec à sa tête le ministre Daniel Aka Ahizi, désormais
président du Pit. Nous avons été reçus par le ministre de l'Intérieur, puis par
le Premier ministre Kablan Duncan et toutes les institutions du pays. Le
Premier ministre Duncan a demandé que le Pit participe à des discussions directes
comme celles que le gouvernement a engagées avec le Fpi. Tous les trois mois, nous
allons nous retrouver pour discuter des choses du pays. Donc ce n'est pas parce
que le Pit est en perte de vitesse que nous n'avons pas été associés très tôt
au dialogue républicain.
En tant que
parti d'opposition, quel regard critique portez-vous sur la gestion des libéraux
qui sont au pouvoir ?
Au sortir de la crise post-électorale, à quoi
avons-nous assisté ? Dès que le président Alassane Ouattara a pris les choses
en main, il a balayé tous les petits commerçants installés en bordure de route
sans leur trouver de point de chute. Ç'aurait été un socialiste, qui est plus
soucieux de la valorisation de la personne humaine, il se serait préoccupé de
trouver un point de chute à ces personnes avant de les déguerpir. Ce qui n'a
pas été le cas des néo-libéraux au pouvoir. Par ailleurs, je disais tantôt que les
Ivoiriens ont été trahis par le slogan « Ado solutions ». Le président Ouattara
promettait de trouver des emplois aux Ivoiriens, on a même parlé de 200 mille emplois
par an. Soit un million en cinq ans de mandat. il a reconnu lui-même qu'il
n'est pas sûr de donner autant d'emplois par an avant 2015. Voilà pourquoi nous
disons qu'il a trahi les Ivoiriens. Mais nous allons plus loin pour faire
observer qu'avec « Ado solutions », l'on nous promettait la bonne gouvernance,
mais est-ce de la bonne gouvernance quand, à plus de trente mois des élections
présidentielles futures, l'actuel président de la République annonce sa
candidature à ces élections et utilise les moyens de l'Etat pour battre campagne
sous prétexte de visite d'Etat dans les régions ? On a tous vu qu'à sa dernière
visite au Nord, il a demandé aux populations de voter pour lui ; n'est-ce pas
là une campagne avant l'heure ? Tout cela ne dénote pas de la bonne
gouvernance.
A vous
entendre, est-ce à dire qu'une alliance avec l'actuel parti au pouvoir dans la
perspective de 2015 est à exclure ?
Au jour d'aujourd'hui, nous n'avons pas encore été
approchés par aucune formation politique. Ce qui est sûr, c'est que le Pit sera
aux élections générales de 2015, à la présidentielle comme à tous les autres
scrutins.
Récemment,
la justice a accordé la liberté provisoire à 14 responsables de l'ancien parti
au pouvoir. Comment ce geste a-t-il été accueilli au niveau du Pit ?
Disons tout de suite que le Pit n'est pas pour
l'impunité ; nous voulons la réconciliation, mais la réconciliation dans la
justice. C'est pourquoi nous estimons que ces responsables de parti devaient
être jugés et s'ils sont coupables et que le président estime qu'il doit les
gracier, il les gracie ou les amnistie. Pour nous, avec cette liberté provisoire,
il y a comme une épée de Damoclès qui pèse sur la tête de ces responsables
politiques du Fpi, c'est pourquoi je disais tantôt que leur libération apparaît
comme une simple opération de communication. Nous tenons surtout à faire
remarquer que le président Alassane Ouattara a demandé l'ouverture d'une enquête
au sortir de la crise postélectorale ; laquelle a établi que des exactions ont
été commises de part et d'autre. Il est bon qu'il se décide à poursuivre
également ceux de son camp afin que chacun paie pour les crimes qu'il a commis.
Je pense que c'est parce que le président Alassane Ouattara n'est pas prêt à
juger ceux de ses partisans qui ont commis des crimes qu'il distrait les Ivoiriens
et la communauté internationale en accordant une liberté provisoire aux
pro-Gbagbo. Pour nous, ou bien tout le monde est jugé par la même justice avec
la même célérité, ou bien alors tout le monde est relâché.
Interview réalisée par Assane NIADA
en maraude dans le web
Sous cette rubrique, nous vous
proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas
nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en
rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et
aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à faciliter la
compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise
ivoirienne ».
Source : L’Inter 19 août 2013
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire