jeudi 28 mars 2013

LE MYSTERE BOGANDA

 A Bangui, depuis trente ans, le 29 mars est l’occasion de se souvenir de Barthélémy Boganda qui fut député à l’Assemblée nationale française à partir de 1946, et le chef du premier gouvernement en 1957.

C’est en effet le 29 mars 1959 que les Centrafricains, qui ne s’appelaient pas encore ainsi, apprirent avec stupeur la disparition de leur dirigeant vénéré dans l’accident de l’avion qui le ramenait d’une tournée électorale dans la région de Berbérati, dans la Haute Sangha, où il s’était rendu le matin même. Pour une cause qui restera sans doute à jamais mystérieuse, son avion s’était écrasé dans la

Barthélémy Boganda
région de la Lobaye, à plus de mille kilomètres de Bangui.

Ironie du sort, c’est dans cette même région, le bassin de la Lobaye, que le président Barthélémy Boganda avait vu le jour quarante-neuf ans plus tôt, à Bobangui, dans ce qui devait devenir, un peu plus d’un an après sa disparition, la République Centrafricaine indépendante, alors la colonie de l’Oubangui-Chari, paradis des sociétés concessionnaires et enfer des indigènes astreints, depuis la conquête française, au portage, à la récolte obligatoire du caoutchouc de liane et à la culture du cotonnier qu’un administrateur noir, le Guyanais Félix Eboué, y avait introduit.

Sous le régime des sociétés concessionnaires, l’Oubangui-Chari connaissait une fonte catastrophique de sa population et de ses ressources. C’est dans cette colonie qu’un autre administrateur, René Maran, lui aussi d’origine guyanaise mais d’éducation bordelaise, situa l’action de son roman Batouala qui lui valut le prix Goncourt en 1921. « Cette région, écrivait R. Maran dans sa préface, était très riche en caoutchouc et très peuplée. Des plantations de toutes sortes couvraient son étendue. Elle regorgeait de poules et de cabris. Sept ans ont suffi pour la ruiner de fond en comble. Les villages se sont disséminés, les plantations ont disparu, cabris et poules ont été anéantis. Quant aux indigènes, débilités par les travaux incessants, excessifs et non rétribués, on les a mis dans l’impossibilité de consacrer à leurs semailles même le temps nécessaire. Ils ont vu la maladie s’installer chez eux, la famine les envahir et leur nombre diminuer. »

Est-il vrai que la mère du futur Barthélémy Boganda a été parmi les victimes de ces abus et qu’elle est morte des suites d’une bastonnade reçue des mains d’un milicien d’une compagnie forestière alors qu’il était encore un enfant ? Est-il vrai qu’un de ses oncles périt aussi de la même manière, en 1927 ? Dans les biographies des dirigeants africains de cette époque, la légende se mêle souvent à l’histoire. Mais de tels drames ont endeuillé plus d’une famille partout, en sorte que le meurtre de Sirilie, la mère, et celui du chef Mindogon, l’oncle, sont au moins vraisemblables.

Le petit orphelin Boganda fut recueilli par les missionnaires catholiques auprès desquels il apprit à lire et à écrire. Puis, ses études primaires achevées, il fut orienté vers la prêtrise. Commencées à Kisantu auprès de jésuites belges ; poursuivies à Brazzaville chez les spiritains français, ses études cléricales s’achèveront au grand séminaire de Yaoundé, sous la direction de jésuites suisses. Et, le 17 mars 1938, l’ancien orphelin de Bobangui devint l’abbé Barthélémy Boganda, le premier prêtre oubanguien.

C’est dans cet état que le trouve la réforme du régime colonial de 1945 qui accorda aux indigènes le droit de se faire représenter au Parlement français. Encouragé par son évêque, Mgr Grandin, l’abbé Boganda se porte candidat au siège de député du deuxième collège. Il est élu. C’est le début d’une carrière politique à bien des égards atypique. Dans cette période marquée par une lutte sans concessions entre les tenants d’un colonialisme intransigeant parmi lesquels se rangeaient les colons, les administrateurs et… les missionnaires d’une part, et, les premiers nationalistes africains d’autre part, sans être vraiment un candidat de l’administration, le député de l’Oubangui-Chari était cependant plus proche des premiers que des seconds. Aussi est-ce tout naturellement qu’au Palais-Bourbon il s’inscrit dans le groupe des députés chrétiens du Mouvement républicain populaire (MRP), où il retrouve de nombreux élus coloniaux du premier collège réservé aux citoyens, qui n’avaient pas, on s’en doute, des vues particulièrement progressistes en matière de politique coloniale.

En 1950 cependant, Barthélémy Boganda se sépare du MRP en même temps qu’il cesse d’être prêtre après que les autorités ecclésiastiques l’eurent accusé d’avoir manqué au vœu de chasteté. Préférant alors suivre sa propre voie à l’écart des grands mouvements traditionnels comme le Rassemblement démocratique africain (RDA) et les Indépendants d’Outre-mer, il met sur pied sa propre organisation sous le nom de Mouvement pour l’évolution sociale de l’Afrique noire (MESAN). Il tentera par la suite, mais en vain, de l’implanter également au Tchad et au Moyen Congo (actuelle République populaire du Congo ou Congo-Brazzaville).

L’objectif que son fondateur assignait au MESAN était la promotion du « plein développement de la société africaine suivant l’esprit et la physionomie propres à l’Afrique noire ». Sa devise était : « Zo kwe zo », ce qui signifie : « Tout homme est un homme ». Son programme, résumé dans les cinq verbes : LOGER, NOURRIR, VÊTIR, SOIGNER, INSTRUIRE, lui rallia rapidement des foules de partisans et fit connaître son fondateur dans l’ensemble du pays.

Dès 1951, Boganda est solidement installé comme leader incontesté de l’Oubangui-Chari. Réélu député, il voit en outre son mouvement gagner la quasi-totalité des sièges de l’Assemblée territoriale. En 1956, il devient maire de Bangui. Et en 1957, par une écrasante majorité, il est porté à la présidence du Grand Conseil de l’Afrique équatoriale française (AEF).

C’est en cette qualité que, le 24 août 1958, il accueille le président Charles de Gaulle à Brazzaville, deuxième étape aussi heureuse et euphorisante que la première (Tananarive) et la suivante (Abidjan) d’un fameux périple qui, sur sa fin, en connaîtra deux fort désagréables, à Conakry puis à Dakar. La petite histoire a retenu que le président Boganda saisit cette occasion pour, dans un entretien privé, expliquer à de Gaulle que « si le oui au référendum devait signifier une renonciation irrécusable à l’indépendance, son propre pays, l’Oubangui-Chari, la Guinée, le Sénégal, le Dahomey (actuel Bénin) et le Niger seraient forcés de voter non, à cause des positions publiques qu’avaient adoptées leurs leaders respectifs ». Ce serait cet avertissement qui amena de Gaulle à prononcer la fameuse phrase qui permit au oui de l’emporter partout hormis la Guinée : « A l’intérieur de cette communauté, si quelque territoire, au fur et à mesure des jours, se sent, au bout d’un certain temps que je ne précise pas, en mesure d’exercer toutes les charges, tous les devoirs de l’indépendance, eh bien, il lui appartiendra d’en décider par son assemblée élue et si nécessaire par le référendum de ses habitants (…). Je garantis que dans ce cas, la métropole ne s’y opposera pas ».

A ce moment-là, tout comme au début de sa carrière, Barthélémy Boganda peut-être décrit comme l’exacte antithèse d’un Houphouët-Boigny. Entre 1945 et 1959, les deux hommes ont, pourrait-on dire, échangé leurs objectifs et leurs amitiés politiques : l’ancien député MRP militait désormais pour l’indépendance, tandis que l’ancien apparenté communiste s’y opposait de toutes ses forces. C’était l’époque où, tant en Afrique occidentale française (AOF) qu’en Afrique équatoriale, que l’un et l’autre dominaient, respectivement, de leur stature, une grave question était en débat : fallait-il ou non conserver ces deux groupements et les doter d’un exécutif ?

Contrairement à Houphouët-Boigny et conscient de ce que la faiblesse des moyens propres d’un pays dépeuplé et pauvre en ressources constituait un handicap insurmontable au moment où pointait l’heure des indépendances, Boganda fut l’un des plus chauds partisans du maintien des anciennes fédérations, et il voulait qu’elles fussent dotées de véritables exécutifs. A cet égard, il avait une position très voisine de celle d’un Senghor à la veille de la constitution de la Fédération du Mali : « Nous sommes prêts à rester dans la Communauté, si la Communauté nous permet d’atteindre notre objectif qui est triple : fédérations primaires d’Afrique occidentale et d’Afrique équatoriale, indépendance par étapes dans une association de forme confédérale avec la France ».

Au moment de sa mort, le président Boganda s’employait à faire aboutir un projet de constitution d’un Etat unitaire formé de tous les territoires de l’AEF ; projet qui allait évidemment à l’encontre de la politique officielle de la métropole qui, elle, visait au contraire à balkaniser l’Afrique.

Malgré la volonté annoncée de les éclaircir rapidement, les causes de l’accident fatal du 29 mars 1959 sont restées inconnues et sans doute le resteront-elles à jamais. A l’époque des faits, il paraissait évident que la ténacité du leader oubanguien sur la question de l’exécutif fédéral, et l’exaspération qu’elle provoquait chez les autorités de la décolonisation, n’y furent pas étrangères. Puis on dit aussi qu’il n’était pas impossible que l’intention que certains prêtaient à Boganda d’apporter son appui aux nationalistes du Congo belge pouvait avoir donné au colonialisme belge l’occasion de s’en débarrasser. Mais il est arrivé que deux tireurs, même s’ils s’ignorent, visent et atteignent une même cible…

Marcel Amondji
(Article paru dans Le Nouvel Afrique Asie N° 18/mars 1991, sous le pseudonyme de Marcel Adafon).
 

Chronologie des putschs en République Centrafricaine (1965-2013)
source : Notre Voie 25 Mars 2013
 
31 décembre 1965 : David Dacko, au pouvoir depuis l'indépendance, est renversé par Jean-Bedel Bokassa. La Constitution est abrogée et l'Assemblée nationale dissoute. En 1972, Bokassa se fait nommer président à vie avant d'être promu maréchal en 1974. 
4 décembre 1977 : Un an après avoir érigé la République en "empire", Bokassa se fait couronner empereur. Dénoncé comme un "dictateur sanglant" par les organisations de défense des Droits de l'Homme, il mène une répression sanglante et commandite des assassinats d'hommes politiques et d'officiers de l'armée.  
20 septembre 1979 : Bokassa, en visite en Libye, est chassé du pouvoir par des parachutistes français lors de l'opération "Barracuda". Dacko reprend le pouvoir et rétablit la République.
1er septembre 1981 : Dacko est contraint, en raison de troubles, de remettre le pouvoir aux militaires. André Kolingba accède au pouvoir.  
22 avril 1991 : Kolingba, dont le régime fait face à des troubles socio-politiques, annonce une réforme constitutionnelle instaurant le multipartisme. En 1993, Ange-Félix Patassé remporte la présidentielle. 
28 mai 2001 : Coup d'Etat manqué attribué à Kolingba. Le putsch manqué et les dix jours de combats qui suivent font des dizaines de morts. 
15 mars 2003 : Patassé est renversé par Bozizé. Des résidences abandonnées par des dignitaires du régime, des édifices publics, des commerces et entreprises sont pillés. 500 militaires tchadiens sont déployés à Bangui.  
8 mai 2005 : Bozizé remporte la présidentielle, qui marque la fin d'un processus électoral émaillé de crises. 
30 octobre 2006 : Birao, capitale du nord, tombe aux mains de l'Union des forces démocratiques pour le rassemblement (Ufdr). En novembre-décembre, grâce à l'aide de la France et de ses Mirage F1, l'armée de Bangui reprend toutes les localités du nord-est tombées aux mains des rebelles.  
24 novembre 2010 : La rébellion de la Convention des patriotes pour la justice et la paix (Cpjp), qui avait mené plusieurs attaques dans la région de Ndélé (nord) en 2009, prend Birao. Bangui fait appel, cette fois, à l'armée tchadienne pour reprendre la ville, le 1er décembre, à l'issue de violents affrontements.  
10 décembre 2012 : Une coalition de plusieurs factions rebelles, le Séléka, prend les armes pour réclamer "le respect" d'accords de paix conclus entre 2007 et 2011, avant de stopper sa progression sous la pression internationale à 75 km de Bangui. Des accords de paix signés en janvier 2013 débouchent sur la formation d'un gouvernement d'union nationale. 
25 mars 2013 : le Séléka s’empare de Bangui d’où le président Bozizé s’est enfui.

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